Traduction par A. J. Nieuwenhuis et Henri Crisafulli.
Dentu (p. 111-145).

XVII.


Le père de Saïdjah avait un buffle, à l’aide duquel il labourait son champ.

Ce buffle lui fut enlevé par le chef du district de Parang-Koudjang.

Jugez de son affliction !

Pendant plusieurs jours, le pauvre homme ne prononça pas une parole.

La saison des labours approchait, et si la terre de son champ ne se trouvait pas préparée, en temps voulu, il pouvait bien dire adieu à ses semailles, et à sa récolte future.

Il faut faire observer à tous ceux qui connaissent Java, sans connaître Bantam, que dans cette dernière régence la propriété foncière personnelle existe ; elle n’existe pas ailleurs.

Le père de Saïdjah se trouvait, donc, dans un état d’inquiétude mortelle.

Il craignait la misère, et la faim pour sa femme, pour son fils Saïdjah, ainsi que pour tous ses autres petits garçons et petites filles.

En outre, il tremblait que le chef du district ne le dénonçât au sous-préfet, comme coupable d’infraction à la loi, s’il ne se trouvait pas en mesure de payer son fermage.

Alors, il prit un poignard que son père lui avait légué. Ce poignard n’était pas beau, mais il avait des viroles d’argent, plaquées tout autour de son fourreau.

Le bout du fourreau lui-même était aussi en argent.

Le père de Saïdjah alla vendre ce poignard à un chinois, qui demeurait au chef-lieu, et il rapporta cinquante francs, avec lesquels il acheta un autre buffle.

Saïdjah, alors, âgé de sept ans environ, se lia d’une tendre amitié avec l’animal. Quand je dis : amitié, je ne vais pas trop loin ; c’est, en effet, une chose touchante que de voir combien le buffle javanais s’attache au petit garçon qui le garde et le soigne. La grande et forte bête courbe sa lourde tête, il la fait aller à droite, à gauche, au simple toucher de l’enfant qu’il connait, qu’il comprend, et avec lequel il a grandi.

Le petit Saïdjah sut, en peu de temps, inspirer pareille amitié au nouvel hôte de sa famille ; la voix caressante de l’enfant avait l’air de doubler la vigueur de ses reins robustes ; et, vraiment, lorsqu’il l’entendait, l’animal traçait un sillon plus profond dans l’argile solide et résistant.

Lorsqu’ils arrivaient à l’extrémité du champ, le buffle se retournait docilement, et sans perdre un pouce de terrain, il traçait un sillon parallèle, et régulier, de telle sorte que le terrain labouré finissait par ressembler à un jardin potager, ratissé par un géant.

Près de là s’étendaient les champs du père d’Adenda, la fillette, qui, au dire des deux familles, était destinée à devenir un jour la femme de Saïdjah.

Aussi, quand les petits frères d’Adenda arrivaient à la ligne de démarcation, séparant les champs paternels, s’ils apercevaient de l’autre côté Saïdjah suivant sa charrue, ils ne manquaient jamais de l’appeler. Saïdjah répondait, et alors, c’était à qui vanterait le plus la force et la docilité de son buffle.

Celui de Saïdjah était peut-être bien le meilleur. Son jeune maître l’amadouait si bien par de douces paroles ! Et les buffles, tout comme les hommes, sont sensibles aux caresses, et aux flagorneries.

Quand Saïdjah arriva à l’âge de neuf ans, Adenda en avait six.

Ce fut à ce moment de leur vie, que ce second buffle fut enlevé aussi par le chef du district de Parang-Koudjang.

Réduit aux derniers expédients, le père de Saïdjah se vit forcé de vendre à un Chinois deux anneaux de rideau en argent que sa femme avait hérités d’un de ses parents.

Il en retira quarante francs avec lesquels il acheta un troisième buffle.

Les petits frères d’Adenda, ayant raconté que l’animal enlevé venait d’être conduit au chef-lieu, Saïdjah, qui était fort triste, demanda à son père, si en allant vendre ses anneaux, il ne l’avait pas aperçu.

Mais, son père refusa de lui répondre, craignant que ce buffle n’eût été abattu, comme on avait l’habitude de le faire pour tous ceux dont s’emparait le chef du district.

Il fit son possible pour consoler l’enfant, qui ne cessait pas de pleurer ; en pensant à son pauvre serviteur, et aux deux années qu’ils venaient de passer ensemble, c’est à peine s’il avait le courage de manger.

Cependant le nouveau buffle apprenait à connaître Saïdjah.

Il gagna bientôt son affection.

Le souvenir des absents s’efface vite de nos cœurs !

Quoique l’animal ne fût pas si fort que son prédécesseur ; quoique l’ancien joug fût trop large pour son cou, il se montrait docile, comme l’autre.

Seulement, Saïdjah, arrivé aux limites du champ, ne pouvait plus vanter aux frères d’Adenda la merveilleuse vigueur de son buffle ; c’est tout au plus, si, en revanche il se croyait en droit de faire valoir sa douceur, et sa bonne volonté.

Quand les sillons n’étaient pas tout à fait droits, quand il restait des mottes de terre en dehors de la charrue, il prenait sa houe, et, tant bien que mal, il remédiait, en cachette, au travail défectueux.

Un jour, Saïdjah essayait vainement de faire avancer son buffle. L’animal ne bougeait pas. Irrité d’une résistance si opiniâtre, et surtout si peu habituelle, l’enfant s’emporta, et ne put pas s’empêcher de lui lancer une grosse injure.

— Marche donc, bâtard ! lui cria-t-il.

Saïdjah parlait innocemment ; il ne faisait que répéter, ce qu’il avait entendu dire à d’autres conducteurs de buffles, mécontents de leurs animaux.

Mais, ce jour là, ses paroles ne servirent à rien. Le buffle refusa d’avancer. Il secouait la tête, comme pour se débarrasser de son joug, haletant péniblement, et tremblant de tous ses membres. La terreur obscurcissait son grand œil bleu, et sa lèvre se retroussait frémissante.

— Fuis, Saïdjah, sauve-toi ! s’écrièrent les frères d’Adenda, un tigre !

Et tous, enlevant aux buffles leurs jougs de labourage, ils grimpèrent sur leurs larges dos, et partirent au galop.

Ils traversèrent ainsi les champs de riz, les madriers, les fossés pleins de boue, les taillis, la forêt, les plaines, et les routes, et ils rentrèrent, hors d’haleine, à Badour.

Mais, Saïdjah ne se trouvait point avec eux,

Un saut imprévu de sa monture lui avait fait perdre l’équilibre, et l’avait jeté à terre.

Le tigre était à deux pas….

Le buffle, emporté par la rapidité de sa course, fit encore quelques bonds, au-delà de l’endroit où son jeune maître attendait la mort.

Mais, rebondissant aussitôt en arrière, il revint sur ses pas, et couvrant l’enfant de son corps, il tendit sa tête armée vers le tigre, qui accourait menaçant.

La bête féroce sauta, et rencontra les cornes du buffle, qui lui percèrent les entrailles.

Elle tomba, éventrée, et morte. Le courageux sauveur de Saïdjah en fut quitte pour une blessure à l’épaule.

