Malte-Brun - la France illustrée/0/5/2/6/7

Jules Rouff (1p. lxix-lxx).
SECONDE RÉPUBLIQUE.

Jamais révolution n’avait été plus soudaine et plus imprévue : tiers parti, opposition constitutionnelle, radicaux eux-mêmes ne croyaient pas que la chute de la monarchie de Juillet fût si imminente, et grand fut l’étonnement des Parisiens lorsque, en se réveillant le 25 février, ils se virent en pleine république.

Après les événements du 24, — l’invasion des Tuileries et de la Chambre par le peuple, — les chefs de l’insurrection s’étaient portés à l’Hôtel de ville. C’est là, dans un conseil tenu par quelques députés de l’opposition et par quelques écrivains de la presse républicaine, qu’un gouvernement provisoire avait été nommé d’urgence. Ce gouvernement se composait MM. de Lamartine, François Arago, Ledru-Rollin, Garnier-Pagès, Marie, Armand Marrast, Crémieux, Louis Blanc, Flocon et Albert. Bien qu’il n’eût point mandat pour changer la forme politique de la France, s’inspirant des circonstances ou plutôt paraissant céder au vœu du peuple, dont quelques bandes armées sur la place de l’Hôtel-de-Ville demandaient à grands cris la république, il prit sur lui de la décréter, en en réservant cependant la sanction à une assemblée constituante qu’il convoqua pour le 4 mai, jour mémorable dans les fastes des assemblées délibérantes : — c’était l’anniversaire de l’ouverture des états généraux de 1789. — Alors, par un effet de cet amour du changement qui caractérise l’esprit français, les adhésions et les offres de service vinrent en foule au nouveau gouvernement. La multitude arbora ses couleurs et lui souhaita la bienvenue. Ces acclamations paraissaient sincères, — et comment une république qui avait pour représentant et pour interprète devant la France et devant l’Europe le poète des Méditations et des Harmonies n’eût-elle pas rallié tous les cœurs honnêtes et rassuré tous les intérêts ? — Jusque-là les plus timides n’avaient point séparé l’idée républicaine des violences de 93 ; mais, en voyant le gouvernement provisoire abolir la peine de mort en matière politique et recommander le respect des propriétés, l’oubli du passé, l’union, la paix, la concorde, ils commencèrent à comprendre que la république pouvait exister non comme une dictature sanglante et terrible, mais comme une forme de gouvernement sage et appropriée aux progrès de la civilisation d’un peuple éclairé. Toutefois, les difficultés étaient immenses. À peine installé, le gouvernement provisoire eut à lutter contre son propre parti. Celui-ci, qui ne voyait dans la révolution de Février qu’une révolution sociale, et dans la république qu’un moyen pour arriver à son but, commença par demander le drapeau rouge. Repoussé dans sa tentative par l’héroïque parole de M. de Lamartine, il se réfugia dans les clubs et dans les ateliers nationaux et y conspira. Cependant le gouvernement provisoire eut l’habileté de prévenir toute collision tant que la responsabilité du pouvoir pesa sur lui, et il sut dominer les partis par l’ascendant des divers noms qui se rencontraient dans son sein. Il fut beau d’avoir maintenu la paix ; il l’eût été davantage d’imprimer aux événements une marche plus certaine, et de préparer l’avenir par un peu plus d’énergie et d’audace. Il y avait encore des esclaves dans les colonies françaises le gouvernement provisoire abolit l’esclavage, et l’Assemblée nationale ratifia plus tard cette mesure si impérieusement réclamée par l’humanité.

Le gouvernement provisoire abdiqua le 4 mai 1848 entre les mains de l’Assemblée constituante. Après avoir acclamé la république, celle-ci confia le pouvoir exécutif à une commission de cinq membres. Ces cinq archontes étaient : Lamartine, François Arago, Marie, Ledru-Rollin et Garnier-Pagès. — Sortie du suffrage universel, animée de l’esprit de progrès et de réforme, la Constituante se mit à l’œuvre. Mais déjà la désaffection et l’anarchie menaçaient également l’avenir de la jeune république. Du sein des clubs et des ateliers nationaux partaient chaque jour des appels à la révolte. Après l’échauffourée du 15 mai, où l’Assemblée se vit envahie par des bandes factieuses, vinrent les journées des 23, 24, 25 et 26 juin 1848. Pendant ces quatre journées, les plus terribles et les plus sanglantes dont Paris ait jamais été témoin, la grande cité ne fut qu’un vaste champ de bataille où la garde nationale, la garde mobile et l’armée défendirent vaillamment l’ordre et la société contre l’anarchie. Cependant l’Assemblée s’était déclarée en permanence : elle avait retiré à la commission exécutive ses pouvoirs et confié la dictature au général Cavaignac. Après avoir rétabli l’ordre, ce général s’empressa de déposer entre les mains de l’Assemblée ses pouvoirs extraordinaires ; l’Assemblée reconnaissante déclara qu’il avait bien mérité de la patrie, et le chargea du pouvoir exécutif. Républicain sage et ferme, il s’appliqua à pacifier les esprits ; il fit un appel aux savants pour chercher les moyens de résoudre les questions sociales que la révolution de Février avait posées. Il sut en même temps résister à ceux qui regrettaient le passé, à qui les journées de mai et de juin avaient rendu quelques espérances, et aux anarchistes qui n’avaient pas renoncé à leur dessein de bouleverser la société. Vaincu dans l’élection présidentielle, il dut résigner ses pouvoirs, et il le fit avec une dignité vraiment antique, dont l’histoire lui tiendra compte (10 décembre 1848).