CHAPITRE Ier

Matières employées par le relieur.


Ire SECTION

Peaux.

Les peaux qu’emploie l’art du relieur forment cinq groupes principaux, savoir les basanes, les veaux, le maroquin et ses imitations, le cuir de Russie et le chagrin. On peut y joindre le parchemin. Les peaux de truies, de phoques et autres, sont des exceptions ou des singularités.

§ 1. — basanes.

Les basanes sont des peaux de mouton ou de brebis, tannées par le procédé ordinaire, c’est-à-dire au moyen du tan, ou écorce de chêne. On les réserve pour les reliures communes ; mais, afin de prévenir l’effet, généralement peu agréable, de leur couleur naturelle, on leur communique les nuances les plus variées à l’aide de la teinture, ou bien on y produit différents dessins par le racinage, la jaspure et la marbrure, opérations qui sont décrites plus loin. Elles reçoivent également fort bien la dorure et l’estampage.

Un fait, cité par M. Ambroise-Firmin Didot, en 1852, peut donner une idée de la quantité de basanes que consomme la reliure. « Parmi les ouvrages que publie notre librairie, dit ce savant éditeur, un seul, l’Almanach général du commerce, qui paraît chaque année, et dont la grande dimension exige une peau entière de mouton, exige la dépouille d’un troupeau de douze mille moutons pour recouvrir les douze mille exemplaires qui se vendent actuellement. »

La peau teinte en vert sur chair, qui sert pour la reliure des registres, est également fournie par la race ovine ; mais, malgré le nom que lui donnent beaucoup de personnes, ce n’est pas une basane, car, au lieu d’être tannée à l’écorce, elle a été préparée au moyen de l’alun et du sel marin, en d’autres termes, avec la substance que les chimistes appellent chlorure d’aluminium. C’est donc une peau mégie ou mégissée, et non une peau tannée proprement dite.

§ 2. — veaux.

Les veaux destinés à la reliure se préparent avec des peaux de veau minces. On les tanne à l’écorce de chêne, puis on les soumet aux mêmes traitements qui servent à donner de la souplesse aux cuirs à œuvre. Les corroyeurs, aux attributions desquels appartiennent ces traitements, s’attachent aussi, à rendre l’épaisseur des peaux aussi égale partout que possible, et ils y parviennent en les drayant avec soin, c’est-à-dire en les débarrassant de toutes les chairs inutiles, par l’opération appelée drayage.

Les peaux de veau ne s’emploient guère avec leur couleur naturelle. Le plus souvent, on les revêt de nuances artificielles par les procédés de la teinture. On en fait surtout usage pour les reliures d’amateur. et de bibliothèque et, en général, pour toute reliure ou demi-reliure sérieuse.

§ 3. — maroquins.

Les maroquins sont des peaux fines et molles, tannées au sumac et teintes. On en distingue deux sortes "

Les vrais maroquins, qui se font exclusivement avec des peaux de bouc ou de chèvre ;

Les faux maroquins, qui se préparent avec des peaux de mouton, des moutons sciés ou de très-minces peaux de veau.

Les faux maroquins se nomment aussi moutons ou veaux maroquinés.

Les vrais maroquins sont des peaux de luxe qu’on réserve aux belles reliures. Leur nom vient de celui du Maroc, et il leur a été donné parce que c’est de ce pays que l’art de les fabriquer a été introduit en Europe, du moins en France.

On sait que la découverte de cette branche du travail des cuirs est attribuée aux Orientaux, qui, à l’époque de la conquête arabe, le firent dit-on, connaître aux populations de l’Afrique du Nord.

Pendant longtemps, tout le maroquin employé en Europe, avait une origine étrangère ; on le tirait soit du Levant, c’est-à-dire de la Turquie d’Europe, de l’Asie-Mineure, de la Syrie ou de l’Égypte ; soit des pays barbaresques, c’est-à-dire des régences d’Alger, de Tripoli, de Tunis et de l’empire du Maroc. Depuis le siècle dernier, les choses ont tellement changé qu’aujourd’hui les Européens en fabriquent infiniment plus qu’ils n’en peuvent consommer, et qu’en outre, quand ils travaillent, avec les soins convenables, des peaux bien choisies, ils obtiennent des produits toujours égaux et le plus souvent très-supérieurs à ceux des Orientaux.

Les peaux qui donnent le meilleur maroquin et le plus solide, proviennent du Maroc, de l’Espagne et de l’Agérie. Cela provient de ce que les chèvres de ces pays sont plus grandes et plus fortes que celles de nos contrées du Nord, et qu’en outre l’action du climat, tout à la fois chaud et sec, sous lequel elles vivent, communique à leur peau une densité et une dureté que ne peut jamais acquérir la peau des chèvres des régions plus ou moins froides et humides. Pour la même raison, en France, les peaux des chèvres des départements montagneux du Midi valent infiniment mieux que celles des autres départements. Au reste, en général, tous les pays de plaine et du Nord ne produisent que des peaux de fort médiocre qualité.

La grosseur de ce qu’on appelle le grain du maroquin est due au plus ou moins d’épaisseur et de grossièreté des peaux. Plus donc la peau est épaisse et grossière, plus le maroquin qui en est fait a le grain gros et réciproquement. Le maroquin gros grain, dit du Levant, doit uniquement à cette cause, et non à un travail particulier ou à une préparation tenue secrète, l’aspect qui le caractérise. Comme tous les autres maroquins que l’on tire encore des pays orientaux, il n’a réellement d’autre mérite que de venir de loin. On peut même dire que la plupart des maroquins qualifiés du Levant sont tout simplement de beaux maroquins français qu’on a débaptisés pour satisfaire la fantaisie des consommateurs.

