Eugène Fasquelle (p. 212-213).

Il nous arriva un jour de nous arrêter près d’un immense champ de blé, dont on ne voyait pas la fin. Des milliers de papillons blancs voltigeaient au-dessus des épis. Henri Deslois ne parlait pas, et moi je regardais les épis qui se ployaient et se redressaient comme s’ils voulaient prendre leur élan pour fuir. On eût dit que les papillons leur apportaient des ailes pour les aider ; mais les épis avaient beau s’agiter, ils ne parvenaient pas à quitter la terre.

Je le dis à Henri Deslois, qui regarda longtemps le blé ; puis, comme s’il parlait pour lui-même, il dit en traînant sur les mots :

— Il en est de même pour l’homme ; parfois une douce créature vient à lui ; elle est semblable aux papillons blancs de la plaine ; il ne sait si elle monte de la terre, ou si elle descend d’en haut ; il sent qu’avec elle il pourrait vivre du vent qui passe et du miel des fleurs. Mais, pareil à la racine qui retient l’épi à la terre, un lien mystérieux l’attache à son devoir qui est fort comme la terre.

Il me sembla que sa voix avait un accent de souffrance, et que sa bouche fléchissait davantage. Mais presque aussitôt ses yeux s’arrêtèrent sur moi, et il dit d’une voix plus ferme :

— Ayons confiance en nous !