Mathématiques et mathématiciens/Chp 2 - Section : Langue et littérature

Librairie Nony & Cie (p. 297-317).


LANGUE ET LITTÉRATURE



ÉTYMOLOGIES

Calcul vient du mot latin signifiant caillou, parce qu’on comptait jadis avec des cailloux, d’où le titre l’Arénaire d’un ouvrage d’Archimède. Au XIIe siècle, l’indien Bhâscara a fait un livre, le Bijaganitam, sur le comptage à l’aide des graines.

Au XVIe siècle, nous nous servions de jetons : « Enseigne l’arithmétique et calcul, tant au jet qu’à la plume. » Au début de la comédie de Molière, c’est à l’aide de jetons que le malade imaginaire additionne le compte de son apothicaire. Madame de Sévigné écrit à sa fille qu’elle vient de faire le compte de sa fortune « avec les jetons de l’abbé (de Coulanges), qui sont si justes et si bons. »

Le mot calcul a conservé son sens étymologique, lorsqu’il s’agit des petites pierres qui se forment dans la vessie. (Maladie de la pierre.)

Les étymologies de calcul, arithmétique et géométrie, sont claires, mais algèbre viendrait de l’arabe Al-jèbr, raccorder un membre, rétablir le tout d’après ses parties ? En espagnol, algébriste signifie chirurgien.

TRIGONOMÉTRIE DRAMATIQUE

Lisez le roman de Jules Verne intitulé : Histoire de trois Russes et de quatre Anglais. Il est question des angles adjacents à la base du 8e triangle, du 103e logarithme de la table de Volaston, d’un calculateur menacé par les crocodiles, de deux registres volés par des singes, etc., etc. « Trianguler ou mourir », voilà la devise de ces fiers opérateurs.

Les aventures réelles de Delambre et Méchain, puis de Biot et Arago sont autrement émouvantes. (Voyez La mesure du mètre, un petit livre de W. de Fonvielle.)

BIEN RÉDIGER

À la suite d’une étude de M. J. Liouville, élève-ingénieur, insérée en 1830 dans les Annales de Mathématiques, le rédacteur, Gergonne avait écrit :

« Je crois devoir m’excuser vis-à-vis du lecteur de lui livrer un mémoire aussi maussadement, je puis dire aussi inintelligiblement rédigé…

Je ne prétends contester aucunement la capacité mathématique de M. Liouville : mais à quoi sert cette capacité, si elle n’est accompagnée de l’art de disposer, de l’art de se faire lire, entendre et goûter. Malheureusement, il n’est aujourd’hui que trop de jeunes gens, de beaucoup de mérite d’ailleurs qui regardent, comme un accessoire indifférent ce que je regarde, moi, comme le mérite essentiel, le mérite par excellence, au défaut duquel tout le reste n’est absolument rien. »

On sait que Liouville a fondé le célèbre Journal de Mathématiques qui porte encore son nom.

THÉÂTRE SCIENTIFIQUE

Sous ce titre, M. de Mirval a essayé de dramatiser plusieurs épisodes de la vie des savants, par exemple, les persécutions de Kepler. Ponsard avait déjà fait un Galilée en cinq actes. Enfin Louis Figuier, le célèbre vulgarisateur, a aussi publié des pièces curieuses à données scientifiques : la Science au théâtre, 2 vol.

UN VAUDEVILLE

Lors de l’invention du calcul infinitésimal, il donna lieu à un vaudeville et à un air intitulé : les Infiniment petits, où l’on plaisantait sur la frêle santé du marquis de l’Hôpital et sur les caprices de la marquise.

Madame de l’Hôpital a réfuté, dans le Journal des Savants de 1691, les théories géométriques d’un nommé Lamontre.

LES MATHÉMATICIENS

C’est là le titre d’une comédie du hollandais Langendick (1715) ; il s’agit d’un tuteur bafoué, comme d’habitude, par son pupille, pendant qu’il disserte sur les sciences avec un vieil ami.

