Martin l’enfant trouvé ou les mémoires d’un valet de chambre/VII/4

Chapitre V  ►
IV


CHAPITRE IV.


la rue du marché-vieux.


Lorsque la voiture qui emmenait le capitaine, eut dépassé la porte où je me tenais, je m’élançai afin de rejoindre le fiacre et de monter derrière… Alors, il m’arriva une chose à la fois cruelle et ridicule… la palette où je comptais me tenir debout, était défendue, ainsi que cela se voit souvent, par un demi-cercle de fer hérissé de pointes aiguës… Le fiacre, lancé sur une descente, marchait si rapidement que je ne pouvais espérer de le suivre long-temps en courant, ainsi que je faisais en m’attachant des deux mains aux ressorts de derrière… Je pris une résolution désespérée, appelant à mon aide mon ancienne agilité de saltimbanque et à mon souvenir le saut des baïonnettes, souvent exécuté dans mon enfance, au risque de retomber sur les pointes aiguës du demi-cercle de fer… Je tentai de le franchir… Par un bonheur inespéré, je réussis… à-peu-près, car un cahot de la voiture, me faisant trébucher au moment où je retombais sur la palette, après avoir sauté par-dessus les pointes de fer, une d’elles me laboura profondément la jambe ; ne trouvant pas de courroie pour me soutenir, je me cramponnai, comme je le pus, à l’impériale, les genoux collés à la caisse, et comprenant parfaitement que le moindre manque d’équilibre pouvait me faire tomber à la renverse sur les piquants de fer.

Soudain le fiacre s’arrêta, Jérôme se rappelant sans doute alors le danger ou l’impossibilité qu’il y avait pour moi à monter derrière sa voiture, se dressa sur son siège, et sa loyale et bonne figure se tourna vers moi avec inquiétude.

Je lui fis de la main signe de continuer sa route ; au même instant, j’entendis la voix du capitaine Just lui crier :

— Cocher… qu’y a-t-il ?… Marchez donc, sacredieu… Quarante francs pour votre course… et ventre à terre.

— En route, — cria Jérôme.

Mais tout en activant ses chevaux de la voix, le brave homme trouva moyen de se retourner, d’attacher au dossier de son siège une des longes de rechange de ses chevaux et de me jeter l’autre bout en me disant :

— Tenez-vous à cela… il y aura moins de danger.

Le bruit des roues couvrant la voix de Jérôme, le capitaine ne l’entendit pas, sans doute, et je me maintins sans tomber, grâce à l’ingénieux secours du cocher, secours d’autant plus urgent pour moi que ma blessure me faisait cruellement souffrir, je ne pouvais m’appuyer sur ma jambe ; je sentais mon sang couler sous mes vêtements.

Lorsque je vis la voiture à peu de distance de la rue du Marché-Vieux, de crainte d’être aperçu par le capitaine Just je voulus descendre, calculant alors ma distance et mon élan, je me retournai, d’un bond je franchis de nouveau le cercle hérissé de pointes de fer, je tombai d’aplomb. La voiture continua sa route pendant quelques secondes, puis détourna à l’angle de la rue du Marché-Vieux. Je pris mon mouchoir, je le nouai très-serré autour de ma jambe, ce qui me causa, momentanément du moins, un très-grand soulagement.

J’allais entrer dans la petite rue, lorsque, arrêté à quelques pas de son tournant, je remarquai un fiacre dont les chevaux ruisselaient d’écume.

— Cocher, — dis-je à cet homme, — n’avez-vous pas amené ici un monsieur… grand et brun, que vous avez pris rue de l’Université ?

— Oui, mon garçon, une fameuse course, mes chevaux n’en peuvent plus… Mais dix francs de pourboire… ça en valait la peine. Je laisse souffler mes bêtes avant de m’en retourner… et…

— Y a-t-il long-temps que vous êtes là ?

— Un quart-d’heure au plus.

— N’avez-vous pas vu entrer dans cette rue un autre fiacre ?

— Oui… il y a cinq minutes… Il allait un train d’enfer, comme moi tout-à-l’heure… Il paraît que c’est le jour, et…

— Mais avant ? n’en avez-vous pas vu entrer un autre dans cette petite rue ?

