Martin l’enfant trouvé ou les mémoires d’un valet de chambre/III/11

◄  Chapitre X
XI


CHAPITRE XI.


le dévoûment.


Basquine, au nom de Bamboche qu’elle m’entendait prononcer pour la première fois, me regarda avec surprise et me dit :

— Qui ça… Bamboche ?

— Un de nos camarades, un enfant comme nous…

— Et où est-il ?

— Dans un petit cabinet en haut ;… il est bien malade aussi… Mais tu le connais.

— Moi ?

— Oui… il y a quelques mois… te souviens-tu que la Levrasse avait déjà été chez ton père ?… il voulait t’emmener…

— Ah ! oui… je me souviens… et quand il a été parti… papa s’est dérangé de son travail plusieurs fois dans le jour pour venir m’embrasser… Il pleurait ; et pourtant il était bien content. — Oh ! on ne me prend pas comme ça ma petite Jeannette… à moi… — disait-il en me mangeant de caresses.

— Et le lendemain matin ?

— Le lendemain ?

— Tu ne te rappelles pas qu’il est venu un petit garçon pour chercher un portefeuille que l’homme devait avoir perdu… chez ton père ?

— Ah ! oui… et il a demandé la permission de le chercher dans tous les coins… nous l’avons aidé… je l’ai cherché long-temps avec lui… il me regardait toujours… toujours… et comme j’étais baissée avec lui, il m’a embrassé le cou, sans que papa le vît… et ça m’a fait bien rire…

— Eh bien ! ce petit garçon… c’est notre compagnon… c’est Bamboche… il ne t’a pas non plus oubliée, lui… si tu savais comme il t’aime bien !…

— Il m’aime bien ?… Pourquoi donc ?

— Dam !… — repris-je, assez embarrassé, — parce que tu es bien gentille… bien douce… bien bonne ; depuis qu’il t’a vue… il parle toujours de toi… enfin, tu serais sa sœur qu’il ne te chérirait pas plus…

— Je l’aime bien aussi… alors…

— Oh ! et tu fais bien… il a été si malheureux !

— Lui ?

— Je crois bien !… Étant tout petit, figure-toi qu’il a vu mourir son pauvre père dans une forêt ;… les corbeaux voulaient manger le corps… et lui les chassait tant qu’il pouvait.

— Ô mon Dieu !… mon Dieu !… — dit Basquine, dont les yeux se voilaient de larmes.

— Et ce n’est pas tout. Resté tout seul, sans personne, et bien plus petit que nous, il a été obligé de demander l’aumône sur les grandes routes.

— Pauvre petit !… sans père ni mère !

— Mon Dieu ! non ; alors il a rencontré un mendiant, très-méchant, qui l’a fait mendier avec lui, et qui le battait presque tous les jours…

— Être sans père ni mère !… demander l’aumône sur les routes !… être battu !… — répétait lentement Basquine avec une émotion et une surprise croissantes, qui disaient assez que, malgré la misère où elle avait jusqu’alors vécu, elle pouvait à peine concevoir un sort aussi cruel que celui de Bamboche.

— Et puis plus tard… la Levrasse l’a rencontré mendiant sur les routes, et il l’a emmené… il a été aussi très-méchant pour lui, si méchant, que ce pauvre Bamboche voulait se sauver… il le pouvait…

— Et pourquoi ne s’est-il pas sauvé ?

— À cause de toi.

— À cause de moi ?

— Oui… Depuis qu’il t’avait vue en allant chercher le portefeuille… il parlait toujours de toi, et comme la Levrasse avait dit devant lui que, tôt ou tard, ton papa le laisserait venir avec nous, Bamboche a dit : « Ça m’est égal d’être battu… on me fera tout le mal qu’on voudra, mais je resterai… parce que peut-être Basquine viendra… et alors je ne la quitterai plus. »