ÊTRE SUR SON TRENTE ET UN

Au moyen-âge, des règlements fort sévères punissaient non seulement les ouvriers qui avaient employé dans leur fabrication des matières premières avariées, mais encore ceux qui ne donnaient pas à leurs produits les formes et les dimensions requises. En ce qui concernait les tisserands de laine, ces règlements allaient jusqu’à fixer le nombre de fils dont devait se composer la trame.

On trouve à ce sujet des détails curieux dans l’Histoire de l’industrie française, d’Alexis Monteil. Le collage de la chaîne, le foulage, le feutrage, le soufrage, le calendrage, tout est prévu, sans oublier la longueur ni la largeur de la pièce ; et le contrevenant pouvait être condamné, en certain cas, à avoir le poing coupé. « ce qui était bien fait, car les honnêtes tisserands voulaient conserver leurs deux mains ».

Suivant la qualité des draps, la trame devait se composer de 1400 ou de 1800 fils. Pour le drap fin destiné aux vêtements de luxe, le nombre de fils était de 30 fois 100 fils ; ce qui fit donner à ce drap le nom de trentain.

Porter du trentain était donc le fait d’un homme riche qui ne regardait pas aux dépenses de la toilette.

Trentain, terme technique, se métamorphosa facilement en trente-un dans la bouche de ceux qui ne connaissaient pas l’origine de cette appellation ; et comme l’usage a prévalu de dire trente et un, ces mots sont restés pour désigner une toilette soignée.

BIBLIOGRAPHIE

Ne pas prendre le Traité de la Roulette, de Pascal, pour une étude sur le jeu du même nom : il s’agit de la courbe appelée aussi cycloïde.

Bien se garder de confondre le Traité des Fluxions, de Newton ou de Maclaurin, ni une étude sur les Caustiques, avec un livre de médecine.

Les deux plus anciens manuscrits français d’algorithme et de géométrie sont à la Bibliothèque Sainte-Geneviève. Ils datent de 1275 et ont été publiés par M. Charles Henry.

On a un traité d’arithmétique imprimé à Trévise en 1478 et deux à Bamberg en 1482 et 1483. L’allemand Ratdolt, mort en 1505, a imprimé le premier des figures dans un texte de mathématiques.

RÉPERTOIRE

D’après le Répertoire bibliographique des sciences mathématiques, en voie de publication, les écrits sont répartis d’après leur objet, indépendamment des méthodes, en classes désignées par une lettre capitale ; les classes seront subdivisées en sous-classes désignées par la lettre capitale de la classe affectée d’un exposant ; les classes et les sous-classes sont partagées en divisions désignées par un chiffre arabe ; les divisions en sections désignées par une minuscule latine ; les sections en sous-sections représentées par une minuscule grecque. La notation relative à un écrit mathématique est notée dans un encadrement rectangulaire. Ainsi

L1 4 b
est la notation qui désigne un mémoire traitant des propriétés du lieu géométrique d’un angle droit circonscrit à une conique.

En effet L signifie coniques et quadriques ; L1, coniques ; L1 4, tangentes aux coniques ; L1 4b, tangentes aux coniques faisant un angle donné ; la sous-section traite du cas où l’angle est droit.

Les auteurs ou éditeurs d’écrits mathématiques originaux sont priés d’accompagner le titre de ces écrits de la notation symbolique qui indique leur place dans la classification du répertoire.

Le Secrétaire de la commission permanente du Répertoire est M. Laisant, 162, avenue Victor-Hugo, à Paris.

Le répertoire paraît chez Gauthier-Villars par séries de 100 fiches in-32, à 2 fr. la série. Les 5 premières séries sont en vente.

