Jules Rouff (1p. lxxx-lxxxi).

Saintonge et Angoumois. — La Saintonge et l’Angoumois, placés entre la Guyenne et le Poitou, tiennent pourtant par leur esprit plus au nord qu’au midi. Comme le Poitou, ces provinces ont dans leur génie quelque chose de rude et de sévère, soit qu’elles doivent ces qualités à leur propre nature, soit qu’elles aient subi l’influence du calvinisme si longtemps florissant dans ces contrées. Ce sont elles qui ont donné naissance au plus vigoureux de nos poètes satiriques ; Agrippa d’Aubigné, dont les effrayantes satires sont teintes de si noires couleurs et respirent une si sombre énergie. La Rochefoucauld, poli, assoupli par l’usage de la cour, garde cependant une part de cette âpreté, et ses Maximes, sous une forme moins violente, sont encore une satire du genre humain. Balzac, tout préoccupé de la forme qu’il veut imposer à la prose française, conserve au milieu de sa pompe solennelle je ne sais quelle raideur inflexible. Il prend,

Hôtel de la Société de géographie, à Paris (Ed. Leudière, archit.).

Hôtel de la Société de géographie, à Paris (Ed. Leudière, archit.).


comme il le dit lui-même, autant de peine à travailler ses ouvrages que les anciens sculpteurs à faire les dieux. Et quand il rencontre une idée grande, un intérêt sérieux, la véritable éloquence éclate aussitôt, comme quand il développe la merveilleuse diffusion de l’Évangile, ou quand il montre la main de Dieu cachée derrière les événements de l’histoire.

Cependant la grâce n’a pas manqué à ces provinces, et le caractère des écrivains qui ont précédé le temps des guerres religieuses montre assez combien ces luttes et ces doctrines ont influé sur le génie de cette contrée. En effet, c’est là que sont nés Octavien de Saint-Gelais et son fils, ou son neveu, Mellin de Saint-Gelais, ces poètes charmants de l’amour et des plaisirs, et la spirituelle Marguerite de Navarre, dont les Nouvelles si piquantes ont tant fourni aux conteurs des siècles suivants ; nouvelles « qu’elle composa, dit Brantôme, en ses gaietés, et la plupart dans la litière, en allant par pays ; car elle avoit de plus grandes occupations estant retirée. » À ces noms s’en joignent quelques autres moins connus peut-être, qui cependant ne méritent pas l’oubli : le bibliographe Coloniez ; l’agronome La Quintinie ; Gourville, le secrétaire du duc de La Rochefoucauld et plus tard son ami, ainsi que du prince de Condé ; des Roches, dit de Parthenay, auteur d’histoires estimées ; Réaumur, si connu dans les sciences naturelles par ses découvertes, et qui mériterait de l’être dans la littérature par ses mémoires si curieux destinés à servir à l’histoire des insectes ; le président Dupaty, auteur de plusieurs ouvrages de jurisprudence, et qui doit surtout sa réputation à ses Lettres sur l’Italie ; et, enfin, Vanderbourg, l’éditeur et en grande partie le créateur des poésies, d’une naïveté si étudiée et pourtant si touchante, faussement attribuées à Clotilde de Surville.