Mathématiques et mathématiciens/Chp 1 - Section : Philosophie et Morale

Librairie Nony & Cie (p. 146-175).


PHILOSOPHIE ET MORALE. — MÉLANGES



Vous avez disposé toutes choses avec nombre, poids et mesure.

Bible.

Les nombres gouvernent le monde.

Platon.

Il y a de la géométrie partout.

Leibniz.

Dieu, le grand géomètre. — Dieu géométrise sans cesse.

Platon.

Dieu est un cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part.

Rabelais ; Montaigne ; Pascal.

Il n’y a point de nombre aux yeux de Dieu. Comme il voit tout à la fois, il ne compte rien.

Condillac.

Au milieu de causes variables et inconnues, que nous comprenons sous le nom de hasard, et qui rendent incertaine et irrégulière la marche des événements, on voit naître à mesure qu’ils se multiplient une régularité frappante qui semble tenir d’un dessein, et que l’on a considérée comme une preuve de la providence.

Laplace.

Je ne puis concevoir comment de si habiles mathématiciens nieraient un mathématicien éternel.

Voltaire.

Platon avait écrit sur la porte de son école de philosophie ces mots : Que nul n’entre ici, s’il n’est géomètre.

Sans les mathématiques, on ne pénètre point au fond de la philosophie : sans la philosophie, on ne pénètre point au fond des mathématiques ; sans les deux, on ne pénètre au fond de rien.

Bordas-Demoulins.

Le nombre réside dans tout ce qui est connu. Sans lui, il est impossible de rien penser, de rien connaître… Le nombre et l’harmonie repoussent l’erreur ; le faux ne convient pas à leur nature. L’erreur et l’envie sont filles de l’indéfini, sans pensée, sans raison ; jamais le faux ne peut pénétrer dans le nombre, il est son éternel ennemi. La vérité seule convient à la nature du nombre et est née avec lui.

Philolaüs.

Les lignes et les figures de la géométrie sont très propres pour représenter à l’imagination les rapports qui sont entre les grandeurs, ou entre les choses qui diffèrent du plus et du moins, comme les espaces, les temps, les poids, etc., tant à cause que ce sont des objets très simples, qu’à cause qu’on les imagine avec beaucoup de facilité. On pourrait même dire à l’avantage de la géométrie, que les lignes peuvent représenter à l’imagination plus de choses que l’esprit n’en peut connaître, puisque les lignes peuvent exprimer les rapports des grandeurs incommensurables, c’est-à-dire des grandeurs dont on ne peut connaître les rapports à cause qu’elles n’ont aucune commune mesure par laquelle on en puisse faire la comparaison.

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Ce qui ne peut se faire qu’en beaucoup de temps par l’arithmétique se fait en un moment par l’algèbre et l’analyse, sans que l’esprit se brouille par le changement des chiffres et par la longueur des opérations. Une opération particulière d’arithmétique ne découvre qu’une vérité, une semblable opération d’algèbre en découvre une infinité.

L’algèbre… apprend à faire sur les grandeurs littérales tous les calculs qui servent à déduire les rapports les plus difficiles et les plus composés qu’on puisse désirer de savoir des mêmes grandeurs qui sont déjà connues. Ses calculs sont les plus simples, les plus faciles et en même temps les plus généraux qu’on puisse concevoir.

Malebranche.

Les plus grands géomètres n’ont pas été exempts de ce préjugé qui fait regarder l’analyse algébrique comme une sorte d’oracle qui ne fait pas toujours des réponses intelligibles, mais dont les énigmes doivent toujours renfermer un sens dont il faut s’étudier à pénétrer le mystère

Duhamel.

Il y a beaucoup de différence entre l’esprit de géométrie et l’esprit de finesse. En l’un, les principes sont palpables, mais éloignés de l’usage commun ; de sorte qu’on a peine à tourner la tête de ce côté-là, manque d’habitude ; mais, pour peu qu’on s’y tourne, on voit les principes à plein ; et il faudrait avoir tout à fait l’esprit faux pour mal raisonner sur des principes si gros qu’il est presque impossible qu’ils échappent.

Mais, dans l’esprit de finesse, les principes sont dans l’usage commun et devant les yeux de tout le monde. On n’a que faire de tourner la tête, ni de se faire violence. Il n’est question que d’avoir bonne vue, mais il faut l’avoir bonne, car les principes sont si déliés et en si grand nombre qu’il est presque impossible qu’il n’en échappe. Or, l’omission d’un principe mène à l’erreur : ainsi il faut avoir la vue bien nette pour voir tous les principes, et ensuite l’esprit juste pour ne pas raisonner faussement sur des principes connus.

