Eugène Fasquelle (p. 69-71).



J’aurais bien voulu savoir si sœur Marie-Aimée avait été avertie. Je ne la vis que dans l’après-midi, à l’heure de la promenade. Elle n’avait pas l’air triste ; on aurait plutôt dit qu’elle était contente ; jamais elle ne m’avait paru aussi jolie. Tout son visage resplendissait.

Pendant la promenade, je remarquai qu’elle marchait comme si quelque chose l’eût soulevée. Je ne me rappelais pas l’avoir jamais vue marcher comme cela. Son voile s’envolait un peu aux épaules, et sa guimpe ne cachait pas complètement son cou.

Elle ne faisait aucune attention à nous ; elle ne regardait rien, et on eût dit qu’elle voyait quelque chose. Par instants, elle souriait, comme si quelqu’un lui eût parlé intérieurement.

Le soir, après dîner, je la retrouvai assise sur un vieux banc qui touchait à un gros tilleul. M. le curé était assis près d’elle, le dos appuyé contre l’arbre.

Ils avaient l’air grave.

Je croyais qu’ils parlaient de Colette, et je m’arrêtai à quelques pas d’eux.

Sœur Marie-Aimée disait, comme si elle répondait à une question :

— Oui, à quinze ans.

Monsieur le curé dit :

— À quinze ans, on n’a pas la vocation.

Je n’entendis pas ce que répondit sœur Marie-Aimée, mais M. le curé reprit :

— À quinze ans, on a toutes les vocations : il suffit d’un geste affectueux ou indifférent, pour vous éloigner ou vous encourager dans une voie.

Il fit une pause, et dit plus bas :

— Vos parents ont été bien coupables.

Sœur Marie-Aimée répondit :

— Je ne regrette rien.

Ils restèrent longtemps sans parler ; puis sœur Marie-Aimée leva le doigt comme pour une recommandation et dit :

— En tout lieu, malgré tout, et toujours.

Monsieur le curé étendit un peu la main en riant, et il dit aussi :

— En tout lieu, malgré tout, et toujours.

La cloche du coucher sonna tout à coup, et M. le curé disparut dans les allées de tilleuls.

Pendant longtemps, je me répétai les mots que j’avais entendus ; mais jamais je ne pus les associer à l’histoire de Colette.