Martin l’enfant trouvé ou les mémoires d’un valet de chambre/II/4

Chapitre V  ►
IV


CHAPITRE IV.


père et fils.


Le comte poussa les verrous de la porte de sa chambre à coucher, grande pièce garnie de meubles de laque noire et or, tendue de damas vert, éclairée par un candélabre à trois bougies, dont un abat-jour de soie affaiblissait l’éclat.

La physionomie de M. Duriveau était grave, sévère ; il resta quelques instants sans adresser la parole à son fils, et le regarda fixement.

Le vicomte, indolemment adossé à la cheminée, promenait entre ses lèvres son cigare non allumé, il est vrai, ses deux mains plongées dans les goussets de son pantalon, se dandinant tour à tour sur une jambe et sur l’autre ; sa charmante figure était plus pâle encore que d’habitude, et les paupières de ses grands yeux bruns s’injectaient légèrement, car, tout en mettant à mal la vertu de Mme Chalumeau, il avait prodigieusement bu de vin de Porto ; mais le vicomte n’était nullement ivre, comme on aurait pu s’y attendre ; le vin depuis long-temps ne l’enivrait plus ; il possédait parfaitement sa raison, il avait toute sa tête, il était seulement ce qu’en argot d’orgie on appelle plein ; chez lui cette plénitude se manifestait d’ordinaire en redoublant encore son dédaigneux sang-froid, son flegme impertinent. Aussi, en attendant que son père prît la parole, il alluma tranquillement son cigare à l’une des bougies du candélabre placé sur la cheminée.

M. Duriveau lui arracha son cigare des mains et le jeta au feu en disant :

— On ne fume pas chez moi, Monsieur.

— Ah bah ! — reprit Scipion en regardant son père avec ébahissement, — et depuis quand ne fume-t-on plus ici ?

— Depuis que je suis résolu de prendre ma place, Monsieur, et de vous mettre à la vôtre, — dit le comte Duriveau d’une voix dure et tranchante.

— Oh ! oh !… — repartit froidement Scipion, habitué à tourner en railleries les rares accès de sévérité de son père, — il paraît que nous allons jouer un peu de Poquelin… je suis Clitandre ou Damis… et voici que tu prends le rôle du bonhomme Orgon ou du bonhomme Géronte. Ce sera-t-il long ? feras-tu mourir ton coquin de fils sous le bâton ? Où donc est Scapin pour me dire : seigneur Damis, au diable votre père ! peste soit du fâcheux vieillard ! Quand ce maudit barbon nous fera-t-il donc ses héritiers ?

Il est impossible d’exprimer avec quel aplomb impertinent ce persiflage fut débité par Scipion.

Quoiqu’il s’attendît à ces sarcasmes dont il s’était amusé long-temps, et qu’il se fût promis d’être calme, le comte, cédant à un involontaire emportement, s’écria, en faisant un pas vers son fils d’un air menaçant :

— Insolent…

— Bon ! voici la scène du bâton ; je m’y attendais, — dit Scipion avec un redoublement d’audace ; — or çà, vite,… un bâton,… vite un bâton au seigneur Géronte : ah ! pendard ! — (c’est à son fils Damis qu’il parle) — te voilà donc encore à me railler ! Ah ! double traître !! et Crispin ?… où…

— Scipion !! — s’écria le comte d’une voix terrible en interrompant son fils et le saisissant par le bras d’une main tremblante.

Puis, après un moment de silence, il reprit avec une profonde amertume :

— C’est ma faute,… je vous ai encouragé à ces effronteries,… j’ai toléré ces familiarités insolentes… C’est le fruit de l’éducation que je vous ai donnée… Cette dernière leçon est rude,… elle sera bonne…

— Bah ! — dit Scipion, — toutes les éducations se valent. Préval a été élevé par un prêtre, sous l’aile maternelle, et il vient de commettre un faux qui mérite les galères ; d’Havrincourt sort de l’École Polytechnique et il vient d’être interdit comme prodigue… Allons donc, tu es trop modeste ! ton élève te fait honneur.

