Maison rustique du XIXe siècle/éd. 1844/Livre 2/ch. 3

Texte établi par Jacques Alexandre Bixiola librairie agricole (Tome secondp. 37-52).
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CHAPITRE III. — Des plantes économiques.

* Sommaire des sections de ce chapitre *
Sect. 1re
De la betterave. 
 ib.
Sect. 2. 
De la chicorée. 
 46
Sect. 3. 
Du tabac. 
 47
Sect. 4. 
De la patate. 
 ib.

Section 1re. — De la Betterave.
§ 1er. — Avantages et emplois de la betterave.

Les avantages que présente la betterave comme plante saccharine, sont maintenant démontrés par la prospérité irrécusable le nombreux établissemens, où l’on se livre avec le plus grand succès à l’extraction du sucre que renferme sa racine. Cette industrie, d’origine toute française, après avoir été dédaignée à sa naissance, conspuée même par les étrangers, languissante alors que le sucre était à un prix exorbitant, prend, depuis quelques années, un essor qui va toujours croissant, parce que le perfectionnement des procédés, les conseils et la persévérance des hommes habiles qui y voyaient une source de richesse agricole, l’aplomb manufacturier toujours si lent à s’acquérir dans une industrie nouvelle, y font actuellement trouver à un grand nombre de fabriques des bénéfices assurés et considérables, malgré la baisse des prix dune denrée devenue de première nécessité.

Si l’on considère que la consommation du sucre n’est encore en France que de 2 1/2 à 3 livres par individu, tandis qu’en Angleterre et en Hollande elle approche de 16 livres, on reconnaîtra que l’avenir le plus brillant attend cette industrie toute nationale ; M. de Dombasle vient de démontrer qu’elle n’est pas éloignée de l’époque où elle pourra livrer le sucre brut à 20 cent, la livre, et où, propagée sur tout le sol français, sans diminuer la culture des plantes panaires, elle donnera partout un produit nouveau qui fournira à la fois à la population laborieuse, une ressource alimentaire d’une très-grande importance, et des moyens de travail qui accroîtront considérablement son aisance. Mais, que des droits onéreux, des entraves gênantes ne viennent pas arrêter cette prospérité naissante ! sur beaucoup de points, cette industrie on est encore à des tâtonnemens ; arrivée à une période d’effervescence et de progrès, elle est loin d’être fixée irrévocablement ; et des mesures décourageantes ne sauraient manquer de faire périr une foule d’établissemens et d’empêcher la fondation d’un bien plus grand nombre encore.

En effet, bien des contrées de la France négligent encore la culture de la betterave, qui offre le triple avantage de s’intercaler tres-heureusement dans les assolemens ; de permettre l’éducation et l’engraissement d’un grand nombre de bestiaux ; enfin, de créer une branche d’industrie qui se lie intimement à l’exploitation agricole et qui vient adjoindre ses bénéfices aux siens. Tandis que les départemens du Pas-de-Calais, du Nord, de l’Aisne, de la Somme, possèdent beaucoup de fabriques de sucre de betterave, et que tous les jours il s’y en élève de nouvelles, quelques autres départemens ne renferment qu’un ou deux de ces établissemens, et plus des trois-quarts des provinces de la France en sont totalement privées.

Considérée comme nourriture du bétail, la betterave ne réunit pas de moindres avantages, et elle l’emporte dans un grand nombre de circonstances si on la compare aux autres récoltes qui peuvent occuper la même place qu’elle dans les assolemens. Elle convient à une plus grande variété de terrains, sa culture est moins coûteuse, elle est plus salubre pour les bestiaux que la pomme-de-terre, lorsque celle-ci est administrée crue ; comparée aux carottes et aux navets, ses avantages sont encore plus incontestables, à cause des soins minutieux ou des chances de perte qui s’appliquent à ces plantes ; en outre, la betterave se conserve beaucoup plus facilement, et, sous le rapport de la faculté nutritive, les bonnes variétés sont peu inférieures, à poids égal, aux pommes-de terre, et très-supérieures aux carottes et aux navets ; aucune racine ne favorise autant la formation de la chair et de la graisse dans les animaux. De toutes les racines que l’on cultive pour la nourriture du bétail, dit M. de Dombasle, il n’en est donc aucune dont la culture puisse se généraliser avec plus d’avantages dans les exploitations rurales, que la betterave. Ajoutons cependant que divers faits et l’opinion de beaucoup de praticiens semblent prouver que c’est une nourriture peu convenable pour les vaches laitières qu’elle engraisse aux dépens de la production du lait. Au reste, on peut obvier à cet inconvénient en donnant avec les betteraves des pommes-de-terre crues, et c’est peut-être la manière la plus avantageuse de faire consommer ces dernières à toute espèce de bétail.