Plus tard, lorsque ce buffle fut enlevé, et abattu,… — je vous ai prévenu, lecteur, que mon récit était monotone ; — Saïdjah venait d’accomplir sa douzième année, et Adenda savait tisser. Elle ornementait même ses tissus ; et ses dessins trahissaient l’affliction de son âme, affliction provenant de la tristesse où elle voyait son Saïdjah plongé.

Les parents de Saïdjah aussi n’étaient rien moins que joyeux.

La mère avait bien guéri la blessure de l’animal fidèle, qui venait de lui ramener son fils sain et sauf. Dieu sait si elle avait pleuré en apprenant par les frères d’Adenda que son fils venait d’être enlevé par le tigre !

Tout en soignant la plaie du buffle, tout en la pansant, elle songeait aux ravages qu’aurait causés dans le corps délicat de son enfant, la griffe puissante, qui avait pénétré si profondément dans les rudes chairs de son sauveur !

Aussi, chaque fois qu’elle mettait des herbes fraîches sur la blessure du buffle, elle caressait le brave animal, et lui adressait de douces paroles pour lui faire comprendre sa reconnaissance maternelle.

Plus tard, aussi, quand, par l’ordre du chef, la brave bête fut conduite à l’abattoir, la mère de Saïdjah espérait encore qu’elle comprendrait ses cris, et ses pleurs, et qu’elle devinerait qu’on ne l’abattait pas par l’ordre de ses derniers maîtres.

Peu de temps après, le père de Sâidjah s’enfuyait du pays, pour échapper à la peine, qui devait lui être infligée pour le non paiement de son fermage.

Il était complètement ruiné, et dans l’impossibilité de remplacer son dernier buffle.

Ses parents, et les parents de sa femme, habitant toujours le district de Parang-Koudjang, ne pouvaient lui être d’aucun secours.

Il avait bien continué à travailler à l’aide de bêtes louées, mais, c’était un travail ingrat, et navrant pour un ancien propriétaire de buffles.

La mère de Saïdjah mourut de chagrin, et ce fut alors, que dans un moment de découragement, son père s’enfuit de Badour pour aller gagner sa vie dans le district de Buitenzorg.

Parti sans feuille de route, il se vit ramener à Badour par la police, et subit la peine de la bastonnade.

Enfin, on l’enferma dans une maison de fous.

Fou ! Je veux bien croire qu’il l’était.. Il avait assez souffert pour le devenir ! mais, ne craignait-on pas plutôt que le désespoir ne le poussât à la révolte !

Il ne resta pas long-temps dans sa prison. La mort vint vite le rendre libre.

Quant aux petits frères, et aux petites sœurs de Saïdjah, je ne sais pas ce qu’ils devinrent.

La maisonnette, où ils vivaient autrefois à Badour, resta inhabitée. Un beau jour, elle s’écroula.

Construite avec des bambous, et recouverte de feuilles aquatiques, entre autres de lis d’eau, elle ne pouvait durer longtemps.

Elle disparut.

Un tas de poussière fangeuse, et de détritus, recouvrit bientôt le sol où tant de larmes avaient été versées.

Il y a beaucoup d’endroits pareils, à Lebac !

Saïdjah avait quinze ans lorsque son père partit pour Buitenzorg. Il ne l’accompagna pas, ayant bien autre chose en vue.

Il venait d’apprendre, qu’à Batavia beaucoup de riches personnages allaient en tilburys, et qu’il lui serait facile de trouver une place de groom, ces domestiques étant choisis parmi les plus jeunes ; en effet, leur léger poids était d’un grand avantage pour le service d’une voiture à deux roues ; ce n’était pas une surcharge ; c’était même une garantie d’équilibre.

Il pourrait, lui avait-on assuré, gagner beaucoup d’argent dans une place pareille, s’il se conduisait bien ; peut-être même, au bout de trois ans de service, se trouverait-il en mesure d’acheter deux buffles.

Cette perspective lui sourit.

Tout fier de son idée, imposant comme un homme qui se dit : je vais faire quelque chose de grand, aussitôt son père parti, il se rendit chez Adenda, et lui communiqua son projet.

— Vois un peu, ma chère Adenda, lui dit-il, à mon retour nous serons d’âge à nous marier, et nous posséderons deux buffles pour notre entrée en ménage.

— Très bien, Saïdjah, je me marierai volontiers avee toi, à ton retour. En t’attendant, je tisserai des ceintures, et des robes, je les ornerai, je les peindrai ; enfin, je saurai m’occuper depuis le matin jusqu’au soir.

— Je te crois, Adenda, mais si j’allais te retrouver mariée.

— Saïdjah, tu le sais bien, je n’épouserai jamais personne autre que toi. Nos pères nous ont fiancés l’un à l’autre.

— Et toi ?

— Moi, je me marierai avec toi… tu peux en être sûr.

— Quand je reviendrai, j’appellerai… de loin…

— Qui t’entendra, si nous sommes en train de piler du riz, dans le village ?

— C’est vrai… mais tiens, voici une meilleure idée… Adenda, tu m’attendras, près la forêt de chênes, sous l’arbre où pour la première fois tu m’as donné la fleur du jasmin.

— Mais, Saïdjah, comment savoir le jour où il faudra t’attendre sous l’arbre ?

Saïdjah réfléchit un instant, puis il ajouta :

— Tu n’as qu’à compter les lunes. Je resterai absent, pendant trois fois douze lunes… sans compter celle-ci. Écoute moi bien, Adenda ; à chaque nouvelle lune tu feras une entaille sur ton billot à piler. Quand tu en auras fait trois fois douze, j’arriverai sous l’arbre… mais le jour suivant, seulement… ! me promets-tu d’y être ?

— J’y serai, Saïdjah. À ton retour, tu me trouveras sous l’arbre, près la forêt des chênes.

Saïdjah déchira une bande de la mousseline bleue, et usée, qui enveloppait sa tête, et il la donna à Adenda, comme un gage de souvenir, et d’amour ; puis il la quitta, et s’éloigna de Badour.

Il marcha plusieurs jours.

Il dépassa Rangkas-Betoung, qui n’était pas encore chef-lieu de Lebac, puis Waroung-Gounoung, où résidait alors le sous-préfet.

Le lendemain, il voyait Pandeglang, situé au beau milieu d’un immense jardin.

Un jour après, il arrivait à Serang, et restait bouche béante devant la splendeur d’une ville, si grande, et contenant tant de palais ou de bâtiments construits en briques, et toiturés de tuiles rouges.

Saïdjah n’avait jamais rien vu de pareil.

La fatigue le retint une journée entière à Serang ; mais, à la fraîcheur de la nuit tombante, il reprit son chemin, et, le lendemain matin, il arrivait à Tangerang, avant que l’ombre ne lui fût descendue jusqu’aux lèvres ; et cependant il portait le grand chapeau de berger que son père lui avait laissé.

À Tangerang, il se baigna dans le fleuve, tout près le gué, et il alla se reposer chez une connaissance de son père. Là, il apprit à tresser des chapeaux de paille, suivant la mode, et la méthode de Manille.

Il y resta un jour pour faire cet apprentissage, se disant que plus tard peut-être, s’il ne trouvait pas son affaire à Batavia, il pourrait gagner sa vie, de cette manière.