— Ah ! oui, il y a peut-être dix minutes, une citadine bleue avec un cheval blanc… Mais il n’avait pas le mors-aux-dents celui-là… Il y avait une femme dedans.

Plus de doute, le comte Duriveau avait précédé Régina dans cette maison déserte… Heureusement le capitaine Just arrivait presque sur les pas de la princesse.

J’entrai précipitamment dans la rue du Marché-Vieux, je vis Jérôme arrêté à la porte du no 11.

— Vous êtes blessé, mille dieux ! — me dit-il en voyant ma jambe bandée.

— Et le capitaine ! — lui dis-je.

— Il a sauté de ma voiture sans attendre que je lui baisse le marche-pied.

— Il ne vous a pas dit de l’accompagner ?

— Non… mais il paraît que ça va chauffer, j’ai vu la crosse d’un pistolet sortir de la poche de sa redingote.

— Attendez là, mon bon Jérôme, — lui dis-je en m’élançant dans l’allée, — et pas un mot de moi au capitaine.

— Soyez calme, — dit Jérôme, en flattant ses chevaux de la main. — je serai muet comme Lolo et Lolotte.

Montant rapidement l’escalier, j’arrivai sur le palier du troisième étage, où demeurait la femme Lallemand ; je trouvai la porte de la première pièce ouverte, et j’entendis la voix éclatante du capitaine Just s’adressant à la fausse malade :

— Je vous dis que la princesse de Montbar est ici…

— Hélas ! mon bon Monsieur, — disait cette femme d’une voix lamentable, — je vous assure que non…

— Elle est ici… vous l’avez attirée dans un piège… misérable que vous êtes !

— Que le ciel écrase mon enfant que voilà si je sais ce que vous voulez dire, mon bon Monsieur.

— Ne faites pas de mal à ma pauvre maman, mon bon Monsieur, — s’écria l’enfant en joignant ses gémissements à ceux de sa mère.

— Où est la princesse ? — s’écria le capitaine Just d’une voix terrible, en portant sans doute la main sur cette créature, car elle reprit avec effroi :

— Grâce, Monsieur… vous me brisez le bras !

— Maman… oh ! maman, — cria l’enfant.

— Hélas ! Monsieur, vous voyez bien que nous n’avons que ces deux pauvres chambres… — dit la femme, — où voulez-vous que soit la princesse ?…

Soudain des cris éloignés arrivèrent jusqu’à moi, sourds, étouffés comme s’ils furent sortis d’une pièce contiguë à celle où était couchée la fausse malade, chambre masquée sans doute, ainsi que je l’avais soupçonné.

Cette voix était celle de Régina ; elle criait :

— Au secours !… au secours !…

J’entendis un grand bruit, comme celui d’un placard enfoncé par un choc violent,… aussitôt les cris de Régina arrivèrent jusqu’à moi, aussi éclatants qu’ils avaient été jusque-là voilés…

À ces cris succéda un moment de silence, puis le piétinement sourd qui accompagne une lutte violente. Ce bruit se rapprocha tout-à-coup, comme si cette lutte se fût poursuivie dans la pièce à la porte de laquelle j’écoutais.

Malgré mon ardente curiosité, craignant d’être surpris, j’allais m’éloigner précipitamment, lorsque j’avisai dans la pièce où je me trouvais, un petit escalier qui me parut conduire à une sorte de soupente, pratiquée au-dessus de la pièce voisine ; je m’y élançai, j’arrivai à un grenier éclairé par une lucarne, et seulement plancheyé ; en collant mon oreille sur le plancher, formant le plafond de la pièce où se tenait la fausse paralytique, j’entendis très-distinctement continuer le bruit de la lutte, et les exclamations suivantes :

— Monsieur ! — disait le comte Duriveau d’une voix sourde, haletante, — un galant homme n’en frappe pas un autre !…

— Vous, un galant homme ? — répondit le capitaine Just, qui semblait ne plus se posséder.