Ainsi que nous venons de le dire et que nous ne saurions trop le répéter, les produits des maroquiniers européens, surtout ceux des maroquiniers français, valent toujours ceux des Orientaux, quand ils ont été préparés avec soin ; ils leur sont même généralement supérieurs. Dans tous les cas, ils ont sur eux l’avantage de présenter presque toutes les teintes de la palette la plus riche, tandis que ceux des Asiatiques ne sortent jamais d’un très-petit nombre de couleurs, invariablement les mêmes.

En raison de son prix élevé, le maroquin ne peut être employé que pour les reliures soignées, par conséquent coûteuses. C’est en vue des reliures communes ou mi-communes qu’on a imaginé les moutons maroquinés. Ces peaux se travaillent de la même manière que celles de chèvre, et, quand elles ont été préparées par des ouvriers habiles, elles imitent assez bien ces dernières. Après les avoir teints, on les imprime quelquefois sur chair pour simuler le velours.

Les moutons dédoublés, ou sciés, ne sont autre chose que des moutons maroquinés, divisés dans leur épaisseur. Cette opération s’effectue avec des machines spéciales, dites à refendre. On obtient ainsi deux peaux d’une seule, quelquefois même trois. Chacune de ces peaux est nécessairement d’une extrême minceur, mais, comme elle coûte fort peu de chose, elle peut servir pour les reliures à bon marché.

§ 4. — cuir de russie.

Sous le nom de cuir de Russie, on désigne un cuir qui joint à une odeur particulière, assez agréable, la triple propriété d’être imperméable, de ne pas moisir dans les lieux humides et de repousser les insectes ; on lui donne ce nom parce que, jusqu’à présent, il a été presque exclusivement fabriqué en Russie. On l’appelle aussi cuir de roussi, parce qu’il est le plus souvent teint en rouge roussâtre, mais rien n’empêche de lui donner d’autres couleurs.

En raison des propriétés qui viennent d’être énumérées, on choisit souvent le cuir de Russie pour les reliures de bibliothèque et, en général ; pour les livres dont on veut assurer plus particulièrement la conservation. Dans tous les cas, c’est une matière de luxe.

Le cuir de Russie se prépare avec des peaux de cheval, de veau et de chèvre ; pour la reliure, on emploie seulement les veaux minces et les chèvres. Pour matière tannante, on fait usage d’écorce de saule, de pin ou de bouleau, ou d’un mélange de ces trois écorces. Quant à l’odeur qui le caractérise, on la lui communique en l’imprégnant, du côté de la chair, d’une huile empyreumatique provenant de la distillation de l’écorce de bouleau. Cette huile, qu’on appelle vulgairement huile de Russie, doit elle-même sa propriété aromatique à un principe particulier qui à reçu le nom de bétuline. Enfin, la couleur roussâtre se donne avec une décoction de santal rouge et de bois de Brésil dans l’eau de chaux.

Depuis plusieurs années, on imite à Paris, à Vienne et à Londres, le cuir de Russie, et les imitations sont quelquefois aussi belles et aussi durables que les produits d’origine russe, dont elles ont d’ailleurs les autres propriétés.

§ 5. — chagrin.

Comme le maroquin, le chagrin est encore une invention orientale. Ce qui le caractérise, c’est qu’il est grenu d’un côté, c’est-à-dire couvert de petits tubercules arrondis.

En Perse, en Turquie, dans l’Asie-Mineure, où on l’appelle saghir ou sagri, on prépare le chagrin avec la partie de la peau de cheval et d’âne sauvage qui recouvre la croupe de l’animal. Pour matière tannante, on se sert de tan de chêne ou d’alun. Enfin, on produit le grain d’une façon assez bizarre. Après avoir ramolli la peau, on l’étend dans un châssis, puis on répand, sur le côté de la chair, la semence dure et noire de l’Arroche sauvage (Chenopodium album des botanistes), après quoi on la piétine pour y faire bien pénétrer les graines, et l’on fait sécher. Quand la peau est devenue sèche, on la secoue pour en faire tomber les semences ; elle paraît alors criblée de petites cavités produites par la pression des semences. Plus tard, à la suite de certaines manipulations, toutes ces parties déprimées augmentent de volume et, en se soulevant, donnent naissance aux tubercules que l’on veut produire.

La fabrication du chagrin existe en Europe, notamment en France, depuis une cinquantaine d’années au moins, mais elle n’y a pris quelque importance qu’après 1830. Elle n’emploie, du moins pour la reliure, que des maroquins ou des moutons maroquinés.

Dans le principe, on n’opérait que sur des morceaux découpés à la demande des relieurs, et l’on y faisait le grain, c’est-à-dire les tubercules, au moyen d’une planche gravée que l’on appliquait sur le cuir après l’avoir chauffée à une température peu élevée, et sur laquelle on exerçait ensuite une assez forte pression. Mais ce grain n’avait ni la fermeté ni la régularité désirables ; il disparaissait même en partie entre les mains des relieurs.

Le relieur Thouvenin paraît être le premier qui ait chagriné à la main. Après avoir taillé, encollé et préparé ses peaux, il les roulait avec le liège et la paumelle, et obtenait un grain ferme, serré et à pointe diamantée, qui fut immédiatement recherché par les amateurs. Ce procédé avait cependant deux défauts fort graves : il était long et dispendieux.

Il y avait donc un nouveau progrès à réaliser. On eut alors l’idée de chagriner les peaux entières après la teinture ; mais le grain, qui ne se forme que par le renflement de l’épiderme du cuir et par un travail très-long, et qui, en outre, exige une grande adresse de la part de l’ouvrier, ne put d’abord s’obtenir que très-imparfaitement. Ce ne fut même qu’après une multitude d’essais que l’on parvint à faire du chagrin de qualité convenable, c’est-à-dire à grain égal, ferme, serré, mat au fond et brillant à la surface.