— Assez,… Monsieur, assez ! vous ne me connaissez pas encore… mais nous ferons connaissance, et mordieu ! dès aujourd’hui, dès cette heure, je vous le répète, chacun de nous reprendra sa place,… et désormais vous serez aussi soumis, aussi humble, aussi respectueux envers moi que vous avez été jusqu’ici insolent et railleur.

Scipion, qui s’étonnait peu, fut surpris ; jamais, jusqu’alors, les rares remontrances de son père n’avaient résisté à une plaisanterie, jamais jusqu’alors son père ne lui avait parlé avec cette fermeté, cette résolution, de reprendre et de maintenir son autorité.

— Ainsi, — reprit-il en regardant M. Duriveau avec une compassion profonde, et comme s’il se fût apitoyé de le voir descendre à une mercuriale si bourgeoise, — ainsi, tu parles sérieusement ?

— Très-sérieusement, Monsieur.

— C’est nouveau… mais peu délectable… Et à propos de quoi choisis-tu ce beau jour pour venir ainsi blaguer morale et autorité paternelle ?

— Vous avez l’audace de me le demander… lorsqu’il n’y a pas une heure… un horrible scandale…

— Ah çà ! voyons, — dit Scipion en haussant les épaules, — regarde-moi sans rire… Rappelle-toi donc ta bonne histoire de la marquise de Saint-Hilaire… que tu nous as contée cet hiver à souper chez Zéphirine.

Un instant le comte resta muet, atterré, sous le souvenir que lui rappelait son fils.

— Allons, n’aie pas peur, — lui dit Scipion avec une bienveillance ironique, — je ne te dis pas ça, moi, comme un reproche ;… au contraire… Ne fais donc pas le modeste, c’est niais ; ton aventure valait cent fois la mienne, car la marquise de Saint-Hilaire était ravissante ; autant qu’il m’en souvient, tu étais à la campagne chez le marquis, brave et beau garçon d’ailleurs, tu lui avais gagné au whist deux mille louis dans la soirée, et, au milieu de la nuit, il te surprend chez sa femme… C’était superbe, sans compter le bouquet… un duel matinal dans le parc avec le marquis, duel où tu lui casses la cuisse d’un coup de pistolet, dont il est allé mourir en Italie… Je t’ai toujours envié cette affaire-là… Tuer un si beau mari ! moi qui n’ai jamais tué que ce gros capitaine, parce que je lui avais coupé la figure d’un coup de fouet en conduisant mon four-in-hand[1]… le vilain homme ! il était grêlé, velu comme un ours, et n’avait pas de bas dans ses bottes… Pouah ! quel décédé… comme ça vous fait honneur !

Le comte ne trouvait pas un mot à répondre… La leçon était terrible ;… dans sa rage impuissante il porta ses deux poings crispés à son front en murmurant :

— Mon Dieu !… mon Dieu.

— Sais-tu ce que tu aurais dû me dire à propos de ce que tu appelles le scandale de ce soir ? — reprit Scipion avec une impitoyable ironie. — Car je suis juste, moi… je connais les devoirs sacrés d’un père. Tu aurais dû me dire : — N’as-tu pas honte, ô mon fils ?… une grosse, petite femme ragote, qui s’appelle Chalumeau, et qui porte une robe à brandebourgs ? — Je t’aurais répondu respectueusement. — Ô mon père, par caprice de gourmand blasé, n’avons-nous pas quelquefois été au cabaret manger du miroton, vrai ragoût de portier,… mais appétissant une fois en passant. — Cette excuse t’aurait désarmé ; tu m’aurais donné ta bénédiction et nous aurions bu un flacon de rhum à la santé de la marquise de Saint-Hilaire, la belle de tes beaux jours.

— Soit, — reprit le comte, en tâchant de se relever de ce coup accablant. — J’ai eu tort de vous parler légèrement de quelques écarts de jeunesse que j’aurais dû vous taire, mais vous ne devez pas avoir l’audace de me les reprocher et ils n’autorisent en rien votre indigne conduite de ce soir, doublement blessante pour moi, car, vous saviez pourquoi j’invitais ces gens-là à dîner.