Le lendemain, à la tombée de la nuit, plein de reconnaissance, il quitta son hôte, et se remit en route. Aussitôt que les ténèbres furent épaisses, et qu’il se crut certain de n’être vu par personne, il s’arrêta, et tira de son sein la feuille de jasmin qu’Adenda lui avait donnée sous le grand arbre ; et après l’avoir couverte de baisers, il se mit à pleurer en songeant qu’il ne la verrait pas, pendant un si long espace de temps.

Le premier jour, et même le second, il n’avait pas pris garde à son isolement, rempli, comme il l’était, de ses rêves d’avenir, et de l’idée d’amasser de l’argent en quantité suffisante pour acheter deux buffles… Son père, lui-même, n’en avait jamais possédé qu’un !.. Son esprit était tout au bonheur de revoir un jour Adenda, il ne pensait qu’à elle, et la tristesse de l’adieu ne se fit pas sentir profondément

L’espoir l’avait plongé dans une sorte d’extase ; au moment où il disait adieu à sa bien-aimée, il se voyait de retour sous le grand arbre, et lui criant ; me voici ! c’est moi !

Ce retour était si proche en son cœur, qu’après avoir quitté le village, lorsqu’il passait devant l’arbre du rendez-vous, il se sentit joyeux et triomphant, comme s’il se fut trouvé à la fin de ces fatales trente six lunes qu’il allait lui falloir traverser.

Il lui sembla qu’il n’avait qu’à se retourner, pour que son voyage fût terminé, et pour retrouver Adenda, assise et l’attendant sous leur arbre.

Mais, plus il s’éloignait de Badour, plus il s’aperçut de la longueur mortelle qu’un jour traîne après soi ! Oh ! Qu’il les prévoyait tristes et pénibles ces éternelles trente six lunes, qui se dressaient devant ses yeux. Il y avait quelque chose dans son âme, qui lui faisait ralentir le pas. La tristesse lui faisait trembler les genoux.

Si ce n’était pas là le découragement, qui lui conseillait de revenir sur ses pas, c’était tout au moins l’abattement, qui n’est pas loin du découragement.

Il hésita… Il fut sur le point de ne pas aller plus loin… mais Adenda que dirait-elle de son manque de cœur ?

Il se remit donc en route, mais, plus lentement que le jour de son départ. Il serrait la fleur dans sa main, et de temps en temps, il la pressait sur son cœur.

Il avait vieilli beaucoup depuis trois jours ; il se demandait comment il avait fait pour rester si calme jadis ; Adenda était pourtant près de lui, elle lui parlait tous les jours ; tous les jours il la voyait, et lui parlait aussi !

Ah ! maintenant, si elle venait à apparaître, là, devant lui, quelle ne serait pas son agitation !

Il ne comprenait pas non plus, comment après lui avoir adressé son dernier adieu, il n’était pas revenu sur ses pas, pour la regarder encore une fois.

Il se rappelait même leur dernière dispute.

C’était peu de temps avant son départ.

Adenda avait filé une longue corde pour le cerf-volant de ses petits frères ; mais, un défaut, qui se trouva dans cette corde, fit perdre une gageure aux enfants de Tjipourout.

Lui, Saïdjah, se fâcha tout rouge.

Aujourd’hui, il se demandait comment, pour une si petite cause, il avait pu entrer, contre Adenda, dans une si furieuse colère.

Quand même elle aurait laissé un défaut dans la corde, et partant, quand même elle eût été cause de la perte de la gageure ; quand même ce déboire ne fût pas provenu de la malice, et de l’adresse du petit Djamien, qui, de derrière une haie avait lancé un gros morceau de verre contre le cerf-volant ; fallait-il se montrer si dur envers elle, et lui adresser des injures si violentes !…

— Si j’allais mourir à Batavia, se disait-il, sans lui avoir demandé pardon de ma dureté !…

Suis-je donc un homme assez méchant pour jeter des injures à la face d’une jeune fille ? Et chacun, à Badour, apprenant que je suis mort à l’étranger, ne s’écriera-t-il pas : c’est bien fait, il n’avait pas besoin d’insulter Adenda ! »

Ainsi couraient ses pensées, entraînées par un courant tout autre que celui de sa première exaltation ; se traduisant d’abord en monosyllabes à moitié articulés, elles finirent par dégénérer en une sorte de mélopée douloureuse.

Tout d’abord je me suis vu sur le point de les astreindre à la rime, et à la mesure, mais, comme le pense Havelaar, je crois que nous pouvons nous dispenser de les étouffer dans ce corset incommode.

Voici ce qu’elles chantaient à voix basse :


» Je ne sais où je mourrai.
J’ai vu la grande mer, du côté du sud, où du sud, où je suis allé avec mon père pour faire du sel.
Si je meurs sur la mer, et que l’on jette mon corps dans l’eau profonde, les requins accourront.
Ils nageront autour de mon cadavre, et se demanderont : lequel d’entre nous va dévorer le corps, qui descend, là-bas, tout au fond de l’eau ? Je ne les entendrai pas….


» Je ne sais où je mourrai.
J’ai vu brûler la maison de Pa-ansou. Il l’avait incendiée lui-même, dans un moment de révolte où il voyait tout en rouge.
Si je meurs dans une maison en flammes, des poutres enflammées tomberont sur mon cadavre.
Et sur la place, au dehors il y aura une foule de curieux qui, tout en criant : au feu ! jetteront de l’eau pour éteindre l’incendie.
Je ne les entendrai pas.


» Je ne sais où je mourrai.
J’ai vu tomber du haut d’un cocotier le petit Siounah, qui voulait cueillir une noix de coco pour sa mère !
Si je tombe d’une cocotier, je mourrai au pied de l’arbre, et l’on me trouvera gisant, brisé dans les broussailles, comme Si-ounah.
Ma mère ne pleurera pas, elle est morte, mais, d’autres s’écrieront : c’est Saïdjah, qui est étendu là.


» Je ne sais où je mourrai.
J’ai vu le cadavre de pa-lisou, mort dans la plus extrême vieillesse ses cheveux étaient tout blancs. Si je meurs très vieux, avec des cheveux tout blancs, les pleureuses m’entoureront.
Elles feront retentir l’air de leur désespoir.
Les petits enfants aussi pleureront très fort.
Je ne les entendrai pas.


» Je ne sais où je mourrai.
J’ai vu beaucoup de morts à Badour. On leur mettait un linceul blanc, et on les enterrait.
Si je meurs à Badour, on m’enterrera hors du village, a l’Est, près la colline, lu, où l’herbe est très épaisse, et très haute.
Adenda viendra, elle passera sur ma tombe, et le bord de sa tunique glissera doucement tout le long du gazon…
Je l’entendrai.


Saïdjah arriva enfin à Batavia.

Il alla prier un homme riche de le prendre à son service. Cet homme le prit pour groom, par la raison qu’il ne le comprenait pas.

À Batavia on préfère les domestiques, qui ne savent pas le malais ; on est certain qu’ils ne sont pas aussi corrompus que ceux qui fraient, depuis long-temps, avec les Européens.

