Martin l’enfant trouvé ou les mémoires d’un valet de chambre/V/4

Chapitre V  ►
IV


CHAPITRE IV.


le logis du cul-de-jatte.


Le fiacre marcha long-temps ; pendant ce trajet, le bandit, je ne sais pourquoi, ne m’adressa pas une fois la parole. Ce silence, le balancement de la voiture, la chaleur que j’y trouvais, après avoir tant souffert du froid, me jetèrent dans un engourdissement qui s’étendit presque jusques à ma pensée. Cette fatalité qui, une seconde fois, me rapprochait du cul-de-jatte, me semblait un rêve sinistre ; la voiture s’arrêta, je revins à la réalité.

Mon compagnon, après m’avoir secoué à plusieurs reprises, m’aida à descendre de voiture ; mes contusions me faisaient toujours éprouver d’atroces douleurs ; j’ignorais dans quel quartier nous nous trouvions ; guidé par le bandit, sur le bras duquel j’étais obligé de m’appuyer, je traversai d’abord une sorte de longue cour ou de passage bordé de maisons ; puis suivant les sinuosités d’une ruelle tortueuse, nous arrivâmes devant un autre bâtiment, dont mon compagnon ouvrit la porte avec un passe-partout ; nous nous trouvâmes alors dans une complète obscurité.

— Donne-moi la main… laisse-toi conduire, et suis-moi… — me dit le cul-de-jatte.

Je ne puis rendre l’impression de dégoût et d’horreur dont je fus saisi lorsque je sentis ma main dans la main de ce misérable… Une frayeur puérile, causée sans doute par l’affaiblissement de mon cerveau, me fit voir dans cette union de nos mains le gage d’une sorte de pacte entre moi et le cul-de-jatte. Il s’arrêta en haut d’un escalier assez rapide, ouvrit une porte, la referma sur nous ; à l’aide d’une allumette chimique il alluma une chandelle qui éclaira bientôt une assez vaste chambre où nous arrivâmes après avoir traversé un étroit corridor. La chambre en question était tellement encombrée d’objets de toute sorte, qu’il restait à peine la place du lit et de quelques meubles. Plus de la moitié de la fenêtre, dont les rideaux jaunâtres se croisaient scrupuleusement, était envahie dans sa hauteur par une multitude de paquets.

— Voilà un lit… dors… demain matin nous causerons, et si c’est nécessaire, nous aurons un médecin, — me dit le cul-de-jatte, — tu verras que je ne suis pas si diable que j’en ai l’air.

Tirant alors un des matelas du lit, il l’étala sur le carreau, prit pour oreiller un des nombreux paquets dont la chambre était encombrée, souffla la chandelle et se coucha.

Brisé moralement et physiquement, presque incapable de réfléchir, je ressentis un moment de bien-être inexprimable en me jetant sur ce lit, où je ne tardai pas à m’endormir, car j’avais passé la nuit précédente au milieu des champs et dans une pénible insomnie.

Lorsque je m’éveillai, il faisait jour, mais l’épaisseur des rideaux fermés laissait régner dans la chambre une demi-obscurité. J’entendis le ronflement d’un poêle dont le brasier se reflétait sur le carrelage rougeâtre ; je vis près de moi, sur une chaise, un morceau de pain et une tasse de lait. Surpris de ces prévenances de mon hôte, je regardai de côté et d’autre, j’étais seul…

Plus effrayé de cette solitude que de la présence du cul-de-jatte, je voulus m’habiller, et je cherchai mes misérables vêtements, mis presque en lambeaux lors de la rixe de la veille ; ils avaient disparu ; mais, à leur place, je vis sur le pied du lit un pantalon, un gilet, une redingote de drap, tout neufs, et une paire d’excellentes chaussures… Cet échange, quoique tout à mon avantage, me désespéra, car, dans la poche de ma veste, j’avais jusqu’alors soigneusement conservé le portefeuille enlevé à la tombe de la mère de Régina… mais bientôt, à ma grande joie, j’aperçus ce portefeuille ouvert, il est vrai, sur une table voisine de mon lit… je le saisis avec autant d’empressement que d’inquiétude… Heureusement je retrouvai tout ce qu’il contenait, je savais le nombre des lettres. Elles y étaient toutes, ainsi que la croix et le feuillet de parchemin où se voyait tracée une couronne royale entourée de signes symboliques.