FIGURES

On ne saurait contester les relations des mathématiques avec la littérature. La rhétorique sacrée ou profane lui emprunte ses plus belles figures. Le Nouveau-Testament abonde en paraboles ; les écrivains anciens et modernes ont fait avec succès usage de l’ellipse et du cercle ; tel orateur véhément a recours à l’hyperbole ; tel autre a fait briller ses arguments sous les vives couleurs du prisme. Certain grand général n’a-t-il pas eu l’heureuse inspiration d’associer la beauté géométrique des pyramides à leur fabuleuse antiquité ?

GRAVITATION

Dans le centre éclatant de ces orbes immenses,
Qui n’ont pu nous cacher leur marche et leurs distances,
Luit cet astre du jour par Dieu même allumé,
Qui tourne autour de soi sur son axe enflammé ;
De lui partent sans fin des torrents de lumière ;
Il donne, en se montrant, la vie à la matière,
Il dispense les jours, les saisons et les ans
À des mondes divers autour de lui flottants.
. . . . . . . . . . . . . . . 
Par delà tous ces cieux, le Dieu des cieux réside.

Voltaire.

Pourquoi ces mouvements et ces orbes divers
Que six mondes errants tracent dans l’univers ?
Quel pouvoir auprès d’eux retient leurs satellites ?
Où l’ardente comète a-t-elle ses limites ?
Pourquoi l’astre du jour, sur son axe agité,
Vers le centre commun semble-t-il arrêté ?
Tout fut lancé des mains du créateur suprême.
Tout pèse, attire, fuit, par un destin pareil ;
Le moindre grain de sable attire le soleil.
Soumis aux mêmes lois, doués d’une puissance
Qui s’accroît par leur masse et perd par la distance,
Les astres voyageurs dans les plaines du ciel
Exercent l’un sur l’autre un effort mutuel.

Daru.
ÉVANOUISSEMENT

« Que dites-vous ? Comment ? Je n’y suis pas : vous plairait-il de recommencer ? Vous voulez, Acis, me dire qu’il fait froid ; que ne disiez-vous : il fait froid ! »

Ce passage de La Bruyère m’est revenu en mémoire à l’occasion d’une locution nouvelle déjà fort répandue, et qui consiste à nommer variété évanouissante le cas particulier d’une conique qui se réduit à un point ou à deux droites. J’avoue que je n’ai pas compris tout d’abord. En bon français, une variété évanouissante devrait vouloir dire une variété qui s’évanouit, qui cesse d’exister, en sorte qu’une ellipse qui cependant est un genre et non une variété cesserait d’être une variété quand elle se réduirait à un point. Quel galimatias ! Revenons à La Bruyère. « Vous voulez dire, Acis, que votre courbe se réduit à un point ou à deux droites : dites qu’elle se réduit à un point ou à deux droites. Mais, répondez-vous, cela est bien uni et bien clair, et d’ailleurs qui ne pourrait en dire autant ? Qu’importe, Acis ? Est-ce un si grand mal d’être entendu quand on parle et de parler comme tout le monde ? »

Prouhet.
APOLOGUE ORIENTAL
DÉDIÉ À LA COMMISSION DES EXERCICES PHYSIQUES

Un savant s’embarque sur une nacelle pour traverser un large fleuve. Il dit au batelier :

— Connais-tu l’histoire ?

— Non.

— Alors tu as perdu la moitié de ta vie. Connais-tu les mathématiques ?

— Non.

— Alors tu as perdu les trois quarts de ta vie !

À peine le savant avait-il prononcé ces mots qu’un coup de vent fit chavirer la barque.

— Sais-tu nager ? demande à son tour le batelier, au pauvre professeur qui se débattait dans les flots.

— Hélas, non.

— Eh bien, tu as perdu ta vie tout entière.

DIVINE PROPORTION

La locution « Moyenne et extrême raison » viendrait de ce que si l’on considère la petite partie, la grande partie et la droite entière, on peut dire que, dans cet ordre, la raison de l’extrême égale la raison de la moyenne. Quoi qu’il en soit, Lucas de Burgo consacre 66 pages aux mérites d’une proportion qu’il qualifie de divine.