Saïdjah apprit vite le malais, mais, sa conduite resta irréprochable.

Il pensait toujours aux deux buffles qu’il voulait acheter ; il pensait toujours à Adenda.

Il devint grand et fort. Il mangeait tous les jours, ce à quoi il n’était pas habitué à Badour.

On l’aimait à l’écurie, et, certes, on ne l’aurait pas éconduit s’il avait demandé la main de la fille du cocher.

Son maître lui-même était si content de Saïdjah, que, peu après, il l’éleva au grade de valet de chambre.

Ses gages furent augmentés, et on le combla de cadeaux, tant on était satisfait de ses services.

La femme de son maître venait de lire un roman d’Eugène Sue, qui faisait tant de bruit à cette époque. Ce roman avait pour titre : le Juif Errant. En voyant Saïdjah, elle pensait à Djalma ; et presque toutes les jeunes filles comprenaient mieux qu’auparavant comment le peintre javanais Kadhen-Saleh avait pu jouir à Paris d’une si grande renommée.

Mais, le jour où, après trois ans de service, Saïdjah demanda son compte, et son certificat de bonne conduite, on trouva qu’il n’était qu’un ingrat. On ne put néanmoins les lui refuser, et Saïdjah se mit en route, le cœur léger.

Il passa à Pising !…

Il y avait long-temps déjà qu’Havelaar y avait demeuré ; mais, Saïdjah ignorait ce détail, et l’eut-il connu il avait bien autre chose dans la tête, et dans le cœur !… Il comptait les richesses qu’il rapportait au pays.

Il avait sa feuille de route, et son certificat de bonne conduite dans un étui de bambou.

Un autre étui, suspendu à son cou par un cordon de cuir, pendait sur son épaule ; cet étui paraissait lourd ; mais, Saïdjah ne se plaignait pas de son poids ; il avait même l’air de prendre plaisir à sentir ce frôlement continu… Jugez donc’! Il y avait là dedans trente piastres d’or, cent soixante dix francs, assez pour acheter trois buffles !

Qu’allait dire Adenda ! Et ce n’était pas encore tout.

On lui voyait briller sur le dos, le fourreau en argent du poignard qu’il portait à sa ceinture.

La garde de ce poignard était en bois dur bien ciselé, et Saïdjah l’avait enveloppée soigneusement dans de la soie.

Et ce n’était pas son seul trésor.

Sous l’écharpe, qui ceignait ses reins, il cachait une cordelière en chaînons d’argent, terminée par une agrafe en or.

Cette cordelière était courte, il est vrai, mais, Adenda avait la taille si fine !….

Puis, dans un sachet, suspendu sur la poitrine, dans un sachet de soie, il y avait les restes de la feuille de jasmin qu’Adenda lui avait donnée au départ.

Ce jasmin était séché, fâné, flétri, mais, Saïdjah ne l’eût pas donné pour toutes ses richesses.

Est-il étonnant qu’il ne s’arrêtât pas plus longtemps à Tangerang ? Il y resta les heures nécessaires pour aller voir l’ami de son père, qui lui avait appris à tresser des chapeaux de paille, si fins, et si élégants.

Est-il étonnant qu’il parlât peu aux jeunes filles, qui selon l’usage de ces contrées, l’arrêtaient en chemin, et lui demandaient : d’où venez-vous ? où allez-vous ?

Est-il étonnant qu’il ne s’extasiât plus devant les beautés de Serang, lui, qui venait de Batavia ?

Est-il étonnant qu’il ne se cachât plus dans les haies du chemin, comme il le faisait trois ans auparavant, en apercevant l’équipage du préfet, lui qui venait d’admirer les grandeurs et les magnificences du Seigneur, résidant à Buitenzorg, bien plus puissant que le préfet, puisqu’il était le propre aïeul de l’Empereur de Sourakarta ?

Est-il étonnant qu’il ne prêtât pas grande attention aux récits de ceux, qui l’accompagnaient un bout de chemin, et qui parlaient de ce qui s’était passé à Bantan-Kidou ; qui lui racontaient comment la culture du café venait d’y être supprimée, après beaucoup de peines et d’efforts perdus ?

Que lui importait que le chef du district de Parang-Koudjang ait été condamné à quinze jours d’arrêt dans la maison de son beau-père, pour avoir volé sur la voie publique ?

Il lui importait peu que Badour ne fût plus chef-lieu, et qu’on l’eut remplacé par Rangkas-Betoung.

On lui apprenait qu’il y avait là un nouveau sous-préfet, vu que le précédent venait de mourir, peu de mois auparavant ; que ce fonctionnaire avait parlé de telle façon, dans la première séance du conseil ; que depuis quelque temps personne n’avait été puni pour avoir porté plainte ; enfin, qu’on espérait voir indemniser les cultivateurs dépouillés, et faire restituer tout ce qui avait été volé au peuple.

Non, les yeux de son âme contemplaient de plus beaux mirages.

Il cherchait à entrevoir, dans les nuages, cet arbre dont il était encore trop loin pour le toucher ; il était trop loin de Badour ! Il cherchait à saisir de ses mains frémissantes l’air, qui l’entourait, espérant embrasser par avance l’être qui l’attendait sous l’arbre des fiançailles. Il retraçait dans sa pensée les traits d’Adenda, sa tête, ses épaules ; il voyait sa riche tresse d’un noir de jais, ondulant sur son cou ; il admirait son grand œil rayonnant au fond de son orbite, ses narines retroussées avec tant de fierté, quand dans les jeux de leur enfance, — chose qu’il ne comprenait plus, — il se plaisait à la taquiner ! Il voyait les coins de sa bouche aiguisant un sourire malin ; sa gorge naissante faisant rebondir sa collerette ; il suivait des yeux la tunique qu’elle avait tissée de ses mains ; elle dessinait la courbe de ses hanches, puis elle descendait en ondulations gracieuses, tout le long de ses genoux, jusqu’à la naissance de son petit pied mignon.

Non, il n’entendait guère ce qu’on lui disait ; il cherchait à entendre d’avance ce qu’Adenda allait lui dire, elle ; il l’entendait lui murmurer de sa douce voix :

— Saïdjah ! sois le bienvenu ! J’ai pensé à toi, en filant, en tissant, et en pilant le riz, sur mon billot, qui porte trois fois douze marques, faites de ma main. Me voici, sous l’arbre, le premier jour de la nouvelle lune. Sois le bienvenu, Saïdjah ! je veux être ta femme.

Voilà bien la musique, qui résonnait à ses oreilles, et l’empêchait d’entendre toutes les nouvelles qu’on lui donnait, sur son chemin.

Enfin, il entrevit l’arbre !… Non, plutôt, il aperçut un large espace, noir, épais, qui lui interceptait la vue des étoiles.

Là, devait se trouver la forêt !

Là, se trouvait l’arbre sous lequel il allait revoir Adenda, au lever de la prochaine aurore.

Il se mit à chercher dans les ténèbres, il fouilla, il toucha plusieurs troncs d’arbres.

Enfin, sur une des faces d’un arbre, regardant le Sud, il sentit une rugosité bien connue. Il mit le doigt dans une fente, taillée autrefois par Si-Panteh.

