Malte-Brun - la France illustrée/0/6/16

Île-de-France et Picardie. — Nous voici arrivés maintenant au véritable centre politique et intellectuel de la France, Paris et les provinces qui l’environnent. C’est là que, pendant longtemps, fut concentrée toute notre histoire ; c’est là qu’aboutissent et se fondent toutes les forces vives de la France pour former un esprit général, l’esprit de la nation : c’est là le cœur du pays, qui reçoit et renvoie aux provinces le sang transformé ; l’aliment de la vie ; chacun de ses mouvements se fait sentir jusqu’aux extrémités. On pourrait dire de Paris ce que Balzac disait de Rome : « C’est la boutique où s’achèvent les dons naturels. » Cette contrée, si riche par elle-même, est plus riche encore par le tribut des provinces, qui lui envoient pour les former l’élite de leurs enfants. Ici est le rendez-vous de tous les grands esprits ; ici s’opère la fusion des races, des idées, des caractères. C’est du mélange de toutes ces individualités que s’est formé le caractère général de notre esprit et de notre littérature. Là nous retrouvons à la fois et la verve intarissable du Midi avec le mysticisme et le sensualisme du Nord, l’esprit critique de l’Est uni à la ténacité des provinces occidentales ; le tout mêlé à la finesse ironique de la Champagne, à l’éloquence et à la poésie inspirée de la Bourgogne.

« Pour faire connaître le génie de ces écrivains, dit l’historien que nous avons déjà cité, il n’est qu’une manière, c’est de raconter l’histoire de la monarchie ; on les caractériserait mal en citant quelques noms propres, ils ont donné l’esprit national. Ils ne sont pas un pays, mais le résumé du pays... Les écrivains si nombreux qui sont nés à Paris et dans l’Île-de-France doivent beaucoup aux provinces dont leurs parents sont sortis ; ils appartiennent surtout à l’esprit universel de la France qui rayonna en eux. En Villon, en Boileau, en Molière et Regnard, on sent tout ce qu’il y a de plus général dans l’esprit français ; ou, si l’on veut y chercher quelque chose de local, on y distinguera tout au plus un reste de cette vieille sève d’esprit bourgeois, esprit moyen, moins étendu que judicieux, critique et moqueur, qui se forma d’abord de bonne humeur gauloise et d’amertume parlementaire. Mais ce caractère indigène et particulier est encore secondaire, le général y domine. »

Aussi l’unique difficulté est-elle ici de choisir parmi cette infinité de noms illustres. Sans doute il en est quelques-uns qui s’imposent, mais que chacun nomme tout d’abord, et l’on ne peut hésiter à citer des écrivains comme Molière, Racine, Regnard, Boileau, Béranger, Calvin, Mme de Sévigné, Voltaire, Mme de Staël et quelques autres ; c’est quand on arrive au second rang qu’il devient difficile de choisir parmi tant d’hommes qui se recommandent à des titres si différents.

Aux premiers siècles de notre littérature, ces provinces de l’Île-de-France produisirent Blondel, célèbre par son attachement à Richard Cœur de Lion, et Rutebeuf, sur lequel nous nous arrêterons quelque temps, comme représentant mieux qu’aucun autre l’immense famille des trouvères. Voici le portrait qu’en fait M. Demogeot dans ce style si vif et si net qui distingue son ouvrage : « L’un des plus hardis et des plus habiles trouvères est Rutebeuf, contemporain de saint Louis. Vilain d’origine, clerc par le savoir, laïque par l’habit, quand il en avait un, pauvre existence vagabonde pour qui la société n’avait pas encore de place : c’est au roi, c’est aux seigneurs qu’il demande le pain de chaque jour ; mais le roi, mais les grands ont bien autre chose en tête que le pauvre Rutebeuf, et, s’il vit de leur générosité, il est exposé à mourir de leur oubli ! Le pis est qu’il ne mourra pas seul ; le pauvre poète a eu le tort de croire encore qu’il était homme, et a fait l’imprudence d’avoir une femme, des enfants... Au milieu de sa détresse, sa verve ne l’abandonne pas : il trouve des traits sanglants contre les prélats, les papelards et les béguins. Il sait que le roi les protège ; n’importe, il aime mieux perdre la protection du roi qu’une malice. »

