Texte établi par Damase JouaustLibrairie des Bibliophiles (Cabinet du Bibliophile, n° 10) (p. 65-67).




VARIANTES

DE LA MAXIME LXXXI

(MANUSCRITS DE CONRART) [1]



Tous les grands divertissemens sont dangereux pour la vie chrestiene ; mais, entre tous ceux que le monde a inventés, il n’y en a point qui soit plus à craindre que la Comedie. C’est une representation si naturelle et si delicate des passions qu’elle les emeut et les fait naître dans notre cœur, et sur tout celle de l’amour, principalement lorsqu’on le représente fort chaste et fort honnete : car, plus il paroist innocent aux ames innocentes, et plus elles sont capables d’en estre touchées ; sa violence plaist à notre amour-propre, qui forme aussi tost un desir de causer les mêmes effects que l’on void si bien représentés[2], et l’on se fait au mesme temps une conscience fondée sur l’honnesteté des sentimens qu’on y void, qui oste la crainte des ames pures, qui s’imaginent que ce n’est pas blesser la pureté d’aymer d’un amour qui leur semble si sage.

Ainsi l’on s’en va de la Comedie le cœur sy remply de toutes les beautés et de toutes les douceurs de l’amour, et l’ame et l’esprit si persuadés de son innocence, qu’on est tout préparé à recevoir les premieres impressions, ou plutost à chercher l’occasion de les faire naître dans le cœur de quelqu’un, pour recevoir les mesmes plaisirs et les mesmes sacrifices que l’on a veus si bien depeins dans la Comedie.

  1. Plutôt que de nous borner à relever les variantes, nous avons mieux aimé reproduire en entier cette autre version de la maxime LXXXI, en indiquant les différences de texte par des caractères italiques.
    Cette maxime, très-goûtée dans la société de Madame de Sablé, passa de bouche en bouche, et fut souvent répétée et commentée. L’impression n’en ayant pas arrêté la forme définitive, on comprend qu’il en ait existé des rédactions différentes. Il a pu en être ainsi de plusieurs autres maximes de la Marquise.
    Nous avons conservé l’orthographe du manuscrit, ce qui explique les différences orthographiques que l’on pourra remarquer dans les passages conformes à la version de l’imprimé.
  2. Ces quatre lignes ne sont pas une variante de rédaction, mais se trouvent en plus dans la version du manuscrit.