— Toi, député ? allons donc, pour être bon député, tu prends encore beaucoup trop de choses au sérieux…

— Que vous ne respectiez, ni ma maison, ni mes projets, — reprit le comte, sans relever le persiflage de son fils, — je n’ai pas le droit de m’en étonner,… mes exemples vous autorisent… Soit encore — ajouta le comte avec une profonde amertume. — Mais ce scandale n’est pas le seul d’aujourd’hui.

— Comment ?

— Ce malheureux enfant…

— Ce malheureux enfant ?

— Découvert tantôt… dans cette tanière.

— Eh bien ?

— Mais… Monsieur, c’est horrible !

— Quoi ?

— Votre action…

— D’avoir fait un enfant à cette petite ? Allons donc ! mais à ce jeu de paternité précoce tu dois me rendre au moins dix points, car tu n’avais que seize ans, m’as-tu dit, quand tu as rendu mère, style d’Ambigu-Comique, cette petite ouvrière en dentelles, ta première fantaisie de jeunesse… qui, je crois, même est devenue folle…

À ce nouveau coup, à ce nouveau reproche, plus terrible que le premier, les traits du comte s’altérèrent profondément, il tressaillit… puis, poussé à bout par l’inexorable et fatale logique de son fils, il s’écria ;

— Mais elle ne s’est pas tuée de désespoir, elle !

— Qui ça… tuée ? — demanda Scipion.

— Bruyère…

— Elle ! — s’écria Scipion.

Et son pâle visage se colora.

— Elle ! — répéta-t-il encore.

Et son front s’inonda de sueur.

— Oui,… ce soir… on est allé pour l’arrêter… comme prévenue d’infanticide, alors, éperdue de honte,… elle s’est noyée ; noyée !… entendez-vous ? ah ! du moins, ceci abat votre audacieux sang-froid, séducteur imberbe, indigne fanfaron de vice, — s’écria le comte avec une imprudence effrayante, car c’était risquer d’exaspérer jusqu’à la férocité le détestable cynisme de cet adolescent.

Ceci arriva.

Une larme involontaire venue aux yeux de Scipion disparut vite ; son front, un instant incliné sous le poids d’une pensée terrible, se redressa insolent, hautain ; sa voix altérée se raffermit, et, d’un ton railleur, il reprit :

— Ah bah !… cette petite est morte ?

— Oui… morte… — répéta le comte en regardant attentivement son fils. — Morte !… entendez-vous ? Morte !

— Eh bien ! — répondit Scipion avec un flegme effrayant, — si tu as ton beau duel avec le marquis… j’ai une femme qui s’est jetée à l’eau pour moi… ça nous met manche à manche.

— Monstre ! — s’écria le comte hors de lui.

— Mauvais joueur ! — dit Scipion en haussant les épaules ; puis il ajouta tranquillement. — À quand la belle.

Et il prit dans la poche de son gilet un cure-dent dont il se servit.

Il y eut un moment de silence profond, effrayant, dans cette grande chambre. Le fils, triomphant de s’être montré si fort ; le père, épouvanté de ce qu’il venait d’entendre.

— Il me fait peur, — dit à demi-voix le comte, en regardant son fils ; puis il reprit d’une voix altérée : — Non… il est impossible qu’à votre âge vous soyez ainsi endurci… l’habitude de railler de tout et sur tout vous a emporté plus loin que vous ne le vouliez ;… c’est une plaisanterie… mais une plaisanterie… féroce… vous la regrettez… et…

Scipion interrompit son père, et lui dit avec un incroyable accent de supériorité :

— Ce que je regrette, moi, c’est de te voir, avec tout ton esprit, patauger comme tu fais dans ton vertueux bourbier ! Ta position envers moi est si fausse que tu déraisonnes, tant que ce que tu appelles vertueusement à cette heure mes vices, mes scandales, mes férocités, n’a pas contrarié tes projets. Tu as ri comme un fou de mes roueries, et tu les as encouragées en me citant les tiennes pour exemple ! Est-ce vrai ? oui ou non ?