Mais bientôt j’eus une crainte. Ce portefeuille enlevé par moi, et pour ainsi dire des mains du cul-de-jatte, huit années auparavant, alors que je l’avais frappé au moment où il venait de violer la tombe de la mère de Régina, ce portefeuille avait-il été reconnu par le bandit ? Soupçonnait-il comment cet objet se trouvait entre mes mains ? dans ces cas, voudrait-il se venger de moi ?

Ma position se compliquait. Je n’osais appeler, j’éprouvais une invincible répugnance à me vêtir des habits posés sur mon lit, habits volés sans doute… Pourtant que faire ? La seule pensée de rester dans cette maison m’effrayait. J’essayai de retrouver mes haillons, en vain je les cherchai parmi les objets dont la chambre était encombrée. Je vis là une réunion des objets les plus hétérogènes : des rideaux de soie, des pendules, des chaussures, des morceaux d’étoffes, des habits tout neufs, des châles de femme, des armes anciennes, des douzaines de bas de soie en paquet, des bouteilles de vin ou de liqueur soigneusement cachetées, des statuettes d’ivoire ou de bronze qui me parurent d’un précieux travail, du linge de toute espèce, et je ne sais combien de petites caisses de cigares étiquetées d’une adresse en langue espagnole, tous objets entassés au hasard. Ce rapide inventaire augmenta mes frayeurs ; ces objets devaient être le résultat de vols nombreux, dont le cul-de-jatte était complice ou receleur ; je voulais à tout prix fuir cette maison, au risque de me couvrir d’habits d’emprunt. Malheureusement la porte était solide et solidement fermée à double tour…

Bientôt j’entendis ouvrir la porte extérieure du corridor, des pas pesants s’approchèrent, l’on frappa à la porte d’une façon particulière.

Je restai muet, immobile.

On frappa de nouveau et de la même manière… puis, après quelques minutes d’intervalle, je distinguai un léger bruissement sous la plinthe de la porte, et du dehors l’on poussa dans la chambre un petit papier à l’aide d’une lame de couteau longue et acérée ; après quoi les pas s’éloignèrent, la porte du corridor se referma.

Je jetai les yeux sur le papier que l’on venait d’introduire par-dessous la porte ; il était plié en deux ; je le ramassai, je l’ouvris, j’y lus seulement ces mots écrits au crayon, avec cette orthographe :

— Demin, — 1 heure du matin, — on atand… cai prai.

Après un moment d’hésitation je remis le papier près du seuil de la porte ; il s’agissait sans doute de quelque coupable rendez-vous.

Ce nouvel incident redoublait encore mon désir de fuir cette demeure. Afin d’être prêt à tout événement, je revêtis, malgré ma répugnance, ces habits qui ne m’appartenaient pas ; j’ouvris ensuite la fenêtre en la débarrassant des objets qui l’obstruaient. Elle donnait sur une cour, et était élevée au-dessus du sol d’au moins vingt-cinq ou trente pieds. Aucune fuite n’était, quant à cette heure, praticable de ce côté.

Après quelques moments de réflexion, je m’arrêtai à une détermination violente : dès que le cul-de-jatte ouvrirait la porte, je me précipiterais sur lui, et malgré les vives douleurs que je ressentais encore, suites de la rixe de la veille, je comptais assez sur ma résolution et sur mon agilité pour sortir de cette chambre de gré ou de force.

À cet instant même des pas résonnèrent dans le corridor… je m’armai de courage… prêt à m’élancer dès que le cul-de-jatte ouvrirait la porte, mais quelle fut ma stupeur en entendant une voix, un chant, des paroles trop connues de moi !

Cette voix était celle de la Levrasse.

Il fredonnait les paroles de la Belle Bourbonnaise, air que le saltimbanque aimait de prédilection…

Tout en chantant, il frappa à la porte, absolument comme avait déjà frappé le visiteur précédent, avant de glisser sous la porte le billet dont j’ai parlé.

