Alphonse Lemerre, éditeur (p. 409-436).


XVIII


LE PLUS HEUREUX DES QUATRE


Suzanne connaissait trop bien le coup d’œil du baron Desforges pour s’imaginer que la scène de la loge lui eût échappé tout entière. Qu’en avait-il saisi ? Que pensait-il ? C’étaient pour elle deux questions d’une importance capitale. Il lui fut impossible d’y répondre durant les minutes qu’ils mirent, elle appuyée à son bras et lui la soutenant comme s’il l’eût réellement crue souffrante, depuis la baignoire jusqu’au bas de l’escalier qui donne sur le portique réservé aux voitures. Le visage du baron était demeuré impénétrable. Elle-même ne se sentait pas la force d’employer ses facultés habituelles d’observation. La comédie de son malaise n’avait été qu’à moitié jouée, tant le coup subit de cet entretien avec René l’avait frappée d’épouvante et aussi de douleur. Elle avait pu craindre que le jeune homme, évidemment hors de lui, ne fît un éclat et ne la perdît à jamais. En même temps, sa passion très sincère, très vivante, avait saigné de ce terrible outrage et de cette découverte plus terrible encore. Tandis que, relevant sa robe à traîne, elle assurait sur les marches ses souliers de satin bleu, elle était secouée d’un frisson, comme il arrive au sortir d’un mortel danger que l’on a eu pourtant le courage de braver. Elle souriait à demi, avec des lèvres frémissantes dans un visage qu’envahissait la pâleur. Ce fut un véritable soulagement pour elle que de s’asseoir dans l’angle de son coupé où son mari prit place auprès d’elle. Devant lui, du moins, elle n’avait pas besoin de se dominer. Au moment où le cheval partit, elle se pencha, comme pour un dernier salut. La clarté d’un bec de gaz portait en plein sur le masque du baron qui exprimait maintenant sa vraie pensée. Suzanne ne s’y méprit pas une seconde :

— « Il sait tout… » dit-elle. « Que devenir ? … »

Le coupé avait disparu depuis un instant que Desforges était encore là, qui tiraillait sa moustache, — signe chez lui d’une préoccupation extrême. Comme il faisait beau, il n’avait pas commandé sa voiture. C’était son habitude, par les temps secs, de marcher jusqu’à son cercle favori, rue Boissy-d’Anglas, depuis l’endroit où il avait passé la soirée, même quand cet endroit était un petit théâtre situé à l’autre extrémité des boulevards. Tout en fumant son cigare, le troisième de la journée, — le docteur Noirot n’en permettait pas davantage, — il aimait à traverser Paris, son Paris qu’il se piquait avec raison de connaître et de goûter comme personne. Ce n’était pas un cosmopolite que Desforges, il avait en horreur les voyages, ce qu’il appelait « la vie de colis. » Cette promenade à pied le soir, c’était son délice. Il en profitait pour « faire sa caisse, » — c’était un de ses mots, — pour repasser en esprit les divers incidents de la journée, et mettre en parallèle ses recettes d’un côté, ses dépenses de l’autre : « Avoir fait du massage, de l’escrime, du cheval le matin… » Colonne des recettes, c’était emmagasiner de la santé. « Avoir bu du bourgogne à dîner, ou du porto rouge, son péché mignon, ou mangé des truffes, ou aimé Suzanne… » Colonne des dépenses… Quand il s’était permis un petit excès contraire aux règles très réfléchies de sa conduite, il pesait avec soin le pour et le contre, et il concluait par un « ça valait » ou « ça ne valait pas la peine… » motivé comme un arrêt de justice. Et puis ce Paris, où il habitait depuis sa plus lointaine enfance, lui était toujours une occasion de souvenir. Le cynisme se joignait en lui à la finesse, et il ne pratiquait pas que l’épicuréisme des sens. Il professait l’art de jouir des bonnes heures en se les rappelant. Dans telle maison, il avait eu des rendez-vous avec une charmante maîtresse ; telle autre lui remémorait des dîners exquis en compagnie fine. « Il faut se faire quatre estomacs, comme les bœufs, pour ruminer, » disait-il, « ils n’ont que cela de bon, je le leur ai pris. » Mais quand la voiture des Moraines fut partie, par ce soir de mois de mai qui était pourtant bien tiède, bien doux, et quoique la journée eût été pour lui particulièrement heureuse jusqu’à la visite de René Vincy dans la baignoire, il commença sa promenade sur les impressions les plus tristes et les plus amères. Suzanne ne s’y était pas méprise. Il savait tout. Cette entrée du poète l’avait saisi d’autant plus, que, cette après-midi même, en sortant de la maison de ses rendez-vous par la rue de Rivoli, il s’était trouvé nez à nez avec le jeune homme qui l’avait regardé fixement : « Où diable ai-je vu cette figure-là ? » s’était vainement demandé Desforges. « Où avais-je la tête ? » s’était-il dit quand Paul Moraines avait nommé René Vincy à Suzanne. Tout de suite, à la physionomie du visiteur, il avait flairé un mystère. Quand Suzanne avait passé dans l’arrière-salon, il s’était placé de manière à suivre l’entretien du coin de l’œil. Sans entendre ce que disait le poète, il avait deviné à l’expression de ses yeux, aux plis de son front, au geste de sa main, qu’il faisait une scène à Suzanne. La fausse indisposition de cette dernière ne l’avait pas dupé un quart de minute. Il était de ceux qui ne croient aux migraines des femmes que sous bénéfice d’inventaire. Le tremblement de la main de sa maîtresse sur son bras, en descendant l’escalier, avait achevé de le convaincre ; et, maintenant, en traversant la place de l’Opéra, au lieu de s’extasier comme d’ordinaire sur la vaste perspective de l’avenue éclairée depuis peu à l’électricité ou sur la façade du théâtre qu’il déclarait préférer à toutes les Notre-Dame, il se formulait à lui-même les vérités les plus mortifiantes.