— Monsieur ! — disait le comte en balbutiant de rage, — Monsieur… c’est une… lutte de crocheteurs…

Le bruit dura encore une seconde à peine, puis j’entendis la voix du capitaine Just s’adresser à Régina :

— Pardon, Madame, d’avoir châtié cet homme devant vous… je n’ai pas été maître de mon indignation… Maintenant, Madame…

— Oh ! — murmura M. Duriveau, alors dégagé des mains du capitaine, — ce sera un duel à mort… entendez-vous ?… à mort !…

— Mon Dieu ! elle se trouve mal ! — s’écria le capitaine, — Madame ! revenez à vous… Madame…

Puis, sans doute aussi indigné que stupéfait de l’audace de M. Duriveau, qui ne s’éloignait pas, le capitaine s’écriait :

— Mais vous voyez bien que votre vue la tue !… misérable ! faut-il que je vous jette du haut en bas de l’escalier ?

— Occupez-vous donc de cette chère princesse, — répondit le comte Duriveau avec une rage sardonique, — délacez-là donc ?… c’est une belle occasion…

— Et rien… rien… pas de secours… Elle s’évanouit !… cette femme et sa fille se sont enfuies… — disait le capitaine, soutenant sans doute Régina entre ses bras, — mon Dieu ! que faire ?

— Cinq minutes plus tard… j’étais vengé ! — dit le comte Duriveau avec une indomptable audace. — Allons… c’est à refaire… Je serais jaloux de vous… si je ne devais pas vous tuer tantôt, beau capitaine paladin ; car c’est tantôt que je me bats, entendez-vous ?… au pistolet… Je tirerai le premier… c’est mon droit… et je vous toucherai au cœur… allez, j’ai la main sûre… le marquis de Saint-Hilaire vous dira ça ce soir… chez les morts…

— Dieu soit loué !… elle revient à elle… — s’écria Just. — Madame, ne craignez plus rien, je suis là… courage… courage… venez !

— Ah çà ! — reprit insolemment le comte Duriveau, — n’allez pas, chère princesse, vous amuser à dire que vous avez été attirée dans un guet-apens… on ne vous croirait pas… Mes précautions sont prises… Le monde croira… et dira que vous êtes venue ici volontairement… que ce n’était pas la première fois… et que le capitaine que voilà a été amené ici par sa fureur jalouse… il ne me démentira pas, je le tuerai tantôt… J’aurai ainsi le beau rôle et vous le mauvais, chère princesse. Ça sera toujours ça en attendant mieux.

— Appuyez-vous sur moi, Madame… — dit le capitaine Just à Régina, sans doute alors remise de sa faiblesse…

Un bruit de pas assez lents m’annonça que Régina quittait la chambre, appuyée sur le bras du capitaine Just.

— Au revoir, chère princesse, — dit la voix insolente du comte Duriveau.

Puis il ajouta avec un accent de haine concentrée :

— Dans trois heures je serai à votre porte avec mes témoins, Monsieur Just Clément… Attendez-moi !

Le capitaine, sans répondre à cette dernière provocation, emmena Régina.

Les pas s’éloignèrent tout-à-fait ; je n’entendis bientôt plus dans la chambre que la marche saccadée du comte Duriveau.

Alors il s’écria, donnant un libre cours à sa rage jusque-là contenue :

— Frappé à la figure… crossé à coups de pied devant cette femme orgueilleuse… Oh ! cet homme… je le tuerai… J’ai l’enfer dans l’âme… Sans lui, j’étais vengé. Par fierté, la princesse serait morte plutôt que de rien révéler, et par intimidation, peut-être, elle fût revenue ici une autre fois… Oh ! cet homme… cet homme ! et attendre encore trois heures !!

Le comte Duriveau sortit en disant :

— La Lallemand s’est sauvée… elle a bien fait… Mais je suis sûr d’elle… Tâchons de refermer à-peu-près cette porte… dont ce capitaine demi-défunt a fait sauter la serrure.

Lorsque je supposai le comte éloigné, je descendis de ma cachette, je ne voulus pas quitter cette maison sans examiner le lieu de la lutte.

Le placard défoncé ne masquait plus l’entrée de deux chambres voisines de celle de la fausse malade. Ces chambres, garnies de tapis, étaient ornées avec un certain luxe ; au désordre des meubles, je reconnus les traces d’une lutte violente.

