CHAPITRE III.

Glaçage et Satinage.


Le glaçage et le satinage ont le même objet, qui est de rendre la surface du papier aussi unie que possible ; mais le premier se fait avant le tirage et le second après. Ils rendent, l’un et l’autre, plus prompte et moins pénible celle des opérations du relieur que l’on nomme battage. Toutefois, comme ils augmentent sensiblement la dépense, on les supprime complétement pour les ouvrages communs, on en supprime un pour les ouvrages ordinaires, et l’on n’a recours à tous les deux que pour les ouvrages de luxe.

§ 1. — glaçage.

Le papier d’impression est loin d’être aussi uni qu’il le paraît. Il présente toujours des milliers de petites rugosités, souvent microscopiques, qui proviennent des empreintes laissées par les toiles métalliques sur lesquelles on a reçu la pâte, et que l’apprêt donné par le fabricant n’a pu détruire.

Ces rugosités, forment ce qu’on appelle le grain du papier. On les fait disparaître, pour les ouvrages qui demandent des soins particuliers, afin de disposer le papier à une impression parfaitement égale, où les moindres finesses de la lettre et de la gravure se montreront avec toutes leurs délicatesses. C’est l’opération destinée à produire cet effet qui porte le nom de glaçage. Elle s’effectue généralement chez l’imprimeur ; néanmoins, dans les très-grands ateliers typographiques, on juge économique de s’en dispenser et on la confie à des industriels spéciaux : c’est pour ce motif que nous avons cru devoir en faire l’objet d’une notice particulière.

Le papier que l’on veut glacer doit être mouillé modérément ; s’il l’était trop, les feuilles seraient difficiles à manier et l’opération deviendrait presque impraticable.

Pour procéder au glaçage, on encarte le papier, c’est-à-dire qu’on intercale chacune de ses feuilles entre deux plaques de zinc parfaitement polies et dressées. La grandeur de ces plaques varie nécessairement suivant le format des papiers et il est nécessaire qu’elles débordent de 2 centimètres au moins, sur tous les sens, les feuilles à la préparation desquelles elles doivent servir. Dans tous les cas, quand on a formé un paquet, ou jeu, de vingt-cinq feuilles environ, on les met en presse, et on leur donne un nombre plus ou moins grand de pressions, selon la qualité du tirage que l’on veut faire, suivant aussi l’épaisseur et la résistance du papier.

La presse qu’emploie le glaceur, et qu’on appelle presse à glacer, n’est autre chose qu’une sorte de laminoir à deux cylindres en fonte, placés l’un au-dessus de l’autre, dans le même plan vertical, et qui peuvent être écartés ou rapprochés à volonté au moyen d’un régulateur approprié. Le mouvement est donné directement au cylindre supérieur à l’aide d’une manivelle ou d’un moulinet actionné par un ou deux hommes, et des engrenages le transmettent au cylindre inférieur. Aussitôt que le jeu de feuilles et de plaques est engagé entre les cylindres, il est entraîné par ceux-ci, qui tournent en sens contraire, et il glisse sur l’inférieur en même temps qu’il est pressé par le supérieur. Quand il est arrivé de l’autre côté de la machine et qu’il ne s’y trouve pris que d’une très-petite quantité, on imprime un mouvement en sens contraire pour le ramener à son point de départ. On le fait ainsi passer et repasser autant de fois qu’on le juge nécessaire.

Les plaques de zinc doivent être essuyées très-souvent, à cause de l’oxydation qu’y produit le contact du papier humide. Autrement, les feuilles en sortiraient tachées ou tout au moins revêtues d’une teinte grisâtre qui dénaturerait leur couleur naturelle.

La presse que nous venons de décrire très-sommairement a été modifiée de différentes manières. Au lieu de fatiguer les hommes à tourner un moulinet ou une manivelle, plusieurs inventeurs ont eu l’idée de donner le mouvement à l’aide d’une courroie de transmission et d’un embrayage à double sens, et, en outre, de faire opérer par la machine elle-même l’écartement ou le rapprochement des cylindres, opération qui doit être exécutée très-souvent.

MM. Claye et Derniane ont réalisé ce double perfectionnement pour les divers cas où le papier doit recevoir plusieurs pressions. Au lieu d’un seul laminoir, ils en emploient deux, qui sont placés l’un derrière l’autre ; les cylindres du second laminoir, plus rapprochés que ceux du premier, servent à donner la seconde passe par un seul et même mouvement. Une fois qu’ils sont convenablement réglés, les deux jeux de cylindres produisent un glaçage parfait avec beaucoup de rapidité, et les choses se passent de telle sorte qu’une seule machine peut remplacer trois ou quatre laminoirs ordinaires, c’est-à-dire à mouvement alternatif.