Charles d’Orléans est, avec Thibaut de Champagne, le plus parfait et le plus gracieux de nos trouvères. Il possède à un haut degré le sentiment du rythme et de l’harmonie poétique. Pour la première fois, la poésie française atteint la beauté de la forme et produit une œuvre d’art ; mais, s’il y a dans cette poésie beaucoup de grâce, il y a peu d’inspiration et point de pensée. Toutes les misères de la France et ses propres malheurs n’ont pas arraché un cri à Charles d’Orléans. Pour lui, la poésie est un jeu d’esprit, charmant souvent ; mais l’émotion n’est jamais qu’à la surface.

« Villon, écolier de l’Université de Paris, vrai basochien, espiègle, tapageur, libertin et, qui pis est, larron ; passant sa vie entre le cabaret, la prison, la faim et la potence ; toujours pauvre, toujours gai, toujours railleur et spirituel ; mêlant aux saillies de sa joyeuse humeur des traits nombreux d’une sensibilité rêveuse et quelquefois éloquente » (Demogeot), est le premier en date des poètes modernes. Ceux qui l’ont précédé sont des trouvères, même Charles d’Orléans. Il chante sa vie, ses misères, ses émotions ; il décrit le monde où il vit. Là, rien de convenu ni d’allégorique. Mélancolique et gai à la fois, il est toujours lui-même, et plus d’une de ses pièces de vers, telles que celles du Grand Testament et des Neiges d’antan, sont restées dans les mémoires. Condamné à être pendu, pour vol (« nécessité, dit son premier biographe, fait gens méprendre et faim saillir le loup du bois), » il obtint sa grâce du roi Louis XI et se retira en Poitou, à Saint Maixent, où il mourut.

Après lui, Jodelle, Hardy fondèrent en France le théâtre sur l’imitation de l’antiquité ; et leurs tragédies marquent un progrès très sensible sur les mystères des confrères de la Passion, qu’un arrêt de 1548 avait dépossédés de l’hôtel de Bourgogne pour le céder à une compagnie de comédiens sous la direction de Hardy. Ce sont les ancêtres de la tragédie et de la comédie en France. Mais ces deux genres n’atteignirent leur perfection qu’avec Corneille, Racine et Molière. Ces deux derniers appartiennent à l’Île-de-France. Il y aurait trop à dire sur ces deux noms pour que nous nous y arrêtions. Qui n’a pas lu ces scènes immortelles qui font passer sous nos yeux l’humanité tout entière, tantôt avec son héroïsme, ses côtés élevés et tendres, ses passions violentes, comme dans Racine ; tantôt, dans la comédie de Molière, avec tous ses travers et ses ridicules ? On les sait par cœur, et l’admiration de chacun suppléera facilement à notre silence.

Autour de chacun de ces deux noms se rangent une cohorte d’imitateurs plus ou moins heureux. Derrière Molière, nous trouvons Regnard, Montfleury, Baron, Dufresny, Gresset, Sedaine, Marivaux, Favart, et bien d’autres encore, qui tous, volontairement ou non, ont subi l’influence du grand comique et marchent de plus ou moins loin sur ses traces. Les successeurs de Racine ne sont pas moins nombreux. Ce sont tous les tragiques qui ont écrit après lui. Quelques-uns seulement appartiennent à l’Île-de-France. Ce sont Lafosse, Lemierre, La Harpe, tous bien inférieurs à leur modèle. Quinault même, sans être un imitateur de Racine, lui ressemble aussi par quelques côtés. Ducis, plus vraiment poète peut-être qu’aucun de ces tragiques de second ordre, a transporté sur la scène française, en les affaiblissant, quelques-uns des chefs-d’œuvre de Shakspeare. Le xixe siècle a aussi ses poètes dramatiques : Népomucène Lemercier, qui a introduit dans l’art quelques éléments nouveaux ; et de nos jours, les deux Dumas, père et fils, qui ont illustré la scène moderne, l’un par ses drames pleins de vie, de mouvement et de passion, et l’autre par ses comédies de mœurs et de caractères, où l’esprit et l’observation font rarement défaut.