Un moderne, M. de Bonald affirme, dans sa Législation primitive une autre proportion, obscure mais merveilleuse aussi, qui réglerait tout. « On doit donc établir cette proportion générale : la cause est au moyen, ce que le moyen est à l’effet ; ce qu’on peut considérer comme une expression algébrique A : B :: B : C, dont on fait l’application à toute sorte de valeurs. »

J.-J. Rousseau avait déjà dit qu’il y a « proportion continue entre le souverain, le prince et le peuple. » Mais il avait ajouté qu’on ne doit pas conclure à une moyenne proportionnelle calculable par racine carrée. « En empruntant un moment des termes de géométrie, je n’ignore pas que la précision géométrique n’a pas lieu dans les quantités morales. »

PHOBOS ET DEIMOS

Ces deux satellites de Mars, récemment découverts, ont été devinés, grâce à un hasard singulier, par Voltaire dans son roman de Micromegas et par Swift qui en attribue l’observation aux astronomes de Laputa.

On lit dans Micromegas : « En côtoyant la planète Mars… nos deux voyageurs virent deux lunes qui servent de satellites à cette planète, et qui ont échappé aux regards de nos astronomes. » Or, ce n’est qu’en 1877 que Hall a découvert les deux satellites de Mars.

FOUGUEUX

Il se livrait à son tempérament d’algébriste. Ce n’était point des chiffres minuscules qu’il employait dans ses calculs, non ! c’étaient des chiffres fantaisistes, gigantesques, tracés d’une main fougueuse. Ses 2 et ses 3 s’arrondissaient comme des cocotes de papier ; ses 7 se dessinaient comme des potences, et il n’y manquait qu’un pendu ; ses 8 se recourbaient comme de larges lunettes ; ses 6 et ses 9 se parafaient de queues interminables.

Et les lettres avec lesquelles il établissait ses formules, les premières de l’alphabet, a, b, c, qui lui servaient à représenter les quantités connues ou données, et les dernières, x, y, z, dont il se servait pour les quantités inconnues ou à déterminer, comme elles étaient accusées d’un trait plein, sans déliés, et plus particulièrement ses z, qui se contorsionnaient en zigzags fulgurants ! Et quelle tournure, ses lettres grecques, les π, les λ, les ω, etc., dont un Archimède ou un Euclide eussent été fiers !

Quant aux signes, tracés d’une craie pure et sans tache, c’était tout simplement merveilleux. Ses montraient bien que ce signe marque l’addition de deux quantités. Ses s’ils étaient plus humbles, faisaient encore bonne figure. Ses se dressaient comme des croix de Saint-André. Quant à ses leurs deux traits, rigoureusement égaux, indiquaient vraiment que J.-T. Maston était d’un pays où l’égalité n’est pas une vaine formule, du moins entre types de race blanche. Même grandiose de facture, pour ses , ses , pour ses dessinés dans des proportions extraordinaires. Quant au signe , qui indique la racine d’un nombre ou d’une quantité, c’était son triomphe, et, lorsqu’il le complétait de la barre horizontale pour cette formule :


il semblait que ce bras indicateur dépassant la limite du tableau noir, menaçait le monde entier de le soumettre à ses équations furibondes !

Et ne croyez pas que l’intelligence mathématique de J.-T. Maston se bornât à l’horizon de l’algèbre élémentaire ! Non ! Ni le calcul différentiel, ni le calcul intégral, ni le calcul des variations ne lui étaient étrangers, et c’est d’une main sûre qu’il traçait ce fameux signe de l’intégration ; cette lettre effrayante dans sa simplicité,


somme d’une infinité d’éléments infiniment petits !

Il en était de même du signe ∑, qui représente la somme d’un nombre fini d’éléments finis, du signe ∞ par lequel les mathématiciens désignent l’infini, et de tous les symboles mystérieux qu’emploie cette langue incompréhensible du commun des mortels.

Jules Verne.