Ce dernier avait creusé cette fente pour conjurer le mauvais esprit, qui faisait souffrir sa mère d’un affreux mal de dents, peu de temps avant la naissance de son plus jeune frère. »

C’était lui ! c’était l’arbre que Saïdjah cherchait !

Oui, c’était bien l’endroit, où pour la première fois il avait vu Adenda d’un œil plus sympathique que ses autres petits camarades ; c’était là, qu’un matin, elle avait refusé de prendre part à un jeu qu’elle jouait presque tous les jours avec tous les autres enfants, filles et garçons.

C’est là qu’elle lui avait donné le jasmin !

Il s’assit au pied de l’arbre, et leva les yeux vers les étoiles.

Quand une d’entre elles filait, il se disait : en voilà une qui salue mon retour à Badour !

Il se demandait si Adenda dormait, et si elle n’avait pas manqué de faire les entailles convenues dans son billot à piler le riz…

Il ne se consolerait pas si elle en avait oublié une !…

Trente six pourtant !.. n’y en avait-il pas assez !

Avait-elle tissé, et brodé de belles tuniques ?

Il se demandait aussi qui pouvait bien demeurer dans la maison de son père.

Sa jeunesse lui revenait à la pensée…

Il se rappelait sa mère, et il voyait encore le moment où son buffle l’avait sauvé des griffes du tigre, et il se demandait ce que serait devenue Adenda, si l’animal avait été moins fidèle, et moins courageux.

Les étoiles se couchaient, et disparaissaient à l’Ouest ; Saïdjah ne les quittait pas des yeux… À chaque étoile, qui s’effaçait dans l’horizon, il calculait que le soleil était plus près de se lever du côté de l’Orient ; il se sentait lui-même plus près du moment, qui devait le réunir à son Adenda.

— Bien sûr, pensait-il, elle arrivera dès le premier rayon… oui… au crépuscule, elle sera ici !… Oh ! pourquoi n’est-elle pas ici depuis la veille du jour convenu ?

Il s’affligeait de ce qu’elle n’eût pas devancé l’heureux moment, qui, trois années durant, avait enchanté sa pensée ; la force de son amour le rendait injuste ; il lui semblait qu’Adenda eut dû se trouver là, et l’attendre, lui, qui se plaignait, maintenant, déjà avant l’heure du rendez-vous donné.

Cependant, il se plaignait bien à tort !… le soleil n’était pas encore levé !…

Le jour n’avait pas encore lancé un regard sur la plaine.

Les étoiles pâlissaient, là-haut, devant l’éclat du soleil, qui montait derrière l’horizon ; les cimes des montagnes s’enveloppaient de couleurs bizarres, qui les faisaient ressortir sur le fond clair de la nature.

Ça et là, à travers les nuages de l’Est, partaient des traits brillants comme des flèches d’or, et de feu, lancées parallèlement à l’horizon, mais, ces traits d’or et de feu, météores d’un instant, mouraient dans le moment même où ils venaient de naître, disparaissaient, et semblaient retomber derrière le rideau mystérieux, qui tenait le jour caché devant les yeux de Saïdjah.

Pourtant la lumière se faisait peu à peu autour de lui.

Déjà il entrevoyait le paysage, déjà il parvenait à distinguer les panaches des cocotiers, qui lui signalaient Badour où dormait Adenda… que dis-je ? où elle ne dormait pas… où elle ne dormait plus ! Comment aurait-elle pu dormir ? Ne savait-elle pas que Saïdjah l’attendait !

Elle n’avait pas dormi de toute la nuit ? À coup sûr, les gardes de nuit du village avaient dû frapper à sa porte pour lui demander pourquoi il y avait encore de la lumière chez elle ! Et son aimable sourire avait dû leur faire croire qu’un vœu la tenait éveillée. Sans doute elle avait répondu qu’il lui fallait finir la robe qu’elle était en train de tisser, et qui devait se trouver prête pour le premier jour de la lune nouvelle…

Peut-être encore avait-elle passé la nuit dans l’obscurité, assise sur le bloc à piler le riz, comptant et parcourant d’un doigt avide les trente six entailles, se succédant les unes aux autres sur les flancs du billot.

Qui sait ? peut-être s’était-elle donné l’émotion d’une erreur de compte… elle trouvait une marque de moins… et elle les recomptait toutes de nouveau, afin d’acquérir la bienheureuse certitude qu’il y avait bien trois fois douze lunes complètement écoulées, depuis que Saïdjah l’avait vue pour la dernière fois.

À son compte, elle aussi devait tendre son regard, maintenant que le jour commençait à poindre, elle aussi devait se fatiguer les yeux pour aller, dans la ligne d’horizon, au-devant du soleil, de ce soleil si paresseux qui retardait, retardait !

Mais, voici une ligne d’un rouge bleuâtre, qui vient d’apparaître ; elle s’attache aux nuages dont les contours s’enflamment ; des éclairs commencent à jaillir, et des flèches de feu traversent de nouveau l’espace, pour ne plus retomber ; elles s’enfoncent, et pénètrent dans le fond gris du ciel ; leurs rayons ardents s’élargissent en cercles plus étendus ; ils se rencontrent, s’entre-croisent, serpentent, errent de tous côtés, se courbent ou se relèvent, et se réunissent en faisceaux, fulgurants, projetant leur éclat doré sur un ciel d’azur… Du rouge, du bleu, du jaune, de l’argent, du pourpre, azurés…

Dieu du ciel, c’est l’aurore !

C’est l’heure du rendez-vous !

Ils allaient se revoir ! Saïdjah ne savait pas de prière. C’eût été grand dommage qu’on lui en eût appris, car en aucune langue humaine, il ne se trouve prière plus sainte, action de grâces plus fervente, que son extase muette.

Il n’aurait pas voulu aller à Badour.

Revoir Adenda de la sorte lui paraissait moins enviable que la certitude de sa prochaine arrivée.

Il était assis au pied de l’arbre, et laissait errer son œil sur le paysage.

La nature lui souriait ; elle avait l’air de lui souhaiter la bienvenue, comme une mère à son enfant ; et de même que dans sa joie, celle-ci se rappelle volontiers les douleurs passées, et se plonge dans ses souvenirs d’autrefois, de même Saïdjah se plaisait à revoir tous les endroits, qui lui retraçaient sa première enfance.

Mais, ses yeux et ses pensées avaient beau ne pas se fixer, son regard et son cœur s’élançaient sans cesse vers le sentier conduisant de Badour à l’arbre. Tout ce que ses sens percevaient lui criait : Adenda…

À gauche, là où la terre est si jaune, un jour, un jeune buffle tomba ; les paysans se réunirent à cette place pour sauver la bête, — on sait que perdre un buffle, ce n’est pas une petite affaire ! — suspendus à de fortes cordes, ils descendirent ; le père d’Adenda se montra l’un des plus résolus…

Oh ! comme Adenda l’avait encouragé, et applaudi !

Et là-bas, de l’autre côté, sur cette hauteur où le bois de cocotiers domine les cabanes du village, là, Si-ounah s’était tué en tombant du sommet d’un arbre. Sa mère avait bien pleuré, car il était si petit, si petit ! Elle pleura plus que si elle avait perdu son enfant, arrivé à l’âge d’homme !

