Mathématiques et mathématiciens/Chp 2 - Section : Professeurs et étudiants

Librairie Nony & Cie (p. 202-210).


PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS



EXAMINATEUR

On trouvait Monge inflexible chaque fois que l’intérêt public semblait exiger qu’il fît prévaloir les décisions de l’examinateur. « Vous avez refusé un candidat qui appartient à de bien puissantes familles, lui disait le maréchal de Castries, ministre de la marine. Votre décision me donne mille tracas ; je suis accablé de réclamations. — Vous êtes parfaitement le maître, repartit l’austère examinateur, d’admettre le candidat qui m’a paru inacceptable ; mais si vous prenez cette décision, Monsieur le maréchal, il faudra supprimer en même temps la place que j’occupe. Les fonctions que je remplis ne seraient plus ensuite ni utiles ni acceptables. » Le candidat inadmissible ne fut pas admis.

RÉCOMPENSÉ

Dans ma longue carrière de professeur et d’examinateur, dit Lamé, rien ne m’a plus étonné que la brusque et subite apparition de la faculté du raisonnement mathématique chez un élève que je suivais depuis plusieurs années, plein de bonne volonté, de zèle pour le travail, du désir de comprendre ce qu’il était forcé d’abandonner à la mémoire, seule active chez lui. Un jour, à un certain instant, au milieu d’une démonstration mainte fois répétée, une porte s’ouvrit tout à coup dans son esprit : il comprenait ! La joie, l’émotion de l’élève ne sauraient se décrire… Dès le lendemain son élan était pris, et il regagnait à pas de géant les retards du passé, de manière à primer tous ses camarades.

PONCTUALITÉ

Poisson avait un genre de mérite dont se dispensent trop souvent ceux-là mêmes qui ne pourraient invoquer pour excuse le rang qu’ils occupent dans la science : l’exactitude. Jamais il ne manqua une leçon sans être retenu au lit par la maladie ; jamais, tant que sa voix put se faire entendre, il ne confia à un suppléant la satisfaction d’initier à la science la jeunesse studieuse. On pourrait vraiment, en y changeant un seul mot, appliquer à ce savant les paroles qui terminent l’éloge d’Euler par Condorcet : « Tel jour, Poisson cessa de professer et de vivre. »

TOUCHANTE RÉCIPROQUE

Jamblique raconte que Pythagore, ayant distingué un ouvrier, lui enseigna les mathématiques, en le payant trois oboles par théorème : c’était le prix de la journée de l’ouvrier. Bientôt, pour éprouver son élève, le philosophe feignit d’être tombé dans la misère et le jeune homme lui offrit à son tour trois oboles pour chaque nouveau théorème.

RAIDEUR

Nous empruntons à Arago, le récit de ses examens d’entrée et de sortie à l’École Polytechnique.

Mon camarade, intimidé, échoua complètement. Lorsqu’après lui, je me rendis au tableau, il s’établit entre M. Monge (le jeune), l’examinateur et moi, la conversation la plus étrange : « Si vous devez répondre comme votre camarade, il est inutile que je vous interroge.

— Monsieur, mon camarade en sait beaucoup plus qu’il ne l’a montré ; j’espère être plus heureux que lui, mais ce que vous venez de me dire pourrait bien m’intimider et me priver de tous mes moyens.

— La timidité est toujours l’excuse des ignorants ; c’est pour vous éviter la honte d’un échec que je vous ai fait la proposition de ne pas vous examiner.

— Je ne connais pas de honte plus grande que celle que vous m’infligez en ce moment. Veuillez m’interroger, c’est votre devoir.

— Vous le prenez de bien haut, monsieur ! Nous allons voir tout à l’heure si cette fierté est légitime.

— Allez, monsieur, je vous attends ! »

M. Monge m’adressa alors une question de géométrie à laquelle je répondis de manière à affaiblir ses présomptions. De là, il passa à une question d’algèbre, à la résolution d’une équation numérique. Je savais l’ouvrage de Lagrange sur le bout du doigt…

J’étais depuis deux heures et quart au tableau ; M. Monge passant d’un extrême à l’autre, se leva, vint m’embrasser et déclara solennellement que j’occuperais le premier rang sur sa liste.

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L’examinateur était cette fois l’illustre géomètre Legendre.

… On venait d’emporter un élève complètement évanoui.

« Comment vous appelez-vous ? me dit-il brusquement. — Arago, répondis-je. — Vous n’êtes donc pas Français… »

M’ayant fait une question qui exigeait l’emploi des intégrales doubles, il m’arrêta en me disant : « La méthode que vous suivez ne vous a pas été donnée par le professeur. Où l’avez-vous prise ? — Dans un de vos mémoires. — Pourquoi l’avez-vous choisie ? Était-ce pour me séduire ? — Non, rien n’a été plus éloigné de ma pensée. Je l’ai adoptée parce qu’elle m’a paru préférable. — Si vous ne parvenez pas à m’expliquer les raisons de votre préférence, je vous déclare que vous serez mal noté, du moins pour le caractère. »

VÉNÉRATION

Un professeur anglais avait habitué ses élèves à se lever à chaque grand nom de mathématicien qu’il prononçait et à pousser un hurrah lorsqu’il était question d’Archimède ou de Newton.