J.-T. Maston est le héros du roman Sans dessus dessous (1889) : des américains achètent la calotte polaire qu’ils veulent utiliser, après avoir changé la direction de l’axe de la terre, à l’aide d’un choc formidable. Malheureusement le calculateur a donné par mégarde 40 000 mètres au lieu de 40 000 kilomètres à la circonférence terrestre.

NERF DE LA GUERRE

Je dois avant tout louer l’activité et le dévouement du vaillant capitaine Tycho-Brahe, qui, sous les auspices des souverains de Danemark, Frédéric et Christian, a, pendant vingt années successives, étudié, chaque nuit et presque sans relâche, toutes les habitudes de l’ennemi, dévoilé ses plans de campagne et découvert les mystères de ses marches. Les observations, qu’il m’a léguées, m’ont aidé à bannir cette crainte vague et indéfinie qu’on éprouve d’abord pour un ennemi inconnu…

Enfin l’ennemi se résigna à la paix, et par l’intermédiaire de sa mère la nature, il m’envoya l’aveu de sa défaite, se rendit prisonnier sur parole, et l’Arithmétique et la Géométrie l’escortèrent sans résistance jusque dans notre camp. Depuis lors, il a montré qu’on peut se fier à sa parole ; content de son sort, il ne demande qu’une grâce à Votre Majesté : toute sa famille est dans le ciel ; Jupiter est son père, Saturne son aïeul, Mercure son frère, et Vénus son amie et sa sœur ; habitué à leur auguste société, il brûle de les retrouver et voudrait les voir avec lui, jouissant, comme il le fait aujourd’hui, de votre hospitalité ; il faut pour cela profiter de nos succès et poursuivre la guerre avec vigueur ; elle n’offre plus de périls, puisque Mars est en notre pouvoir. Mais je supplie Votre Majesté de songer que l’argent est le nerf de la guerre, et de vouloir bien commander à son trésorier de livrer à votre général les sommes nécessaires pour la levée de nouvelles troupes.

Kepler.
BARÈME SUFFIT

Tu me crois obsédé par un mauvais génie,
Alcippe, tu te plains de l’étrange manie
Qui fait qu’en ma maison devenu prisonnier,
D’un flot d’x et d’y je couvre mon papier.
Laisse là, me dis-tu, l’algèbre et ses formules,
Laisse là ton compas, laisse là tes modules ;
C’est un emploi bien triste et des nuits et des jours
Que d’intégrer sans fin et de chiffrer toujours.
. . . . . . . . . . . . . . . . 

Mais ont-ils ces mortels que le destin caresse,
Au calcul intégral demandé la richesse ?
Vois ce vieux financier. Sans cesse à son comptoir,
Il revient supputer son doit et son avoir.
D’enchérir sur Euclide il n’a point la folie ;
Il ajoute, soustrait, divise ou multiplie,
Et, de Barème seul écoutant la leçon,
Laisse dormir en paix Descartes et Newton.

Cauchy.

M. Faurie, mort il y a quelques années, avait composé, dit-on, un poème épique sur la guerre de Crimée.

CARRÉ LONG

Ma chambre est située sous le quarante-huitième degré de latitude, selon les mesures du père Beccaria ; sa direction est du levant au couchant ; elle forme un carré long qui a trente-six pas de tour, en rasant la muraille de bien près. Mon voyage en contiendra cependant davantage ; car je la traverserai souvent en long et en large, on bien diagonalement, sans suivre de règle ni de méthode. — Je ferai même des zig-zags, et je parcourrai toutes les lignes possibles en géométrie, si le besoin l’exige.

X. de Maistre.
BEAUX ESPRITS

L’esprit géométrique donne beaucoup de flegme, de modération, d’attention et de circonspection.

… Tout ce qui fera donc ces esprits brillants, à qui on a donné par privilège le titre de beaux esprits, je veux dire l’abondance, la variété, la liberté, la promptitude, la vivacité ; tout cela est directement opposé aux opérations géométriques, qui sont simples, lentes, sèches, forcées et nécessaires.