Une destination encore peu connue de la betterave, c’est la préparation d’une poudre proper a remplacer le café, et qu’un grand nombre de personnes ont trouvée supérieure au café de chicorée dont le débit est très-considérable, puisque 55 fabriques en France sont occupées à sa préparation. Pour le café de betterave on se livre déjà à sa fabrication à Angers, au Mesnil Saint-Firmin, à Oëstres près Saint-Quentin, et peut-être ailleurs encore. Cet usage fait trouver un emploi lucratif des racines très-petites et des bouts des grosses betteraves. Ces fabrications seront décrites dans le livre des Arts agricoles.

L’emploi des feuilles de la betterave, pour la nourriture des bestiaux, et cette observation que leur enlèvement modéré n’empêche pas les racines de produire, ont tenté bien des cultivateurs. Mais il paraît certain que l’enlèvement des feuilles, durant la végétation, altère les qualités de la plante et surtout diminue la proportion du principe sucré. Jusqu’à des expériences bien précises qui démontrent le contraire, le cultivateur de betteraves pour la fabrication du sucre doit donc s’interdire l’enlèvement des feuilles pendant l’été ; mais cet enlèvement doit toujours avoir lieu au moment de l’arrachement, et aloi’s on peut utiliser les feuilles en les faisant manger par les vaches, les moutons, les porcs.

La quantité qui se trouve alors disponible, dans une exploitation considérable, ne pouvant être consommée, on pourrait en former un fourrage vert salé, très-succulent, en en tassant les feuilles de betterave, dans des tonneaux, par couches alternatives, avec du sel. Quand on ne les conserve pas de la sorte, on les répand sur le sol même qu’elles contribuent à engraisser. — Lorsqu’on cultive la betterave pour la nourriture des bestiaux, on doit alors sans crainte profiter du fourrage toujours un peu relâchant que produit l’effeuillement. Cette opération commence environ un mois ou six semaines avant la récolte, et peut se répéter tous les quinze jours ; on doit avoir soin de n’enlever que les feuilles inférieures qui s’abaissent vers la terre ; il est essentiel de les casser net, sans laisser de chicot, et à leur naissance sur la racine.

§ II. — Terrain, climat, assolemens, engrais qui conviennent à la betterave.

La culture de la betterave est facile et n’offre rien qui soit au-dessus de la portée du plus simple agriculteur. On peut la cultiver dans presque tous les terrains, mais avec plus ou moins d’avantages ; ceux qu’elle préfère sont les sols légers, meubles, profonds, riches en humus, tels que les terrains d’alluvion ; dans les sols sablonneux elle n’arrive pas aux dimensions considérables de 10 à 20 ivres qu’elle atteint dans les terrains très-nutritifs, mais les racines, de 1 à 2 livres, y contiennent plus de matière saccharine. M. le comte Chaptal, qui a tant contribué à la propagation de cette industrie par ses ouvrages et ses exemples, a toujours préféré les racines d’une à deux livres, plus abondantes en sucre, et qui permettent de l’extraire à moins de frais, quoique l’hectare n’en fournisse alors que de 20 à 30 milliers de kilos, plutôt que ces énormes racines qui contiennent beaucoup d’eau et qui peuvent produire une masse de 100 milliers de kilos de betteraves par hectare. Les sols les moins favorables à la culture de cette plante sont les terres argileuses et tenaces, dans lesquelles les variétés dont les racines sortent déterre sont préférables, ainsi que dans les sols peu profonds, parce que leur croissance y est moins gênée et l’arrachage moins difficile. Les terrains très-calcaires ne conviennent pas non plus. On peut dire, en général, que la plupart des terres à froment qui ne sont pas trop argileuses, et la plupart des terres à seigle qui ne sont pas trop crayeuses ni trop maigres, peuvent avantageusement être cultivées en betteraves.