À cette heure que l’expérience et la réflexion m’aident à interpréter et à compléter ces souvenirs si présents à ma mémoire, je m’explique l’étonnement et l’émotion de Basquine en m’entendant lui donner ces preuves de l’affection qu’elle avait inspirée à Bamboche ; dans l’ignorance de son âge, dans la candeur de son cœur, la pauvre enfant éprouvait pour notre compagnon une grande commisération sans doute, et se sentait disposée à l’aimer comme un frère, parce que, selon mes paroles, il l’aimait, lui, comme une sœur ; parce qu’il avait été jusqu’alors très-malheureux, et qu’il avait même bravé les plus mauvais traitements pour attendre le jour où elle devait faire partie de notre troupe… Mais de ce dernier trait d’affection un peu romanesque pour cet âge, Basquine semblait plus étonnée que touchée ; la seule chose qui frappât cette naïve et innocente créature, fut le malheur auquel Bamboche était voue depuis son enfance, car, après m’avoir écouté dans un silence rêveur, elle me dit :

— Tu ne sais pas ? quand papa viendra me chercher, il faudra qu’il emmène aussi Bamboche, puisque ici on est tant méchant pour lui… Chez nous, vois-tu ? quelquefois nous avons bien faim, bien froid, mais nous ne demandons pas l’aumône ; papa et maman ne nous battent jamais, parce que nous ne faisons jamais mal… Nous ne sommes pas menteurs, nous sommes sages, nous apprenons ce que maman nous montre… sans cela elle aurait beaucoup de chagrin ; et nous prions la bonne sainte Vierge pour nous et pour ceux qui sont encore plus malheureux que nous… Aussi, vois-tu, — reprit-elle après un moment de réflexion et avec une grâce charmante, — comme ça j’aurai prié la bonne Vierge pour Bamboche sans le savoir, et elle l’aura protégé, puisque papa l’emmènera avec nous… pour qu’il ne soit plus battu ici…

Quoique cette protection de la sainte Vierge me parût, cette fois encore, des moins efficaces, je n’osai pas troubler l’espérance de Basquine, et je lui répondis :

— C’est cela, ton père emmènera Bamboche.

— Et toi aussi, — ajouta-t-elle en me regardant avec une ineffable douceur, — toi aussi, car tu es bon pour moi… tu es toujours là.

— Oh ! si Bamboche n’avait pas été malade, c’est lui qui t’aurait bien mieux soignée que moi…

— Tu crois ?

— Oh ! bien sûr.

— Et pourquoi serait-il pour moi encore meilleur que toi ?

Ce terrible pourquoi, si familier aux enfants, m’embarrassait beaucoup ; je tournai la difficulté en disant :

— Il t’aime encore plus que moi… parce qu’il y a plus long-temps qu’il te connaît que moi…

Cette raison ne parut qu’à demi satisfaire Basquine ; elle resta rêveuse quelques moments, et me dit ensuite avec un accent de curiosité naïve :

— Quand donc est-ce que je le verrai, Bamboche ?

— Quand il ne sera plus malade.

— Il est donc plus malade que moi ?

— Certainement… il ne m’a pas encore reconnu…

— Mais puisque je peux me lever, j’irai avec toi le soigner, — dit Basquine. — L’an passé, ma sœur Élisa a été malade… je l’ai bien veillée avec maman.

— Ça ne se peut pas, — dis-je à Basquine, — il y aurait du danger pour toi…

— Mais pour toi, il y en a aussi ?

— Non, moi je ne viens pas comme toi d’être malade…

Après un nouveau silence, Basquine me dit d’un air pensif :

— Mon Dieu ! que je voudrais que papa vînt bien-tôt, pour qu’il nous emmenât d’ici, toi, Bamboche et moi.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Plusieurs jours après cet entretien, et ce ne fut pas le seul de ce genre, dans lequel je lui parlai de mon compagnon dans les termes les plus favorables, Basquine me parut éprouver peu-à-peu une affection croissante pour Bamboche ; celui-ci, pour la première fois depuis l’invasion de sa maladie, éprouva un mieux sensible ; la connaissance lui revint, il me reconnut… et après avoir paru rassembler ses souvenirs, son premier mot fut :

— Où est-elle ?

— Elle est ici… et, comme toi… elle a été très-malade.