C’est par un paumelage soigné que le maroquin se chagrine, et l’on se sert, suivant le cas, de paumelles striées en dessous ou de paumelles où les stries sont remplacées par un morceau de peau de chien marin dont les rugosités déterminent la formation du grain. On emploie aussi des cylindres garnis de cannelures très-fines disposées en spirale, et entre lesquels on fait passer les peaux dans des sens différents, mais le grain produit par ces machines, n’a aucune durée, il ne se soutient même pas au travail.

§ 6. — teinture des peaux.

Anciennement, les relieurs teignaient eux-mêmes leurs peaux et, malgré leurs soins, ils ne parvenaient le plus souvent qu’à obtenir des résultats fort imparfaits. La teinture des matières animales et celle des peaux en particulier, présente, en effet, des difficultés nombreuses qu’une pratique constante et des connaissances chimiques très-variées, peuvent seules permettre de surmonter. Nous engageons les relieurs à consulter sur ce point le Manuel du Teinturier en peaux qui fait partie de notre Manuel du Chamoiseur, et nous pensons qu’ils feront sagement de se procurer uniquement par la voie du commerce les peaux teintes dont ils pourront avoir besoin ; ils éviteront ainsi des déceptions à peu près certaines et, par suite, des pertes de temps et d’argent inutiles.


À propos de la couleur des peaux, basanes, maroquins, veaux, chagrins, M. Ambroise-Firmin Didot, émettait, il y a une vingtaine d’années, une idée ingénieuse qui a été depuis bien souvent mise en pratique, non-seulement pour les livres d’amateur, mais aussi pour ceux de bibliothèque.

« Depuis quelque temps, écrivait-il, mais pour le cartonnage seulement, on a adopté des ornements se rapportant, par le dessin, au sujet traité dans le livre qu’ils recouvrent. Il est désirable que les relieurs, sortant de leurs habitudes routinières, cherchent désormais à donner à leurs reliures un caractère plus particulier. Ainsi, comme principe général, le choix des couleurs plus ou moins sombres, plus ou moins claires, devrait toujours être approprié à la nature des sujets traités dans les livres. Pourquoi ne éserverait-on pas le rouge pour la guerre et le bleu pour la marine, ainsi que le faisait l’antiquité pour les poèmes d’Homère, dont les rapsodes vêtus en pourpre chantaient l’Iliade et ceux vêtus en bleu chantaient l’Odyssée ? On pourrait aussi consacrer le violet aux œuvres des grands dignitaires de l’Église, le noir à celles des philosophes, le rose aux poésies légères, etc. Ce système offrirait, dans une vaste bibliothèque, l’avantage d’aider les recherches en frappant les yeux tout d’abord. On pourrait aussi désirer que certains ornements indiquassent sur le dos si tel ouvrage sur l’Égypte, par exemple, concerne l’époque pharaonique, arabe, française ou turque ; qu’il en fût de même pour la Grèce antique, la Grèce byzantine on la Grèce moderne, la Rome des Césars ou celle des papes. »

On vient de voir que cette idée de mettre la couleur des peaux en harmonie avec la nature des matières de l’ouvrage, avait reçu d’assez nombreuses applications ; mais, comme il arrive, même aux meilleures choses, elle a été quelquefois singulièrement comprise. Nous n’avons pas oublié l’étonnement dont frappa les gens de goût, à l’exposition universelle de Paris, en 1867, une histoire de Napoléon Ier, envoyée par un relieur anglais qui avait imaginé de la diviser en trois parties égales, rouge, blanc et bleu, croyant sans doute se faire bien venir du public français en lui montrant la réunion des couleurs nationales.

§ 7. — parchemin et vélin.

Nous n’apprendrons rien à personne en disant que le parchemin n’est pas un cuir proprement dit, puisque aucune espèce de tannage ne fait partie de sa préparation. On appelle ainsi toute peau qui a été simplement nettoyée, épilée, débarrassée des parties inutiles, enfin étendue, égalisée et desséchée.

Toutes les peaux pourraient, à la rigueur, être converties en parchemin ; mais, sauf les exceptions, les parcheminiers ne travaillent généralement que celles de mouton, d’agneau, de chèvre, de chevreau et de veau.

On sait que les produits de la parcheminerie forment trois groupes bien distincts le parchemin ordinaire, le parchemin vitré, et le vélin. Le parchemin ordinaire et le parchemin vitré se subdivisent ensuite, l’un et l’autre, en parchemin brut et parchemin raturé, lesquels diffèrent en ce que le dernier reçoit des façons complémentaires appelées raturage et polissage, qui ont pour objet d’en rendre la surface aussi unie et aussi blanche que possible.

Le parchemin ordinaire se fait soit avec des peaux de mouton, de chèvre ou de veau, soit avec des moutons dédoublés. C’est celui qu’on emploie en reliure, et on le choisit brut pour les livres de peu de valeur, et raturé pour les ouvrages plus ou moins précieux. Ce dernier, qui, en raison des opérations complémentaires qu’il a reçues, est plus cher que l’autre, est le plus souvent utilisé pour l’impression des diplomes des universités et des sociétés savantes, et la transcription de certains écrits auxquels on veut assurer une longue durée. Quelques genres de peinture, l’imagerie et la fabrication des fleurs artificielles en consomment aussi une quantité notable.

Il n’y a rien à dire du parchemin vitré, sinon que c’est à lui qu’on a recours pour la garniture des tambours, des timbales, des grosses caisses et des cribles communs et que selon sa destination, on le prépare presque toujours avec des peaux de veau, de porc, de chèvre, de mouton ou de bouc.

