, Léon Wouters
Union des Villes et Communes belges (p. 40-50).


21. CONCEPTION DE LA BIBLIOTHÈQUE.

211. Notion, définition.

Par Bibliothèque on entend une collection d’ouvrages choisis selon certains principes directeurs, mis en ordre matériellement, catalogués selon un certain système, facilement accessibles aux travailleurs et assurés de conservation dans l’état que leur ont donné les auteurs et les éditeurs. La Bibliothèque réunit une partie des livres dont l’étude en soi a été faite sous la division 11 et a pour fonction d’organiser la lecture sous une forme collective.

Le mot Bibliothèque, dans un sens restreint, s’entend aussi des lieux aménagés spécialement pour rendre la lecture aisée et agréable.

Les Bibliothèques publiques dignes de ce nom sont des collections d’ouvrages systématiquement choisis dans toutes les branches des connaissances ou dans la spécialité qui fait l’objet de l’institution, parfaitement catalogués et largement mis à la disposition des lecteurs qui peuvent y recourir comme à de vastes offices d’information et de documentation.

Les Bibliothèques comprennent en même temps tout le produit du travail intellectuel et les moyens d’accroître ces produits. Elles sont à la fois les magasins, les laboratoires et les instruments de la science. Au point de vue de l’enseignement et de la diffusion des connaissances, elles sont les alliées et les compléments de l’École et de l’Université, et doivent fonctionner comme éléments mêmes de l’organisation de l’éducation du Peuple.

La Bibliothèque publique est un organe collectif qui a pour but de socialiser la lecture et d’en faire un service public de l’ordre intellectuel et éducatif. Au lieu d’obliger chacun à se procurer individuellement des livres et à les lire chez lui, la bibliothèque réunit des collections mises à la disposition de tous et pouvant être consultées et lues dans des salles communes.

La Bibliothèque moderne s’est transformée. Elle était une force passive, une énergie latente, un simple potentiel d’énergie. Elle est devenue une force active pour la communauté, une énergie déclanchée. Elle est au premier chef, un organisme social.

La Bibliothèque publique est le véritable organisme social qui doit faire naître et développer l’intérêt du public pour les choses de l’esprit. Petites ou grandes, toutes les bibliothèques devraient aider à la diffusion de la pensée.

L’expérience prouve que ce ne sont pas les lecteurs qui manquent mais les bibliothèques qui sont inadaptées aux lecteurs.

La Bibliothèque est un « laboratoire », c’est le laboratoire ou atelier intellectuel outillé et agencé à cette fin. Carlyle a dit : « La véritable université, à notre époque, c’est une collection de livres. »

212. Histoire des Bibliothèques.

Il y eut des bibliothèques en Chaldée, en Perse, en Égypte (Osymandias) et leur origine remonte jusqu’au 3e millénaire. Les bibliothèques étaient alors logées dans les temples et avaient un caractère religieux,. Athènes (Pisistrate), Bibliothèque d’Alexandrie (700,000 volumes) et de Pergame. Au ive siècle, sous les empereurs, il y avait 29 bibliothèques à Rome. (Les immenses collections qui existaient à Rome dans le Temple de la Paix).

La chute de l’Empire romain amena la destruction des bibliothèques. Au moyen âge, les bibliothèques se reconstituent lentement dans les monastères et les écoles épiscopales. La fondation des Universités entraîna celle des Bibliothèques (la Sorbonne). À la Renaissance un grand développement se produit grâce à la protection des rois et des princes amis des lettres. La Révolution nationalisa les bibliothèques (Bibliothèque Nationale). Les temps modernes créèrent la Bibliothèque Publique, dont le type le plus accompli a été réalisé dans les États-Unis et l’Angleterre.

L’évolution de la Bibliothèque s’est faite parallèlement à celle du Livre, de l’Instruction et de la Culture intellectuelle. Mais son développement a influencé directement l’état général de la mentalité publique et de la recherche scientifique.

La constitution et la disposition intérieure des bibliothèques ont toutes une évolution influencée par le nombre croissant des livres existants et des lecteurs, obligeant à des modes de plus en plus resserrés d’emmagasinement, tout en permettant l’accès facile des livres.

Les anciens papyrus étaient disposés dans des casiers ; les manuscrits du moyen âge dans des coffres. Plus tard on dispose les volumes (grands in-folio) sur des pupitres et on les y enchaîne. Puis les livres, rendus à la liberté, sont placés dans des armoires, le long des murs. Ensuite on a formé des alcôves et des étages. Les magasins ont été séparés de la salle de lecture dont les proportions deviennent toujours plus grandes. Plus récemment on a multiplié les salles de lecture que l’on spécialise et répartit à proximité des magasins spéciaux. (Pour le développement des faits, consulter les sources renseignées in fine).