— Elle aussi… — s’écria-t-il avec une angoisse profonde, — et maintenant ?… — ajouta-t-il en se tournant vers moi tout tremblant.

— Maintenant… elle est sauvée… — lui dis-je.

Bamboche ne me répondit rien ; il fondit en larmes ; je me jetai dans ses bras, il me serra sur son cœur autant que le lui permettaient ses forces épuisées ; nous restâmes ainsi quelques minutes, muets, attendris, pleurant tous deux.

Bamboche, rompant le premier le silence, me dit avec une expression de reconnaissance impossible à rendre :

— Je n’avais presque pas de connaissance… mais pourtant… je te voyais quelquefois comme dans un rêve… aller et venir ; nuit et jour tu étais là… j’en suis sûr… ça me faisait du bien… ça me rassurait… car je ne sais pas pourquoi je me figurais que la mère Major voulait m’empoisonner…

Puis s’interrompant soudain :

— Et Basquine ?… qui est-ce qui en a donc pris soin ?

— Moi…

— Toi !… mais tu étais toujours auprès de moi ?

— Pas toujours… quand tu étais plus tranquille, et c’était la nuit surtout… j’allais veiller Basquine.

— Elle… aussi — s’écria Bamboche avec un nouvel élan de reconnaissance ; puis, après un moment de silence, il ajouta d’une voix grave, sincère, presque solennelle :

— Vois-tu, Martin, tu as le droit de me dire de me mettre au feu pour toi… j’irai…

Puis il répéta, avec une nouvelle expression de profonde gratitude :

— Elle… aussi…

Mais soudain sa pâle figure pâlit encore, son regard s’assombrit, devint farouche, et je remarquai le tressaillement nerveux de l’angle de sa mâchoire, symptôme certain chez lui d’une émotion vindicative ; il retira brusquement sa main que je tenais dans les miennes… puis, tâchant de lire jusqu’au plus profond de mon cœur, en attachant sur moi ses grands yeux gris encore étincelants du feu de la fièvre, il me dit d’une voix sourde :

— Tu es donc resté bien des nuits auprès d’elle ?

— Oui… — lui répondis-je naïvement, quoique très-surpris de ce brusque changement dans sa physionomie. — Oui, je suis resté près d’elle toutes les nuits et tous les moments que je ne passais pas auprès de toi…

— Et tu restais seul avec elle ? — me dit-il d’une voix de plus en plus concentrée.

— Tout seul ; la mère Major était toujours avec Poireau ; l’homme-poisson venait quelquefois aussi veiller Basquine, mais pas souvent, car il était si fatigué de faire la cuisine et le ménage qu’il se couchait tout de suite.

— Tu restais tout seul avec elle ?… — répéta Bamboche, — et ses yeux brillaient d’un feu sombre.

— Eh ! oui,… je restais seul avec elle ; mais… qu’est-ce que tu as donc ?… Comme tu me regardes !

Bamboche fit un brusque mouvement pour se précipiter sur moi, mais ses forces le trahirent, et il tomba presque hors de son lit en murmurant :

— Brigand !… tu l’aimes… oui — ajouta-t-il en se cramponnant péniblement à son chevet, car, frappé de stupeur, je ne songeais pas à lui venir en aide ; — oui… tu l’aimes… tu t’es fait aimer d’elle… tu lui as dit du mal de moi… j’en suis sûr… je vous tuerai tous les deux…

Cette violente émotion épuisa ses forces à peine renaissantes, et il retomba sans mouvement sur son lit.

Je n’avais pas d’abord compris le sentiment de jalousie qui irritait Bamboche contre moi ; mais lorsqu’il se fut plus clairement expliqué… je fus douloureusement indigné ; puis à cette indignation succéda au contraire une sorte de satisfaction remplie de mansuétude : j’avais la conscience de pouvoir non seulement calmer les jalouses anxiétés de Bamboche, mais encore lui prouver jusqu’à quel point j’avais poussé le dévoûment pour lui.