Il est vrai que Si-Ounah était bien petit… il était plus petit, et plus faible qû’Adenda.

Personne encore sur le sentier, qui conduit de Badour à l’arbre !

Tout-à-l’heure elle viendra…

Oui, il fait à peine jour !…

Saïdjah aperçut un écureuil, qui, leste et agile, folâtrait, et sautillait sur le tronc d’un cocotier. La gentille petite bête, aussi jolie de forme, que gracieuse dans ses mouvements, sans se soucier des malédictions du propriétaire de l’arbre, allait, venait, montait, descendait, sans se lasser, tout le long de ce tronc.

Saïdjah regardait l’écureuil, et ne se fatiguait pas de le regarder ; c’était comme un point d’arrêt imposé à ses pensées, une suspension du pénible travail qu’elles faisaient depuis le lever dû soleil.

Il trompait ainsi l’attente, qui le torturait.

Peu à peu ses impressions s’exhalèrent en paroles cadencées, et il chanta ce qui se passait en son âme.

Faut-il l’écrire, cette chanson ?

Oui.

J’aurais préféré pourtant la réciter en malais… le malais est l’italien de l’Orient.


» Voyez comme l’écureuil cherche sa nourriture
Sur le cocotier. Il monte, descend, et folâtre à droite, et à gauche ;
Il tourne autour de l’arbre, il saute, tombe, grimpe, et retombe…
Il n’a pas d’ailes, et pourtant il est agile, comme l’oiseau.
Salut à toi, mon écureuil, je te souhaite du bonheur !
Toi, tu trouveras certainement la nourriture que tu cherches.
Mais, moi, seul, assis sur la lisière de cette forêt,
J’attends la nourriture de mon âme.
Depuis longtemps déjà mon écureuil s’est rassasié,
Depuis longtemps il est rentré dans son petit nid, lui ;
Mais, moi, j’ai l’âme,
Et le cœur toujours amèrement tristes… Adenda ! »


Personne encore sur le sentier qui va de Badour à l’arbre !…

L’œil de Saïdjah courait après un papillon, qui semblait se réjouir de la chaleur naissante.

Et il chanta :


» Voyez, là-bas, comme il voltige, ce papillon !
Ses ailerons reluisent pareils à une fleur multicolore.
Son petit cœur s’est épris de l’amandier en fleurs.
Bien certainement, il cherche sa bien-aimée aux doux parfums.
Salut à toi, mon papillon, je te souhaite du bonheur !
A coup sûr, toi, tu trouveras ce que tu cherches ;
Mais, moi, seul, assis sur la lisière de cette forêt,
Je ne trouverai pas ce que mon âme attend.
Depuis longtemps déjà le papillon a embrassé, lui,
La fleur qu’il aime tant !
Mais, moi, j’ai le cœur,
Et l’âme toujours amèrement tristes… Adenda !


Et personne ! personne sur le sentier, qui va de Badour à l’arbre !…

Déjà le soleil s’élevait, et son ardeur commençait à gagner l’atmosphère.

Saïdjah reprit :


» Voyez comme le soleil brille là-haut,
Bien au-dessus de la colline,
Il se sent trop ardent, et il désire redescendre,
Pour se coucher dans la mer,
Comme dans les bras d’une épouse.
Salut à toi, ô soleil, je te souhaite du bonheur !
Toi, tu trouveras, certes, ce que tu cherches ;
Mais, moi, seul, assis sur la lisière de cette forêt,
J’attends où reposer mon cœur.
Depuis longtemps déjà le soleil sera redescendu,
Et, lui, il se couchera dans la mer,
Quand les ténèbres seront revenues ;
Et moi, j’aurai toujours l’âme,
Et le cœur amèrement tristes… Adenda ? »


Et il n’y avait toujours personne sur le chemin, qui va de Badour à l’arbre !…

La voix de Saïdjah continua sur le même ton plaintif :


» Quand il ne voltigera plus de papillons,
Quand les étoiles auront éteint leurs feux,
Quand le jasmin n’aura plus de parfum,
Quand il n’y aura plus de cœurs affligés,
Ni de bêtes fauves dans les forêts,
Quand le soleil reprendra sa marche,
Et quand la lune prendra l’Est pour l’Ouest,
Alors, si Adenda n’est pas venue,
Un ange aux blanches ailes
Descendra sur la terre pour y
Chercher ce qui y sera resté.
Mon corps sera là, gisant au pied de l’arbre.
Mon âme est amèrement triste… Adenda. »

Rien ! Rien ! Personne sur le sentier qui va de Badour à l’arbre !…


» Et l’ange apercevra mon corps,
Il l’indiquera du doigt à ses frères :
Voici un mort qu’on a oublié…
De ses lèvres glacées il baise une fleur fanée,
Venez l’enlever avec moi pour le porter au ciel,
Celui, qui a attendu Adenda jusqu’à la mort,
Certes, il ne peut pas être délaissé, là, seul,
Lui, dont le cœur eût la force de tant aimer !
Alors mes lèvres glacées appelleront
Une dernière fois l’Adenda de mon âme,
Elles embrasseront une dernière fois le jasmin,
Qu’elle me donna… Adenda… Adenda ! »


Et personne ne paraissait sur le sentier, qui va de Badour à l’arbre !…

Oh ! assurément, au petit jour, elle était tombée de sommeil, fatiguée d’avoir veillé toute la nuit lasse, d’avoir attendu tant d’autres nuits ! Elle n’avait pas dormi depuis des semaines… C’est cela !

Partira-t-il pour Badour ?

Non, ce serait douter d’elle.

Questionnera-t-il cet homme qui, là-bas, mène son buffle au champ ?

Non, cet homme est trop loin, et d’ailleurs, Saïdjah ne voudrait pas parler d’Adenda… Il ne veut point prononcer son nom… Il veut la revoir, elle, elle seule, elle, la première. Allons, allons ! Elle va venir ! Elle viendra bientôt !

Il attendra !

Il attendra !

Mais, si elle allait être malade… si elle était morte !

Comme un cerf blessé, il court, il vole, tout le long du sentier, qui va de l’arbre au village où se trouve Adenda.

Il ne voit, il n’entend rien… et, pourtant, il eût pu entendre quelque chose… Il y avait des gens, qui, à l’entrée du village s’étaient mis à crier :

Saïdjah ! Saïdjah !

Mais… qu’est-cela ?… Où est la maison d’Adenda ? Il ne la voit pas !… Non ! Non ! Il l’a passée dans la vitesse de sa course ! Ah ! voilà, qui est fort !

Il était arrivé au bout du chemin, à l’extrémité du village, et il n’avait rien vu !

Il retourne sur ses pas… il marche, furieux contre lui-même de ce qu’il avait pu dépasser, sans la voir, la maison d’Adenda.

Il marche… il court.

De nouveau, il se retrouve à l’entrée du village.

Mon Dieu ! est-ce un rêve ?

Encore une fois, il n’a rien vu, rien trouvé !