Tous les géomètres seraient donc fins s’ils avaient la vue bonne et les esprits fins seraient géomètres s’ils pouvaient plier leur vue vers les principes inaccoutumés de la géométrie.

Ce qui fait que certains esprits fins ne sont pas géomètres, c’est qu’ils ne peuvent du tout se tourner vers les principes de géométrie ; mais ce qui fait que des géomètres ne sont pas fins, c’est qu’ils ne voient pas ce qui est devant eux ; et qu’étant accoutumés aux principes nets et grossiers de la géométrie, et à ne raisonner qu’après avoir bien vu et manié leurs principes, ils se perdent dans les choses de finesse, où les principes ne se laissent pas ainsi manier. On les voit à peine, on les sent plutôt qu’on ne les voit : ce sont choses tellement délicates et si nombreuses, qu’il faut un sens bien délié et bien net pour les sentir, et sans pouvoir le plus souvent les démontrer par ordre comme en géométrie, parce qu’on n’en possède pas ainsi les principes, et que ce serait une chose infinie de l’entreprendre. Il faut tout d’un coup voir la chose d’un seul regard, et non pas par progrès de raisonnement, au moins jusqu’à un certain degré. Et ainsi il est rare que les géomètres soient fins, et que les esprits fins soient géomètres ; à cause que les géomètres veulent traiter géométriquement les choses fines, et se rendent ridicules, voulant commencer par les définitions, et ensuite par les principes ; ce qui n’est pas la manière d’agir dans cette sorte de raisonnement. Ce n’est pas que l’esprit ne le fasse ; mais il le fait tacitement, naturellement et sans art, car l’expression en passe tous les hommes, et le sentiment n’en appartient qu’à peu.

Et les esprits fins, au contraire, ayant accoutumé à juger d’une seule vue, sont si étonnés quand on leur présente des propositions où ils ne comprennent rien, et où, pour entrer, il faut passer par des définitions et des principes stériles, et qu’ils n’ont pas accoutumé de voir ainsi en détail, qu’ils s’en rebutent et s’en dégoûtent. Mais les esprits faux ne sont jamais ni fins ni géomètres.

Les géomètres qui ne sont que géomètres ont donc l’esprit droit, mais pourvu qu’on leur explique bien toutes choses par définitions et par principes : car ils ne sont droits que sur les principes bien éclaircis. Et les esprits fins qui ne sont que fins, ne peuvent avoir la patience de descendre jusqu’aux premiers principes des choses spéculatives et d’imagination, qu’ils n’ont jamais vues dans le monde et dans l’usage.

Pascal.

On peut regarder la géométrie comme une logique pratique, parce que les vérités dont elle s’occupe, étant les plus simples et les plus sensibles de toutes, sont par cette raison, les plus susceptibles d’une application facile et palpable des règles du raisonnement.

d’Alembert.

J’ai insinué que les Mathématiques étaient fort utiles pour accoutumer l’esprit à raisonner juste et avec ordre ; ce n’est pas que je croie nécessaire que tous les hommes deviennent des mathématiciens : mais lorsque par cette étude, ils ont acquis la bonne méthode du raisonnement, ils peuvent l’employer dans toutes les autres parties de nos connaissances…

L’algèbre donne de nouvelles vues et fournit de nouveaux secours à l’entendement…

Locke.

Il existe des vérités autres que les vérités de l’algèbre, des réalités autres que les objets sensibles. Cultivons avec ardeur les sciences mathématiques, sans vouloir les étendre au-delà de leur domaine ; et n’allons pas nous imaginer qu’on puisse attaquer l’histoire avec des formules, ni donner pour sanction à la morale des théorèmes d’algèbre et de calcul intégral.

Cauchy.

Des éléments de Géométrie traités ainsi deviendraient en quelque sorte d’excellents éléments de logique, et seraient peut-être les seuls qu’il faudrait étudier. Lorsque l’esprit est naturellement juste, il porte avec lui la faculté de reconnaître si une proposition simple est vraie ou non. Il est beaucoup plus utile d’exercer cette faculté que de disserter à perte de vue sur sa nature. Si l’on voulait remporter le prix de la course, on penserait plutôt sans doute à exercer ses jambes qu’à raisonner sur le mécanisme de la marche. « Les règles, dit Condillac, sont comme les garde-fous mis sur les ponts, non pas pour faire marcher les voyageurs, mais pour les empêcher de tomber. » Si cela est, ainsi qu’il n’est pas permis d’en douter, il faut que les règles soient fort simples et en petit nombre. Celles de Descartes et de Pascal me paraissent suffisantes pour les esprits droits ; quant aux autres, la Géométrie ne saurait exister pour eux.