— « J’ai été mis dedans, » se disait-il, « à mon âge ! Voilà qui est un peu fort… et pour qui ? » Toutes les circonstances se combinaient pour lui rendre cette humiliation plus cruelle : la perfection de ruse avec laquelle Suzanne l’avait trompé, sans qu’il pût concevoir un soupçon, un seul ; — la soudaineté foudroyante de la découverte ; — la qualité de son rival enfin, un petit jeune homme, un écrivailleur de hasard ! Vingt détails lui revenaient, pêle-mêle, et les uns plus désolants que les autres : la piteuse et gauche mine qu’il avait trouvée au poète lors de leur unique rencontre, le lendemain de la soirée à l’hôtel Komof ; des rêveries de Suzanne, depuis inexplicables, et auxquelles il avait pris à peine garde, des allusions faites par elle à des visites du matin chez le dentiste, au Louvre ou au Bon-Marché. Et il avait tout avalé, lui, le baron Desforges ! « J’ai été trop bête ! » se répéta-t-il à voix haute. « Mais comment a-t-elle pu ? … » Ce qui achevait de l’accabler, c’était de ne pas comprendre la façon dont elle s’y était prise, même à cet instant où l’attitude de René dans la loge ne lui laissait aucun doute. Non, il n’y avait pas de doute possible. Pour qu’il se fût permis cette scène, et que Suzanne l’eût prise de la sorte, il fallait qu’elle fût sa maîtresse. « Mais comment ? » se demandait-il, « elle ne l’a pas reçu chez elle, je l’aurais su par Paul. Elle ne l’a pas vu dans le monde. Il ne va nulle part… » Il dit encore une fois : « J’ai été trop bête ! … » Et il ressentit un véritable mouvement de colère contre celle qui était la cause du trouble pénible auquel il était en proie. Il avait dépassé le café de la Paix, et il dut écarter deux femmes qui l’abordaient avec des discours infâmes. « Ma foi, » se dit-il, « elles se valent toutes ! … » Il fit encore quelques pas et s’aperçut qu’il avait laissé son cigare s’éteindre. Il le jeta d’un geste presque violent : « Et les cigares sont comme les femmes… » Puis il haussa les épaules, en constatant ce mouvement de puérile humeur : « Frédéric, mon ami, » lui murmura la voix intérieure, « vous avez été une bête et vous continuez… » Il tira un second cigare de son étui, le fit craquer à son oreille, et avisa un bureau de tabac où l’allumer. Le Havane se trouvait par hasard être délicieux. Le baron en aspira la fumée en connaisseur : « J’avais tort, » pensa-t-il, « voilà qui ne trompe pas… »

