Librairie Hachette (p. 163-169).
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M arylka se repentait amèrement de sa dureté envers Voytek. Pourquoi ne pas lui avoir avoué franchement tout ce qui s’était passé ? Quel démon l’avait donc poussée à lui résister ainsi ? Ne pouvait-elle se confier à un ami tel que lui ? Et maintenant elle interrogeait tristement la longue chaussée plantée de tilleuls, espérant toujours le voir revenir.

Mais seul le soleil poudroyait sur la route, et les hauts tournesols du parterre verdoyaient en balançant mélancoliquement leur chevelure dorée.

« Mlle Catherine fait dire à Mademoiselle que la mère de M. Thadée, Mme la maréchale, viendra la chercher tout à l’heure pour faire une promenade en voiture.

— C’est bon, c’est bon, Kanounia, fit-elle avec une moue, je vais me préparer. »

Non. décidément, Mme Wanda, la mère, ne lui plaisait que médiocrement, et, quant à l’officier, elle éprouvait, depuis sa rencontre de l’autre soir, un invincible éloignement pour lui, en dépit des marques exagérées d’admiration qu’il lui témoignait toujours.

Une ombre passa devant la fenêtre, elle vit une vieille juive, toute noire à force d’être ridée, apparaître entre les buissons du jardinet, un carton à la main.

« La jolie demoiselle n’achète rien aujourd’hui ? Ce ruban saphir ! Ce beau taffetas rose !

— Non ! non… Merci… Pourquoi Golda ne monte-t-elle pas plutôt chez Lia,… puisqu’elle doit se marier bientôt ?…

Haïvaï ! soupira la juive : rien à faire là-haut ! La Lia est malade. Quand je viens, elle ouvre mes cartons, fouille et retourne la soie et les rubans de ses longs doigts diaphanes, mais son esprit est ailleurs, il ne regarde plus à travers ses yeux…

— Lia est malade ? demanda Marylka étonnée.

— Malade,… c’est-à-dire que personne ne s’en doute, ni le père, ni la belle-mère, ni le fiancé… Mais moi, Golda,… je le sais… bien ! Seulement voilà, toutes les maladies ne se guérissent pas de la même manière, et ce n’est pas un médecin qu’il lui faudrait à la pauvre !… » Et, en disant cela, la vieille avait tourné les talons, laissant Marylka fort troublée, si troublée qu’elle ne s’était point aperçue de l’arrivée de Mme Wanda, accompagnée du cousin Boleslas.

Un quart d’heure plus tard, tandis que la jeune fille roulait toute pensive aux côtés de la maréchale, le vieux gentilhomme était introduit chez les dames Bielska.

Bien qu’il fût près de midi, une douzaine de bougies brûlaient encore dans le salon, absolument clos.

« Ah çà ! cousine Kate, dit-il en baisant la main de la vieille demoiselle, vous faites donc du jour la nuit ?

— Oui, mon cher ! Je ne connais rien d’insipide comme la clarté du jour ! c’est d’un cru,… ça vieillit !… Je laisse ça aux pauvres diables qui ne peuvent se payer de la bougie, et je prolonge la nuit le plus longtemps possible !

— Eh bien ! et l’air ?… et l’hygiène ?

— Paradoxes que tout cela ! De l’air !… c’est-à-dire de la poussière en été, du froid et des chasse-neige en hiver ! D’ailleurs il n’y a que les malades qui aient besoin d’air !… Et, Dieu merci, nous nous portons tous parfaitement ici !

— Kate !… vous n’êtes pas raisonnable !… Ne vous étonnez donc point si votre charmante Marylka a des accès de rébellion, si elle saute par les fenêtres pour voir passer les régiments ou s’en va errer dans le cimetière à la nuit tombante !… c’est absolument comme si nous voulions mettre des entraves à une jeune cavale des steppes !…

— Là, là !… rassurez-vous : sa captivité ne sera plus bien longue !… Je la marie !

— Ah !… vraiment !… Comme cela,… sans crier gare ?

— Oui, avec Thadée Radowski, dont vous venez de nous amener la mère : c’est ensemble que nous avons fait ce projet. Vous le connaissez, lui, et vous avez remarqué les attentions extraordinaires dont il a entouré Marylka depuis son retour ?

— Oui, mais tout cela c’est de l’emballement !… Ignorez-vous donc que ce dragon est un mauvais sujet fini ?… »

Elle éclata de rire :

« Belle affaire !… Comme si tous les hommes ne l’étaient pas !

— Peuh !… il y a des nuances !

— Eh bien ! le mariage l’assagira ! Son père a été tout pareil !… Du reste, je vous avoue que j’ai toujours eu un faible pour les mauvais sujets ; et il est reconnu que c’est encore d’eux que l’on fait les meilleurs maris !…

— Oh !… dans ce cas, il sera un modèle !… Vous n’avez pas entendu parler du dernier scandale qui s’est passé il y a quinze jours à l’hôtel de Saxe ?…

— Si ! eh bien ! qu’est-ce que ça prouve ! Il faut bien que jeunesse se passe !… »

Rose venait d’entrer tout ébouriffée, car ses papillotes n’étaient pas défaites.

« Moi, dit-elle, j’avoue que je préférerais pour Marylka… l’autre,… le cousin… »

Boleslas acquiesça de la tête. Mais Catherine avait bondi dans son fauteuil :

« Voytek !… ah ! par exemple !… Vous voulez alors perpétuer à l’infini dans notre famille les ménages besogneux, toujours endettés, criant misère !… Celui de Ladislas ne vous a donc pas suffi !… et vous trouvez agréables ces appels constants à la bourse d’autrui ?… Ah ! tenez… plutôt que de voir ce vertueux jeune homme pauvre entrer dans notre famille, j’aimerais mieux prendre le major ! »

Cette fois ce fut Boleslas qui eut un soubresaut.

« Comment ! trente-deux ans de différence !

— Il n’en aurait que plus d’attentions pour sa femme ! Mais, Dieu merci ! il est hors de cause : c’est de Thadée qu’il s’agit, de ce charmant Thadée !… Oh ! je vous préviens qu’il est mon favori ! Et, pour que les deux jeunes gens se voient plus à l’aise, Wanda m’engage à aller nous installer à Naleczow sous le prétexte d’une cure hydrothérapique. Le château n’étant qu’à une demi-heure du Kursaal, nous voisinerons.

— Et… que dit Marylka de ce projet ?

— Marylka ! par exemple… Vous croyez que je lui ai demandé son avis !… Quelle naïveté ! Mais elle sera enchantée !… »