Lacroix.

Nous voyons par expérience qu’entre esprits égaux, et toutes choses pareilles, celui qui a de la géométrie l’emporte et acquiert une vigueur toute nouvelle.

Pascal.

Socrate. — Faisons donc une loi à ceux qui sont destinés chez nous à remplir les premières places de s’appliquer à la science du calcul, de l’étudier, non pas superficiellement, mais jusqu’à ce que, par le moyen de la pure intelligence, ils soient parvenus à connaître l’essence des nombres ; non pour faire servir cette science, comme les marchands et les négociants, aux ventes et aux achats, mais pour l’appliquer aux besoins de la guerre, et faciliter à l’âme la route qui doit la conduire de la sphère des choses périssables à la contemplation de la vérité et de l’être.

Glaucon. — Fort bien.

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Socrate. — Si l’on demande à ceux qui s’occupent de cette science : « De quel nombre parlez-vous ? Où sont ces unités telles que vous les supposez, parfaitement égales entre elles, sans qu’il y ait la moindre différence, et qui ne sont point composées de parties ? » Mon cher Glaucon, que crois-tu qu’ils répondent ?

Glaucon. — Je crois qu’ils répondraient qu’ils parlent de ces nombres qui ne tombent pas sous les sens et qu’on ne peut saisir autrement que par la pensée.

Socrate. — Ainsi, tu vois, mon cher ami, que nous ne pouvons absolument nous passer de cette science, puisqu’il est évident qu’elle oblige l’âme à se servir de l’entendement pour connaître la vérité.

Glaucon. — Il est certain qu’elle est merveilleusement propre à produire cet effet.

Socrate. — As-tu aussi observé que ceux qui sont nés calculateurs, ayant l’esprit de combinaison, ont beaucoup de facilité pour presque toutes les autres sciences et que même les esprits pesants, lorsqu’ils se sont exercés et rompus au calcul, en retirent du moins cet avantage d’acquérir plus de facilité et de pénétration ?

Glaucon. — La chose est ainsi.

Socrate. — Au reste, il te serait difficile de trouver beaucoup de sciences qui coûtent plus à apprendre et à approfondir que celle-là.

Glaucon. — Je le crois.

Socrate. — Ainsi, par toutes ces raisons nous ne devons pas la négliger ; mais il faut y appliquer de bonne heure ceux qui seront nés avec un excellent caractère.

Glaucon. — J’y consens.

Platon.

Ceux qui ne voient dans les mathématiques que leur utilité d’application ordinaire, en ont une idée bien imparfaite ; ce serait, en vérité, acquérir bien peu de chose à grands frais ; car, excepté les savants et quelques artistes, je ne vois guère personne qui ait besoin de la Géométrie ou de l’Algèbre une fois dans sa vie. Ce ne sont donc ni les théories, ni les procédés, ni les calculs en eux-mêmes, qui sont véritablement utiles, c’est leur admirable enchaînement, c’est l’exercice qu’ils donnent à l’esprit, c’est la bonne et fine logique qu’ils y introduisent pour toujours.

Les mathématiques jouissent de cet avantage inappréciable, et sans lequel il serait le plus souvent superflu de les étudier, c’est qu’il n’est pas nécessaire de les savoir actuellement pour en ressentir les avantages, mais il suffit de les avoir bien sues ; toutes les opérations, toutes les théories qu’elles nous enseignent peuvent sortir de la mémoire, mais la justesse et la force qu’elles impriment à nos raisonnements restent ; l’esprit des mathématiques demeure comme un flambeau qui nous sert de guide au milieu de nos lectures et de nos recherches ; c’est lui, qui, dissipant la foule oiseuse des idées étrangères, nous découvre si promptement l’erreur et la vérité ; c’est par lui que les esprits attentifs dans les discussions les plus irrégulières reviennent sans cesse à l’objet principal qu’ils ne perdent jamais de vue ; c’est ainsi qu’ils abrègent le temps et l’ennui, recueillent sans peine le fruit des bons ouvrages et traversent ces vains et nombreux volumes où se perdent les esprits vulgaires. Si les mathématiques ont trouvé beaucoup de détracteurs, c’est que leurs lumières importunes détruisent tous les vains systèmes où se complaisent les esprits faux. C’est que si les mathématiques cessaient d’être la vérité même, une foule d’ouvrages ridicules deviendraient très sérieux ; plusieurs même commenceraient d’être sublimes ; mais il était bien naturel que les esprits supérieurs et les meilleurs écrivains ne parlassent des sciences exactes qu’avec une sorte d’admiration ; les grands hommes, dans quelque genre que ce soit, ne ravalent jamais les grandes choses ; ils tâchent de s’y élever.