PETITS MANDARINS

En Chine, tous les trois ans, le 8e  jour de la 8e  lune, les candidats sont enfermés dans des espèces de niches qui les isolent complètement. À la porte, se tient un soldat armé d’une lance.

Si deux jeunes gens parvenaient à se communiquer leurs copies, ils seraient, assure un voyageur, condamnés à mort et exécutés sur le champ (?)

Chaque candidat jugé par trop faible est puni, dit-on, de cinquante coups de bambou sur la plante des pieds.

PRÉSIDENT

M. Thiers, le président de la République, était comme Chevreul un vieil étudiant. La géométrie lui était enseignée sur le tard par l’un de nos savants, M. Mannheim, qui lui parla un jour des diverses sections du cône, mais M. Thiers répliqua : « Allons donc, chacun sait que la section d’un cône de révolution par un plan est toujours un cercle ! » « Vous croyez, M. le Président, hé bien, nous allons faire l’expérience sur une carotte. »

CORRESPONDANCE

Un maître d’école des environs de Mayence rencontra quelques difficultés dans l’arithmétique qu’il enseignait aux enfants du village. Il en écrivit à un homme considérable attaché à l’Électeur et qui avait la réputation d’être très versé dans les sciences de calcul. À quelques semaines de là, l’homme considérable s’excuse auprès du maître d’école sur ses nombreuses occupations, de n’avoir pas répondu plus tôt, et entre ensuite dans tous les détails nécessaires pour faire disparaître les difficultés arithmétiques.

Cet homme considérable se nommait Leibniz.

À LA HALLE

Un polytechnicien, marchandant un bouquet et insulté par la poissarde, répliqua gravement, comme s’il récitait un théorème « Eh ! vas donc, vieux parallélogramme, pyramide tronquée, octaèdre régulier, espèce de secteur, équation binôme, tangente, etc. » Stupéfaction de la femme.

UN EXAMEN PÉRILLEUX

Bezout, examinateur de la marine, arrive à Toulon. Un des élèves était retenu au lit par la petite vérole ; s’il n’est pas examiné sur le champ, sa carrière est perdue. Bezout n’a pas eu la petite vérole, il redoute extrêmement les atteintes de cette terrible maladie ; néanmoins il se rend dans la chambre de l’élève, l’examine et le reçoit.

SENIOR WRANGLER

À l’Université de Cambridge, les étudiants d’élite terminent leurs études par une série d’examens sur les hautes mathématiques et le lauréat, ou senior wrangler, est encore plus fêté que notre Prix d’honneur au concours général. En 1890, les examinateurs ont déclaré que, s’ils avaient eu le droit de comprendre dans le classement final les jeunes filles autorisées seulement à prendre une part platonique au concours, c’est miss Philippa Fawcett qui aurait remporté la victoire.

LES TROIS HUIT

Certains pédagogues américains ont résumé ainsi l’emploi du temps qu’ils proposent pour la jeunesse et qui consiste à répartir la journée également entre le travail, le repos ordinaire et le sommeil.

On sait que, de leur côté, des socialistes réclament aussi la réduction à huit heures de la journée du travailleur, même lorsqu’il est agriculteur ou pêcheur.

DANS L’INDE

Il n’est pas rare… de voir des opérations de mathématiques, multiplications de facteurs à plusieurs chiffres, transformations algébriques ou trigonométriques faites de tête en un clin d’œil par de très jeunes enfants.

Le P. Goubé.

Les petits Indiens marchent ainsi sur les traces de leurs ancêtres.

Consulter Les Mathématiques aux Indes, par Delbos.

RESPONSABILITÉ

Chargé de corriger les compositions écrites du concours d’admission à l’École polytechnique, Le Verrier écrit à son père : « Le concours écrit dont je suis seul chargé est une sorte de magistrature que j’exerce et dont je comprends toute la portée ; je ne dormirais plus, si je pensais que, par distraction, j’ai pu commettre une de ces injustices si cruelles pour un jeune homme et qui tuent son avenir. J’ai trop ressenti, il y a peu d’années, les douleurs d’un candidat pour ne pas considérer leurs droits comme sacrés. »

FORT EN THÈME

Nous lisons dans un petit livre anonyme sur l’enseignement : Le fort en thème et le fort en x vivent en assez bonne intelligence, en se faisant des concessions réciproques. Le premier ne croit point à la supériorité réelle de son émule. Le second est d’une indulgence écrasante pour les toquades de l’autre.

GRAND’SOIF

Aux examens de l’École polytechnique, en 1833, l’Examinateur M. Reynaud, ayant appelé un candidat absent, demande un élève de bonne volonté, pour le remplacer. Le jeune Catalan, poussé par ses camarades, se risque, quoiqu’il n’ait jamais assisté à un examen. Pauvrement et grotesquement vêtu, il a l’air d’un jeune sauvage. Il hésite au début, puis il se relève et même il brille. Après avoir longuement parlé, il aperçoit un verre, une carafe d’eau, du sucre, et… il se prépare un verre d’eau sucrée. M. Reynaud accourt, et s’écrie : « Êtes-vous indisposé ? » « Non, Monsieur, mais voilà longtemps que je parle : j’ai grand’soif ! » L’apparente effronterie n’était que de la naïveté. La légende dura plusieurs années : « Catalan qui boit le verre d’eau de l’examinateur ! »