213. Développement actuel des Bibliothèques.

Le mot bibliothèque est élastique, il s’applique à un meuble contenant quelques ouvrages ou à une collection de millions de volumes telle que celle du British Museum de Londres et de la Bibliothèque Nationale de Paris.

Les bibliothèques se sont, de nos jours, considérablement multipliées, elles ont ajouté à leurs services, leurs collections de livres se sont accrues, et le public s’adresse à elles en plus grand nombre. Exemples : bibliothèque possédant 3 millions de volumes (Paris, Nationale) ; desservant une moyenne de mille lecteurs par jour (Londres, Britsh Museum) ; disposant d’un personnel de 400 personnes (Washington, Library of Congress) ; ayant des sections pour les imprimés, les revues, les journaux, les manuscrits, les estampes, les photographies, la musique, les impressions pour aveugles, (Washington, idem).

En Angleterre, il y a 500 systèmes de bibliothèques, installés dans un millier de bâtiments. Cent millions d’ouvrages par an circulent dans les mains des lecteurs. À Croydon par exemple, agglomération de 200,000 habitants, 700 lecteurs se présentent par jour aux bibliothèques.

De 700 bibliothèques anglaises, la plus petite possède 5,000 volumes et toutes ont une salle de lecture avec journaux et revues et beaucoup une salle spéciale pour enfants.

Aux États-Unis il y avait, en 1915, 8,302 bibliothèques dont environ 3,000 possédaient au moins 5,000 volumes. Les riches particuliers (Carnegie, notamment), ont fait des donations importantes, mais l’impôt spécial pour les bibliothèques y rapporte 35 millions de francs. Le corps de l’Association des bibliothécaires américains comprend 4,000 membres. Beaucoup de ces bibliothèques ont des succursales et rayonnent vers les campagnes par des bibliothèques circulantes.

En Hollande on comptait, en 1919, 56 communes avec une ou plusieurs bibliothèques comprenant salle de lecture et avec une moyenne de 5,000 volumes.

En Belgique, en 1921, des 2,639 communes, il en est environ 1,500 qui ne possèdent aucune bibliothèque publique. Parmi les 1,600 reconnues par le Ministère, petit est le nombre de celles qui sont convenablement outillées, installées et dirigées (Rapport parlementaire Heyman). De ces bibliothèques, si l’on excepte celles de l’agglomération bruxelloise et des chefs-lieux de province, 601 possédaient moins de 300 volumes et 46 plus de 3,000 volumes. Ces bibliothèques fonctionnent en général comme service de prêts et n’ont point de salle de lecture.

La plupart des institutions qui portent le nom de bibliothèque, ne sont pas des bibliothèques publiques au point de vue moderne. Elles ne répondent que bien imparfaitement aux besoins de la communauté. Elles sont mal tenues, pauvrement éclairées, avec des rayons resserrés, montant jusqu’au plafond : le public ne peut faire choix d’un livre qu’en consultant un mauvais catalogue déchiré, souvent périmé, qu’on doit feuilleter hâtivement sur un pupitre à l’entrée de la salle. Les bibliothécaires sont généralement des personnes qui n’ont reçu aucun enseignement professionnel et qui sont si surchargées de travail et si occupées par leur carrière véritable qu’elles ne sauraient montrer envers la Bibliothèque que peu d’activité et peu d’intérêt (Jessie-Carson).

214. Les espèces de Bibliothèques.

Il existe un nombre considérable de bibliothèques. Elles sont différenciées par le public à qui elles s’adressent (bibliothèques savantes et non savantes) ; par la nature des collections (bibliothèques générales et spéciales) (livres nationaux ou étrangers) ; par la sphère d’action sur laquelle s’étend leur organisation (bibliothèques communales ou municipales, régionales ou provinciales, nationale, internationale).

On peut classer les bibliothèques de la manière suivante :

1° Les grandes bibliothèques nationales : elles ont pour but de conserver toute la production nationale et de former de grandes collections générales, en vue des études et des recherches de toute nature.

2° Les bibliothèques publiques, établies dans tous les centres de population et destinées à multiplier les facilités de lecture et d’étude pour le public en général.

3° Les bibliothèques des institutions scientifiques d’étude ou d’enseignement : universités, instituts, observatoires, musées, jardins botaniques, etc.

4° Les bibliothèques des administrations publiques : ministères, parlements, municipalités, services publics de toute espèce.

5° Les bibliothèques des associations scientifiques, des corps savants et des sociétés qui poursuivent des buts d’intérêt général dans tous les domaines de l’activité.