Poinsot.

Si l’esprit d’un homme s’égare, faites-lui étudier les mathématiques ; car dans les démonstrations, pour peu qu’il s’écarte, il sera obligé de recommencer.

F. Bacon.

L’avancement, le perfectionnement des mathématiques sont liés à la prospérité de l’État.

Napoléon.

Une rigoureuse discipline de l’esprit prépare aux devoirs militaires, et l’on ne peut douter que les études mathématiques contribuent à former cette faculté d’abstraction indispensable aux chefs pour se faire une représentation intérieure, une image de l’action, par laquelle ils se dirigent en oubliant le danger, dans le tumulte et l’obscurité du combat.

Hermite.

Le siècle est plus que jamais dominé par les mathématiques

Rambaud

Lors de la création de l’Université impériale, on dut enseigner « le français, le latin et les mathématiques » Ce n’était pas assez, mais nous enseignons trop de choses maintenant.

Nul n’atteindra la gloire de Newton, dit Lagrange, car il n’y avait qu’un monde à découvrir.

Ce qui passe la géométrie nous surpasse.

Pascal.

Aucune investigation humaine ne doit s’appeler vraie science, si elle ne passe pas par les démonstrations mathématiques.

Léonard de Vinci.

Mesurer, c’est savoir.

Kepler.

L’action de nos sens et celle de notre entendement ont des bornes ; le calcul n’en a pas.

Portalis.

Nous devons plutôt nous fier au calcul algébrique qu’à notre jugement.

Euler.

La vie n’est bonne qu’à étudier et à enseigner les mathématiques.

Poisson

Le commentaire de Bachet sur Diophante ne fera pas diminuer le prix du pain, remarquait le judicieux Malherbe.

Le dessin, dit Condorcet, est la géométrie des yeux, la musique est celle des oreilles.

L’Art est la plus haute expression d’une arithmétique intérieure et inconsciente.

Leibniz.

… tous nos esprits mathématiques, polytechniques, soi-disant positifs, tous ceux qu’on a appelés spirituellement de bons esprits faux.

Sainte-Beuve.

Le calcul est nécessaire à tous ceux qui ne savent pas, ou qui ne peuvent pas, ou qui ne veulent pas beaucoup penser.

de Ramsay.

Le bon sens ne perd jamais ses droits : opposer à l’évidence une formule démontrée, c’est à peu près comme si, pour refuser à un homme le droit de vivre, on alléguait devant lui un acte de décès authentique.

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Les mathématiques ne doivent pas dégénérer en une débauche de logique.

J. Bertrand.

L’analyse pure, c’est l’esprit du nombre s’aiguisant lui-même.

Je comparerai volontiers les lumières des mathématiques à ces pâles soleils du nord, sous lesquels on reste glacé… Ils ne font éclore que des fleurs sans parfum et des fruits sans saveur.

Dupanloup.

Une logique rigoureuse, la recherche et l’amour de la vérité pour elle-même, forment la partie morale des mathématiques, qui par là appartiennent essentiellement à l’école stoïque. Offrir à la jeunesse, au début de la vie, des applications utiles, des méthodes d’approximation, comme objet principal d’étude, c’est dénaturer le but de l’éducation et cela peut avoir de funestes résultats. Toutefois, il ne faut pas confondre cette rigueur avec la manie démonstrative, qui, se défiant du sens commun, enlève au lecteur toute spontanéité… Savoir ce qu’il ne faut pas dire est un art difficile, qu’on rencontre rarement

O. Terquerm.

L’idéal de l’amitié, c’est de se sentir un et de rester deux.

Mme Swetchine.

Celui qui compte dix amis, n’en a pas un.

Un homme est un chiffre : deux hommes placés à côté l’un de l’autre valent dix fois davantage ; trois hommes en valent cent, quand ils ont mis ensemble leur esprit, leur argent et leur bonne volonté.

B. Franklin.

La vie morale de l’égoïste est l’équivalent exact de l’unité multipliée par elle-même.

Sauvage.

Dans tout ce que l’on entreprend, il faut donner les deux tiers à la raison et l’autre tiers au hasard. Augmentez la première fraction, vous serez pusillanime ; augmentez la seconde, vous serez téméraire.

Napoléon.