Quant au vélin, il ne se fait pas toujours avec des peaux de veau, comme son nom pourrait le faire croire. On emploie indistinctement les peaux de mouton, de chèvre, de veau mort-né et de veau de moyenne force, et, suivant la peau qu’on a choisie, on l’appelle vélin mouton, vélin chèvre, vélin veau, etc. C’est un parchemin ordinaire, mais de qualité supérieure, qui a été raturé des deux côtés, amené partout à une épaisseur parfaitement égale, travaillé avec le plus grand soin, et enfin enduit d’une bouillie de blanc d’argent et de colle de peau. On en fait usage pour peindre et pour écrire. Anciennement, on l’utilisait aussi pour des reliures d’amateur, dont des ornements d’or variaient agréablement l’uniformité.

IIe SECTION

Papier Parcheminé, Ivoire, Écaille, Nacre


§ 1. — le papier parcheminé.

Depuis une trentaine d’années, on fabrique des papiers qui possèdent les qualités essentielles du parchemin et du vélin, et que, pour ce motif, on appelle papiers parcheminés. On a proposé plusieurs fois de les substituer, pour des reliures communes, à la basane, au mouton maroquiné, même au veau. Cette idée n’a pas eu encore beaucoup de succès pratique, mais rien ne prouve qu’un jour il n’en soit autrement. Quoi qu’il en soit, nous croyons devoir dire quelques mots de ces produits.

On distingue deux sortes principales de papiers parcheminés, chacune renfermant d’assez nombreuses variétés, de force et de couleurs différentes ; ce sont les papiers parcheminés proprement dits et le parchemin végétal.

Les papiers parcheminés sont des papiers fabriqués à la manière ordinaire, mais avec des soins tout particuliers, des précautions spéciales, et pour la préparation de la pâte desquels on emploie des matières de choix, pour ainsi dire exceptionnelles. Ceux qui sont utilisés en France proviennent de trois ou quatre usines, dont les produits, remarquables pour leur excellente qualité, suffisent largement aux besoins de la consommation.

Le parchemin végétal, qu’on appelle aussi papier anglais, parce que c’est en Angleterre qu’il a été d’abord produit sur une grande échelle, est tout simplement du papier ordinaire non collé qui a été soumis à l’action de l’acide sulfurique ou à celle d’une solution de chlorure de zinc. On emploie le plus souvent l’acide sulfurique. On le choisit concentré et l’on y ajoute de l’eau pure dans la proportion de 125 grammes pour 1,000 grammes d’acide, après quoi l’on y trempe le papier de telle sorte qu’il soit également mouillé des deux côtés. La durée de l’immersion varie suivant l’épaisseur du papier ; elle est d’autant plus longue que celui-ci est plus épais ; dans tous les cas, elle ne doit pas être inférieure à 5 secondes ni supérieure à 20 secondes. Quand le papier a été extrait du bain, on le lave à l’eau froide, et à plusieurs reprises, afin de le débarrasser de toutes les parties d’acide qu’il a pu retenir. Il n’y a plus alors qu’à le faire sécher très-lentement, et l’on obtient ce résultat en le plaçant entre deux pièces de flanelle ou entre plusieurs feuilles de buvard, et posant sur le tout une planche chargée de poids.

Quand le parchemin végétal a été préparé avec tous les soins convenables, il a la couleur, la translucidité, la solidité du parchemin ordinaire, ou parchemin animal, et il peut le remplacer dans toutes ses applications usuelles ; il peut même en recevoir d’autres, auxquelles ce dernier serait impropre.

§ 2. — l’ivoire.

On sait que l’ivoire du commerce est la matière blanche et excessivement dure qui constitue les dents de certains animaux terrestres ou marins, tels que l’Eléphant, l’Hippopotame, le Cachalot, le Morse, le Narval, etc. Celui qu’emploie le relieur est exclusivement fourni par les deux grosses dents, ou défenses, qui, partant de la mâchoire supérieure de l’Eléphant, sortent de la bouche, l’une à droite, l’autre à gauche, sur une longueur de 50 centimètres à près de 3 mètres. En conséquence, c’est de lui seul qu’il sera question dans les paragraphes suivants.

Bien que l’ivoire ait la même composition chimique que les os, on le distingue très-facilement de ces derniers. Premièrement, il est beaucoup plus dur et son grain est infiniment plus fin. Deuxièmement, sa coupe transversale présente un tissu losangé, une multitude d’aréoles rhomboïdales, caractère que n’offrent jamais les os.

Il existe deux espèces d’Eléphants : l’Eléphant des Indes, appelé aussi Eléphant d’Asie, et l’Eléphant d’Afrique. L’Eléphant des Indes habite toute l’Asie méridionale, c’est-à-dire l’Inde proprement dite et l’Indo-Chine, plusieurs contrées de l’Asie centrale et les grandes îles de l’Archipel indien. Quant à l’Eléphant d’Afrique, on le rencontre dans toutes les régions boisées du centre et du sud du continent africain, depuis le Sénégal et l’Abyssinie jusqu’au cap de Bonne-Espérance.

Les pays producteurs d’ivoire sont donc très-nombreux ; mais l’ivoire qu’on en retire ne présente ni les mêmes teintes, ni la même finesse de grain, ni la même dureté, etc. De là les différentes sortes d’ivoire qu’on trouve dans le commerce, et dont les unes sont préférables aux autres suivant l’usage particulier qu’on veut en faire. Malheureusement, elles n’ont pas encore été assez complétement étudiées, leurs caractères n’ont pas encore été suffisamment déterminés, pour qu’il soit possible de les distinguer toujours avec certitude.

L’ivoire d’Afrique est généralement regardé comme supérieur à celui d’Asie ; mais le fait est loin d’être établi, du moins pour tous les cas. Quoiqu’il en soit, voici quelles sont les principales sortes commerciales de l’un et de l’autre :

L’ivoire de guinée : il nous arrive de la côte occidentale d’Afrique c’est celui qui passe pour le meilleur. Il est très-dur, très-pesant et d’un grain fin. D’abord d’un blond jaunâtre un peu translucide, il devient peu à peu très-opaque. En outre, il blanchit de plus en plus, à mesure qu’il vieillit, tandis que les autres sortes, dans les mêmes circonstances ; prennent une teinte jaune plus ou moins foncée.