6° Les bibliothèques des associations et des institutions internationales, dont l’objet est de réunir autant que possible les publications de tous les pays relatives à leur spécialité.

Ces dernières catégories de bibliothèques sont particulièrement intéressantes à raison de leur spécialité. Elles sont avant tout destinées à leur personnel, s’il s’agit d’institutions, à leurs membres, s’il s’agit d’associations. Toutefois elles sont généralement accessibles aux travailleurs qui en sollicitent l’usage.

Les bibliothèques peuvent aussi être disposées spécialement pour diverses catégories de lecteurs. Les grandes catégories sociales s’affirment ici : les hommes et les femmes, les enfants, les vieillards ; les malades, aveugles, prisonniers, les travailleurs de l’agriculture, des industries, des mines, de la pêche, les employés, etc.

215. La Bibliothèque publique.

La Bibliothèque publique dont la nouvelle législation belge a consacré le type, ne peut être considérée comme une œuvre de charité mais comme un véritable service public, comme une branche principale de l’enseignement post-scolaire. Elle doit, à ce titre, être au premier chef un facteur puissant du développement intellectuel et moral de la nation.

La Bibliothèque publique ou Bibliothèque municipale est entretenue au moyen de taxes ou de dons volontaires. Elle fonctionne dans le cadre de la loi. Elle n’est pas réservée à une classe spéciale comme les bibliothèques de sociétés savantes ou d’universités ; elle est destinée à la communauté, à toute personne.

La bibliothèque municipale, dit M. Cojecque, dans ses publications récentes, est faite pour tout le monde. Elle s’adresse à tous, elle est collectivement la bibliothèque personnelle de chacun, les uns y trouvant le complément de celle qu’ils possèdent, les autres la compensation de celle qu’ils n’ont pas. Distraire, instruire, informer, voilà, dit-il, le programme intégral de la bibliothèque municipale.

Les bibliothèques municipales offrent ce trait commun : œuvre de vulgarisation scientifique et littéraire en même temps que centres d’information pratique, elles ne sont pas comme les savantes, des conservatoires dont les effectifs, gardés et perpétués, s’accroissent indéfiniment ; chez elles les livres passent et ne demeurent ; il s’agit ici moins de quantité que de qualité ; la bibliothèque met à la disposition du public ce qu’il y a de meilleur et de plus récent, pour la forme, pour le fond, et pour l’un et l’autre, et en l’espèce, ces deux termes sont souvent connexes ; dans les domaines scientifiques, techniques, professionnels, sociologiques, l’ouvrage tenant compte des derniers progrès ou de la dernière législation ; en littérature, des représentants de tout le mouvement contemporain, des spécimens de tous les genres, des produits de toutes les écoles ; pour les classiques des éditions récentes, aussi attrayantes qu’étaient retardataires celles de la vieille pédagogie, dans les domaines de l’histoire, l’ouvrage qui utilise les prodigieuses ressources de la photographie et de ses dérivés industriels.

La Bibliothèque municipale est doublement encyclopédique ; elle embrasse à la fois l’ensemble des connaissances et l’ensemble de la population ; il n’y a pas une branche du savoir qui n’y trouve sa place ; il n’est personne dans la cité qui n’ait intérêt à s’en servir, ne fût-ce que pour apprendre ou connaître ceux qui la fréquentent régulièrement.

La Bibliothèque est un des organes de la vie collective, ni plus ni moins nécessaire ou superflu que les autres, le réservoir, le gazomètre, le marché ou l’école ; c’est le magasin d’approvisionnement intellectuel. C’est en dernière analyse, et par-dessus tout, l’atelier où doit se former l’esprit public, dans des conditions supérieures à celles que comportent les deux autres façonniers de l’opinion, la conférence et le journal.

Une bibliothèque n’est pas un « magasin de livres où l’on se borne à distribuer des numéros » ; c’est une œuvre d’enseignement public dont peuvent et doivent dépendre dans une large mesure l’éducation de la nation et la formation de l’esprit public.

Les principes exposés dans ce cours ont pour but d’établir la bibliothèque suivant des données rationnelles. L’ensemble des livres que la bibliothèque contient forme un organisme dont toutes les parties sont solidaires. Embrassant l’intégralité des connaissances, elle est encyclopédique ; disposant les ouvrages suivant les cadres d’un ordre rigoureux, elle est conforme à la classification des connaissances. Semblable bibliothèque est l’image de la science elle-même ; ses livres, pourvu qu’ils soient choisis parmi les meilleurs, les plus clairs et les plus récents, sont l’expression écrite même des connaissances. Dépositaires du savoir, ces ouvrages sont des maîtres qui parlent quand on les interroge et à eux tous ils constituent une véritable université littéraire, où sont représentées toutes les branches de l’enseignement par la lecture.