Cette sensation agréable commença de changer le cours de ses idées. Il regarda autour de lui. Il était en ce moment presque à l’extrémité du boulevard. Les passants allaient et venaient, comme en plein jour. Les voitures filaient, rapides. Le gaz éclairait d’une manière presque fantastique les feuillages nouveaux des arbres. À droite, au fond, la Madeleine dressait sa masse sombre, et le ciel bleuissait, plein d’étoiles. Ce tableau parisien amusa les yeux du baron qui reprit ses réflexions avec un esprit un peu plus rasséréné ; « Ah ! çà, » se demanda-t-il, « serais-je jaloux ? » Il lui arrivait d’ordinaire, quand on citait devant lui un exemple de cette triste passion, de hocher la tête et de dire : « On fait la cour à votre maîtresse… Mais c’est un hommage rendu à votre bon goût. » — « Moi, jaloux ! Ce serait complet ! » Quand nous nous sommes dressés à jouer dans le monde un certain personnage, pendant des années, nous le jouons aussi pour nous tout seuls, et en tête à tête avec nous-mêmes. Desforges eut honte de cette faiblesse, — comme un officier, envoyé en mission, la nuit, en temps de guerre, rougit d’avoir peur, et refuse d’admettre en lui cette sensation : « Ce n’est pas vrai, » se répondit le baron à lui-même, « je ne suis pas jaloux. » Il ramassa toute sa pensée et se figura Suzanne entre les bras de René. Il eut un léger chatouillement de vanité heureuse à constater que cette image, si elle ne lui était pas agréable, ne lui donnait pas non plus cette crise de souffrance aiguë qui est la jalousie. Par contraste, il revit l’entrée du poète dans la loge, son visage altéré, l’indomptable frénésie de douleur dont frémissait tout son être. C’était là un vrai jaloux, et dans la pleine crise de la funeste manie. L’antithèse entre le calme relatif qu’il venait de constater en lui et le désespoir de son rival, fut une telle flatterie pour l’orgueil du baron qu’il eut une seconde de réelle volupté. Il se surprit à prononcer son mot familier, celui qu’il tenait de son père, l’habile spéculateur, qui le tenait lui-même de sa mère, une belle et forte Normande associée à la fortune du premier baron Desforges, le préfet du grand empereur : « De la jugeotte ! … » — « Et pourquoi serais-je jaloux ? En quoi Suzanne m’a-t-elle trompé ? Est-ce que j’attendais d’elle un amour comme cela qu’a dû rêver ce benêt de poète ? À cinquante ans passés, que lui demandais-je ? D’être aimable ? Elle l’a été. De me faire un intérieur à côté du mien, de quoi tuer mes soirées ? Elle me l’a fait. Hé bien ! alors ? … Elle a rencontré un garçon jeune, robuste, qui ne se ménage pas, avec une peau fraîche et qui sent bon, une jolie bouche. Elle se l’est payé. Elle ne pouvait cependant pas me demander de le lui offrir… Mais de nous deux, le cocu, c’est lui ! … » Il était devant la porte de son cercle quand il se formula cette conclusion à la gauloise. La brutalité du mot qui lui était venu à l’esprit le soulagea une seconde. « C’est égal, » pensa-t-il, « que dirait Crucé ? » L’adroit collectionneur lui avait autrefois vendu un faux tableau à un prix exorbitant, et Desforges nourrissait à son égard, depuis lors, cette espèce d’estime rancunière que les hommes très fins gardent à ceux qui les ont joliment dupés. Il se représenta le petit salon du club, et le futé personnage racontant l’aventure de Suzanne et de René aux deux ou trois collègues choisis parmi les plus envieux. Cette idée fut odieuse au baron, au point qu’elle l’empêcha de monter l’escalier, et il marchait dans la direction des Champs-Élysées en la combattant : « Bah ! ni Crucé ni les autres n’en sauront rien. C’est encore heureux qu’elle n’ait pas choisi pour amant tel ou tel de ces gommeux d’aujourd’hui… » Et il se retourna pour regarder les fenêtres du cercle de la rue Royale qui donnent sur la place de la Concorde, — tout éclairées. « Au lieu de cela, elle a pris quelqu’un qui n’est pas du monde, que je ne rencontre jamais, et elle ne l’a ni présenté ni patronné. Il faut lui rendre cette justice qu’elle y a mis des formes… Tout à l’heure encore, si elle était si tremblante, c’est à cause de moi… Pauvre petite ! … »

— « Oui, pauvre petite ! … » reprit-il en continuant son monologue intérieur sous les arbres de l’avenue. « Cet animal est capable de lui faire expier durement son caprice. Était-il assez en colère, ce soir ? Quel manque de goût et de savoir-vivre ! Et dans ma loge ! … Quelle ironie ! … Si ce brave Paul n’était pas le mari que j’ai formé, elle était perdue. Et puis voilà le secret de nos rendez-vous entre ses mains. Il va falloir quitter la rue du Mont-Thabor ! … Non ! Ce garçon-là est inhabitable ! … » C’était une de ses expressions favorites. Il eut un nouveau mouvement d’humeur, contre le poète cette fois ; mais comme il se piquait d’être un homme d’esprit et de ne pas trop se duper lui-même, il s’interrompit dans cet accès : « Je vais lui en vouloir d’être jaloux de moi, maintenant. Ce serait un comble… Pensons plutôt à ce qu’il peut faire ? Du chantage ? Non. C’est trop jeune encore… Un article dans quelque journal ? Un poète à prétentions sentimentales ! … Ce ne doit pas être son genre… S’il pouvait se brouiller avec elle, par indignation ? … Ce serait trop beau ! Un pauvre diable, à cet âge-là, qui a de l’argent comme un crapaud des plumes, et sous la main une maîtresse jolie, amoureuse, avec tous les raffinements de l’élégance autour d’elle, et gratis, il y renoncerait ! … Allons donc… Mais s’il lui demande de rompre avec moi et qu’elle soit assez folle de lui pour céder ? … » Il eut la vision, immédiate et précise, des dérangements que cette rupture amènerait dans sa vie : « D’abord plus de Suzanne, et où en trouverai-je une autre, si charmante, si spirituelle, qui ait cette allure, et mes habitudes ? … Et puis, que d’emplois de soirée à organiser, sans compter que je n’ai pas à Paris de meilleur ami que cet excellent Paul ! … » Il eut besoin, pour se rassurer contre ces tristes éventualités, de se rappeler les liens d’intérêt qui le rendaient indispensable au ménage Moraines. « Non, » conclut-il, au moment même où il arrivait devant la porte de son hôtel du Cours-la-Reine, « elle ne me sacrifiera pas, il ne la lâchera pas, et tout s’arrangera… Tout s’arrange toujours… »

