Mes années d’esclavage et de liberté/2.20

Mes années d’esclavage et de liberté (Life and Times of Frederick Douglass)
Traduction par Valérie de Gasparin.
E. Plon et Cie (p. 319-322).

NOTE DU TRADUCTEUR


Aide-toi ! dit le proverbe ; mais il ajoute : le ciel t’aidera.

« Paul plante, Apollos arrose. » Mais si Dieu ne faisait pas croître… rien ne croîtrait.

Si Dieu n’avait pas — tant soit peu — mis sa main dans les affaires de Frédérik Douglass, nous doutons tort que l’Honorable Marshal des États-Unis pour le district de Columbia, s’en fût si merveilleusement tiré.

Ce qu’il nomme : les circonstances favorables, ne serait-ce point, par hasard, cette main-là ?


Priez, et croisez-vous les bras ! — L’Évangile n’a jamais dit cela, les chrétiens n’ont jamais fait cela. Le travail, dans toutes les sphères, à travers tous les âges : travail de l’âme, de la pensée, du corps, tel a été l’ordre de Dieu, telle est la vie du chrétien. J’ajoute : tel est l’impérieux besoin de son intelligence, la condition en dehors de laquelle il ne vit plus.

Se représente-t-on un ciel peuplé — j’allais dire meublé — d’êtres immobiles ?

Des cerveaux malades ont pu en imaginer un pareil. Ce n’est pas le ciel de Dieu.

Le travail, cette magnifique expansion de toutes nos forces, de toutes nos facultés, la prière — rude combat — ne le supplée pas : elle lui souffle la vie.

Qui prie, travaillera. Les grands supplieurs ont été grands travailleurs.

Sans ces hommes-là, les hommes de prière, qui travaillent d’autant mieux que Dieu travaille avec eux, et qu’ils le savent ; sans ces régiments chrétiens, qui, à l’exemple des Suisses de Morgarten, prient avant la bataille, pendant la bataille, après la bataille ; sans ces hommes qui, parce qu’ils prient, écrasent l’ennemi ; sans les Buxton, les Wilberforce, les Lincoln, la noble phalange de supplieurs, de travailleurs, qui, en Europe, en Amérique, partout debout, partout à la brèche, ont combattu l’esclavage, le géant, et l’ont vaincu ; les vaisseaux de traite viendraient, à l’heure qu’il est, chercher leur cargaison noire sur les côtes d’Afrique ; ils la jetteraient, à l’heure qu’il est, aux enfers du Sud américain. À l’heure qu’il est, le fouet du planteur sillonnerait de rouges sillons le dos des nègres, courbés sur les rizières. À l’heure qu’il est, Monsieur Douglass, sans ces hommes-là, les hommes qui prient ; on vendrait, on achèterait, on avilirait, on déchirerait, on assassinerait sur les marchés d’Amérique, dans les plantations d’Amérique, vos frères et vos sœurs, vos fils et vos filles ; comme on avilissait, comme on vendait, comme on torturait, comme on assassinait vos pères et vos mères, en ces jours où n’avait pas encore passé sur les consciences, le souffle du Christ, qui réveille les morts.

Pour nous, travailleurs aussi, transportés de joie à ces triomphes, la parole d’Aunt Mary, la vieille négresse de Savannah, nous revient dans le cœur.

Racontant l’entrée de Sherman à cette heure mémorable où, suivi de ses bataillons, il affranchit les noirs : « Nous savions qu’il viendrait, dit-elle ; nous le savions, parce que nous avions tant prié ! Oui, Sah[1], nous avons tellement tourmenté le Seigneur, qu’il a été obligé d’envoyer Massa Sherman[2]. »

Nous, les chrétiens, nous croyons au Dieu qui mène le monde… et même les balles.

Nous croyons au Dieu qui travaille, au Dieu qui délivre.

Nous croyons au Fils de Dieu, qui travaillait, qui priait ici-bas.

Nous croyons au Saint-Esprit, qui là-haut prie et travaille.

Et nous prions, et nous travaillons ; et, serrant vos mains vaillantes, à vous, le noble, le courageux travailleur, nous vous disons :

— Frère, priez ! Frère, rendez vraiment « l’honneur à qui l’honneur ! » Frère, que personne, en fermant votre livre, n’ait le droit de s’écrier : « Tu n’as pas glorifié le Dieu qui tient ton souffle, et toutes tes voies en sa main[3]. »


  1. Sir (monsieur).
  2. Les Américains chez eux. — Bonhoure, 1866. — Pion, 1882.
  3. Daniel, v. 23.