L’ivoire du Cap : il vient de l’Afrique du Sud et porte le nom de la ville qui est censée le siège principal de l’exportation. Il est moins dur que le précédent et sa couleur varie du jaunâtre au blanc mat.

L’ivoire du Sénégal, l’ivoire d’Abyssinie : ils ont à peu près les mêmes caractères que celui du Cap.

L’ivoire des Indes : il est généralement blanc, mais d’un blanc plus ou moins pur, quelquefois même rosé. Il renferme plusieurs variétés, parmi lesquelles deux surtout sont estimées, savoir : l’ivoire de Ceylan et l’ivoire de Siam. L’ivoire dit de Bombay leur est très-inférieur. En outre, bien qu’il porte le nom d’une ville indienne, il n’a pas une origine asiatique : c’est un ivoire africain qu’on tire de la côte orientale d’Afrique, principalement par Zanzibar.

Quelle que soit la provenance de l’ivoire, qu’il soit fourni par l’Eléphant d’Afrique ou par l’Eléphant d’Asie, quand on scie une dent dans sa longueur, on la trouve souvent colorée intérieurement en plusieurs nuances. Ainsi, certaines parties sont jaunes, d’autres sont rosées, d’autres enfin ont une teinte olivâtre. Toutefois, ces dernières ne se rencontrent que dans les défenses enlevées récemment à l’animal. On ne les trouve jamais dans l’ivoire mort, c’est-à-dire dans les défenses dont les possesseurs sont morts depuis longtemps.

L’ivoire à couleur olivâtre est communément désigné sous le nom d’ivoire vert. Ainsi qu’on vient de le voir, c’est la partie interne des dents qui ont été arrachées depuis peu de temps à l’animal. Au moment où en débitant une de ces dents, on l’amène au jour, il est plus tendre et se travaille plus facilement que les autres parties de la même dent ; mais il durcit peu à peu et, en même temps, il acquiert une blancheur éclatante que l’action de l’air n’altère pas. Ces circonstances le font mettre de côté avec soin, et on le réserve pour les ouvrages de luxe.

Outre l’ivoire vert, il y a aussi un ivoire bleu. Ce dernier se retire de dents d’animaux de la famille de notre Eléphant, dont l’espèce a disparu depuis une époque immémoriale et probablement antérieure à l’apparition de l’homme. Ces dents se rencontrent dans le sein de la terre, où, par un séjour de plusieurs milliers d’années, elles se sont lentement pénétrées de sels métalliques qui leur ont communiqué la coloration qui les caractérise. Elles sont surtout abondantes en Sibérie et dans l’Amérique du Nord.


Les relieurs achètent les plaques d’ivoire dont ils ont besoin, chez des marchands qui les leur fournissent toutes prêtes à être fixées sur les livres. Il n’est donc pas nécessaire que nous leur apprenions comment on travaille cette matière. Mais ce qui pourra leur être utile à connaître, c’est qu’il est possible de débiter une dent, non pas de manière à la dérouler, comme on l’a dit improprement, mais à en extraire des feuilles d’une longueur véritablement surprenante. Ainsi, par exemple, nous nous rappelons avoir vu, à l’exposition de Paris, en 1855, une feuille de ce genre qui n’avait pas moins de 2 mètres de long sur 66 centimètres de largeur. Comme ces feuilles sont peu épaisses et très-légères, elles donnent le moyen de mettre à la portée des personnes peu aisées des reliures habituellement assez chères. Cela est infiniment préférable à l’usage, adopté par certains éditeurs, de faire relier les livres de mariage ou de première communion, à bon marché, avec des planchettes de houx ou de quelqu’autre bois analogue, recouvertes d’un vernis qui leur communique une fausse apparence de l’ivoire.


Quelques mots maintenant sur le blanchiment de l’ivoire jauni. Beaucoup de procédés ont été indiqués pour cela ; mais aucun ne produit des résultats tout à fait satisfaisants, il y en a même dans le nombre dont il faudrait se garder de se servir. En voici un cependant qui, sans être parfait, n’a du moins aucun inconvénient. Il consiste à brosser l’objet d’ivoire avec de la pierre ponce calcinée, réduite en poudre impalpable et délayée dans de l’eau, puis à le renfermer, encore humide, sous une cloche de verre que l’on expose à l’action directe du soleil, pendant plusieurs jours. Au bout d’un certain temps, l’ivoire a repris sa première blancheur et, malgré la chaleur élevée à laquelle il a été soumis pendant son exposition, il est rare qu’il s’y soit produit quelque gerçure.

D’après le chimiste Cloez, on blanchit complétement l’ivoire jauni, et d’une manière beaucoup plus prompte, en le mettant dans une caisse vitrée contenant de l’essence de citron ou de l’essence de térébenthine. Il faut avoir soin que les objets ne touchent pas l’essence, et l’on obtient ce résultat en le posant sur un ou plusieurs petits supports en zinc ; sans cette précaution, ils ne manqueraient pas d’être plus ou moins détériorés. Si l’on opère au soleil, trois ou quatre jours suffisent pour que l’ivoire devienne d’une blancheur éblouissante. Si c’est à l’ombre, la durée de l’exposition doit être un peu plus longue.

§ 3. — l’écaille.

On sait que le corps de la plupart des tortues est enfermé dans une espèce de cuirasse et que, comme les coquilles à nacre, cette cuirasse se compose de deux parties bien distinctes, l’une externe, l’autre interne. C’est la partie externe qui constitue l’écaille ; elle recouvre l’autre sous forme de plaques.