Cette assurance et cette philosophie n’étaient sans doute pas aussi sincères que l’aurait voulu la vanité d’homme fort qui était la seule petitesse du baron, car il montra, pour la première fois de sa vie, une impatience injuste à l’égard du remarquable valet de chambre, son élève, qui présidait, depuis des années, à sa toilette de nuit. Pourtant, s’il restait en lui, avec la préoccupation de la conduite à tenir, plus de froissements intimes qu’il ne consentait à se l’avouer, cet aimable égoïste n’en dormit pas moins ses sept heures d’affilée, comme toutes les nuits. Parmi les principes d’hygiène systématique d’après lesquels il s’exerçait à vieillir, le respect de son propre sommeil venait en première ligne. Grâce à une vie, modérément, continuement active, grâce à une nourriture surveillée, grâce à une régularité absolue dans le lever et le coucher, grâce au soin, comme il disait encore, « de se déshabiller à minuit le cerveau de toute idée noire, » il avait conquis une si parfaite habitude de reposer à heure fixe qu’il aurait fallu l’annonce d’une nouvelle Commune, — la plus gênante des contrariétés qu’il prévît, — pour le tenir éveillé. Quand il ouvrit les yeux, le lendemain, les idées rafraîchies par cette excellente nuit, ce qui pouvait lui rester d’irritation était si bien dissipé qu’il se rappela les événements de la veille avec un sourire.

— « Je suis sûr qu'il n’en a pas fait autant… » se dit-il, en songeant aux heures d’insomnie que René avait dû traverser, « ni Suzanne… » elle était si bouleversée la veille, « ni Moraines » . Une indisposition de sa femme mettait ce brave garçon aux cent coups. « Quel joli titre de comédie : Le plus heureux des quatre ! …— Je le placerai, ce mot-là… » Sa plaisanterie le divertit lui-même, et quand le docteur Noirot lui eut répété, au cours de son massage : « Le facies de monsieur le baron est excellent ce matin, et quels muscles ! … C’est souple, c’est robuste, c’est ferme, des muscles de trente ans… » l’impression du bien-être acheva d’abolir en lui presque toute amertume. Il n’eut qu’une seule idée : comment empêcher que la scène de la veille changeât quoi que ce fût à une existence si confortable, si bien adaptée à sa chère personne ? … Il y pensait en buvant son chocolat, au sortir du massage : une espèce de mousse légère et parfumée que son valet de chambre battait avec un tour de main étudié chez un maître. Il y pensait, en galopant au Bois par le plus limpide ciel de printemps. Il y pensait, assis à la table du déjeuner, vers midi et demi, en face de sa vieille parente qui dirigeait toute une partie de sa maison : la lingerie, l’argenterie, les comptes des domestiques, en attendant qu’elle devînt la sœur de charité de ses infirmités dernières. Sa conclusion fut pour le grand mot de toute politique sage, tant privée que publique : Attendre ! « Il faut laisser le petit jeune homme faire des sottises et se couler tout seul… Soyons très aimable et n’ayons rien vu… » Il se rendait rue Murillo de pied, vers deux heures, en ruminant cette résolution. Il s’arrêta devant la devanture d’un magasin d’antiquités qu’il connaissait bien, et il y remarqua une montre Louis XVI, en or ciselé, avec un encadrement de roses et une miniature exquise : « Voilà, » songea-t-il, « un excellent moyen de lui prouver que je suis pour le statu quo. » Il paya ce gentil bibelot un prix très raisonnable et se félicita doublement de cet achat, quand il vit, à son entrée dans le petit salon où se tenait Suzanne, combien la jeune femme attendait sa visite avec angoisse. Ses yeux meurtris et sa pâleur révélaient qu’elle avait dû passer la nuit à bâtir des plans pour sortir de l’impasse où la scène avec René l’avait acculée. À la manière dont elle le regarda, le baron comprit qu’elle n’espérait pas avoir échappé à sa perspicacité. Ce fut comme un suprême hommage qui finit de panser la blessure de son amour-propre, et il éprouva un réel plaisir à lui tendre l’écrin où se trouvait enfermée la petite montre, en lui demandant :