216. Bibliothèques pour enfants.

Il existe des bibliothèques spéciales pour enfants (de 8 à 14 ans). Il existe aussi des sections enfantines dans les bibliothèques générales. — Le progrès de la lecture, dans la Nation, par l’initiation de la jeunesse. — Choix scrupuleux des meilleurs livres et en quantité suffisante. — Intervention plus active du bibliothécaire auprès des petits lecteurs. L’heure du conte dans la bibliothèque et à l’école. — Résumé, par l’enfant, des livres lus. — En Angleterre, les bibliothèques pour enfants ont donné lieu à une circulation de 100,000 volumes par an.

Organisation. — Les bibliothèques pour enfants peuvent exister spécialement à cet effet ou comme département d’une autre bibliothèque, ou comme bibliothèque dans les écoles. Salles pour enfants : partie pour la lecture sur place, partie pour le prêt à domicile. Tables pour permettre aux enfants de faire leurs devoirs. Tables pour les revues d’enfants ; tables pour les ouvrages de références.

Livres pour enfants. — Quatre catégories : a) alphabets historiés pour enfants ne sachant pas lire ; b) ouvrages similaires avec une certaine quantité de textes simples, pour enfants en dessous de neuf ans ; c) livres pour enfants de neuf à douze ans ; d) livres pour enfants au dessus de 12 ans.

Catalogue des bibliothèques pour enfants. — Se représenter que l’enfant doit pouvoir se servir de tels catalogues. Éviter que leur terminologie ne soit celle des adultes. Les rubriques du catalogue s’inspireront des titres des livres mêmes. On évitera les abréviations et signes bibliographiques. (Voir un exemple d’application de la Classification décimale à de tels catalogues dans Berwick Sayers, The Childrens library, p. 56.)

La Bibliothèque à l’École. — L’École doit aider la Bibliothèque à apprendre à lire systématiquement et avec fruit, apprendre à manier et respecter les livres. Petites bibliothèques à l’école même : envoi des enfants à la bibliothèque publique pour compléter, par des lectures, les leçons données ou à préparer. Les livres classiques des écoliers constituent le noyau de la bibliothèque personnelle qui deviendra la bibliothèque de la famille ; complément désirable de ces livres par des introductions et des tables des matières les reliant les uns aux autres et en faisant de petites encyclopédies bien étudiées. Réciproquement la Bibliothèque doit aider l’École : utilisation des loisirs et des vacances des écoliers ; fourniture à l’école de livres de lecture.

217. La Bibliothèque du particulier.

Composition. — La bibliothèque du particulier doit être conçue d’après des principes rationnels en tenant compte des ressources dont on dispose pour les acquisitions, de l’espace pour les emmagasiner, du temps nécessaire pour la mise en ordre et des soins à donner aux ouvrages.

En principe, il n’est pas désirable pour la généralité des particuliers, d’avoir des quantités de livres, mais il leur faut en posséder de bons, de beaux et, pour les questions scientifiques, de modernes. La bibliothèque privée se composera de trois sortes de livres : 1° un fonds encyclopédique, choix d’ouvrages généraux ou livres de références sur toutes les matières, permettant, sinon d’étudier, du moins d’avoir immédiatement quelques notions sur n’importe quelles questions rencontrées au cours de la vie et des études ; 2° les ouvrages relatifs à la spécialité, à la profession, aux études et aux occupations courantes. Ces livres-là doivent être aussi complets et aussi nombreux que possible : ils ne devront pas se borner strictement à la spécialité, mais comprendre aussi des ouvrages relatifs aux branches auxiliaires ; 3° les ouvrages relatifs aux questions qui intéressent occasionnellement.

La place des livres que l’on ne consulte plus ou que l’on consulte très peu est dans les bibliothèques publiques. Il y a même, pour un homme d’étude, un intérêt réel à éviter l’encombrement chez lui. Le mieux est de remettre en dépôt ou de faire don aux bibliothèques publiques et spécialement à celles des sociétés scientifiques dont il fait partie, les ouvrages inutilisés par lui, notamment les ouvrages surannés et ceux relatifs à des questions étudiées occasionnellement et dont il ne s’occupe plus. Il est certain ainsi de pouvoir retrouver ces livres le jour où il pourrait en avoir besoin, ceux-là et tous les autres sur la même question, que posséderait la bibliothèque. — La Bibliothèque Collective à laquelle coopère l’Institut de Bibliographie, est établie de manière à recevoir semblables dons et elle les sollicite.

Méthode. — Les méthodes pour l’organisation des bibliothèques en général sont applicables aux bibliothèques des particuliers, notamment en ce qui concerne le placement des ouvrages sur les rayons et le catalogue.