Par la définition du point, de la ligne, de la surface, et par d’autres principes très familiers, nous parvenons à des connaissances qui mesurent enfin le ciel et la terre.

La Fontaine.

Les transformations de l’âme sont lentes ; elles ne se font qu’avec la douleur multipliée par le temps.

Le P. Didon.

Les mathématiques pures sont une clef d’or qui ouvre toutes les sciences.

V. Duruy.

Créer en nous l’art de raisonner, et surtout de raisonner géométriquement, n’est qu’une bien faible partie de l’éducation. Ce sont les sentiments qui nous mènent, et non pas la logique ni la géométrie.

A. Croiset.

Rien n’est moins applicable à la vie qu’un raisonnement mathématique. Une proposition, en fait de chiffres, est décidément fausse ou vraie ; sous tous les autres rapports, le vrai se mêle avec le faux…

Mme  de Staël.

La géométrie est la meilleure et la plus simple de toutes les logiques, la plus propre à donner de l’inflexibilité au jugement et à la raison. C’est la lime sourde de tous les préjugés populaires…

Diderot.

La logique a emprunté les règles de la géométrie sans en comprendre la force… Je suis bien éloigné de mettre les logiciens en parallèle avec les géomètres qui apprennent la véritable manière de conduire la raison… La méthode de ne point errer est recherchée de tout le monde. Les logiciens font profession d’y conduire, les géomètres seuls y arrivent, et hors de leur science il n’y a point de véritable démonstration.

Pascal.

Pascal confond l’art avec la science, et parce que les logiciens ne conduisent pas infailliblement au vrai, il immole la logique à ses chères mathématiques. C’est Leibniz qui a pleine raison quand il dit, contrairement à Pascal : « La logique des géomètres est une extension ou promotion particulière de la logique générale. » Les mathématiques empruntent donc la puissance de leur forme à la logique, loin de la lui donner.

Barthélemy Saint-Hilaire.

La raison mathématique se contente de fournir, dans le domaine le plus favorable, un type de clarté, de précision et de consistance dont la contemplation familière peut seule disposer l’esprit à rendre les autres conceptions aussi parfaites que le comporte leur nature.

Aug. Comte.

En mathématiques, comme ailleurs, la raison profonde des choses, le fond mystérieux de l’être sur lequel nous spéculons ou que nous observons, nous échappera peut-être toujours ; peut-être aussi l’inquiétude qui en résulte pour nos intelligences est-elle l’aiguillon secret de cette passion que les savants apportent dans leurs recherches.

J. Tannery.

Il est toujours utile de penser juste, même sur des sujets inutiles. Quand les nombres et les lignes ne conduiraient absolument à rien, ce seraient toujours les seules connaissances certaines qui aient été accordées à nos lumières naturelles, et elles serviraient à donner à notre raison la première habitude et le premier pli du vrai…

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L’esprit géométrique n’est pas si attaché à la géométrie qu’il n’en puisse être tiré et transporté à d’autres connaissances. Un ouvrage de morale, de politique, de critique, peut-être même d’éloquence, en sera plus beau, toutes choses d’ailleurs égales, s’il est fait de main de géomètre.

Fontenelle.

Le raisonnement mathématique est si particulier et si exclusif qu’une fois maître d’un cerveau, il s’en empare en entier et le rend inapte, pour ainsi dire, aux autres manières, pourtant aussi légitimes, d’arriver à la vérité.

Delbœuf.

Ne restons pas mathématicien partout et quand même. Il y a un vieil adage : purus mathematicus, purus asinus. Montucla dit plus poliment que « parmi les hommes qui se sont distingués en mathématiques, il y en a toujours eu un grand nombre dont la sagacité ne sortait pas du domaine géométrique. »

Le goût de l’exactitude, l’impossibilité de se contenter de notions vagues, de s’attacher à des hypothèses quelque séduisantes qu’elles soient, le besoin d’apercevoir clairement la liaison des propositions et le but où elles tendent, sont les fruits les plus précieux de l’étude des mathématiques.

Lacroix.

Les nuances délicates des idées morales échappent à la rigueur des raisonnements mathématiques, et une habitude trop exclusive de ceux-ci porte assez souvent l’esprit à vouloir tout réduire à des règles invariables, à des principes absolus ; méthode si dangereuse, quand on l’applique au gouvernement des sociétés humaines, ou seulement aux rapports particuliers qui nous lient avec les autres hommes.

Cuvier.

