Malte-Brun - la France illustrée/0/5/2/6/8

Jules Rouff (1p. lxx).
PRÉSIDENCE DE LOUIS-NAPOLÉON.

Cependant le suffrage universel avait appelé à la présidence de la république le prince Louis-Napoléon Bonaparte, déjà représentant du peuple, et le premier acte de l’élu du 10 décembre avait été de prêter serment à la constitution proclamée solennellement le 12 novembre. Mais, entre deux pouvoirs dont l’un finit et l’autre commence, l’harmonie n’est pas facile. Suivant l’ordre réglé par la constitution, ils n’avaient pas, il est vrai, les mêmes prérogatives, mais ils avaient la même origine, et l’Assemblée ne se dissimula point que du jour où le vœu populaire avait fait choix de l’héritier de Napoléon, il n’y avait pas loin de la république à l’empire. C’est au milieu de ces craintes pour les uns, de ces espérances pour les autres, qu’elle acheva sa mission. Héritière de ses fautes, non seulement la Législative ne sut pas les réparer, mais elle en commit elle-même de plus graves. Conseillée et dirigée par les chefs des anciens partis monarchiques, par conséquent hostile aux hommes de 1848 et à ceux qui désiraient le rétablissement de l’empire, elle se perdit par son indécision. Comme elle n’avait pas respecté la constitution, au jour du danger elle se trouva sans force pour la défendre. Après le coup d’État qui la déclara dissoute, elle essaya vainement de résister ; les 220 représentants réunis, le matin du 2 décembre, à la mairie du Xe arrondissement furent arrêtés. Déjà plusieurs autres et des plus influents avaient été conduits, pendant la nuit, à la prison de Mazas et de là au Mont-Valérien. Cependant les républicains parvinrent à organiser un plan de bataille sans pouvoir trouver assez de combattants, quoique plusieurs députés eussent fait un appel à la résistance, et que l’un d’eux, Baudin, fût tombé près d’une barricade. Soixante représentants de la Montagne furent expulsés du territoire français, et un certain nombre de représentants monarchiques éloignés momentanément. Dans les provinces, des troubles plus graves éclatèrent dans les départements de l’Allier, de la Nièvre, de la Côte-d’Or, de Saône-et-Loire, du Jura, du Gard, du Gers, de l’Yonne, de la Drôme, de Lot-et-Garonne, du Var, des Basses-Alpes. Ainsi que l’avait dit M. Thiers, le 10 décembre l’empire était déjà fait, et le 7 novembre 1852, après avoir reçu la sanction populaire de sept millions et demi de suffrages, Louis-Napoléon, en vertu d’un sénatus-consulte, quittait l’Élysée pour aller s’établir aux Tuileries sous le nom de Napoléon III.