Boileau aussi, le grand critique du xviie siècle, a eu de nombreux imitateurs, dont il serait trop long de citer les noms. L’école moderne a eu son satirique, le poète Barbier, dont les ïambes respirent souvent une violence pleine d’énergie, notamment dans la Cuvée, qui a eu un si grand retentissement.

À l’Île-de-France appartient, par son esprit comme par sa naissance, Béranger, le poète populaire qui, laissant en arrière les Collé, les Panard et les Désaugiers, éleva la chanson à la hauteur de l’ode. Sa muse « véritablement démocratique, dit M. Demogeot, ennoblit le peuple en s’exprimant ; elle lui parla une langue digne de ses destinées futures, et lui reconnut, comme prélude ou comme complément de ses autres droits, son droit à la poésie. Plusieurs des chansons patriotiques de notre poète, un grand nombre de ses chansons morales sont de véritables odes. L’antiquité n’a rien de plus beau que Mon Âme, le Dieu des bonnes gens, le Cinq Mai. La Bonne Vieille, Mon Habit égalent en grâce touchante certaines odes célèbres d’Horace, et aucune littérature n’a rien de comparable à cette foule de malins couplets politiques, dont on peut apprécier diversement la tendance, mais non l’inimitable perfection. Cet élan lyrique, cette délicatesse de sentiment, cette verve d’esprit, Béranger a su les rendre populaires, et les graver dans la mémoire des artisans de nos villes, de manière à pouvoir, seul de tous nos poètes, se passer au besoin, du secours de la presse. »

La poésie légère et tous les genres inférieurs ont été cultivés par des écrivains nombreux. Chapelle, Collé, Mme Deshoulières, Bachaumont, Scarron, Dorat, Laujon, etc., ont tous des mérites différents ; et si nous faisions autre chose qu’une statistique littéraire, ils nous fourniraient des sujets d’étude intéressants.

Les prosateurs sont plus nombreux encore. Calvin, le propagateur de la Réforme en France, et dont les écrits sont par leur netteté et leur vigueur de style un des premiers monuments de notre littérature. C’est au roi François Ier qu’il dédia son Institution de la Religion chrétienne, « l’œuvre la plus importante qu’eût produite encore la Réforme. » Calvin n’avait alors que vingt-six ans. Amyot porta dans la traduction l’originalité la plus marquée, au point de faire illusion à la postérité sur le vrai caractère des écrivains qu’il a traduits. « Il a en quelque sorte créé Plutarque : il nous l’a donné plus vrai, plus complet que ne l’avait fait la nature. »

Viennent ensuite les écrivains qui comblent l’intervalle jusqu’au xviie siècle : Budé, Charron, le disciple de Montaigne et souvent son copiste ; Pasquier, Rollin, ainsi caractérisé par Montesquieu : Un honnête homme qui, par ses ouvrages, a enchanté le public. « C’est, dit-il, le cœur qui parle au cœur ; on sent une secrète satisfaction d’entendre parler de la vertu. C’est l’abeille de la France. » Citons en passant les travaux historique de l’abbé Fleury et du président Hénault ; les plaidoyers éloquents de Jean Boucher, des Cuchin, des Patru, et les savantes publications de Robert et de Henri Estienne. Les grammairiens, les critiques, tels que Gui Patin, Restaut, l’abbé d’Aubignac, Bouhours, Furetières, Lancelot ; les historiens de second ordre, Du Cange, Gaillard, Charlevoix, l’abbé Dubos, Quesnay, Bailly, Rulhières, Letronne, le président de Thou, Crevier, Lebeau, de Tillemont, malgré leur science et leurs immenses recherches, sont cependant, par la nature même de leurs ouvrages et de leur génie, en dehors de la littérature proprement dite.