D. Huet.

Je sais qu’on me dira que les mathématiques rendent particulièrement appliqué ; mais elles n’habituent pas à rassembler, à apprécier, à concentrer : l’attention qu’elles exigent, est, pour ainsi dire, en ligne droite.

Mme  de Staël.
ÉPIGRAMME

Deux rois de France, Charles VI et Louis XV, ont reçu à tort le surnom de bien-aimé.

Les Parisiens firent au dernier cet épitaphe :

Ci-git Louis le quinzième,
Du nom de bien-aimé le deuxième ;
Dieu nous préserve du troisième !

IMAGE

Platon dit que la ligne droite est celle « dont les points milieux ombragent les extrêmes ». Il dit aussi que « le plan est une surface dont les parties du milieu ombragent les extrêmes ». Ces définitions, qui font image, sont pleines de grâce et de poésie.

ICONOLOGIE

La géométrie est représentée par une femme, d’âge moyen, couverte d’un voile blanc et transparent. Un globe est à ses pieds et elle trace, avec un compas, un cercle sur un papier où sont déjà d’autres figures.

TROIS-SIX

On désigne, sous cette brève indication, l’alcool dont la force est telle qu’avec trois parties de cet alcool et trois d’eau, on fait six parties d’alcool ordinaire.

SYNTAXE

La syntaxe française est incorruptible. C’est de là que résulte cette admirable clarté, base éternelle de notre langue… On dirait que c’est d’une géométrie tout élémentaire, de la simple ligne droite, que s’est formée la langue française.

Rivarol.
SCIENCES OU LETTRES ?

Votre république dose, mesure et règle l’homme ; la mienne l’emporte en plein azur ; c’est la différence qu’il y a entre un théorème et un aigle.

— Tu te perds dans le nuage.

— Et vous dans le calcul.

— Il y a du rêve dans l’harmonie.

— Il y en a aussi dans l’algèbre.

Je voudrais l’homme fait par Euclide.

— Et moi, dit Gauvain, je l’aimerais mieux fait par Homère.

— . . . . . . . . . 

— . . . . . . . . . 

— … La république, c’est deux et deux font quatre. Quand j’ai donné à chacun ce qui lui revient…

Victor Hugo.
ADMIRATION

L’étrangeté de cette science m’étonnait ; rien ne m’y avait préparé dans ma vie. Tout était également nouveau, inattendu, comme si j’eusse respiré sur une autre planète perdue aux confins de l’univers. Et je n’étais pas assez fantasque pour ne pas jouir de ces vérités inébranlables, les mêmes partout, les seules qui m’eussent donné jusque là le sentiment de la certitude. C’étaient à mes yeux comme des colonnes d’émeraude, fixes, immuables, qui se dressaient tout à coup au milieu du chaos que mon intelligence enfermait. Je m’appuyais avec sécurité sur ces colonnes ; le monde se raffermissait à mes yeux, et j’osais m’engager plus avant.

J’aimais comme un Pythagoricien la pureté incorruptible de la géométrie. M. Clerc, intraitable sur les figures que nous devions tracer comme au burin, faisait de cette incorruptibilité un devoir. La langue de l’algèbre, mystérieuse et lumineuse, me saisissait. Ce que j’admirais surtout dans cet idiome, c’est qu’il ne consent à exprimer que des vérités générales, universelles, et qu’il dédaigne les vérités particulières. Je lui attribuais en cela une fierté que je refusais aux idiomes humains ; à ce point de vue l’algèbre me semblait la langue du Dieu de l’esprit.

Je comprenais assez bien aussi le genre de style propre à l’algèbre ; j’étais frappé de l’art avec lequel les mathématiciens éloignent, rejettent, éliminent peu à peu tout ce qui est inutile pour arriver à exprimer l’absolu, avec le plus petit nombre possible de termes, tout en conservant dans l’arrangement de ces termes un choix, un parallélisme, une symétrie qui semble être l’élégance et la beauté visible d’une idée éternelle.