Les fig. 1 et 2 (planche 1re} représentent deux vues de la presse à glacer de MM. Claye et Derniane ; la première en est une élévation de face, en partie coupée ; la seconde, une élévation par bout.

« La machine comprend deux bâtis CC, assemblés, par des entretoises fortement boulonnées. La partie supérieure de chacun de ces bâtis est munie d’une double annexe AA, ayant pour objet de recevoir les tourillons des cylindres supérieurs de pression.

« Ces supports reçoivent les coussinets dans lesquels s’engagent les arbres des cylindres ; à cet effet, ils présentent sur leurs faces latérales intérieures des coulisses dans lesquelles glissent les coussinets, et ces coussinets o peuvent monter ou descendre, et être fixés à demeure au moyen de vis de pression b et b’.

« Les glissières des supports-annexes A sont divisées, ainsi que la vis de calage, de manière à permettre un serrage de règlement en rapport avec le serrage des premiers cylindres BB.

« Les vis supérieures des supports-annexes A, sont d’ailleurs garnies de contre-écrous pour obvier au desserrage des coussinets.

« À l’avant des deux cylindres presseurs BB, sont disposés des petits rouleaux cc montés sur leurs axes. C’est sur ces rouleaux que sont placés les paquets de papier enveloppés dans les feuilles de zinc. Ils passent sous les cylindres BB convenablement rapprochés ; puis, à leur sortie de ces premiers cylindres, ils sont saisis par les seconds cylindres B’B’ qui, à leur tour, leur font subir l’opération du pressage, et sortent enfin de l’appareil en glissant sur les cylindres ou rouleaux c’c’, qui les conduisent sur la table de service.

« Pour produire les divers mouvements de transmission, un arbre L porte les deux poulies D et D’, l’une folle pour permettre le désembrayage, la seconde fixe. Sur ce même arbre sont calés une roue dentée F, et un volant régulateur E.

« Les deux cylindres inférieurs des presseurs sont munis de pigeons d, actionnés par une roue intermédiaire G en relation avec la roue dentée F. « L’arbre moteur L peut être mis en mouvement, soit à la main par l’effet d’une manivelle, soit par un moteur quelconque et l’intermédiaire des courroies de transmission. Les rouleaux d’arrière c’c’, reçoivent à leur circonférence une courroie ou toile sans fin ee, qui vient envelopper une poulie calée sur l’arbre du rouleau inférieur B’.

« Cette courroie peut être convenablement tendue par une poulie additionnelle f, disposée à l’extrémité d’un tendeur i, pouvant monter et descendre dans une rainure pratiquée sur l’aminci A du bâti.

« Pour opérer, une chasse plus rapide des paquets soumis à l’action de la machine, on a disposé les rouleaux c’ sur une ligne légèrement inclinée vers l’arrière du bâti.

« On se rend parfaitement compte du service de cette machine d’après la description qui vient d’en être faite, et surtout de la célérité et de l’énergie des pressions auxquelles sont soumis les paquets ; la double action ayant lieu pour ainsi dire instantanément, puisque, à peine les premiers cylindres presseurs finissent-ils d’opérer, que les seconds ont déjà commencé leur service. »

§ 2. — satinage.

On vient de voir que le glaçage se fait sur le papier blanc pour le préparer à recevoir l’impression, en abattant les aspérités provenant de la fabrication. Au contraire, comme nous l’avons dit, le satinage a lieu après le tirage, par conséquent sur le papier imprimé il a pour objet de détruire les petits reliefs produits, par l’action de la presse sur les formes, ce qu’on nomme foulage, sur le revers des feuilles, si elles ne sont imprimées que d’un côté, et sur leurs deux faces à la fois, si elles sont imprimées des deux côtés.

Si les livres n’étaient mis dans le commerce qu’après avoir été reliés, on pourrait, à la rigueur, supprimer le satinage, parce que le marteau du relieur produirait le même effet ; mais, comme il n’en est point ainsi, la plupart des ouvrages étant vendus simplement brochés, cette opération est devenue habituelle pour toutes les publications un peu soignées. Elle donne au papier un aspect uni et brillant, qui fait mieux ressortir la délicatesse des lettres et des vignettes, et rend l’impression plus nette, plus lisible et plus agréable à l’œil.