Quand une cuirasse est complète, ce qui n’a jamais lieu chez certaines espèces, elle présente deux pièces principales : la carapace, qui protège le dos, et le plastron, qui couvre la poitrine et le ventre, lesquelles sont réunies ordinairement par des pièces latérales qu’on appelle sertissures ou onglons.

La carapace comprend 18 plaques qui tantôt se joignent bord à bord, tantôt se recouvrent légèrement comme les tuiles d’un toit, mais toujours sont soudées et rigides. Le plastron n’en contient que 9 qui, à l’exception d’une seule, sont soudées entre elles ou bien articulées. Leur épaisseur, rarement inférieure à 5 millimètres, dépasse quelquefois 30 centimètres. Quant à leurs autres dimensions, elles varient suivant la taille des Tortues qui, à peine grandes parfois comme la paume de la main, atteignent, dans certaines espèces, une longueur de 1 mètre et demi et une largeur de 2 mètres ; elles varient aussi, dans la même tortue, suivant la place que les plaques occupent.

Sauf de rares exceptions, toute l’Ecaille qu’emploie l’industrie est fournie par les Tortues de mer, plus particulièrement par celles qui appartiennent au genre caret, au genre de la tortue franche et au genre caouanne.

Les Carets habitent l’Atlantique, la mer des Indes et une grande partie du Pacifique. Ce sont des tortues de grande taille dont le poids n’est quelquefois pas inférieur à 100 kilogrammes. Leur écaille est la plus belle qui existe, mais elle est relativement peu commune, parce que les individus les plus volumineux ne donnent guère plus de 2 kilogrammes à 2 kilogrammes et demi de matière qu’on puisse travailler.

Les Tortues franches se rencontrent surtout dans l’Atlantique, la mer des Indes et les mers du Sud. Ce sont également des animaux de grande taille.

Enfin, les Caouannes habitent l’Atlantique et la Méditerranée ; l’on en rencontre assez souvent sur les côtes de France et d’Angleterre. Elles sont plus petites que les précédentes ; néanmoins, il n’est pas rare d’en prendre dont la longueur dépasse 1 mètre.

Dans le commerce de l’Ecaille, on divise cette matière en huit sortes, savoir :

La grande écaille de l’Inde ; elle est fournie par le Caret. Détachée de la carapace, elle se présente en feuilles épaisses, solides, peu flexibles et translucides. Sa couleur est ordinairement noire avec des taches ou jaspures bien détachées, dont la teinte varie du jaune pâle au brun rouge. Elle renferme plusieurs vaviétés qui viennent, les unes des mers de l’Inde, de la Chine ou du Japon, les autres des îles Seychelles ;

L’écaille jaspée de l’Inde : elle est également fournie par le Caret et se tire des mêmes lieux. On la confond souvent avec la précédente, dont elle diffère cependant en ce qu’elle n’est tranlucide qu’aux endroits de couleur claire, et qu’elle est tout à fait opaque dans les parties rembrunies ;

La grande écaille d’Amérique : elle provient de la Tortue franche et nous est fournie par les Antilles et la plupart des contrées de l’Amérique du Sud. Ses feuilles sont plus épaisses et plus grandes que celles des autres sortes. Sa couleur, verdâtre au dehors, noirâtre au dedans, est marquée, particulièrement sur les bords, de larges jaspures d’un rouge brunâtre ou d’un jaune citron ;

La grande écaille de tortue franche : malgré son nom, elle n’est pas fournie par la Tortue franche proprement dite, mais par une autre espèce du même genre. On la reçoit surtout de l’Amérique. Sa couleur est un brun plus ou moins foncé, avec des taches, des bandes ou des marbrures jaunes, rougeâtres ou blanchâtres. Elle est mince, flexible et seulement translucide dans les parties claires ;

La grande écaille de caouanne comme l’indique son nom, elle provient de la Tortue caouanne. À l’extérieur, elle présente un fond brun, noirâtre ou rougeâtre, avec de grandes taches d’un blanc sale et transparentes, et de petites d’un blanc mat et opaques. À l’intérieur, elle est revêtue d’une matière jaune, semblable à une crasse, et si peu adhérente qu’on la détache avec l’ongle ;

L’écaille de caouanne blonde : elle est fournie par l’une des treize plaques de la carapace de la Caouanne. Cette écaille se distingue des autres par sa couleur d’un jaune doré, qui est d’une transparence un peu louche quand la plaque est brute, mais qui devient d’une grande limpidité, quand elle est polie ;

L’onglon sain de l’Inde : cette sorte provient des pattes du Caret. Elle est lisse, de couleur brune et de faibles dimensions ;

L’onglon galeux d’Amérique : cette écaille est fournie par les pattes de la Tortue franche. Les plaques sont formées de deux feuilles d’inégale grandeur, qui se séparent facilement, et dont l’une est blonde et l’autre brune. On l’appelle galeuse parce qu’elle est quelquefois couverte d’aspérités qui rendent sa surface raboteuse.


On sait que l’écaille est très-fragile. Elle se laisse heureusement ramollir par le moyen du feu ou de l’eau bouillante, et ; en outre, elle se soude sans l’intermédiaire d’aucune autre substance, propriété précieuse dont on tire journellement parti dans l’industrie.

Une feuille d’écaille est-elle plus ou moins bombée ? Il suffit, pour la redresser, de la faire tremper dans l’eau bouillante ; puis, quand on la juge suffisamment ramollie, on la place entre deux plaques de cuivre ou de fer bien polies et chauffées à une température de 120 à 150 degrés, et l’on porte le tout sur une presse que l’on serre progressivement.