Si l’algèbre m’avait frappé, je fus ébloui par l’application de l’algèbre à la géométrie… L’idée, la possibilité d’exprimer une ligne, une courbe par des termes algébriques, par une équation, me parut aussi belle que l’Iliade. Quand je vis cette équation fonctionner et se résoudre, pour ainsi dire, toute seule, entre mes mains, et éclater en une infinité de vérités, toutes également indubitables, également éternelles, également resplendissantes, je crus avoir en ma possession le talisman qui m’ouvrait la porte de tous les mystères.

Edgard Quinet.

E. Quinet s’est préparé à l’École polytechnique, comme Victor-Hugo et Sully-Prudhomme.

EN MORALE

Les mathématiques rendent l’esprit juste en mathématiques, tandis que les lettres le rendent juste en morale.

J. Joubert.
PASCAL

Il y avait un homme qui, à douze ans, avec des barres et des ronds avait créé les mathématiques ; qui, à seize, avait fait le plus savant traité des coniques qu’on eût vu, depuis l’antiquité ; qui, à dix-neuf, réduisait en machine une science qui existe tout entière dans l’entendement ; qui, à vingt-trois, démontra les phénomènes de la pesanteur de l’air et détruisit une des plus grandes erreurs de l’ancienne physique ; qui, à cet âge où les autres hommes commencent à peine à naître, ayant achevé de parcourir le cercle des connaissances humaines, s’aperçut de leur néant et tourna toutes ses pensées vers la religion.

Chateaubriand.

Peut-être ce singulier phénomène (la supériorité de Pascal comme écrivain) doit-il en partie s’expliquer par l’influence même des études abstraites qu’avait embrassées Pascal à une époque où ces hautes connaissances, destituées encore de la perfection et de la facilité des méthodes, imposaient à l’esprit l’effort d’une création continuelle. Tout était originalité dans une étude incomplète et renaissante. Une sorte d’enthousiasme et d’imagination élevée s’attachait à tous les essais de la science. L’amour de la vérité est une source sublime à laquelle Pascal puisait ; il en tira son éloquence. Le bon goût, le mépris des faux ornements et de la vaine Rhétorique naquirent pour lui de la grandeur des objets dont il avait occupé son intelligence. L’originalité le suivit de la Géométrie dans les lettres ; il inventa son langage comme il avait trouvé ses méthodes en géométrie, et il enleva à sa science favorite cette vigueur de déduction et ces raisonnements irrésistibles qui devinrent les armes de sa parole.

Villemain.
HEUREUX

Que les Géomètres sont heureux

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Oh ! produire une indiscutable beauté, comme celle d’un théorème démontré avec une simplicité ingénieuse, avec élégance en un mot, et d’une si haute portée que la prédiction d’un mouvement céleste en dépende ! Vous est-il permis, à vous autres artistes, à vous surtout poètes, de goûter jamais le tranquille orgueil d’une création pareille ?

Sully-Prudhomme.
BEAUTÉ DE LA SCIENCE

De l’œuvre d’un Fresnel, d’un Ampère, d’un Cauchy, d’un Chasles, d’un Bernard, d’un Pasteur, d’un Berthelot, pour ne citer que des noms appelés à rester l’éternel honneur de notre pays et de notre temps, pouvons-nous admirer la beauté moins que la grandeur et l’utilité incomparables ? En lisant les mémoires de Gauss, dont l’âge bientôt séculaire n’a pas encore terni l’exquise fraîcheur, ne retrouvons-nous pas à la fois, dans les détails, ces splendides arabesques enlacées par l’imagination inépuisable des artistes de l’Orient ; dans l’ensemble, un de ces temples merveilleux que les architectes de Périclès élevaient aux divinités helléniques ?

Ch. Méray.