Manuel de la parole/15/30

J.-P. Garneau (p. 206).

LE LION DE NÉMÉE


Pour assaillir le monstre, effroi de nos pasteurs,
Il me fut ordonné de gravir les hauteurs,
Et j’obéis sans crainte à mon maître Eurysthée.
J’allai sur la montagne, où la bête indomptée
Léchait avec lenteur son mufle teint de sang.
Je l’accablai de traits ; mais le cuir de son flanc
Restait impénétrable. Or, relevant la tête,
Le lion m’aperçut ; et la puissante bête
Courba comme un grand arc l’épine de son dos,
Puis bondit jusqu’à moi. J’eus le cœur d’un héros.
D’un massif olivier couvert de son écorce,
Je frappai le lion sur le crâne avec force.
Il se dressa, pourtant. De mes muscles d’acier,
Moi, j’étreignis alors le monstre carnassier,
Dont le sang ruisselait par torrents écarlates.
Je lui serrai la gorge en écrasant ses pattes,
Et l’énorme lion ne râla qu’un moment.
Ah ! certes, je criai de joie, éperdûment,
Lorsqu’à mes pieds roula cette bête étouffée !
« Je veux faire de toi, lui dis-je, un beau trophée. »
Puis j’arrachai sa peau ; j’en couvris tout mon corps,
Pour tenir désormais ma place entre les forts ;
Et sur mes blonds cheveux, en signe de victoire,
J’étalai fièrement la gueule aux crocs d’ivoire.

Maurice Bouchor.