N’obtenant aucune réponse, la Levrasse suspendit un moment sa chanson et frappa de nouveau… puis une autre fois encore avec impatience… alors, convaincu sans doute de l’absence du cul-de-jatte, mon ancien maître s’éloigna en répétant son refrain favori.

Cette rencontre inattendue me frappa de stupeur ; mais je ne fus nullement étonné des rapports qui pouvaient exister entre la Levrasse et le cul-de-jatte, tous deux si bien faits pour s’entendre ; l’aversion que m’inspirait l’ancien bourreau de mon enfance échappé sans doute à l’incendie de sa voiture, allumé par Bamboche, m’était un nouveau motif de fuir cette demeure, craignant à chaque instant une descente de la police ; dans ce cas, malgré mes protestations, je devais, aux yeux les moins prévenus, passer pour le complice du cul-de-jatte et être jeté en prison comme voleur, quitte à prouver plus tard mon innocence… Cet avenir me paraissait bien autrement redoutable que d’être arrêté pour fait de vagabondage…

De plus en plus déterminé à user de la force pour sortir, je pris, à tout hasard, parmi les armes anciennes, une espèce de masse en fer damasquiné, moins pour en frapper le cul-de-jatte, que pour l’intimider en cas de menaces ou de résistance de sa part.

J’étais encore baissé vers l’amas d’armes que je venais de bruyamment déranger, pour y choisir la masse de fer, lorsque une main s’appuya sur mon épaule ; je tressaillis si vivement… (faisant presque face à la porte, j’étais bien certain qu’on ne l’avait pas ouverte) qu’en me retournant, la masse de fer me tomba des mains…

Je vis le cul-de-jatte debout derrière moi. Il venait d’entrer, non par la porte donnant sur le corridor, mais par un placard pratiqué dans une cloison, dont je ne soupçonnais pas l’existence ; la demeure du bandit avait deux issues. Ainsi échouait mon projet de fuite de vive force à la faveur de la porte entr’ouverte.

— À la bonne heure, — me dit le cul-de-jatte, en faisant allusion à mes habits, — te voilà mis comme un seigneur.

Après un moment de silence, je répondis :

— Vous ne voulez pas me rendre les vêtements que je portais ?

— Tu te plains peut-être de l’échange ?

— Oui… car ces vêtements sont volés sans doute, comme tous les objets qui sont dans cette chambre.

— As-tu déjeûné ? — dit le bandit en regardant sur la chaise ; — non ? allons, mange un morceau, nous causerons. Je t’ai fait du feu, je t’ai préparé ton déjeûner. Bamboche ne t’aurait pas mieux traité.

— Une dernière fois, je vous demande de me rendre mes habits et de me laisser sortir d’ici… de bon gré…

Au lieu de me répondre, le cul-de-jatte se baissa, ramassa le billet, le lut, le déchira et me dit :

— Je savais ça. J’ai rencontré le camarade qui revenait d’ici… Tu as lu ce billet ?

— Je vous dis que je veux mes habits, et que je veux sortir d’ici…

— Calme-toi… et écoute-moi… Si tu veux être bon garçon, voilà ce que je te propose… Je t’installerai dans deux petites chambres gentiment meublées. Tu n’es déjà pas mal vêtu. Je te nipperai complètement. Un traiteur t’apportera tous les jours à manger ; je ne veux pas que tu aies d’argent en poche dans les premiers temps… Plus tard, si tu vas bien… tu en auras… je t’en réponds…

— Et en échange de ces bienfaits, — dis-je au cul-de-jatte avec un sourire amer, — qu’attendez-vous de moi ?…

— Trois ou quatre heures de ton temps chaque jour, pas davantage ; le reste de la journée… tu flâneras… tu feras ce que tu voudras…

— Et ce temps ? à quoi l’emploierai-je ?

— Je t’ai dis que j’avais besoin d’un commis ; tu seras mon commis.

— Votre commis ?

