Manuel de la parole/15/11

J.-P. Garneau (p. 177-178).

LES PAUVRES


Combien de pauvres sont oubliés ! combien demeurent sans amours et sans assistance ! Oubli d’autant plus déplorable qu’il est souvent volontaire et par conséquent criminel.

Je m’explique : combien de malheureux réduits aux dernières rigueurs de la pauvreté et que l’on ne soulage pas, parce qu’on ne les connaît pas et qu’on ne veut pas les connaître.

Si l’on savait l’extrémité de leurs besoins, on aurait pour eux, malgré soi, sinon de la charité, au moins de l’humanité.

À la vue de leur misère, on rougirait de ses excès, on aurait honte de ses délicatesses, on se reprocherait ses folles dépenses, et l’on s’en ferait avec raison des crimes.

Mais parce qu’on ignore ce qu’ils souffrent, parce qu’on ne veut pas s’en instruire, parce qu’on craint d’en entendre parler, parce qu’on les éloigne de sa présence, on croit en être quitte en les oubliant ; et quelque extrêmes que soient leurs maux, on y devient insensible.

Combien de véritables pauvres, que l’on rebute comme s’ils ne l’étaient pas, sans qu’on se donne et qu’on veuille se donner la peine de discerner s’ils le sont en effet !

Combien de pauvres dont les gémissements sont trop faibles pour venir jusqu’à nous, et dont on ne veut pas s’approcher pour se mettre en devoir de les écouter !

Combien de pauvres abandonnés ! Combien de désolés dans les prisons ! Combien de honteux dans les familles particulières ! Parmi ceux qu’on connaît pour pauvres et dont on ne peut ignorer, ni oublier le douloureux état, combien sont négligés !

S’il n’y avait point de jugement dernier, voilà ce qu’on pourrait appeler le scandale de la Providence.

Bourdaloue.