Cette fois encore subissant la conséquence inexorable de l’éducation et des principes funestes qu’il avait donnés à ce malheureux enfant… le comte ne trouvait pas,… ne pouvait pas trouver un mot à répondre,… car Scipion était dans le vrai, et, comme il abusait avec une joie cruelle de son avantage, il poursuivit, en parlant de son père à la troisième personne, avec une explosion d’audacieux dédain :

— Il est délicieux !… parce qu’il s’agit de la femme d’un de ses imbéciles d’électeurs. Mon aventure n’est plus drôle, et il s’en faut de l’épaisseur des… brandebourgs de la Chalumeau que ce père dénaturé ne m’appelle aussi adultère !! Il est étourdissant !… parce que le dénoûment de ma fantaisie champêtre pour cette vertu rustique peut, selon lui, m’empêcher de me marier avec Raphaële Wilson, il vient me moraliser dans le goût de ces brutes de tantôt, qui prétendaient m’argumenter à coups de fourche !

— Et quand cela serait ! — s’écria le comte, — et quand ma susceptibilité, ma moralité, si vous voulez… s’éveillerait parce qu’il s’agit de vos intérêts.

— De mes intérêts ? à moi ?

— Et qui vous dit qu’en voulant être député, je ne songe pas autant à votre avenir qu’au mien ? Et pour Mlle Wilson, n’ai-je pas le droit de craindre que le scandale de ce matin, de ce soir, ne compromette votre mariage avec elle ?

— Vraiment ? — dit le vicomte avec un sourire sardonique et jetant sur son père un regard pénétrant. — Et si je changeais d’idée, à propos de ce mariage, moi ?

— Que dites-vous ? — s’écria le comte avec une terreur secrète.

— Oui,… s’il ne me plaisait plus d’épouser Raphaële Wilson ? — reprit lentement Scipion, en jetant de nouveau sur son père un coup-d’œil perçant.

Le comte ne répondit rien.

Un nuage passa devant ses yeux, tout son sang afflua vers son cerveau ;… mais, cette émotion terrible, il tâcha de la dissimuler à son fils.

Deux mots d’explication sont indispensables au sujet de l’amour du comte Duriveau pour Mme Wilson.

Cet homme impétueux, énergique, aimait comme aiment les gens de son âge et de son caractère, lorsque, après une vie de plaisirs faciles ou éphémères, ils ressentent, pour la première fois, malgré les années, un amour ardent, profond, et, chaque jour encore avivé, irrité, tantôt par les provocantes séductions d’un demi abandon, tantôt par de sévères refus qui pourtant n’ôtent pas tout espoir. Car, il faut le dire, Mme Wilson aimait trop sa fille, et aimait trop peu le comte, pour n’avoir pas déployé dans cette singulière intrigue les irrésistibles ressources qu’une femme charmante, coquette, spirituelle et usagée, qu’une femme surtout qui n’aime pas, peut employer afin d’atteindre un but d’où dépend la vie d’une enfant adorée.

Tous les incitants dont l’ensemble rend indomptable, presque insensé, l’amour qu’éprouve un homme entre les deux âges, lorsqu’il croit son amour partagé ; la certitude d’avoir fait oublier ses années, à force de soins, d’esprit, de prévenances, de dévoûment et de passion, la conviction, après tout vraisemblable, d’être ardemment aimé pour soi, à une époque de la vie où les hommes ne peuvent plus guère espérer de pareils succès ; enfin l’idolâtrie aveugle qu’un homme, orgueilleux surtout, ressent alors pour la femme dont l’amour semble légitimer les prétentions du plus présomptueux amour-propre, tous ces incitants, — disons-nous, — avaient exaspéré la passion du comte jusqu’aux dernières limites du possible.