En songeant qu’une seconde fois, du fond de mon obscurité, je venais de rendre un service signalé à Régina, j’eus un moment de joie profonde… puis à la pensée du danger auquel allait être exposé le capitaine Just, je croyais un duel inévitable, et le courage, l’adresse de M. Duriveau étaient connus, j’eus un cruel remords de ma conduite… elle me sembla lâche…

Et pourtant à qui m’adresser, en l’absence du prince ? S’il ne se fût agi que de m’exposer au péril qu’allait courir le capitaine Just, je l’aurais bravé avec joie, mais, hélas ! l’espèce même de ma condition et de mon dévoûment m’interdisait toute action éclatante chevaleresque… La crainte des suites de ce malheureux duel, où pouvait succomber le fils de mon bienfaiteur, empoisonna donc la seule joie qu’il m’était permis de goûter.

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En sortant de la maison, je ne vis plus le fiacre de Jérôme ; il avait sans doute reconduit la princesse. Ma blessure, oubliée pendant cette scène émouvante, me faisait beaucoup souffrir, j’avais hâte d’être de retour à l’hôtel de Montbar, pour accomplir mon service, complètement négligé ; je ne voulais pas encourir les reproches de la princesse, et il m’eût été difficile de lui expliquer la cause de mon absence pendant toute la matinée.

Au bout d’un quart-d’heure de marche, je rencontrai un fiacre, j’y montai ; m’étant prudemment fait descendre à l’extrémité de notre rue, j’arrivai à l’hôtel de Montbar sur le midi.

Mon premier soin fut de monter à ma chambre, afin de quitter mes vêtements tachés de sang ; je rencontrai Mlle Juliette dans l’escalier ; dès qu’elle m’aperçut, elle s’écria :

— Ah ! mon Dieu, Monsieur Martin, d’où venez-vous donc si tard… depuis que Madame est rentrée, elle vous a fait demander plus de dix fois… Il fallait me prévenir, je me serais chargée de votre service pour ce matin… En arrivant, Madame n’a trouvé de feu nulle part… avec cela elle a éprouvé en voiture une espèce de faiblesse… car en revenant elle était pâle comme une morte et tremblait comme la feuille… Je l’ai engagée à se coucher… elle n’a pas voulu, depuis lors elle n’a fait que sonner afin de savoir si vous étiez rentré…

— Je suis désolé de ce retard, Mademoiselle Juliette, — lui dis-je, — mais, tenez,… voilà mon excuse…

— Ah ! mon Dieu, du sang… à votre pantalon… et ce mouchoir à votre jambe…

— Il fait si glissant ! je courais, j’ai trébuché sur un de ces tas de débris que l’on dépose le matin au long des trottoirs et je suis tombé sur des tessons de bouteille…

— Pauvre garçon… vous souffrez ?

— Moins maintenant, mais d’abord j’ai tant souffert qu’il m’a été impossible de marcher ; ce ne sera rien, je l’espère, je monte vite chez moi pour changer et je redescends chez Madame la princesse.

Dix minutes après, j’entrais dans le salon d’attente où je me tenais habituellement, lorsque j’entendis un violent coup de sonnette.

Je courus au parloir de la princesse, j’en soulevai timidement la portière. Je vis Régina affreusement pâle, les traits bouleversés, mais le maintien ferme, contenu.

— Voilà dix fois que je vous sonne, — me dit-elle durement. — Vous devriez être ici depuis huit heures… et il est midi et demi… en vérité, c’est incroyable… vous inaugurez singulièrement votre service chez moi…

— Que Madame la princesse veuille bien m’excuser pour aujourd’hui… Mais…

— L’on n’a pas d’idée d’une pareille négligence !… J’attendais autre chose et mieux de votre zèle… et justement… lorsque j’aurais eu tant besoin de…

Puis s’interrompant, elle me dit brusquement :

— Il suffit… je sais que vous êtes là… Je vous sonnerai si j’ai besoin de vous…

Je sortis le cœur navré de la dureté de la princesse ; mais je l’excusai bientôt… Après tout, elle ignorait la cause de mon inexplicable absence.