Pour réunir deux plaques d’écaille, l’opération est également fort simple. Après avoir taillé en biseau l’un des bords de chacune d’elles, on les fait tremper dans l’eau bouillante pour les ramollir. On les retire ensuite, on pose les deux biseaux exactement l’un sur l’autre, et on les maintient en place, en les serrant entre le pouce et l’index, jusqu’à ce qu’ils se soient entièrement refroidis ; ou bien, pour hâter ce refroidissement, on les plonge dans d’eau froide. Il n’y a plus alors, pour achever la soudure, qu’à les disposer, comme ci-dessus, entre deux plaques de métal convenablemont chauffées et à les soumettre à l’action d’une presse.

§ 4. — la nacre.

Un grand nombre de coquillages semblent formés de deux parties distinctes, collées l’une sur l’autre, savoir une intérieure, qui est brillante, d’un beau poli, avec la blancheur et les effets irrisés des perles fines ; et une extérieure qui, rude et grossière, déborde un peu la première. C’est la partie intérieure qui constitue la Nacre. Quand on l’a détachée de l’autre, elle est en plaques de différentes dimensions, suivant l’âge et l’espèce des mollusques. Néanmoins, ces plaques ne dépassent jamais ou presque jamais 22 centimètres de diamètre et 28 millimètres d’épaisseur.

La Nacre la plus belle est fournie par l’Avicule ou Aronde perlière, c’est-à-dire par le mollusque qui produit les perles. Ce coquillage et les autres animaux du même genre qui sont aussi producteurs de nacre, habitent les mers de presque toutes les contrées chaudes de l’ancien monde et du nouveau.

Il y a plusieurs sortes de nacre. Les plus répandues dans le commerce sont les suivantes :

La nacre franche ou nacre vraie : elle est en valves aplaties ou très-légèrement concaves. Sa partie intérieure est d’un blanc éclatant et reflète toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, mais elle est bordée d’une bande bleuâtre, que précède immédiatement une autre bande un peu plus large et d’un jaune verdâtre. On la trouve surtout dans le détroit de Manaar, entre l’île de Ceylan et la presqu’île de l’Inde. On en reçoit aussi beaucoup des Philippines, des Moluques et des îles voisines ;

La nacre bâtarde blanche : les valves sont plus creuses que celles de la précédente. L’intérieur est blanc au centre, puis il passe au rouge, au vert, au bleuâtre, et se termine par une bande jaune, quelquefois verdâtre. Son iris n’est remarquable que vers le bord ; il se compose uniquement de rouge et de vert. Cette nacre se tire principalement de Zanzibar et de Mascate ;

La nacre bâtarde noire : son intérieur est d’un blanc bleuâtre qui s’assombrit sur les bords. Comme celui de la précédente, son iris ne s’aperçoit bien que vers les bords ; il se compose de rouge, de bleu et d’un peu de vert. On en distingue deux variétés : la nacre du Levant, qui se rencontre dans les mers de l’Inde, et la nacre de Californie, qu’on pêche dans le Pacifique, aux îles Marquises et sur les côtes du Pérou, du Chili, du Mexique et de la Californie ;

La nacre d’oreille de mer ou nacre d’haliotide : elle possède un bel éclat et des teintes très-brillantes, mais elle est toujours fort mince. On la reçoit presque exclusivement du Levant, bien qu’elle existe dans toutes les mers des pays chauds, même dans la Méditerranée.


IIIe SECTION

Colles.

Nous ne saurions terminer ce chapitre sans parler des colles, dont le choix et l’emploi judicieux font la qualité de la reliure, quels qu’en soient le genre et le prix. Le caractère principal d’une bonne reliure consiste dans la plus grande souplesse des articulations ; il faut, pour l’obtenir, que la colle que l’on emploie réunisse ces deux qualités essentielles s’attacher d’une façon définitive aux parties avec lesquelles on la met en contact, et conserver après l’emploi une élasticité parfaite. Une colle qui durcit ou qui devient cassante ne peut nullement convenir à la reliure. On doit aussi se méfier des colles vendues à bas prix, qui sont ordinairement mélangées et qui peuvent renfermer des matières contraires au service qu’elles sont appelées à rendre[1]

Colle forte. — La colle forte est celle dont on se sert habituellement pour la reliure ; nous parlerons donc très succinctement de ses propriétés qu’il est utile à tout relieur de connaître, afin qu’il puisse l’employer avec intelligence et discernement.

On fabrique la colle forte avec des rognures de peaux, les cartilages, les os et les débris d’animaux. On obtient, en les faisant bouillir dans de l’eau, une matière translucide qui, en se refroidissant, se prend en gelée de consistance variable, suivant qu’on a employé plus ou moins d’eau. Cette matière est la gélatine ; en cet état, elle a encore besoin d’être clarifiée. À l’état de pureté, elle est douée d’une force adhésive considérable. L’eau froide la gonfle, l’amollit et la rend opaque, mais sans la dissoudre. Il est donc avantageux de la plonger d’abord en morceaux dans de l’eau froide, pour la débarrasser des sels solubles qu’elle peut renfermer, puis de la faire dissoudre dans une nouvelle eau à une chaleur douce. Les colles de première qualité absorbent jusqu’à six fois leur poids d’eau ; celles du commerce l’absorbent environ trois fois, et les colles de basse qualité en absorbent encore moins.

Aussitôt qu’il commence à s’en servir, c’est-à-dire après avoir encollé le dos d’un volume, le relieur peut se rendre compte de sa qualité, d’après l’encollage de la veille. Si, en arrondissant le dos pour former la gouttière, les cahiers prennent la courbure voulue sans que la colle se fendille, ou si elle ne s’écaille pas sous le marteau, elle est de bonne qualité. Si, au contraire, lorsque le dos est arrondi, des parcelles de colle s’en détachent, que le tas à arrondir se couvre de pellicules, ou qu’en appliquant sur le dos du volume la main humidifiée par l’haleine on l’enlève chargée d’une poussière fine formée par la colle, il n’y a pas à hésiter, il faut la rejeter : un travail fait avec un produit semblable ne peut avoir la moindre solidité. Les colles de Lyon remplissent les conditions voulues pour faire un bon travail.