À la violente sortie de mon compagnon avait succédé un grand abattement ; il restait immobile, étendu sur son lit ; je me penchai vers lui ; je fus navré de l’expression de sa figure ; ce n’était plus de la colère, de la haine, c’était un douloureux, un poignant désespoir. Ses joues creuses ruisselaient de larmes… Je me penchai vivement vers lui ; il ferma les yeux pour ne pas me voir, et ses pleurs continuèrent de couler abondamment.

Je fus profondément, et si cela se peut dire, tendrement ému de cette douleur, de cette sorte de faiblesse si rare chez ce garçon ordinairement d’une rudesse, d’une violence extrêmes. Quel bonheur pour moi, tout-à-l’heure, — pensai-je, — de le détromper… de lui dire… de lui prouver combien j’ai été loin de vouloir éloigner Basquine de lui !…

— Tu pleures… — dis-je à Bamboche.

— Eh bien ! oui… je pleure… c’est lâche… je le sais bien, — me répondit-il d’une voix désolée, — mais je ne peux pas m’en empêcher… On m’aurait coupé en morceaux qu’on ne m’aurait jamais arraché un cri… mais, à cette heure, je souffre au cœur comme si on me le tordait, et je pleure malgré moi.

Puis, revenant à la violence naturelle de son caractère, Bamboche ajouta entre ses dents :

— Mais je ne serai pas toujours aussi lâche !!… va… de toi et d’elle… je me vengerai… Oh, oui, je me vengerai…

— Je ne te demande qu’une chose, — lui dis-je en souriant — c’est de ne pas faire d’imprudence et de te rétablir le plutôt possible…

Bamboche crut que je le raillais ; il me répondit par un sourd gémissement de douleur et de colère.

— Oui, — repris-je, — parce que lorsque tu pourras te lever… je te conduirai chez Basquine, et tu verras si c’est moi ou toi… qu’elle aime…

Bamboche fit un brusque mouvement sur son lit, et me regarda fixement. Sans doute il lut sur mon visage la sincérité de mes paroles, car son front s’éclaircit, et il s’écria :

— Elle m’aime !…

— Oh ! oui, va… elle t’aime bien… déjà !

— Mais elle ne m’a jamais vu qu’une fois chez son père…

— Mais moi, depuis qu’elle est ici, je lui ai parlé si souvent de toi… dès qu’elle a pu m’entendre… Je lui ai dit tant de fois combien tu avais été malheureux, en lui racontant la mort de ton pauvre père, toutes tes misères avec le cul-de-jatte… et tout le mal que tu as eu ici… que…

— Tu lui as dit cela ? — s’écria Bamboche.

Et il semblait aspirer chacune de mes paroles, comme si elles lui eussent rendu l’espérance, le bonheur, la vie… Sa poitrine se dilatait, il renaissait.

— Tu as dit cela de moi ? — répétait-il.

— Et bien d’autres choses encore… Je lui ai dit que tu aurais pu te sauver d’ici, où l’on te tourmentait sans pitié, mais que tu étais resté pour l’attendre, car, depuis que tu l’avais vue chez son père, tu ne rêvais, tu ne pensais plus qu’à elle… Mais puisqu’elle t’aime,… tu n’auras pas besoin de la battre, n’est-ce pas ?

À ces mots, les traits si mobiles de Bamboche changèrent encore une fois d’expression ; ce n’était plus de la reconnaissance, ce n’était plus de la défiance, ce n’était plus un haineux désespoir qu’on y lisait, mais une confusion, une honte douloureuse de m’avoir si cruellement méconnu ; singulier mélange de tendresse suppliante et d’indignation contre lui-même. Ce garçon, si indomptable, joignit ses mains, se mit péniblement à genoux sur sa couche, tant il était faible encore, et me dit d’une voix implorante :

— Martin !… mon frère… pardon… aie pitié de moi !…

— Tiens… tais-toi… tu me fais mal, — dis-je en détournant la vue, tant la physionomie de Bamboche trahissait de véritable souffrance. — C’est bien la peine d’être heureux pour tourmenter ainsi les autres, — ajoutai-je en essuyant mes yeux.

— Martin… il faut que tu me pardonnes — répéta Bamboche avec une anxiété fiévreuse, — il le faut.