L’étude des mathématiques nous accoutume à un enchaînement de déductions logiques dans lequel chaque anneau se rattache au précédent ; elle donne ainsi de la continuité à l’attention, de la cohérence aux idées ; elle apprend à l’intelligence à saisir les points fondamentaux d’un raisonnement, et à classer avec ordre les divers éléments de conviction, en leur accordant leur juste degré d’importance ; qualités que l’on rencontre trop rarement dans le monde.

Whewell.

Les mathématiques donneront une fausse précision, une rigueur apparente qui masque la faiblesse des raisonnements, une raideur inflexible qui multiplie les erreurs, les rend irréparables et empêche la juste notion des choses. Hélas ! qu’il y a peu de mathématiques dans les choses de la vie : elles sont complexes, changeantes, faites de finesses, de sous-entendus, de détails, et impossibles à exprimer par une formule.

Chandos.

Les mathématiques partout, une chimère de quelques esprits simplistes. Il ne faut pas abuser des meilleures choses.

Dans les Mathématiques, la censure et la critique ne peuvent être permises à tout le monde ; les discours des rhéteurs et les défenses des avocats n’y valent rien.

Viète.

Les vérités mathématiques doivent être jugées par des mathématiciens.

Copernic.
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Depuis huit jours, j’ai vu le premier rayon de lumière ; depuis trois, j’ai vu le jour ; enfin, à cette heure, je vois le soleil de la plus admirable contemplation. Rien ne me retient plus, je m’abandonne à mon enthousiasme ; je veux braver les mortels par l’aveu franc que j’ai dérobé les vases d’or des Égyptiens, pour en former à mon Dieu un tabernacle loin de l’Égypte idolâtre. Si l’on me pardonne, je m’en réjouis ; si l’on s’irrite, je me résigne. Le sort en est jeté, j’écris mon livre. On le lira dans l’âge présent ou dans l’avenir, que m’importe ! Il peut attendre son lecteur : Dieu n’a-t-il pas attendu six mille ans pour se donner un contemplateur de ses œuvres ?

Kepler.

Certains prétendent que les mathématiques dessèchent le cœur.

Il me semble que je n’ai été qu’un enfant jouant sur le bord de la mer et trouvant, tantôt un caillou plus poli, tantôt un coquillage plus joli que les autres, tandis que le vaste océan de la Vérité s’étendait devant moi.

Newton.

L’étude des mathématiques peut distraire des grandes douleurs : elle absorbe l’homme tout entier.

Boiste.

Le but unique de la Science, c’est l’honneur de l’esprit humain, et, à ce titre, une question de la théorie des nombres vaut autant qu’une question du système du monde.

Jacobi.

Les mathématiques sont une forte école de logique appliquée : elles nous forment indirectement à bien raisonner : sur d’autres sujets que les nombres et les lignes.

Vous aimez, vous voulez le vrai ; il importe que vous soyez pénétrés de la méthode à l’aide de laquelle on le découvre et on l’établit. Cette méthode est la même, qu’il s’agisse des plus hautes spéculations ou des questions de la vie ordinaire ; ce n’est pas le syllogisme presque exclusivement détaillé jadis : il condamne la déduction lorsqu’elle est fautive, mais il n’apprend pas à la mettre en mouvement, pour augmenter la connaissance. La méthode générale, c’est l’analyse, non pas l’insuffisante analyse de Condillac, qui se borne à décomposer le tout en ses parties pour le mieux étudier, mais cette analyse plus large et plus féconde que les Anciens nous ont transmise.

Chaque fois que l’esprit veut chercher ou prouver, il substitue à plusieurs reprises à la chose en question une chose dont elle est la conséquence jusqu’à ce qu’il arrive à une chose connue. Le succès dépend du choix des relais ; c’est un art précieux, dit Leibniz, que celui de s’aviser quand il faut de ce qu’on sait. On peut ainsi définir rapidement l’analyse pour la rappeler à ceux qui la connaissent, mais une pratique longue et attentive est seule capable d’en faire une habitude aisée et définitive.

Les mathématiques, par la clarté et le petit nombre des données primitives, — car là non plus on ne définit pas tout et on ne prouve pas tout, — les mathématiques fournissent la première application, l’application commode, je dirai même indispensable de l’analyse. Platon, écrivant sur la porte de son école : « que nul n’entre ici s’il n’est géomètre », déclarait incapable d’aborder les questions philosophiques ceux qui n’avaient pas d’abord appris à raisonner en géométrie.