— Écoute : jouons cartes sur table… depuis une huitaine, je vais sur le port et ailleurs… afin de trouver quelqu’un qui me convienne, je n’ai pas de chance… toutes figures, qui, rien qu’à la mine, mettraient en arrêt les limiers de police… et puis des manières !! Toi, au contraire, tu arrives de province, tu n’es pas connu, tu as l’air honnête, au besoin tu es crâne… et tu tapes dur… tu me vas donc comme un gant, pourquoi faire ? voilà : Je suis, comme tu vois, encombré de marchandises, j’ai des raisons… pour ne pas les vendre moi-même… c’est pas par fierté, parole d’honneur ! je voudrais donc vendre ceci, mettre cela au Mont-de-Piété, troquer autre chose, etc., etc. ; mais, pour commencer ainsi, sans trop éveiller les soupçons, il faut avoir un domicile, être bien vu dans son quartier, vivre un peu de ses rentes, voilà pourquoi je te logerai bien, je te nipperai bien, je te nourrirai bien… plus tard tu auras ta commission… sur la vente… Ce que tu vois ici n’est rien… j’ai d’autres magasins… et…

— Ah ?… vous voulez vous servir de moi pour vendre le fruit de vos vols ?

— Mes marchandises, jeune homme, mes marchandises… tu t’en occuperas d’abord.

— J’aurai donc encore d’autres fonctions ?

— Plus tard, tu iras dans certaines bonnes maisons que je t’indiquerai, présenter des échantillons de cigares de contrebande… et, sous ce prétexte…

— Sous ce prétexte ?

— Ah ! ah ! voilà que ça mord ; tu faisais le dégoûté, pourtant… Eh bien ! sous ce prétexte, tu me rendras de petits services ; je te dirai lesquels.

— Voilà tout ce que vous exigerez de moi ?

— Pour le quart-d’heure, oui. Quant aux garanties des offres et des promesses que je te fais, la confiance dont je t’honore te prouve que c’est sérieux.

— Écoutez-moi bien à votre tour. Je vous connais ; vous êtes un misérable… vous avez autrefois perdu Bamboche, et parmi bien des crimes encore impunis, sans doute, vous en avez commis un affreux… vous avez violé une tombe !…

— Ce portefeuille… c’est donc cela ? J’avais comme une idée de la chose, — s’écria le bandit avec un sourire farouche et contraint. — Ah ! tu connais celui qui m’a fait manquer ce beau coup ?

— Celui-là, c’est moi.

— Toi !

— Oui, moi. J’étais enfant alors. Je vous dis cela pour que vous sachiez bien que je ne vous crains pas, car si, étant enfant, je vous ai à-peu-près cassé la tête avec une pelle, étant homme je vous la casserai probablement tout-à-fait avec cette masse de fer. Comprenez-vous ?

— Ah ! c’était toi, — murmura le bandit ; — nous parlerons de cela plus tard.

— Quand vous voudrez. En attendant, vous ne me retiendrez pas de force ici. Quant à vos offres… Je mourrai de misère plutôt que de les accepter.

— Tu sens bien, mon pauvre garçon, que je ne t’ai pas amené dans mon magasin sans prendre mes sûretés ; à l’heure qu’il est, tu es aussi compromis que moi : les habits que tu portes sont des habits volés, tu es venu coucher ici volontairement, tu as déjeûné ce matin avec moi, toujours volontairement ;… tout cela je peux le prouver. Ainsi me dénoncer, c’est te dénoncer. Quant à aller gagner ta vie sur le port, je t’en défie… maintenant, je t’ai signalé comme mouchard… il y a des raisons pour qu’on me croie, et, si tu reparais, on t’assomme tout-à-fait cette fois-ci… Ne compte pas appeler la garde… tu serais empoigné et emprisonné toi-même comme vagabond, et, deux heures après, on saurait… c’est moi qui te le dis, on saurait que les habits que tu as sur le dos sont des habits volés…

Et après une pause le cul-de-jatte ajouta :

— Qu’est-ce que tu dis de cela ?

— Vous êtes un infâme, — m’écriai-je.

Le bandit haussa les épaules.