La betterave parait se plaire sous des climats très-variés ; elle vient parfaitement en Allemagne, en Belgique, en Russie, dans le nord de la France ; dans les contrées humides elle prend un très-grand développement, et est aussi, de toutes les racines cultivées, celle qui souffre le moins des sécheresses et s’accommode le mieux du climat chaud du midi : on la croit, en effet, originaire des contrées méridionales de l’Europe, et notamment des côtes du Portugal et de l’Espagne. — M. Aug. de Gasparin a reconnu, par une longue expérience, que la betterave est la seule racine à laquelle on puisse, en Provence, s’adresser avec confiance pour remplacer les prairies artificielles, dont l’insuffisance et la casualité sont trop certaines sous ce climat ardent. La culture parait devoir subir dans ces contrées quelques modifications que nous allons indiquer sur-le-champ d’après cet agronome distingué. Le sol est toujours défoncé à deux traits de charrues, bien ameubli et préparé à recevoir la semence par un grand rouleau annelé qu’on promène sur le sol fraîchement labouré, et qui y dessine des ados sur le sommet desquels on place la graine ; cette graine est mise en place à la cheville, et pour obvier à l’inconvénient qui résulte des pluies battantes et des vents violens qui durcissent le sol au point de rendre presque impossible la sortie des graines hors de terre, on recouvre les graines avec de la silice pure (un semoir approprié pourrait exécuter ces deux opérations) ; les plantes ne sont espacées que d’un pied, ce qui en donne 90,000 à l’hectare, et peut porter le produit, avec une moyenne de deux livres par racine, à 1800 quintaux.

La betterave peut très-bien trouver place dans l’assolement triennal et remplacer la jachère. M. Vilmorin pense que si la betterave promet à la France d’immenses avantages comme plante saccharine, elle lui rendra peut-être encore un plus grand service en introduisant dans notre agriculture une première habitude des cultures sarclées, et préparant ainsi la voie à l’adoption des bons assolemens dont elles sont la base fondamentale. Aux cultivateurs qui tiennent à l’assolement triennal par un motif quelconque, on peut donc conseiller de mener ce qu’ils ont de fumier sur une étendue convenable de leurs chaumes d’avoine, de donner de bons labours, semer en betteraves, et, après la récolte en octobre ou novembre, ensemencer en blé pour lequel les betteraves fumées et bien cultivées auront été une excellente préparation. — Dans l’assolement quadriennal la véritable place de la betterave est marquée après l’avoine qui suit le défrichement des trèfles, des luzernes, etc.; en effet, elle ne prospère pas toutes les fois que les gazons et les racines de ces plantes ne sont pas complètement décomposés.

La betterave demande un sol abondant en principes nutritifs ; il convient donc de fumer à l’automne ou du moins avant janvier. Si on ne l’a pu absolument et qu’on ne le fasse qu’à l’hiver ou au printemps, c’est toujours alors avec du fumier consommé. Quant à la proportion de l’engrais, elle est la même que si l’on voulait immédiatement confier le froment au sol. A moins que la terre ne soit épuisée, cette fumure ne sera pas absorbée par les betteraves, et son influence, jointe au bénéfice des préparations que le sol va recevoir, donnera, l’année suivante, un blé qui sera au moins aussi beau et aussi productif, et toujours plus propre que s’il avait suivi l’engrais.

Beaucoup de fabricans de sucre veulent éviter l’emploi du fumier dans la culture des betteraves destinées à l’extraction du sucre, et sont alors en désaccord avec les cultivateurs qui ne peuvent se condamner à une récolte souvent moitié moindre, à moins que le quintal de racines ne leur soit payé le double. S’il est certain qu’une forte fumure nuit à la qualité des betteraves et qu’il est essentiel au fabricant d’éviter l’excès sous ce rapport, cependant on peut dire que le fumier ne saurait être proscrit que quand le sol est déjà dans un haut état de fertilité, cas fort rare ; ou bien, comme c’est le plus ordinaire dans le département du Nord, lorsque la betterave succède au blé qui a reçu la fumure.

On doit aussi faire une grande attention aux engrais dont on se sert ; car la composition chimique de la betterave est toujours influencée par la nature des matières solubles du sol où elle croît ; ainsi, lorsqu’on a employé beaucoup de fumier de bœufs ou de chevaux, le jus des betteraves renferme de la potasse et de l’ammoniaque combinées qui deviennent libres et jouent dans la fabrication un rôle nuisible. Les engrais les moins énergiques, et spécialement les récoltes enfouies en vert, sont donc particulièrement convenables. — M. de Dombasle est d’avis, lorsque le sol n’est pas assez riche pour que l’on puisse espérer après les betteraves une bonne récolte de céréales, d’éviter d’appliquer des engrais dont l’efficacité est très-prompte et agit sur la première récolte plus que sur la seconde, comme le fumier de bêtes à laine, surtout le parcage, les engrais liquides, la poudrette, et même le fumier de cheval décomposé, et de préférer le fumier de bêtes à cornes dans son état frais. — Dans le pays d’Altembourg (Saxe), d’après M. Moll, les cultivateurs ne craignent pas, en sus de la fumure ordinaire, d’arroser plusieurs fois avec du purin leurs betteraves, depuis l’instant du repiquage jusqu’à celui de la récolte ; on le répand après la pluie et par divers moyens appropriés. (Voyez Tome I, page 96.) — Au surplus, lorsqu’on adopte le mode de culture par repiquage, il est essentiel que le sol de la pépinière soit fumé plus fortement, afin qu’il produise du plant assez gros pour assurer la reprise.