On admet au début quelques notions, quelques propositions qui brillent par elles-mêmes et c’est avec elles seules que toute la science se fait. Nous devons ainsi à Euclide et à ses successeurs une trame serrée de vérités utiles ou curieuses, enchaînées dans un bel ordre. Mais ce n’est pas assez de comprendre la doctrine des maîtres, il faut pouvoir y rattacher vous-mêmes les problèmes nouveaux et découvrir aussi à votre tour : voilà pourquoi on soumet à vos efforts des exercices mathématiques nombreux et gradués. D’une part, vous apprenez, par la démonstration des théorèmes et la vérification des problèmes, à tirer d’un principe ses conséquences, et de l’autre vous apprenez, par l’invention des problèmes et par l’exposition des théorèmes, — lorsque le professeur cherche devant vous, — à rattacher un fait particulier aux principes d’où il découle. Plus tard, je le crains et je m’y résigne, vous oublierez le détail de Legendre et vos propres travaux, mais toute cette géométrie aura aiguisé votre esprit, vous serez experts sur tout sujet à dégager d’une idée ce qu’elle contient, à substituer à une question d’autres questions plus aisées, à avancer vers la solution. Cette solution, vous ne l’atteindrez pas toujours, mais vous aurez d’autant plus de chances de l’atteindre que vous serez mieux dressés à chercher, à chercher patiemment, méthodiquement. Tout au moins, vous n’humilierez pas la raison, en tirant le faux du vrai.

Presque toujours et quel que soit l’objet qui vous occupe, vous aurez recours à une analyse progressive, tenace, prudente qui vous préservera des aventures. Il ne faut pas cependant bannir de la recherche, dans les sciences et ailleurs, une certaine hardiesse, l’audace même. Parfois l’inventeur, heureusement inspiré, court vers le but et l’atteint en sautant les intermédiaires. Mais il doit ensuite serrer la chaîne logique, autrement sa découverte ne serait définitive, ni pour les autres ni pour lui-même.


Trois groupes d’esprits ne méritent pas qu’on leur livre des vérités. Les premiers n’en font aucun usage, ils sont inertes, ils ne vont jamais en avant, ce sont des enfants trop faibles pour marcher seuls. Les seconds croyant raisonner rencontrent l’erreur, ils marchent, mais, hélas ! c’est pour tomber souvent. Les troisièmes ne sont plus à plaindre mais à flétrir, ils faussent le vrai de parti pris, ce sont des sophistes, ils connaissent la route, mais ils suivent les chemins tortueux qui les mènent où leur passion veut. Une consciencieuse fréquentation des sciences vous évitera d’être classés dans ces catégories : vous saurez et vous voudrez marcher seuls et marcher droit.

Vous repousserez non seulement le faux, mais encore l’incomplet, l’approximatif, le vague qui nous envahissent. Voilà l’ennemi de tous les jours, ennemi fuyant, insaisissable. Que d’assertions qui ne sont pour ainsi dire, ni vraies ni fausses, que de pensées à peine ébauchées, échappant par là même à la réfutation ! La faute en est aux hommes seulement littéraires, sans lest scientifique, ils sont frivoles et vains, ils dissertent avec facilité sur ce qu’ils ignorent. Vous vous tairez, lorsque vous n’aurez rien à dire ; mais lorsque vous parlerez, lorsque vous écrirez, ce sera judicieusement, fermement, « chaque mot signifiera ».

J’ai jusqu’ici supposé expressément des principes faciles, clairs et certains, comme le sont ceux des sciences formées, mais, dans beaucoup de spéculations, on n’a pas cette commodité. De là un péril grave contre lequel vous vous tiendrez en garde. Les esprits rigoureux, qui sont mal partis, avancent héroïquement en ligne droite ; sûrs de leurs déductions, ils sont d’une ténacité déplorable ; ils proclament, ils imposent leurs conclusions telles quelles, comme des dogmes. Un historien irrité est allé jusqu’à accuser les hommes de science des malheurs de la patrie vers la fin du siècle dernier.

Vous vous arrêterez donc dès le seuil, — c’est absolument indispensable, — vous vous arrêterez longtemps sur les idées et les assertions fondamentales, et vous ferez porter directement sur elles tout l’effort de votre attention. Cette étude intrinsèque des principes est souvent compliquée, quelquefois impuissante, mais malheur à qui la néglige. Il n’y a presque rien à dire de général sur cette étude ; elle dépend de la justesse, de la force, de la finesse native ou acquise de l’esprit ; mais elle dépend surtout de la nature des questions : vous invoquerez tantôt des axiomes, tantôt l’observation, cette grande maîtresse, tantôt des conventions, tantôt des hypothèses. Quoi qu’il en soit, n’oubliez jamais que, tant valent les prémisses, tant valent les déductions ; pesez de votre mieux ces prémisses, et si elles sont seulement probables, recevez aussi comme seulement probable tout ce que vous en tirerez. Le raisonnement garde dans tous les cas sa valeur relative, et, au pis aller, vous aurez cette consolation de ne pas ajouter à l’imperfection des données.