— Est-ce que j’ai besoin de te pardonner ?… — m’écriai-je en me jetant dans ses bras, — est-ce que tu n’es pas tout pardonné,… puisque te voilà heureux et que tu m’appelles ton frère ?

— Oh ! oui, mon frère… mon seul et vrai frère,… pour toujours, — murmura Bamboche d’une voix empreinte d’un bonheur ineffable.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Depuis ce jour, Bamboche et moi nous avons bien vieilli ; nous nous sommes rencontrés dans des positions diverses, contraires, terribles… jamais nous n’avons pu retenir nos larmes en nous rappelant cette scène de notre enfance.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Quelques jours après cet entretien, Bamboche fut complètement rétabli.

Un matin, le temps était sombre, orageux (je ne sais pourquoi cette circonstance m’avait frappé), je conduisis, pour la première fois, mon ami dans la chambre de Basquine…

Malgré la joie sincère que m’inspirait le bonheur de Bamboche, au moment où nous entrâmes dans cette misérable chambre, mon cœur se serra… se brisa…

J’eus sans doute instinctivement la conscience que, de ce jour… de ce moment… s’accomplissait fatalement la destinée de cette malheureuse enfant… et que j’étais involontairement, ingénument, l’un des instruments de cette fatalité.

Autant par discrétion que par crainte de troubler par ma tristesse soudaine et involontaire cette première entrevue… je m’éloignai après avoir dit à Basquine :

— Voilà mon bon frère, dont je t’ai tant parlé.

— Oh ! oui… — dit naïvement Basquine, — aussi je l’aime bien déjà……

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Environ une heure après, voyant revenir inopinément la mère Major et Poireau, que nous croyions absents pour toute la journée, mais que le mauvais temps ramenait, je rentrai précipitamment dans le cabinet où j’avais laissé Basquine et Bamboche ; je voulais les prévenir de l’arrivée de nos maîtres ; car il avait été convenu entre nous que lui et elle se diraient malades le plus long-temps possible, afin de reculer le moment de nos exercices.

J’entrai donc.

Basquine, assise sur son lit, jouait ingénument avec les cheveux noirs de Bamboche, qui avaient beaucoup allongé pendant sa maladie ; lui, assis aux pieds de Basquine, sur un petit tabouret, ses coudes sur ses genoux, son menton dans ses deux mains, la contemplait en silence avec une tendresse ineffable mêlé d’une timidité craintive qui me frappa.

Mon retour soudain ne parut nullement surprendre mes deux amis.

Bamboche se leva, vint à moi et me dit d’une voix émue, en me montrant Basquine :

— Frère… voilà ma petite femme pour la vie…

— Oui… et Bamboche sera mon petit mari ; nous nous en irons avec papa sitôt qu’il viendra me chercher… Bamboche l’aidera dans son travail, et toi aussi, Martin.

Bamboche me fit un signe d’intelligence, et dit à Basquine :

— Oui, notre bon frère Martin viendra avec nous… nous ne le quitterons jamais, n’est-ce pas, Basquine ?

— Oh ! jamais, — dit l’enfant avec une grâce charmante, — c’est notre frère à nous deux.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

J’ai su depuis, par Bamboche, que cette première entrevue avait été innocente et pure, comme elle devait l’être.

Et pourtant, quoique consacrés dans l’innocent langage des enfants, ces mots : Petit mari, petite femme, me causèrent une impression inexplicable, pénible ; il me semblait que cette impression eût été tout autre, si Bamboche et Basquine se fussent traités de frère et de sœur.

Il n’y avait pas dans cette réflexion la moindre jalousie de ma part, car, malgré les érotiques confidences de Bamboche, mon cœur n’avait pas encore parlé ; mais j’éprouvais une vague inquiétude pour l’avenir de Basquine ; enfin, ces mots de petit mari et de petite femme me rappelant involontairement les amours de Bamboche et de la mère Major, j’éprouvai de nouveau, et plus violent encore, ce brisement de cœur dont j’avais souffert en conduisant Bamboche à sa première entrevue avec Basquine.