J.-P. Garneau (p. 154-156).

SECTION III

LE MOUVEMENT

288. — Le mouvement est l’allure de la parole, lente, modérée, ou rapide. Il résulte du temps qu’on emploie à prononcer les mots, et de la durée des silences.

289.— En général, le mouvement doit être normal, ni trop lent, ni précipité.

La volubilité fatigue et l’orateur qui s’essouffle, et l’auditeur qui cherche à le suivre. Parler trop vite, c’est compromettre la clarté du discours. Le débit trop lent ennuie et impatiente. On se lasse bientôt d’un orateur dont la parole se traîne, languissante et monotone.

290. — Cependant, le mouvement doit varier suivant le sujet du discours et le personnage qu’on représente. Dans un morceau, l’allure initiale, loin d’être uniformément gardée, sera tantôt ralentie, tantôt accélérée, suivant les idées et les sentiments exprimés.

Le mouvement des sons est l’expression du mouvement des idées ; aussi le rythme de la parole change-t-il à tout instant, sous l’influence d’idées différentes. Cette variété d’allures est l’une des grâces de la diction.

C’est par l’interprétation qu’on connaît le degré de rapidité voulu par le sujet du discours, par l’idée ou le sentiment exprimés, et par l’âge, le caractère, la condition du personnage.

Ainsi, la récitation d’un morceau léger, fable, poésie badine, ou monologue, demande une vivacité qui serait déplacée dans la lecture d’une scène tragique, d’un récit historique, d’une ode, d’un discours. — Une action très vive sera racontée avec un mouvement accéléré ; le récit d’une marche longue et pénible sera plutôt fait avec lenteur. Le sentiment n’est jamais précipité ; la passion, plus ardente, veut au contraire une certaine impétuosité dans le débit. — Un vieillard ne parle pas avec la vivacité d’un jeune homme. Un homme actif, éveillé, ne traîne pas ses syllabes comme fait un paresseux ayant sommeil. Un souverain n’a pas le parler turbulent d’un page.
xxxxQuand un passage vous semble trop long, gardez-vous bien de le dire vite : il paraîtrait démesuré ; l’auditeur, averti par votre allure précipitée du désir que vous avez d’en avoir fini au plus tôt, ne s’y intéressera pas et attendra la fin pour vous rendre son attention… qu’il ne vous rendra peut-être pas. Au contraire, en disant lentement ce passage trop long, en le détaillant bien, vous exciterez l’intérêt.

291. — La rapidité du débit est encore en raison inverse de la difficulté qu’on éprouve à se faire entendre, et dépend par conséquent des dimensions et des propriétés acoustiques du local

On doit parler d’autant plus lentement que l’espace où la voix doit vibrer est plus considérable.

L’éloquence en plein air, outre la voix puissante et sonore, l’action animée, et l’articulation énergique qu’elle demande, exige encore une allure assez lente pour que l’air transmette les sons au loin sans les confondre. Celui qui parte dans un espace restreint, dans une salle, doit aussi ralentir son débit, si cette salle est grande, et si les auditeurs les plus éloignés sont hors de la portée ordinaire de sa voix.

Au point de vue de la valeur acoustique, on peut distinguer trois types de salles : 1° celles dont la sonorité excessive expose à des échos, et partant à l’enchevêtrement et à la confusion des sons ; 2° celles qui sont plutôt sourdes, éteignant les sons, étouffant la voix ; 3° celles qui résonnent bien, c’est-à-dire, où les ondes sonores directes et réfléchies produisent un son unique et renforcé.

Dans les premières, il faut parler plus lentement, moins fort, et plus distinctement.

Dans les secondes, l’orateur doit ralentir aussi son débit, et parler plus fort.

Dans les troisièmes, enfin, avec un mouvement modéré, un orateur se fait comprendre sans peine.

L’essentiel est d’être compris. Si votre voix est faible, vous devez dans tous les cas suppléer à la force du son par la lenteur de la parole et la netteté de la prononciation. Si l’idée exprimée, ou le sentiment, exige une allure plus rapide, exagérez d’autant l’énergie de l’articulation. Mais ne prenez jamais une allure trop rapide ; ne vous rendez pas à la limite extrême de perception possible, qui est de quatre syllabes par seconde.
xxxxChaque local demande donc une étude particulière. Ses propriétés acoustiques décident de ses dimensions, — hauteur, longueur, largeur, — de sa forme, de sa capacité, du choix et de la disposition des matériaux employés dans sa construction, des tentures qui s’y trouvent, de la forme anguleuse ou arrondie des voûtes, des parois et des colonnes. Ce sont là autant d’indications sur lesquelles doivent se régler le mouvement du débit et la force de la voix. Un orateur ne doit jamais prendre la parole dans une salle, sans en avoir d’avance apprécié la valeur acoustique. Si l’on ne veut rien risquer, il vaut mieux essayer la salle, avant d’y paraître devant le public ; et même alors, doit-on se rappeler qu’une salle ne résonne pas de la même manière, vide, ou pleine de monde.