Mes paradis/Dans les remous/Ballade de la rose


LXVII

BALLADE DE LA ROSE


Chez toi l’on se rue en cuisine,
Ô banquier, roi de l’univers.
De partout l’on t’emmagasine
Pêches, raisins, fraises, pois verts,
Même au temps des plus durs hivers.
Pourtant tu mangerais morose
Si les fleurs manquaient aux couverts.
On vit sans pain ; pas sans toi, rose.

Toi, qu’affame notre lésine,
Vieux pauvre, aux tas d’ordure ouverts
Ta faim avec les chiens cousine,
Parmi les détritus divers,
Os, trognons, lambeaux pleins de vers.

Tiens, cent sous ! Que ton cœur s’arrose
D’eau d’af qui le foute à l’envers.
On vit sans pain ; pas sans toi, rose.

Le long des murs noirs de l’usine,
Avril rit dans les mâchefers.
Sous le rideau de ma voisine
J’aperçois des bouquets offerts.
La mignonne chante au travers,
Rose, en dépit de la chlorose
Que lui font les jeûnes soufferts.
On vit sans pain ; pas sans toi, rose.

ENVOI

Prince, les sots et les pervers
Disent que ça suffit, la prose.
Mais le monde a besoin des vers.
On vit sans pain ; pas sans toi, rose.