Et puis, chose peut-être grossière, mais capitale… en pareille occurrence, cet homme que de nombreuses galanteries et l’abus des plaisirs avaient refroidi au moins autant que l’âge, sentait que son ardente passion pour la charmante veuve faisait de lui un nouveau Jason. Ceci semble-t-il tenir trop à la matière ? Qu’on relise le penseur immortel qui a nom Molière, dans ses écrits comme dans la réalité, c’est surtout l’ardeur sensuelle et contrariée qui rend l’amour des vieillards si opiniâtre, si acharné, si implacable. Quoi de plus sérieux, de plus emporté… nous dirions presque de plus touchant, car cet homme souffre cruellement, que la passion d’Arnolphe pour Agnès ; mais aussi quoi de plus lubrique que cette passion ?

L’amour du comte ainsi posé, l’on comprendra son angoisse effrayante, lorsqu’il venait à songer que cet amour, que la possession de cette femme charmante, si chaudement désirée et attendue, était à la merci de son fils… car le comte savait l’inébranlable volonté de Mme Wilson : le même jour devait voir le mariage du comte et de son fils.

Que l’on songe donc à l’anxiété de M. Duriveau en se rappelant non-seulement les froids dédains de Scipion pour Raphaële pendant cette journée, mais encore la sinistre découverte de l’enfant mort et le suicide de Bruyère, mais encore la scandaleuse aventure de Mme Chalumeau. L’amour de Mlle Wilson résisterait-il à de si rudes épreuves ? et si, par un soudain revirement de volonté, Scipion, ainsi qu’il semblait le faire pressentir, se refusait à ce mariage, et si la rapide émotion à peine dissimulée par Scipion, lorsqu’à table il avait pris contre son père la défense de Basquine, en termes dignes et sérieux, lui, toujours sardonique et railleur, si cette émotion était de sa part l’indice d’une passion dépravée pour cette créature si diversement jugée, passion qui détournait peut-être alors Scipion d’un mariage d’abord consenti ? Alors comment le décider ? comment le contraindre à ce mariage ?

La pensée du comte se perdait dans cet abîme, pour lui ce fut un moment terrible.

Bien tard, il est vrai, et poussé par le seul intérêt de ses passions, cet homme avait enfin conscience de sa dignité paternelle, si long-temps méconnue, outragée… cet homme avait enfin conscience des vices de son fils ; pour la première fois de sa vie, il parlait en père, et son fils, à chaque reproche, lui jetait à la face ces terribles récriminations : — Qu’est-ce que ce scandale auprès du scandale dont vous vous êtes vanté devant moi ? — Qu’est-ce que cette infamie auprès de l’infamie dont vous vous êtes glorifié devant moi ?… — Et ce n’était pas tout : à cet instant même, le comte se sentait, par son aveugle passion pour Mme Wilson, dans la dépendance absolue de son fils, celui-ci pouvant rendre impossible le mariage du comte en refusant d’épouser Raphaële.

— Que faire ? que faire ? — se disait le comte dans sa terrible angoisse. — S’il refuse d’épouser Raphaële, parler à Scipion de la sincérité, de la violence de mon amour, quels sarcasmes ! invoquer mon autorité paternelle,… quels persiflages !

Et cet homme impérieux, hautain, entier, cet homme qui ressentait alors instinctivement ce qu’il y a d’auguste, de sacré dans la paternité… en vint à regretter d’avoir parlé à son fils un langage digne et ferme ; et bien plus… certain de ne rien savoir, de ne rien obtenir de cet adolescent en employant la sévérité, il se résolut lâchement, et frémissant de honte et de rage, de revenir à son rôle de jeune père, afin de tâcher de pénétrer ainsi les secrets desseins de son fils.

Toutes ces réflexions s’étaient présentées à la fois à l’esprit du comte, en moins de temps qu’il n’en faut pour les écrire ; sachant que Scipion ne serait pas dupe d’une transition si habilement ménagée qu’elle fût ; mais ne voulant pas lui laisser deviner la cause de ce brusque changement dans son attitude et dans son langage, le comte fit quelques pas dans sa chambre d’un air pensif en se disant tout haut à lui-même, de façon à ce que Scipion l’entendît :

— Ma foi ! j’y renonce.

Puis, revenant vers son fils, et s’adressant à lui d’un ton cordial ;

— Allons,… mauvais sujet,… allume ton cigare.




  1. Attelage à quatre chevaux.