— « Ceci vous plaît-il ? »

— « Ravissant, » dit Suzanne, « et ce berger et cette bergère… ils sont vivants. »

— « Oui, » reprit Desforges, « ils ont l’air de chanter la romance de l’époque :

J’ai tout quitté pour l’ingrate Sylvie,
Elle me quitte et prend un autre amant… »

Il avait dû jadis quelques jolis succès de salon à une voix de ténor fine et bien manœuvrée, il fredonna le refrain de la célèbre complainte, avec une variante de sa façon :

« Chagrins d’amour ne durent qu’un moment,
Plaisirs d’amour durent toute la vie… »

— « Si vous voulez mettre ce berger et cette bergère sur un coin de votre table, ils y seront mieux que chez moi… »

— « Que vous me gâtez ! » répondit Suzanne, un peu embarrassée.

— « Non, fit Desforges, je me gâte moi-même… Ne suis-je pas votre ami avant tout ? » Puis, lui baisant la main, il ajouta d’un ton sérieux, et qui contrastait avec son badinage : « Et vous n’en aurez jamais de meilleur… »

Et ce fut tout. Un mot de plus, et il compromettait sa dignité. Un mot de moins, et Suzanne pouvait le croire sa dupe. Elle éprouva, pour la délicatesse avec laquelle il venait de la traiter, un mouvement de reconnaissance, — d’autant plus sincère que cette délicatesse lui permettait de ne plus penser qu’à René. Ç’avait été là un comble d’anxiété durant son insomnie de la nuit : comment ménager l’un en gardant l’autre, maintenant que les deux hommes s’étaient vus, s’étaient pénétrés ? Rompre avec le baron ? Elle y avait pensé, mais comment faire ? Elle se trouvait prise au piège des mensonges qu’elle faisait à son mari depuis plusieurs années. Leur train de vie ne pouvait se soutenir sans le secours de son amant riche. Briser avec lui, c’était se condamner tout de suite à chercher une relation du même genre, ou bien à tomber plus bas encore, dans cette prostitution payée comptant, chez les procureuses, que la chronique attribuait à telle ou telle femme de sa connaissance. D’un autre côté, garder Desforges, c’était rompre avec René. Jamais le baron ne comprendrait qu’en aimant le poète elle ne lui volait rien. Est-ce que les hommes admettent jamais de pareilles vérités ? Et voici que celui-là était assez spirituel, assez bon, pour ne pas même lui parler de ce qu’il avait pu remarquer. Jamais, en payant pour elle les notes les plus lourdes, il ne lui avait paru aussi généreux qu’à cette minute où il lui permettait, par son attitude, de se livrer tout entière au soin de reconquérir son jeune amant, des baisers duquel elle ne pouvait, elle ne voulait pas se passer.