Dix minutes s’étaient à peine écoulées, que la sonnette de la princesse retentit de nouveau.

Régina était toujours pâle, ses traits révélaient encore une cruelle anxiété douloureusement contenue ; mais, en me parlant, son accent, au lieu d’être brusque et dur, fut doux et bienveillant.

— Mademoiselle Juliette vient de m’apprendre que vous êtes grièvement blessé, — me dit-elle, — et que telle est la cause de votre manque de service… Pourquoi ne m’avez-vous pas dit cela tout de suite ?

— Madame…

— Au fait, — reprit Régina avec bonté, — je ne vous en ai pas laissé le temps… Souffrez-vous beaucoup ?

— Un peu… Madame la princesse.

— Pourriez-vous faire quelques courses en voiture… sans trop de douleur ?

— Certainement, Madame la princesse…

Et comme Régina, dont l’angoisse était visible, hésitait à continuer, je lui dis :

— Je n’ai pu apprendre à Madame la princesse que j’avais vu ce matin M. le baron de Noirlieu.

— Vous avez vu mon père ? — s’écria-t-elle, surprise. — Vous l’avez vu…

— Oui, Madame la princesse.

Et je lui racontai mon entrevue avec le baron et Melchior.

Quoique Régina cachât l’émotion qu’elle ressentait, en apprenant avec quel intérêt son père s’était d’abord informé d’elle, je vis une larme, de bonheur sans doute, briller dans ses yeux ; son visage, si contracté, se détendit pendant un instant ; puis, la pendule ayant sonné une heure, la princesse tressaillit, redevint sombre, inquiète, et dit vivement :

— Une heure… mon Dieu !… déjà…

Elle pensait au duel du capitaine Just.

Alors, d’une voix brève, elle me dit, non sans embarras, et en accentuant chacune de ses paroles rapides et saccadées :

— Le docteur Clément vous a placé chez moi… je le vénérais comme un père…

Et la malheureuse femme faisait tous ses efforts pour paraître calme et dissimuler l’altération de sa voix.

— Madame la princesse sait toute ma reconnaissance pour M. le docteur Clément, — lui dis-je.

— Et c’est parce que je le sais, — reprit-elle en accueillant mes paroles avec empressement — que je suis sûre d’avance du zèle… de la discrétion que vous mettrez dans une commission qui regarde M. le capitaine Just.

Et malgré ses efforts, Régina ne put cacher sa terrible anxiété et l’espèce de honte causée sans doute par le mensonge qu’elle se voyait obligée de me faire.

— Ce matin… — reprit-elle, — j’ai appris… par hasard… chez une personne… de mes amies… qu’en suite de je ne sais quelle querelle… M. Just Clément… devait se battre en duel.

— Lui, Madame… oh ! mon Dieu — m’écriai-je en feignant la surprise et la crainte.

— Ce duel — reprit la princesse — doit avoir lieu… m’a-t-on dit aujourd’hui… M. Just Clément est le fils… d’un homme qui m’a toujours témoigné une affection paternelle, je suis tellement inquiète, que je voudrais savoir… s’il y a quelque chose de fondé dans ce bruit de duel…

J’eus pitié de Régina, ses forces étaient à bout, elle s’appuya sur le marbre de sa cheminée.

— Rien de plus facile, Madame la princesse, — lui dis-je. — Je vais aller chez M. le capitaine Just, il occupe la maison de M. le docteur… je verrai Suzon, qui a élevé M. Just… par elle, bien certainement… je saurai quelque chose.

— C’est cela… — dit vivement la princesse, — et si par hasard… ce que je ne veux pas croire, ce malheureux duel… avait lieu… aujourd’hui… tantôt… — Et les lèvres de Régina tremblaient convulsivement… — vous ne reviendrez ici…

— Que pour annoncer à Madame la princesse, que M. Just n’est pas blessé, car, Dieu merci, souvent j’ai entendu dire à feu M. le docteur que son fils était un des meilleurs tireurs de son régiment.

— Vrai ? — s’écria Régina avec un ineffable ravissement d’espérance.

Puis elle ajouta précipitamment :

— Mais vite… l’heure se passe… prenez une voiture… partez… partez…

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