Pratiquement parlant, le travail du satineur ressemble beaucoup à celui du glaceur. Seulement, au lieu de plaques de zinc, on emploie des cartons minces qu’un cylindrage énergique a rendu parfaitement denses et lisses. En outre, on a besoin de presses plus puissantes.

De même que les plaques, les cartons doivent être un peu plus grands que les feuilles afin de pouvoir les contenir plus facilement. Ainsi, par exemple, on leur donne la dimension du grand-raisin pour le carré, celle du jésus pour le grand-raisin, etc.

Le papier que l’on veut satiner doit être parfaitement sec. On peut faire l’opération avant ou après l’assemblage. Néanmoins, en général, on préfère l’effectuer après, et cela pour trois raisons

1o Parce qu’il est rare qu’on fasse satiner à la fois toute une édition ;

2o Parce que si l’on satinait avant d’avoir assemblé, on s’exposerait à donner cette façon à des exemplaires incomplets, ce qui serait du temps perdu, puisqu’on ne s’apercevrait des feuilles manquantes que lorsque le travail serait entièrement achevé ;

3o Parce qu’un satinage récent est plus agréable à l’œil qu’un ancien, le papier perdant avec le temps, par suite de son hygrométricité, l’espèce de lustre qu’on lui a donné. On n’ignore pas que par hygrométricité, on entend la propriété que possèdent certains corps d’absorber l’humidité avec plus ou moins de facilité.


1. Satinage des feuilles de texte.

Voyons maintenant comment procède le satineur. Il se place devant une longue table, ayant à sa gauche les cahiers qui doivent former le volume, et à sa droite une pile de cartons bien secs. Après avoir ouvert par le milieu le premier cahier, il en fait l’encartage. Pour cela, il pose devant lui l’un des cartons, et il met par dessus la première feuille du cahier, en ayant soin qu’elle ne fasse aucun pli. Sur cette feuille, il pose un carton, qu’il couvre avec une autre feuille, et il continue ainsi, plaçant alternativement un carton et une feuille, jusqu’à ce qu’il ait formé une pile comprenant un nombre déterminé d’exemplaires. Il porte alors cette pile dans la presse en la soutenant, de distance en distance, par des plateaux.

La presse à glacer ordinaire est une presse à vis de construction fort simple, que l’on scelle généralement dans le sol, ou dans le plancher, et dans la muraille. Le plus souvent, le plateau mobile est fixé à une vis normale à ce plateau, et qui passe dans un écrou relié d’une manière invariable au plateau fixe. Lors donc qu’on fait tourner la vis, elle fait mouvoir le plateau mobile dans un sens ou dans l’autre, et les choses sont disposées de telle sorte qu’elle lui imprime seulement un mouvement rectiligne. On se sert pour cela, quelquefois d’un levier, le plus fréquemment d’un moulinet, assez rarement de la vapeur. Cette presse peut varier beaucoup quant aux détails. Dans les ateliers très-importants, il y a de grands avantages à la remplacer par une presse hydraulique on obtient ainsi des pressions infiniment plus fortes et, par suite, un satinage plus parfait.

On estime que le papier doit rester en presse de dix à douze heures au moins. Au bout de ce temps, le satineur transporte la pile sur la table, pour la défaire. À cet effet, il enlève alternativement un carton et une feuille, et place les feuilles à sa gauche, l’une sur l’autre, les cartons à sa droite, également l’un sur l’autre. En procédant ainsi, les feuilles se trouvent exactement dans l’ordre ou elles étaient au commencement, et l’assemblage n’éprouve aucun dérangement.


2. Entretien des cartons.

Quand l’impression est récente, ou que l’encre, de mauvaise qualité, n’a pas eu le temps de sécher suffisamment, les cartons finissent par se salir, et alors, si l’on n’y prend garde, ils ne manquent pas de maculer les feuilles qu’on satine plus tard. Il est donc nécessaire, pour prévenir cet inconvénient, de les nettoyer fréquemment, et l’on obtient des résultats convenables en les frottant vivement, avec des tampons de papier sans colle, jusqu’à ce qu’on en a fait disparaître toutes les taches.

À force de servir, les cartons deviennent toujours un peu humides, en sorte qu’on est obligé de les faire sécher, sans quoi ils ne pourraient servir de nouveau. On les place pour cela, sur l’une de leurs tranches, dans des casiers dont les séparations sont formées par des tringles de bois ou par de simples ficelles.