Ramus, moins littéraire encore, mérite cependant d’être distingué par ses persévérants et courageux efforts pour rendre l’indépendance à la philosophie et l’arracher à l’influence exclusive d’Aristote.

Il est à remarquer que les grands écrivains de l’Île-de-France et surtout de Paris datent presque tous du xviie siècle. Jusque-là, en effet, les provinces non encore fortement reliées au centre vivaient de leur vie propre ; mais, depuis le xviie siècle, Paris est devenu vraiment le centre intellectuel de la France : c’est alors que, par la centralisation puissante de Louis XIV, cette ville est devenue comme le résumé de l’esprit général du pays.

Aussi au xviie siècle, outre les grands poètes que nous avons déjà cités, nous trouvons une foule d’éminents écrivains. Racine, Molière, si grands par leurs poésies, ne le sont pas moins par leurs ouvrages en prose, Molière surtout. Un grand nombre de ses pièces sont écrites en prose, et l’on sait que Fénelon préférait sa prose à ses vers.

Malebranche, disciple de Descartes, qui exagéra ses tendances spiritualistes, est aussi remarquable par la netteté et l’éclat de son style que par la singulière subtilité de sa pensée. Voiture, l’homme de l’hôtel Rambouillet, sans être un écrivain éminent, déploya cependant dans ses lettres des qualités d’esprit très remarquables. Trop admiré par son siècle, par Boileau même, qui le place à côté d’Horace, il a peut-être été trop abaissé depuis. Si l’on sent la recherche et l’effort dans ses écrits, quelquefois aussi on y trouve un esprit naturel et de bon aloi ; parfois même un bon sens sérieux vient se mêler à son enjouement.

Dans le même genre, mais dans un rang infiniment supérieur, brille Mme de Sévigné. Dans ses lettres, merveilleuses de naturel, d’abandon et parfois d’éloquence, nous retrouvons tout l’esprit de cette société du xviie siècle, qui en eut tant, mais sans apprêt, sans désir d’être admirée, d’autant plus admirable par là même. « Sa correspondance, comme un miroir enchanté, nous fait connaître la cour et ses intrigues, le roi et ses maîtresses, l’Église, le théâtre, la littérature, la guerre, les fêtes, les repas, les toilettes. Tout cela s’anime et se colore en traversant l’esprit de cette femme charmante. » — « Je n’ai jamais eu l’imagination aussi frappée, disait le duc de Villars-Brancas après avoir achevé la lecture de ses lettres ; il m’a semblé que d’un coup de baguette, comme par magie, elle avait fait sortir cet ancien monde... pour le faire passer en revue devant moi. » Les Mémoires du duc de Saint-Simon, restés secrets jusqu’à nos jours, sont encore un tableau de cette époque, mais à un autre point de vue. Cet écrivain incorrect, mais d’une énergie d’expression, d’une verve incomparables, nous dépeint la cour du grand roi avec toutes ses intrigues, ses petitesses ; il fait passer sous nos yeux tous les personnages qui la composent, et les marque en passant d’un trait ineffaçable. Remontant ensuite au règne de Louis XIII, il descend au régent et au cardinal Dubois ; mais quelle variété et quelle vie dans ses portraits ! Passionné, mais en même temps profond et juste appréciateur, il rend justice à chacun, et ses préventions ne le trompent jamais entièrement sur un caractère.

