Mercédès de Castille/Préface

Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne, Gosselin (Œuvres, tome 18p. 9-10).


PRÉFACE.





On a tant écrit, depuis quelques années, sur la découverte de l’Amérique, qu’il ne serait nullement étonnant qu’il existât dans une certaine classe de lecteurs une disposition à nier l’exactitude de tous les faits contenus dans cet ouvrage. Quelques-uns pourront alléguer l’histoire, dans la vue de prouver que des personnages tels que notre héros et notre héroïne n’ont jamais existé, et s’imagineront qu’en établissant ce fait, ils détruiront complètement l’authenticité de ce récit. En réponse à cette objection anticipée, nous dirons qu’après avoir lu avec soin plusieurs écrivains espagnols, depuis Cervantès jusqu’au traducteur du journal de Colomb, l’alpha et l’oméga de la littérature de la Péninsule, et après avoir parcouru Irving[1] et Prescott depuis le commencement jusqu’à la fin, nous n’avons pu trouver dans aucun d’eux une syllabe qui nous paraisse une preuve concluante, ou même une preuve quelconque contre les portions de notre ouvrage qui seront le plus probablement contestées. Jusqu’à ce qu’on puisse produire contre nous quelque preuve affirmative solide, nous regarderons donc nos faits comme bien établis, et nous ferons reposer nos droits à être crus sur l’autorité de nos propres assertions. Nous ne pensons pas qu’il y ait rien de déraisonnable ou d’extraordinaire dans cette marche, car la plus grande partie peut-être de ce qu’en offre tous les jours et à chaque heure du jour à la croyance du public, est basée sur la même espèce de témoignage, avec cette légère différence que nous offrons des vérités sous le nom de fictions, tandis que les grands pourvoyeurs moraux de ce siècle offrent des fictions qu’ils appellent des vérités. Si l’on peut légitimement prendre avantage contre nous de cette petite différence, il faut bien nous y résigner.

Il y a pourtant un point sur lequel il peut être à propos de parler avec toute franchise. Nous avons écrit le Voyage au Cathay ayant sous les yeux le journal de l’Amiral, ou plutôt tout ce qui a été donné au public de ce journal par un éditeur avide et incompétent. Bien n’est plus clair que le fait général que cet individu ne comprenait pas toujours son auteur, et que, dans une circonstance particulière, il a écrit d’une manière assez obscure pour mettre dans un grand embarras même un romancier, dans les fonctions duquel il entre naturellement de connaître parfaitement les pensées, les émotions, le caractère, et quelquefois même le destin inconnu de ses personnages. Le jour nautique commençait autrefois à midi, et malgré toute notre habileté naturelle et les hautes prérogatives de notre profession, nous n’avons pu découvrir si l’éditeur de ce journal a adopté cette manière de calculer le temps, ou s’il a eu la condescendance d’employer le mode plus vulgaire et moins raisonnable des hommes qui ne sont pas marins ; notre opinion est pourtant qu’avec l’esprit d’impartialité qui convient à un historien, il a adopté l’une et l’autre.

Quant à ce qui concerne les personnages subalternes de cet ouvrage, nous n’avons besoin que de dire très-peu de chose à ce sujet. Chacun sait que Colomb avait des marins sur ses bâtiments, et qu’il ramena avec lui en Espagne quelques-uns des naturels des îles qu’il avait découvertes. On fait maintenant connaître au lecteur quelques-uns de ces individus, nous croyons pouvoir le dire, plus intimement que n’aurait pu le faire la lecture d’aucun ouvrage écrit jusqu’à présent. Quant aux incidents subordonnés qui se rattachent aux événements plus connus de ce siècle, l’auteur espère qu’on trouvera qu’ils remplissent assez complètement cette partie du sujet pour rendre inutiles toutes autres recherches.



  1. Voyez l’Histoire de la vie et des voyages de Christophe Colomb, par Washington Irving, traduite par Defauconpret, 4 vol. in-8, et l’Histoire des Compagnons de Christophe Colomb, par le même auteur, 3 vol. in-8, publiés à Paris à la librairie de Charles Gosselin.