— « Il a raison, » se dit-elle quand Desforges fut parti, « c’est mon meilleur ami… » et, tout de suite, avec cette admirable facilité d’espérance que possèdent les femmes, lorsqu’un premier bonheur les surprend, elle voulut croire que les choses s’arrangeraient aussi aisément de l’autre côté. Étendue sur la chaise longue du petit salon, et tandis que ses doigts maniaient distraitement la jolie montre, sa pensée s’appliqua tout entière au poète et au procédé qu’il convenait d’employer pour le reprendre. Il s’agissait de préciser la situation et de la regarder bien en face. Que savait René ? Il l’avait renseignée lui-même sur ce premier point : il l’avait vue sortir de la maison de la rue du Mont-Thabor, et il en avait vu sortir Desforges. Or le baron, par prudence, ne s’en allait jamais par la même porte que sa maîtresse. Donc René connaissait l’existence des deux entrées. L’avait-il vue, elle, laisser sa voiture et marcher jusqu’à celle de ces entrées qui donnait sur la rue de Rivoli ? C’était bien probable. Si le seul hasard l’eût fait se rencontrer avec elle, d’abord, puis avec le baron, il n’eût rien pu conclure de ces deux rencontres. Non. Il l’avait épiée, suivie. Poussé par quelle influence ? Elle l’avait quitté au commencement de la semaine, à leur dernière entrevue, si rassuré, si tendre, si heureux ! Il n’y avait qu’une cause possible à une reprise de soupçon assez violente pour aller jusqu’à l’espionnage : le retour de Claude. Elle eut un mouvement de haine contre ce personnage. « Si c’est à lui que je dois cette nouvelle alerte, il me le paiera… » songeait-elle. Mais elle revint aussitôt au danger qui, pour l’instant, lui importait plus que sa rancune contre l’imprudent Larcher. Le fait était là, positif : pour une raison ou pour une autre, René avait surpris le secret de ses rendez-vous avec Desforges, et la douleur avait été si forte que, sur-le-champ, il avait dû la lui crier. Que d’amour dans cette folle démarche à l’Opéra qui avait failli la perdre. Au lieu de lui en vouloir elle l’en chérissait davantage. C’était une preuve de passion, donc un signe de sa puissance sur le jeune homme. Non, un amant qui aime avec cette frénésie n’est pas difficile à ramener. Il fallait seulement qu’elle le vît, qu’elle lui parlât, qu’elle lui expliquât de vive voix cette visite rue du Mont-Thabor. Elle pouvait être allée tout simplement chez une amie malade, qui fût aussi l’amie de Desforges. Mais la voiture renvoyée devant Galignani ? …— Elle avait eu envie de marcher quelques pas. Mais les deux entrées ? …— Tant de maisons honnêtes sont ainsi ! … Elle connaissait trop, par expérience, les côtés confiants du caractère de René pour douter qu’il se laissât convaincre. Sur le premier moment, il avait été terrassé par une évidence qui corroborait ses soupçons. Aujourd’hui déjà il devait douter, plaider en lui-même la cause de son amour… Elle en était là de ses raisonnements lorsqu’on lui annonça que sa voiture était avancée. Le désir de s’emparer à nouveau de René la possédait si complètement, elle était d’autre part si persuadée que sa présence enlèverait les dernières résistances, qu’un projet soudain se saisit d’elle : pourquoi n’essaierait-elle pas de retrouver le jeune homme tout de suite ? Oui, pourquoi, maintenant qu’elle n’avait plus rien à craindre de Desforges ? Dans les brouilles du cœur, les plus rapides raccommodements sont les meilleurs… Aurait-il en lui la force de la repousser, si elle lui arrivait, dans ce petit intérieur témoin de sa première visite, s’offrant à lui comme alors, lui apportant cette nouvelle et indiscutable preuve d’amour, lui disant : « Tu m’as outragée, calomniée, torturée… je n’ai pu supporter ni tes doutes ni ta douleur… me voici ! » Elle n’eut pas plutôt conçu la possibilité de cette démarche décisive qu’elle s’y attacha comme à un moyen sûr d’échapper à l’angoisse qui la torturait depuis la veille. Elle s’habilla d’une manière si rapide, que sa femme de chambre Céline en demeura étonnée, et cependant elle n’avait jamais été plus jolie qu’avec la robe de printemps grise et claire qu’elle avait choisie : une robe un peu serrée aux jambes, comme on les portait cette année-là, souple fourreau qui la dessinait tout entière. Et, sans hésiter, elle jeta le nom de la rue Coëtlogon à son cocher. Cette femme si calculatrice, si préoccupée de tout ménager, en était arrivée là !

— « Pour une fois ! … » se disait-elle, tandis que son coupé traversait Paris, « j’arriverai plus vite… » Les sèches idées de prudence avaient bien vite fait de céder la place à d’autres : « Pourvu que René soit chez lui ? … Mais il y est. Il attend une lettre de moi, un signe quelconque de mon existence. » C’était à peu près la même question qu’elle se posait et pour y répondre dans les mêmes termes, lors de sa première visite en mars, deux mois et demi auparavant. Elle put mesurer, à la différence des émotions ressenties, quel chemin elle avait parcouru depuis cette époque. Dans ce temps-là, elle courait vers le logis du jeune homme, attirée par le plus fougueux des caprices, mais un caprice seulement. Aujourd’hui, c’était bien l’amour qui brûlait son sang de ses fièvres, l’amour qui a faim et soif de l’être aimé, l’amour qui ne voit plus que lui au monde, et qui marcherait vers son désir sous la gueule d’un canon chargé, sans trembler. Oui, elle aimait avec son corps, avec son esprit, avec tout son être ; elle le sentait à la fureur d’impatience où la jetait le train de sa voiture, pourtant rapide, à son épouvante que sa démarche se trouvât vaine. Elle reconnut la grille qui fermait l’entrée de la ruelle, avec une émotion extrême. C’était maintenant un coin vert et frais, grâce aux beaux arbres dont le feuillage frémissait derrière le mur du jardin, à droite, sous la caressante lumière de cette gaie après-midi du mois de mai. Non, elle n’était pas aussi troublée l’autre fois, quand elle avait demandé au concierge si M. Vincy était à la maison. Il y était cette fois encore. Elle sonna, et, comme l’autre fois, le tintement de la clochette lui résonna jusqu’au fond du cœur. Elle entendit une porte s’ouvrir, des pas s’avancer, tout légers, tout lestes. Elle se souvenait de l’approche de gendarme écoutée jadis à cette même place. Ce n’était pas la bonne qui venait lui ouvrir maintenant, ce n’était pas non plus René. Elle connaissait si bien le bruit particulier de sa démarche. Elle pressentit qu’elle allait se trouver devant la sœur de son amant, cette Émilie dont l’absence avait favorisé son autre visite. Elle n’eut pas le temps de raisonner sur les désavantages de cet incident inattendu. Déjà madame Fresneau, — c’était bien elle— avait entr’ouvert la porte et montré un visage qui ne laissa plus de doute à Suzanne, tant était grande la ressemblance entre la sœur et le frère. Émilie, elle non plus, n’hésita pas sur l’identité de la visiteuse, et, sans doute, les nouvelles souffrances de René durant ces derniers jours, jointes aux révélations de Claude durant leur entretien, avaient exaspéré son antipathie contre madame Moraines, car elle ne put dissimuler une expression d’hostilité passionnée, et elle répondit à la demande de la jeune femme, du ton le plus pincé :

