Eugène Fasquelle (p. 25-28).



La semaine suivante, toutes celles qui avaient huit ans descendirent au grand dortoir.

J’eus un lit placé près d’une fenêtre, tout près de la chambre de sœur Marie-Aimée.

Marie Renaud et Ismérie restèrent mes voisines. Souvent, quand nous étions couchées, sœur Marie-Aimée venait s’asseoir près de ma fenêtre. Elle me prenait une main qu’elle caressait, tout en regardant dehors. Une nuit, il y eut un grand feu dans le voisinage. Tout le dortoir était éclairé. Sœur Marie-Aimée ouvrit la fenêtre toute grande, puis elle me secoua, en disant :

— Réveille-toi, viens voir le feu !

Elle me prit dans ses bras. Elle me passait la main sur le visage pour me réveiller en me répétant :

— Viens voir le feu. Vois comme c’est beau !

J’avais si envie de dormir que je laissais tomber ma tête sur son épaule. Alors, elle me donna une bonne gifle, en m’appelant petite brute. Cette fois, j’étais réveillée, et je me mis à pleurer. Elle me prit de nouveau dans ses bras ; elle s’assit et me berça en me tenant serrée contre elle.

Elle avançait la tête vers la croisée. Son visage était comme transparent, et ses yeux étaient pleins de lumière.

Ismérie aurait bien voulu que sœur Marie-Aimée ne vînt jamais vers la fenêtre ; cela l’empêchait de bavarder ; elle avait toujours quelque chose à dire ; sa voix était si forte, qu’on l’entendait à l’autre bout du dortoir. Sœur Marie-Aimée disait :

— Voilà encore Ismérie qui parle.

Ismérie répondait :

— Voilà encore sœur Marie-Aimée qui gronde.

J’étais confondue de son audace. Je pensais que sœur Marie-Aimée faisait semblant de ne pas l’entendre.

Pourtant, un jour, elle lui dit :

— Je vous défends de répondre, espèce de naine.

Ismérie cria :

— Mon gnouf !

C’était un mot dont nous nous servions entre nous et qui voulait dire : « Regarde mon nez, si je t’écoute. »

Sœur Marie-Aimée s’élança vers le martinet. Je tremblai pour le petit corps d’Ismérie, mais elle se jeta à plat ventre, en gigotant, et se tordant avec des cris bizarres. Sœur Marie-Aimée la poussa du pied avec dégoût ; elle dit en lançant le martinet au loin :

— Quelle affreuse petite créature !

Dans la suite, elle évitait de la regarder et ne paraissait pas entendre ses insolences. Toutefois, elle nous défendait sévèrement de la porter sur notre dos. Cela n’empêchait pas Ismérie de grimper après moi comme un singe. Je n’avais pas le courage de la repousser, et, en me baissant un peu, je la laissais s’installer sur mon dos.

Cela se passait surtout en montant au dortoir. Elle avait une grande difficulté à enjamber les marches, elle en riait elle-même, elle disait qu’elle montait comme les poules.

Comme sœur Marie-Aimée était toujours en avant, je tâchais de me trouver dans les dernières ; il arrivait parfois qu’elle se retournait brusquement ; alors Ismérie glissait le long de moi avec une rapidité et une adresse étonnantes.

Je restais toujours un peu gênée sous le regard de sœur Marie-Aimée, et Ismérie ne manquait jamais de me dire :

— Tu vois comme tu es bête : tu t’es encore fait prendre.

Elle n’avait jamais pu grimper sur Marie Renaud, qui la repoussait toujours, en disant qu’elle usait et salissait nos robes.