— Un infâme ?… — reprit-il. — Un infâme… Voyons un peu ça ? Hier matin… tu crevais de faim, je t’ai donné du pain ; hier soir tu crevais de froid, je t’ai donné un asile… tu étais couvert de haillons… je t’ai habillé chaudement et à neuf de pied en cape. Trouve donc beaucoup d’honnêtes gens qui fassent pour toi ce que j’ai fait ?

— Mais dans quel but m’avez-vous ainsi secouru ? Pour m’amener au mal ?

— Pardieu !… — reprit le brigand, — c’est clair… ça ! Mais je voudrais bien savoir si les honnêtes gens t’en donneraient autant pour t’amener au bien ?

Quoiqu’il eût un côté paradoxal, ce parallèle m’atterra ; je ne trouvai pas d’abord un mot à répondre… Car, je l’avoue avec honte, avec remords, j’oubliai un moment que Claude Gérard, bien pauvre lui-même, m’avait recueilli pour faire de moi un honnête homme ; mais, je le répète, je fus d’abord d’autant plus frappé du paradoxe du cul-de-jatte, que le souvenir de ma démarche auprès d’un magistrat représentant pour ainsi dire la loi, la société, me vint aussitôt à la pensée… Qu’avait-il, en effet, répondu, ce magistrat, à ma demande de travail ? Quels encouragements avait-il donnés à mes résolutions d’honnête homme ? Quelle issue avait-il ouvert à ma position désespérée ?

Il me fallait bien le reconnaître, le bandit était venu à mon secours, lui ! il m’avait recueilli, il m’offrait pour faire le mal un avenir de bien-être et d’oisiveté. Sans doute, en acceptant, je risquais la prison, mais la misère et la probité ne me conduisaient-elles pas aussi forcément à la prison, ainsi que me l’avait annoncé le magistrat, me disant que faute d’asile, de ressources et de travail, je serais tôt ou tard arrêté et emprisonné comme vagabond ?

— Prison pour prison, autant attendre cette heure fatale dans le bien-être, qu’au milieu des tortures de la misère, — pensai-je en raillant mon sort avec une profonde amertume, déjà aiguisée de ressentiment. — Bamboche avait raison de me vanter la logique du cul-de-jatte… l’expérience me prouve que mon ami d’enfance voyait juste, j’étais un niais, ce bandit possède la véritable science de la vie. Il compte, il est vrai, sans le déshonneur, sans la souillure ; mais une fois jeté au milieu de prisonniers souillés et déshonorés, quelle différence fera-t-on entre eux et moi ?

Le cul-de-jatte m’observait en silence : il crut deviner que ses propositions et que sa théorie cynique commençaient d’ébranler ma résolution ; craignant sans doute de compromettre par une trop brutale insistance l’avantage qu’il supposait avoir acquis sur moi, il me dit :

— Écoute, mon garçon… après tout… on fait mal ce que l’on fait par force… je ne veux pas te mettre, moi, le couteau sur la gorge… et abuser de ta position. Te voilà bien vêtu… ce pain et ce lait te suffiront pour la journée… Sors… cherche à gagner ta vie… honnêtement… comme tu dis. Il y a tant de gens vertueux, — ajouta-t-il d’un ton sardonique, — que tu ne pourras pas manquer d’en trouver un qui te mette tout de suite le pain à la main, pour t’empêcher de tourner à mal, comme ils appellent ça… tu n’auras qu’à parler… j’en suis sûr. Mais si pourtant, par le plus grand des hasards, tu étais reçu par tous ces honnêtes gens comme un chien affamé est reçu dans une bonne cuisine… eh bien !… demain tu accepteras cette jolie petite place de commis que je le propose… Ça va-t-il ?

Je restais morne… pensif ; le bandit reprit :

— Il va sans dire que j’ai assez de confiance en toi pour ne pas te croire capable de vendre les habits que tu as sur le dos, afin d’en acheter de moins bons, et de vivre de la différence… du prix. Maintenant, pour te prouver que je fais ce que je dis, — ajouta le cul-de-jatte, — sors si tu veux… tu es libre.

Et il ouvrit toute grande la porte de la chambre.