Il allait recommencer une troisième tentative, mais, la force lui manqua ; alors, il s’arrêta, et se prit entre les deux mains la tête, cette tête d’où il voulait chasser la démence qui le gagnait, et il s’écria à haute voix :

» Ivre ! Ivre ! Je suis ivre ! »

Et les femmes de Badour sortirent de leurs maisons pour regarder, pleines de pitié, le pauvre garçon qui s’était arrêté là. Elles comprenaient bien qu’il cherchait la maison d’Adenda, mais, elles le savaient, elles, qu’il n’y avait plus de maison d’Adenda dans le village de Badour !

En effet, le jour où le chef du district de Parang-Koudjang avait enlevé les buffles appartenant au père d’Adenda, la mère d’Adenda mourut de chagrin, et sa petite sœur cadette la suivit peu après dans la tombe, faute de soins, et faute de lait. Son père, craignant d’être puni, s’il ne payait pas son fermage, quitta le pays. Il emmena Adenda avec ses frères. Mais ayant appris que le père de Saïdjah avait subi la bastonnade, à Buitenzorg, pour avoir quitté Badour sans feuille de route, il n’alla ni à Buitenzorg, ni à Krawang, ni aux environs de Batavia.

Il se rendit à Tjilang-kahan, dans le district de Lebac, qui touche à la mer.

Là, il s’enfonça dans les forêts, s’y cacha, et il y attendit l’arrivée de Pa-Ento, de Pa-Lontah, de Si-Ouniah, de Pa-Ansiou, d’Abdoul-Isma, et de quelques autres encore, qui, comme lui, avaient eu leurs buffles enlevés par le chef du district de Parang-Koudjang. Tous ces malheureux craignaient d’être punis, faute de pouvoir payer leurs fermages.

Dès qu’ils se virent réunis, une nuit, ils s’emparèrent d’une pirogue de pêche, et ils mirent à la voile. Il se dirigèrent vers l’Ouest, tenant la côte à droite, jusqu’au point extrême de Java.

De là, ils mirent le cap sur le Nord, dans la direction de Tanah-itam, que les marins européens appellent l’Ile des Princes.

Ils doublèrent cette île, du côté de l’Est, puis ils se dirigèrent vers le Keizersbaai, la baie de l’Empereur, ne perdant jamais de vue le pic élevé de Lampong.

Tel était l’itinéraire qu’on s’indiquait, tout bas, à Lebac, lorsqu’il était question de buffles enlevés, et de fermages non payés.

Mais Saïdjah ne comprenait rien à tout ce qu’on lui disait ; il ne se rendit même pas compte de la mort de son père. Il sentait de tels bourdonnements dans ses oreilles, que par moments il se figurait entendre battre la charge dans sa tête.

Les tempes lui battaient à se rompre ; et son sang, bouillonnant furieusement, menaçait de rompre ses artères.

Pas un mot ne s’échappait de ses lèvres ; son œil terne lançait de tous côtés des regards fixes ; qui ne voyaient, ni ne percevaient aucun objet.

Tout à coup, il partit d’un éclat de rire lugubre et effrayant.

Une vieille femme l’emmena dans sa hutte, et soigna le pauvre fou.

Peu à peu son rire s’adoucit, mais, il restait toujours sans regard, et sans parole.

Seulement, la nuit, il arrivait parfois que les habitants de la hutte étaient réveillés en sursaut par une voix qui murmurait :

» Je ne sais où je mourrai. »

Les habitants de Badour se cotisèrent pour faire un sacrifice aux crocodiles du Tjoudjoung, qui, seul, pouvait leur accorder la guérison de Saidjah, que l’on croyait fou.

Mais Saïdjah n’était pas fou.

Une nuit, que la lune était claire et brillante, il se leva de son grabat, il quitta à pas de tigre la hutte hospitalière, et il s’en alla chercher l’endroit où Adenda avait habité.

Ce n’était pas une tâche facile… il y avait tant d’habitations écroulées ; mais, il se dit qu’il reconnaîtrait la place, à l’écartement de l’angle formé par les rayons de lumière, qui passaient à travers le bouquet d’arbres.

C’est ainsi que le pilote prend sa hauteur sur les phares ou sur les sommets des montagnes.

Oui, là… c’est bien là !

C’est là qu’elle demeurait.

Tout en trébuchant sur des bambous à demi-pourris, et sur les débris du toit écroulé, il se fraya un passage vers le sanctuaire qu’il cherchait.

En effet, il retrouva quelques bribes de la clôture, près laquelle se trouvait placé le lit d’Adenda. Dans cette clôture se voyait encore plantée la cheville de bambou, qui, le soir, lui servait à suspendre sa robe.

Mais, le lit s’était effondré, comme la maison ; il était presque réduit en poussière.

Saïdjah en prit une poignée qu’il pressa contre ses lèvres ouvertes, et il l’aspira avec délices.

Le lendemain, il demanda à la vieille femme, qui l’avait soigné, où se trouvait le billot à piler le riz dont on se servait chez Adenda.

Son hôtesse se réjouit de l’entendre parler ; elle parcourut le village à la recherche du billot.

Lorsqu’elle revint indiquer à Saïdjah le nom du propriétaire, le jeune homme la suivit en silence ; il vit le bloc, le reconnut, et il y compta trente deux marques.

Alors, il donna à la vieille autant d’or qu’il en fallait pour acheter un buffle, et il quitta Badour.

à Tjilang-Kahan, il acheta une pirogue de pêcheur ; quelques jours après avoir mis à la voile, il arrivait à Lampong où se tenaient les insurgés, en révolte ouverte contre le Gouvernement. Il entra dans une bande de Bantammois, non pas tant pour se battre, que pour chercher Adenda.

C’était une nature douce, plus encline à la mélancolie qu’à la haine…

Un jour, que selon l’usage, les insurgés avaient été encore battus, Saïdjah rôdait dans un village, qui venait d’être conquis par l’armée hollandaise, et qui par conséquent se trouvait la proie des flammes.

Il savait que la bande détruite se composait pour la plus grande partie d’insurgés Bantammois.

Semblable à un fantôme errant, il traversait les maisons, qui n’étaient pas encore entièrement brûlées.

Dans une de ces maisons, il trouva le corps du père d’Adenda. Le misérable gisait, la poitrine trouée par un sabre-baïonnette.

Près de lui, dormaient du sommeil de la mort, les trois frères d’Adenda, de tout jeunes gens, presque des enfants, assassinés, massacrés !

Un peu plus loin Saïdjah retrouva Adenda !

Mais… Adenda était nue…

Son cadavre avait subi les derniers outrages….

Un petit morceau de mousseline bleue était enfoncée dans la plaie béante, qui lui déchirait le sein ; cette horrible blessure semblait avoir mis fin à une lutte désespérée..,

Alors Saïdjah sortit de cette funeste maison… il alla au-devant de quelques soldats, qui s’amusaient à repousser dans les flammes les deux ou trois insurgés survivants, qui cherchaient à fuir ce village changé en bûcher ; il s’élança sur eux, les bras ouverts, étendus, et il s’empara du plus grand nombre de sabres-baïonnettes qu’il put saisir.

Toutes ces armes cherchaient son cœur.

Mais Saïdjah ne recula pas d’une semelle.