Pourtant, toute règle n’étant pas sans exception, on doit faire une réserve pour le collage des toiles françaises et anglaises, qui réclament l’emploi de colles dont l’adhérence et la siccativité soient très rapides ; ces conditions sont absolument indispensables pour leur conserver leur fraîcheur et pour ne pas détruire les dessins gaufrés dont elles sont couvertes. Les colles de Givet remplissent bien ce but.

Les sortes de colle que nous préconisons peuvent paraître chères au premier abord ; mais elles absorbent tant d’eau et elles couvrent avec une couche si mince qu’il y a encore économie à les employer. Quand on veut se servir de colle forte, on commence par casser en menus morceaux une ou plusieurs tablettes, puis on les jette dans un chaudron en fer, de préférence à tout autre vase. On verse dessus assez d’eau fraîche pour qu’ils soient entièrement recouverts, et on laisse macérer pendant quelques heures jusqu’à complet ramollissement. Alors on fait bouillir sur un feu doux, en ayant soin de remuer continuellement, surtout au fond du chaudron, afin que la colle ne brûle pas ; la colle brûlée répand une odeur très désagréable et perd ses qualités essentielles. Cela fait, on verse la préparation dans un récipient chauffé au bain-marie et on l’emploie tiède à une température telle qu’on puisse y tenir le doigt. Ce degré de chaleur est suffisant pour conserver à la colle toutes ses qualités, sans donner de déchet.

Colle de gélatine. — On emploie cette colle sur la soie ou sur le vélin ; elle sert à encoller les volumes qui ont été nettoyés, ceux qui sont imprimés sur du papier sans colle, ainsi que les tranches de ces volumes en vue de les préparer à la dorure ; on l’emploie encore pour préparer les toiles destinées à être dorées à l’or faux, au moyen du balancier. On la prépare comme la colle forte. Après l’avoir fait bouillir légèrement, on la passe dans un linge un peu fin. Quand on veut s’en servir, on la chauffe modérément au bain-marie et l’on y ajoute l’eau nécéssaire, selon le genre de travail à exécuter.

Colle de pâte ou de farine. — Cette sorte de colle est fabriquée avec de la farine de froment de bonne qualité. Ses différents usages, notamment son emploi au collage des papiers de tenture et des affiches, font qu’on la trouve toute faite et partout chez les épiciers, les marchands de couleurs et les peintres. Cependant, au cas ou l’on n’en aurait pas à sa disposition, voici la manière de la préparer :

On prend de la farine de froment pur, dont on verse une certaine quantité dans un chaudron en cuivre et à laquelle on ajoute une petite quantité d’eau fraîche. On continue à ajouter petit à petit l’eau nécessaire, en triturant la pâte avec les mains ou en la remuant avec une cuillère en bois ; ensuite on place le chaudron sur un feu vif, et l’on continue de remuer en tournant toujours dans le même sens et de plus en plus rapidement dès que la pâte s’épaissit. On fait ainsi jeter deux ou trois bouillons, puis on retire le chaudron du feu et l’on continue de remuer encore pendant quelque temps jusqu’à ce que la pâte se refroidisse.

Quand on veut employer cette colle, au cas ou la pâte vient à se coaguler, on en place une partie dans une toile à grosses mailles et, en ramassant deux coins dans une main et deux coins dans l’autre, on la tord fortement pour forcer la pâte à traverser les mailles. On obtient ainsi une colle parfaite.

Colle d’amidon. — Beaucoup de relieurs se servent de cette colle pour intercaler entre les cahiers les gravures montées sur onglet, pour la couvrure des peaux en général et pour préparer la peau de veau destinée à être dorée. On la fabrique ainsi :

On prend de l’amidon de froment pur ou de riz, dont la qualité essentielle est de produire une pâte bien grasse. On en met une certaine quantité dans un vase de faïence, puis on y ajoute petit à petit un peu d’eau fraîche, en triturant la pâte dans les mains. On verse alors de l’eau bouillante dans le vase, mais lentement et en remuant continuellement avec une cuillère en bois, puis on laisse refroidir la pâte. On la passe ensuite dans une toile à grosses mailles que l’on tord entre les mains, comme pour la colle de farine ordinaire. Si l’on a opéré avec de l’amidon de bonne qualité, on obtient une excellente colle, que l’on réserve pour les travaux soignés.

Colle de gomme. — Cette colle s’emploie à froid, principalement pour le montage des planches et pour les travaux qui doivent sécher rapidement. Nous l’avons employée avec succès pour des montages sur onglets et pour des agencements d’albums, qui ont pu être cousus immédiatement.

Pour la préparer, on prend une certaine quantité de gomme arabique parfaitement blanche, que l’on place dans un vase en grès ; on y verse de l’eau fraîche, dans la proportion du double en volume de la gomme à traiter, et on laisse macérer pendant un jour ou deux, en remuant de temps en temps, jusqu’à ce que la gomme soit complètement dissoute.

On la passe ensuite à travers un linge à larges mailles ou un tamis, et on la conserve jusqu’à ce qu’on s’en serve.

Cette colle se conserve fort longtemps lorsqu’on la tient au frais ; elle s’épaissit à la chaleur par l’évaporation de l’eau qu’elle contient. Au moment de l’employer, ou y ajoute l’eau nécessaire, suivant le genre de travail que l’on veut exécuter.

  1. Voir pour plus de détails le Manuel du Fabricant de Colles, 1 vol. in-18, 3 fr., publié dans la Collection des Manuels-Roret.