— « Non, madame, mon frère n’est pas là… » Puis, son affection de sœur lui suggérant une ruse subite pour prévenir toute question sur l’heure possible de la rentrée de René, elle ajouta : « Il est parti en voyage ce matin même… »

Que cette réponse fût un mensonge, le concierge s’était comme chargé de le démontrer à l’avance. Mais que ce mensonge fût une soudaine invention d’Émilie, cela, Suzanne ne pouvait pas le penser. Elle dut croire et elle crut que madame Fresneau obéissait à une consigne donnée par son frère. Elle n’essaya pas d’en savoir davantage, et se contenta de dire en s’inclinant un : « Madame… » où la grâce parfaite de la mondaine prenait la seule revanche qui lui fût permise sur la maussaderie presque impolie de la bourgeoise. Mais cette grâce n’empêcha point qu’elle n’éprouvât plus qu’un désappointement, une réelle douleur. Que l’étrange accueil d’Émilie s’expliquât ou non par des indiscrétions de René, elle ne se le demandait même pas. Elle se disait : « Il ne veut plus me revoir ; » et cette idée lui perçait le cœur. Quand elle fut dans la rue, elle se retourna pour jeter un coup d’œil sur la fenêtre de cette chambre où elle s’était donnée à son amant, pour la première fois. Cette première fois, elle s’était, en s’en allant, retournée de même, et elle avait pu le voir, lui, debout derrière le rideau à moitié relevé. Ne se remettrait-il pas à cette place, pour la regarder partir, quand sa sœur lui aurait dit qui venait de sonner à la porte ? Elle attendit cinq minutes, debout sur ce coin de trottoir, et ce lui fut comme un nouveau malheur que ces rideaux demeurassent baissés. Elle monta dans son coupé, en proie à toutes les agitations d’une femme qui aime véritablement et qui change de projet à chaque seconde. Après des débats infinis avec elle-même, elle se décida, elle qui n’écrivait jamais, à écrire au poète le billet suivant :

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Samedi, cinq heures.

Je suis allée rue Coëtlogon, René, et votre sœur m’a dit que vous étiez en voyage. Mais je sais que ce n’est pas vrai. Vous étiez là, à deux pas de moi, qui ne vouliez pas me recevoir, dans cette chambre dont chaque meuble devrait pourtant vous rappeler une heure où vous ne pouvez pas douter que j’aie été sincère. Quelle raison avais-je de vous mentir alors ? Je vous en supplie, voyez-moi, ne fût-ce qu’une minute. Venez lire dans mes yeux ce dont vous m’aviez juré de ne plus douter, que vous êtes mon tout, ma vie, mon ciel. Depuis hier soir, je ne vis plus. Vos horribles paroles me résonnent toujours dans les oreilles. Non, ce n’est pas vous qui les avez prononcées. Où auriez-vous pris tant d’amertume, presque de haine ? … Ah ! Comment avez-vous pu me condamner ainsi sans m’entendre, sur la foi d’un soupçon dont vous aurez honte, quand je vous en aurai fait toucher au doigt la misère ? Oui, je devrais vous en vouloir, être indignée contre vous, mais je n’ai dans le cœur que tendresse pour toi, mon René, que désir d’effacer de ton âme tout ce que les ennemis de notre bonheur ont pu y graver. Cette démarche, si contraire à ce qu’une femme se doit à elle-même, je m’étais tant réjouie de la faire, tu ne pouvais pas douter du sentiment qui me l’inspirait. Ne me réponds pas. Je sens, même en t’écrivant, combien une lettre est impuissante à montrer le cœur. Je t’attendrai après-demain lundi, à onze heures, dans notre asile. J’aurais le droit de te dire que je veux t’y voir, car un accusé a toujours le droit de se défendre. Je ne te dirai qu’un mot : Viens-y, si tu as vraiment aimé, ne fût-ce qu’un jour, celle qui ne te ment pas, qui ne t’a jamais menti, qui ne te mentira jamais, je te le jure, mon unique amour.