Ce furent les soldats, qui reculèrent. Oui, son suprême effort les fit reculer, dans l’instant même où les gardes de leurs sabres-baïonnettes s’entrechoquaient dans sa poitrine.

Peu de temps après, on donna une grande fête à Batavia, à l’occasion de la nouvelle victoire, qui couvrait de lauriers l’armée indo-hollandaise.

Le gouverneur-général annonça que l’ordre était rétabli à Lampong, et le Roi de Hollande, sur la proposition de ses ministres, fit pleuvoir une averse de décorations sur ses héroïques défenseurs.

Et le dimanche, à l’heure où les prières s’élancent du cœur des croyants, des actions de grâces s’élevèrent sans doute vers le ciel, à la nouvelle que le Dieu des batailles avait combattu une fois de plus sous le drapeau hollandais.


Mais, ce jour-là, l’encens avait une acre odeur de sang !
Et Dieu ne l’accepta pas.


Je pouvais dans ce récit dérouler des tableaux encore plus terribles, ayant là, devant moi, sous les yeux… eh bien ! non ! J’aime mieux abréger l’histoire de Saïdjah. Laissez-moi plutôt vous faire un aveu.

Oui, un aveu !

Je ne sais vraiment pas si Saïdjah aimait Adenda ; je ne sais s’il est revenu à Badour, et s’il est tombé à Lampong sous des baïonnettes hollandaises. Je ne sais pas si son père a succombé sous les coups de bâton qu’on lui donna pour avoir quitté Badour sans feuille de route ; je ne sais pas, non plus, si Adenda a compté, et marqué les lunes sur son billot à piler le riz.

Tout cela, je l’ignore.

Mais, je sais mieux, et plus que tout cela.

Je sais, et je puis le prouver, qu’il existe beaucoup d’Adendas, et beaucoup de Saïdjahs ; et que ce qui est une fable, dans le cas présent, est une vérité, au point de vue général. Je pourrais citer les noms des personnes que l’oppression a chassées de leur pays, ni plus, ni moins que les parents d’Adenda, et de Saïdjah. Mon but n’est pas de produire ici les témoignages que l’on demanderait dans une cour de justice ayant à se prononcer sur la manière dont le Gouvernement hollandais fonctionne aux Indes.

D’ailleurs ces communications n’auraient force de preuve que pour tout individu ayant la patience de les lire du commencement jusqu’à la fin, ce qu’on ne peut attendre d’un public qui, dans la lecture, ne cherche qu’une distraction.

C’est pour ce motif, qu’au lieu d’une énumération aride de noms, de lieux, de dates, au lieu d’une copie de la liste des vols, et concussions, qui se trouvent sous mes yeux, j’ai essayé de faire une esquisse de ce qui peut se passer dans le cœur des pauvres diables que l’on prive du nécessaire ; je me suis même borné à le laisser supposer, craignant de porter à faux dans l’ébauche d’émotions que je n’ai pas ressenties.

Le point essentiel, pour moi, et en même temps mon plus vif désir, sont d’être appelé à confirmer, et à prouver ce que j’ai avancé.

Je voudrais qu’on osât me dire vous l’avez inventé, ce Saïdjah ; jamais il n’a chanté son chant de désespoir ; il n’existe pas d’Adenda, qui ait habité Badour.

Seulement, que cela me soit dit par quelqu’un, qui aura la volonté, et le pouvoir de faire justice, dès que j’aurai prouvé que mon récit n’est ni une invention, ni une calomnie.

La parabole du Samaritain miséricordieux est-elle un mensonge, parceque, sans doute, jamais nul voyageur dévalisé n’a été recueilli dans une demeure samaritaine ?

L’allégorie du semeur est-elle un mensonge, parce qu’il est difficile de trouver un cultivateur, qui sème sur un rocher ?

Ou, pour prendre un exemple se rapprochant plus de mon livre, osera-t-on nier la vérité du sujet capital de la case de l’Oncle Tom, parcequ’il n’a jamais existé d’Evangéline ?

Dira-t-on à l’auteur de ce plaidoyer immortel, — immortel non pas au point de vue de l’art ou du talent, mais, au point de vue du but à atteindre, et de l’effet produit, — lui dira-t-on : » Vous en avez menti ; les esclaves ne sont pas maltraités, comme vous le prétendez. Votre livre n’est qu’une fiction, qu’un pur roman ! »

Mistress Beecher Stowe ne devait-elle pas, au lieu d’une simple énumération de faits, composer un récit, qui les coordonnât pour les faire pénétrer dans le cœur, et la mémoire de ses lecteurs ?

Son livre aurait-il été lu, si elle lui avait donné la forme d’un procès-verbal ?

Est-ce sa faute ou la mienne, si, pour être acceptée, la vérité se voit forcée de revêtir la forme de la fiction ?

À ceux, qui prétendront que j’ai trop idéalisé Saïdjah, et son amour, je demanderai comment ils savent cela ! Y a-t-il donc tant d’Européens, qui se soient donné la peine de s’abaisser jusqu’à observer les émotions de ces machines à sucre, et à café, qu’on appelle des indigènes !

En admettant même que cette remarque-là fût fondée, celui, qui s’en servirait comme d’un moyen probant contre le but principal de mon livre, me donnerait gain de cause.

Le mal que vous attaquez, me dirait-on, n’existe pas à un tel degré, l’indigène ne ressemblant nullement à votre Saïdjah. On n’est pas aussi coupable en maltraitant les Javanais, qu’on le serait si vous aviez fait votre Saïdjah ressemblant ! Le Soundanois ne chante pas les chants poétiques que vous lui mettez sur les lèvres, il n’aime pas avec cette passion forcenée, il n’éprouve pas les sensations que vous lui implantez au fond de l’âme !… Donc !…

Non, ministre des Colonies ! Non, Gouverneurs-généraux en retraite, ce n’est pas cela que vous avez à démontrer.

Il vous faut prouver que la population n’est pas maltraitée. Qu’importe qu’il se trouve parmi ces malheureux des Saïdjahs plus ou moins susceptibles de sentiment !

Oserez-vous vous arroger le droit de voler leurs buffles à de pauvres gens, qui n’aiment pas autant, qui ne chantent pas des chants de douleur, et dont le cœur n’est pas ouvert aux sentiments si tendres et si délicats ?

Si l’on venait m’attaquer, sur le terrain de la littérature, je défendrais l’exactitude du portrait de Saïdjah ; mais, sur le terrain de la politique je passe condamnation sur les observations qu’on me fera à ce sujet, ne voulant pas permettre à mes adversaires de me combattre avec des armes de mauvaise foi.

Restons sur le vrai terrain, s’il vous plaît.

Il m’est tout-à-fait indifférent qu’on me traite de mauvais peintre, si l’on tombe d’accord avec moi en ceci : que les traitements cruels, infligés à l’indigène sont excessifs ! — Excessifs… oui, c’est là le mot, qui se trouve dans les notes du prédécesseur de Havelaar, qui les montra au contrôleur Dipanon.

Ces notes, je les ai là, devant moi.

Mais, j’ai, heureusement, d’autres preuves ! Le prédécesseur de Havelaar avait pu se tromper aussi !

Hélas ! s’il s’est trompé, lui, il a payé cher son erreur !…