Au-dessous d’eux, citons Scarron, le poète burlesque, mais qui eut la gloire par son Roman comique de discréditer les subtilités puériles qui étaient jusqu’alors le caractère de ce genre ; le grand Arnauld, ce violent et puissant janséniste, qui dépensa un immense talent à composer des ouvrages de polémique, aujourd’hui tombés dans l’oubli comme le sujet qui leur donna naissance ; les de Sacy, dont les ouvrages et le style rappellent les qualités sévères de l’école de Port-Royal ; La Motte-Houdard, très paradoxal et très modéré, à demi révolté contre la routine, mais le plus pacifique et le plus poli des révoltés, plein de sens et de goût dans la défense même des idées littéraires les plus contestables, moins heureux dans l’application que dans la théorie, et démolissant souvent sa critique par ses ouvrages.

Cet écrivain nous amène au xviiie siècle, à Beaumarchais, d’Alembert, Condorcet, Voltaire.

D’Alembert, géomètre illustre, savant de premier ordre, s’est créé un rang dans la littérature par un style exact, élégant et fin. C’est lui qui écrivit le Discours préliminaire qui sert d’introduction à l’Encyclopédie, et ce titre seul suffirait pour lui mériter notre admiration. C’est un magnifique exposé des progrès des sciences et des lettres depuis le xvie siècle.

Comme d’Alembert, Condorcet unit la gloire du savant à celle de l’écrivain et du philosophe ; il fut le biographe et l’un des plus fervents admirateurs de Voltaire. Celui-ci, poète épique et dramatique de second ordre, mais sans rival dans la poésie légère, et le premier peut-être des prosateurs français par la clarté, la netteté, a rempli tout son siècle de sa gloire. Cette rare intelligence avait pour qualités dominantes la passion et le bon sens ; et le produit de ces deux forces fut un esprit étincelant, universel, irrésistible, le génie de l’esprit.

Beaumarchais rappelle Voltaire par sa verve ironique et mordante, son bon sens, son esprit, sa plaisanterie active, inépuisable, pleine d’audace et souvent d’éloquence. C’est lui qui, par ses mémoires contre le sieur Goesman, acheva la ruine du parlement Maupeou, et qui, dans ses comédies, dont le défaut est d’être trop spirituelles, créa ce Figaro, ce spirituel, cet industrieux barbier, et à qui il a fallu déployer plus de science et de calculs pour subsister seulement qu’on n’en a mis depuis cent ans à gouverner les Espagnes ; qui sait la chimie, la pharmacie, la chirurgie, broche des pièces de théâtre, rédige des journaux, écrit sur la nature des richesses, et risque fort de mourir à l’hôpital ; ce descendant de Panurge, ce représentant de la roture enfin qui bientôt va succéder par son habileté à ces gens qui ne se sont donné d’autre peine que de naître.

Camille Desmoulins, autre successeur de Voltaire, mit son esprit tout athénien au service des idées les plus violentes, mais eut pour excuse une conviction profonde. Doué d’une imagination pleine de grâce et souvent de vigueur, il eut le rare privilège d’écrire des ouvrages de circonstance qui se lisent encore aujourd’hui.

C’est à la même époque que commencèrent à se faire connaître deux femmes que leur génie met à part de leur sexe. Nous avons trouvé bien des noms de femmes dans l’histoire de notre littérature, mais aucune ne peut être comparée pour la vigueur et l’élévation de la pensée à Mmes Roland et de Staël. Mais il y a cette différence entre elles que l’une, entièrement mêlée à la politique, y resta constamment enfermée. Douée des sentiments les plus mâles, elle ne respira que liberté et fut l’âme de la Gironde. L’autre, génie plus vaste et plus complet, douée de tous les talents, accessible à toutes les idées vraies, à toutes les émotions généreuses, parcourant toutes les régions de la pensée, depuis les considérations les plus profondes de la philosophie et de la politique jusqu’aux fictions les plus brillantes de l’imagination, réunit sans confusion les éléments et les qualités les plus divers. Mme de Staël appartient plutôt au xixe siècle qu’au xviiie et nous ramène aux temps contemporains.

Nous en citerons seulement quelques noms.