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Quand Suzanne eut terminé cette lettre, elle la relut. Un dernier instinct de diplomatie l’avait fait hésiter devant la signature. Elle était si complètement prise qu’elle en eut honte, et elle écrivit son nom au bas de ce billet, image exacte de l’étrange situation morale où elle s’était laissé entraîner. Elle y mentait une fois de plus, en jurant qu’elle ne mentait pas, et rien n’était plus vrai, plus spontané, moins artificiel que l’émotion qui lui dictait cette tromperie suprême, après tant d’autres. Elle sonna, et, contre toute prudence encore, elle donna au valet de pied cette lettre dont une seule phrase pouvait la perdre, pour qu’il la fît porter tout de suite rue Coëtlogon, par un commissionnaire. Depuis ce moment, et durant les trente-six heures qui la séparaient du rendez-vous qu’elle avait fixé, elle vécut dans un état de surexcitation nerveuse dont elle ne se serait jamais crue capable. Cette femme, si maîtresse d’elle-même et qui s’était engagée dans cette aventure, comme elle se maintenait dans le monde, depuis des années, avec le machiavélisme d’une rouée, se sentait impuissante à suivre, à former aucune espèce de projet pour la conduite qu’elle tiendrait avec son amant. Elle devait, ce samedi soir, dîner dans le monde. Elle fit sa toilette, ce qui ne lui était jamais arrivé, comme une somnambule, sans même se regarder dans la glace. Elle ne trouva pas un mot à dire, durant tout ce dîner, à son voisin, qui était l’inévitable Crucé. Sous prétexte que son malaise de la veille continuait, elle avait demandé son coupé pour dix heures. Elle rentra sans prendre garde aux discours que lui tenait son mari, dont la présence lui était intolérable ; c’était à cause de lui, et parce qu’il restait à la maison le dimanche, qu’elle avait dû reculer jusqu’au lundi le rendez-vous avec René. Si seulement ce dernier consentait à ce rendez-vous ? Avec quelle angoisse, tout en abandonnant son manteau au domestique, elle regarda le plateau où l’on déposait le courrier du soir. L’écriture du poète n’était sur aucune enveloppe. Tout ce triste dimanche, elle le passa au lit, accablée soi-disant par la migraine ; en réalité, elle essayait de rassembler ses idées pour le cas où il ne la croirait pas, quand elle lui expliquerait la visite rue du Mont-Thabor, par l’histoire de l’amie malade… Mais il y croirait. Elle n’admettait pas qu’il n’y crût point. Cela lui était trop douloureux. Sa fièvre de désir et d’angoisse, d’espérance et d’appréhension, fut portée à son comble le lundi matin, tandis qu’elle montait l’escalier de la maison de la rue des Dames. Si René l’attendait, caché comme d’habitude derrière la porte à demi tirée, c’est que son billet avait suffi à le toucher. Elle était sauvée… Mais non. Elle vit cette porte fermée. Sa main tremblait, en glissant la clef dans la serrure. Elle entra dans la première chambre, qui était vide et les volets clos. Elle s’assit dans l’ombre de cette pièce dont chaque détail lui parlait d’un bonheur si récent, — si lointain ! C’était le salon d’une bourgeoise rangée, avec des fauteuils et un canapé en velours bleu que des carrés de guipure au crochet protégeaient à la hauteur de la tête. Les quelques livres que René avait apportés montraient dans l’étagère leurs dos réguliers et bien époussetés. L’ordre méticuleux de la respectable madame Raulet avait même veillé à ce que la pendule de bronze doré, représentant une Pénélope, fût remontée avec exactitude. Suzanne écoutait le battement du balancier remplir le silence de cette chambre. Les secondes passaient, puis les minutes, puis les quarts d’heure, et René ne venait pas. Il ne viendrait pas. Cette femme, habituée, depuis sa première jeunesse, à toujours aller jusqu’au bout de son désir, subit, à cette évidence, un véritable accès de désespoir. Elle se mit à pleurer comme une enfant, et de vraies larmes qui tombaient, tombaient, sans qu’elle songeât à jouer la comédie, cette fois. Elle voulut écrire, puis, quand elle eut trouvé du papier dans le buvard que son amant laissait sur la table du milieu, ouvert l’encrier, pris la plume, elle repoussa tous ces objets en se répétant : « À quoi bon ? » et, pour laisser une trace de son passage, si René venait après son départ, elle posa sur cette table ce mouchoir parfumé avec lequel elle avait essuyé ses larmes amères. Elle se dit : « Il aimait ce parfum ! … » Auprès de ce mouchoir, elle mit aussi ses gants qu’il lui boutonnait toujours à leurs fins de rendez-vous ; et elle partit, la mort dans le cœur, après être allée dans la chambre à coucher où le lit dormait sous son couvre-pied de dentelle. Qu’elle avait été heureuse dans cette chambre ! Était-ce bien possible que ces heures-là fussent passées— et pour toujours ?