Le domaine de la pure raison est vaste et soumis à des règles absolues, mais il y a à côté des domaines plus libres. Vous ne serez pas positif toujours et quand même, vous ne traiterez pas avec une rigueur trop grande des sujets qui ne comportent pas cette rigueur.

Je veux parler d’abord des études dont les éléments sont trop complexes : la politique, une fois d’accord avec la morale, doit être flexible et tenir grand compte des races, des mœurs, des traditions ; la médecine s’occupe de la matière animée que les lois physiques ordinaires ne régissent pas seules, elle varie ses prescriptions d’après le tempérament et l’esprit du malade ; le droit lui-même laisse beaucoup à l’appréciation du juge, parce que nos codes, malgré leur étendue, ne peuvent pas prévoir tous les cas, toutes les circonstances.

Je veux parler en second lieu des questions toutes de nuance et d’impression personnelle : de certains sentiments qui naissent et grandissent mystérieusement dans l’âme, de l’art qui choisit et épure les belles réalités, du goût individuel, de la poésie. Il faut laisser en paix l’humanité, croire, espérer, rêver. N’allez pas criant à tout propos et hors de propos : Pourquoi cela ? Qu’est-ce que cela prouve ? Mot de je ne sais quel mathématicien après la lecture de l’Iphigénie de Racine. Lorsque votre imagination s’éveille, laissez-la voler à sa fantaisie. Ne prenez pas de grosses balances pour peser des toiles d’araignée.

Ces idées dont j’ai fait deux classes et qui, pour des motifs différents, échappent à la déduction formelle, ont leur grande importance, leur irrésistible attrait ; vous vous garderez de les dédaigner, comme incertaines ou futiles. Pascal a tort d’affirmer que « ce qui passe la géométrie nous surpasse. »

Quelques-uns ont une estime outrée, exclusive, pour la forme du raisonnement en mathématiques, forme concise, sèche, nerveuse et tout à fait déplacée dans beaucoup de questions susceptibles pourtant de précision. Du reste, la rigueur est dans le fond même du raisonnement, et, s’il est faible, vous aurez beau le couper de conjonctions et lui donner un faux dehors scientifique. Spinosa ne fortifie guère sa philosophie en la disposant par théorèmes et par corollaires, il rend seulement son accès plus difficile. N’imitez pas ces formalistes impitoyables qui distinguent, divisent, subdivisent et arrivent parfois à sacrifier le fond à la forme et à quelle forme ! Ils font comprendre ce vers paradoxal :

Et le raisonnement en bannit la raison.

Vous voilerez cet appareil et vous craindrez de compromettre une bonne cause par une argumentation peut-être exacte mais raide, hérissée, rebutante. Il convient, dans la vie, de varier, de délayer un peu les preuves, de les fleurir discrètement, enfin d’avoir raison avec un certain agrément.

Il est un autre travers du même genre, mais plus spécial. C’est celui d’invoquer le secours de l’Algèbre, de ses signes et de ses équations, là où elle n’a rien à voir. Ne s’est-on pas avisé de traiter algébriquement l’économie politique ? Pour qu’un problème puisse être mis en équation, il faut que ses données soient d’une simplicité, d’une netteté bien rares. Presque toujours les nombreuses équations de condition, alors qu’on pourrait les écrire, embarrasseraient le calcul qui se traînerait péniblement. N’oubliez pas d’ailleurs que le calcul n’est qu’un instrument, il ne facilite pas l’analyse par une vertu propre, il ne dirige pas l’esprit, il doit être dirigé par lui. Cet instrument ne travaille que quelques matières, mais alors que vous pourriez lui soumettre des conceptions peu précises qu’il aiderait à déployer, il ne leur donnerait aucune consistance.

En résumé, les mathématiques, par leurs types excellents d’analyse, nous apprennent, suivant l’expression de Descartes, « à conduire par ordre nos pensées » et nous préparent ainsi aux divers travaux de l’esprit et aux affaires de la vie, parce que l’analyse sert partout.

Il y a cependant quelques périls, quelques abus à signaler : l’adhésion trop confiante aux principes, le traitement trop rigoureux de certains sujets, un goût trop prononcé pour la forme du raisonnement géométrique et pour la mise en formules.

Alphonse Rebière