Picard, le plus fécond et le meilleur auteur comique de l’école impériale, fut le peintre de la vie ordinaire, et réussissait mieux à saisir les ridicules fugitifs des contemporains que les défauts et les folies héréditaires de l’homme, mais là il est d’une verve et d’une gaieté intarissables. « Chacune de ses comédies est le développement d’une maxime de morale pratique ou de prudence vulgaire. Ses pièces sont des apologues dramatiques : c’est Ésope sur le théâtre. »

Paul-Louis Courier fut un admirable artisan de langage ; mais, « habitué par son éducation à saisir rarement le grand côté des choses, il ne vit dans l’Empire que des prétentions ridicules, et dans la Restauration qu’un objet de mesquines tracasseries. C’est le libéralisme dans ce qu’il y a de plus étroit et de plus bourgeois. Mais il est difficile d’avoir plus d’esprit sur un sujet donné, plus de malice sous une apparente bonhomie que Paul-Louis n’en jette à pleines mains dans ses feuilles légères, dans son Livret, dans sa Gazette du village, dans son Pamphlet des pamphlets. » (Demogeot.)

Villemain a laissé des souvenirs ineffaçables dans l’esprit de ceux qui ont entendu ses leçons à la Sorbonne. Voici le jugement qu’a porté sur lui l’illustre Goethe : « Villemain s’est placé très haut dans la critique. Les Français ne verront sans doute jamais aucun talent qui soit de la taille de celui de Voltaire ; mais on peut dire de Villemain qu’il est supérieur à Voltaire par son point de vue, en sorte qu’il peut le juger dans ses qualités et dans ses défauts. »

Un autre enfant de Paris, Cousin, à la même époque, popularisait en France les plus hautes doctrines philosophiques de l’Allemagne, et par là exerça une grande influence sur la plupart des esprits sérieux, non pas seulement en philosophie. Son premier ouvrage Sur le fondement des idées absolues du vrai, du beau et du bien renfermait un enseignement littéraire plus puissant et plus fécond que tous les livres écrits pendant le siècle précédent sur la littérature. Il a posé la base de l’esthétique, et les écrits purement littéraires qu’il a publiés depuis ont montré que, si nul n’était plus digne de découvrir et de dévoiler les sources philosophiques du beau, personne n’était aussi plus capable d’en appliquer les principes dans les œuvres d’art.

Telle est la part de chaque province de la France dans son histoire littéraire. Parmi les auteurs contemporains, nous nous bornerons, pour terminer cette esquisse générale de notre histoire littéraire, à citer les plus connus, en attendant que la postérité ait prononcé : — en philosophie : Renan, l’auteur de la Vie de Jésus ; Jules Simon, Vacherot, l’auteur de l’Histoire critique de l’École d’Alexandrie ; Auguste Comte, le chef de l’école positiviste ; Ad. Franck ; — en histoire : Mignet, Louis Blanc, Victor Duruy, Henri Martin, Lanfrey, d’Haussonville, Camille Rousset, Ternaux, Achille de Vaulabelle ; — en géographie, après les Gosselin, les d’Anville, qui avaient illustré le siècle dernier : Conrad Malte-Brun, Danois d’origine, mais Français et Parisien par ses écrits ; Jomard, Vivien de Saint-Martin, d’Avezac, Ernest Desjardins, Élisée Reclus, E. Levasseur, Ad. Joanne, E. Cortambert ; — en philologie : J.-J. Ampère, Littré, Ch. Magnin, Désiré Nisard, Taine ; — en poésie : Victor Hugo, François Coppée, Jean Richepin, Joseph Autran, Sully-Prudhomme, Victor de Laprade, Leconte de Lisle, Théodore de Banville ; — en littérature dramatique : Victorien Sardou, Alexandre Dumas fils ; Octave Feuillet, Camille Doucet, Henri Bornier ; — dans le roman : Gustave Flaubert, Zola, Jules Claretie, Ernest Feydeau, Erckmann-Chatrian, Alphonse Karr, Jules Sandeau, Jules Verne, les frères de Goncourt, etc.