Ces meubles peuvent recevoir un assez grand nombre de dispositions particulières, mais il faut toujours que les cartons puissent y être bien séparés les uns des autres. Quant à l’emplacement qu’on leur assigne, c’est généralement contre les murs et, ce qui économise l’espace, à une hauteur un peu supérieure à celle d’un homme de grande taille, où on les fixe, au moyen de supports en bois ou en métal, ou de ferrures appropriées. Quelquefois cependant, on les suspend au-dessus de la table sur laquelle on fait l’encartage ou mise en cartons du papier. Dans ce cas, afin de les rendre plus légers, on les compose de deux cadres horizontaux, qui, longs de 4 à 5 mètres et larges d’environ un mètre, sont réunis à leurs quatre angles, à tenons et à mortaises, par des liteaux verticaux de 50 centimètres de haut. Des trous, percés de trois centimètres en trois centimètres dans les grands côtés de ces cadres, et bien en regard les uns des autres, reçoivent de grosses ficelles fortement tendues. On a ainsi une espèce de cage rectangulaire dont les barreaux sont formés par les ficelles, et c’est dans l’intervalle situé entre les ficelles consécutives que l’on glisse les cartons à faire sécher.


3. Satinage des planches, gravures, etc.

Le satineur n’opère pas seulement sur les feuilles de texte. Il s’occupe également des gravures en taille-douce, des planches lithographiques, des papiers à dessin. La manutention de chacun de ces produits, exige souvent des précautions particulières qu’aucune description ne saurait faire connaître, et qui ne peuvent s’apprendre que par la pratique. Aussi nous bornerons-nous aux indications suivantes :

1o Les gravures en taille-douce ne demandent et n’exigent pas d’autres précautions que les feuilles imprimées. Les manipulations sont donc les mêmes. En outre, on satine à sec.

2o Les planches lithographiées se traitent différemment. Le râteau qui frotte sur la pierre pour imprimer le dessin, tend à allonger le papier dans toute la partie où il frotte ; par conséquent, le milieu de celui-ci gode lorsque les marges sont unies, ce qui produit un mauvais effet. Pour obvier à ce défaut, le satineur mouille les bords de l’estampe avec une éponge et de d’eau propre, ce qui en fait allonger les bords, et il place les planches, ainsi mouillées par les bords, entre les cartons, comme il le fait pour les feuilles d’impression à sec. Moyennant cette précaution, les planches entières, en sortant de sous la presse, se trouvent également étendues partout.

3o Les feuilles de papier à dessin étant ordinairement pliées par le milieu, il s’agit de faire disparaître ce pli, afin de les bien étendre. Pour cela, on les mouille bien partout, on les met, entre des cartons épais, lisses mais mats, qui boivent promptement l’eau ; enfin, on les presse fortement, et lorsque les feuilles sont sèches, on les place entre des cartons polis, et l’on donne une forte pression. On procède de même pour les lithographies.

Observations.

1o Le mode de satinage que nous venons de décrire n’est pas le seul qui soit en usage. On s’est servi aussi pour cet objet d’un appareil établi sur le système des laminoirs, et à l’aide duquel on fait passer les feuilles entre des cylindres en métal, parfaitement tournés et polis, qui leur donnent le glacé convenable. Ce laminage peut se donner à froid, mais on construit quelquefois des cylindres creux et l’on y fait arriver de la vapeur. L’opération est alors dite satinage à chaud pour le distinguer de l’autre.

Le satinage à chaud est plus dangereux encore que celui à froid, quand l’encre n’est pas parfaitement sèche ; il redonne de la fluidité à l’huile qui entre dans sa composition, et cette huile, en s’étalant, environne chaque caractère d’une auréole jaunâtre qui dépare complétement l’impression.

2o On pourrait très-bien satiner le papier par un procédé analogue à celui dont se servent quelques industries qui se rattachent à la fabrication des tissus, c’est-à-dire en se servant de rouleaux en papier, qu’on fabrique en enfilant un nombre considérable de feuilles de papier sur un arbre où on les comprime ensuite entre deux bases avec une force considérable, qui leur donne une densité presque égale à celle des bois tendres ; puis on arrondit et l’on régularise le cylindre sur le tour, et on le polit à la pierre ponce jusqu’à ce qu’il ait acquis une surface parfaitement lisse. En cet état il serait très-propre à satiner le papier.