§ III. — Culture de la betterave.

Les préparations préliminaires du sol varient en raison de la nature et de l’état dans lequel il se trouve ; mais, en général, on peut prendre pour modèle ce qui se pratique dans le département du Nord, que nous allons citer d’après MM. Baudrimont et N. Grar. Que ce soit au blé, comme cela est le plus ordinaire dans ce pays, à l’avoine ou à toute autre culture que la betterave doive succéder, aussitôt que la récolte est fauchée, on forme les gerbes ; ou les réunit en petites meules, les épis en haut, sur des bandes de terre étroites et longitudinales, et on met la charrue dans le champ dans les trois ou quatre jours après la fauchaison ; pour ce labour on se sert du binot, espèce de charrue-cultivateur qui joue, dans l’agriculture flamande, le rôle d’extirpateur. Il résulte de celle pratique que le sol, auquel on n’a pas laissé le temps de se dessécher, n’offre pas de difficulté au labourage ; toutes les mauvaises herbes sont retournées et leurs racines ex-K osées au soleil qui les dessèche ; un coup de erse, donné quelque temps après, produit le même effet sur celles qui ont échappé ; de plus, la chaleur étant encore fort grande, les graines de ces mauvaises herbes germent très-vite, et, avant qu’elles arrivent en graines, on les détruit de nouveau par un second binotage et un second hersage. — On laboure alors avec la charrue ordinaire, et souvent le temps est encore assez doux pour que les graines de mauvaises herbes, amenées du fond, puissent germer pour être détruites au printemps. — Cette manière de préparer le terrain assure l’ameublissement parfait du sol, qui est essentiel sous tous les rapports, et spécialement utile en ce qu’il permet à la betterave de pivoter et de ne point se ramifier. — Au printemps, on donne un nouveau labour à la terre ; on la travaille encore quelquefois au binot, puis l’on herse, l’on roule et l’on ploutre : le ploutrage consiste à faire passer sur la terre la herse retournée sur le dos, et son effet est de briser toutes les mottes de terre en les saisissant entre les barres qui servent de traverses à la herse. — Tel est le mode le plus général d’arranger le sol. Dans les terres sablonneuses et blanches, on préfère binoter plusieurs fois avant l’hiver et ne labourer qu’au printemps.

Le choix de la variété de betteraves à cultiver, lorsque la pulpe doit servira l’extraction du sucre, est très-important ; car M. Payen a reconnu que ce principe est contenu, selon les différentes variétés, dans des proportions qui varient entre 0,05 et 0,09, et par cela seul qu’on aura adopté une variété de préférence à une autre, on pourra, lors de la fabrication, d’une quantité égale de betterave obtenir plus de jus, d’une quantité égale de jus plus de sirop, d’une quantité égale de sirop plus de sucre, enfin d’une même quantité de sucre un plus grand prix. — Les Betteraves cultivées dont nous allons citer les principales, ne sont que des sous-variétés de la Betterave (Betaravia) qui est une variété de la Betterave commune (Beta vulgaris), laquelle est elle-même une espèce de Bette (Beta), genre de la famille des Chénoponées, Juss.

La Betterave longue rose, ou au Palatinat, dite racine de disette, racine d’abondance, Betterave champêtre, turlips dans quelques départemens de l’Est (Beta sylvestris ; en anglais, Field-Beet ; en allemand, Mangold-würzel ; en italien, Biettola), est la variété la plus connue, avec les Betteraves panachées et rouges, qui parviennent au plus fort volume, mais sont aussi celles qui renferment le moins de sucre. Elles ne doivent être préférées aux autres, à cause de leur produit considérable en feuilles et en racines, que lorsqu’on les destine à la nourriture des bestiaux ; encore M. de Dombasle annonce-t-il avoir reconnu que 5 parties de la grosse disette ne contiennent pas plus de substance nutritive pour les animaux que 3 de la suivante.

La Betterave blanche, dite de Silésie (Beta Alba)(fig. 29),et la variété à peau rose et chair blanche, sont les espèces qui donnent le plus de jus et le plus de sucre et qui paraissent, sous tous les rapports, mériter la préférence pour la fabrication et même pour la nourriture des bestiaux ; elles résistent mieux aux sécheresses, sont moins aqueuses, plus nutritives, presque aussi productives, se conservent et résistent aux gelées beaucoup mieux.

Fig. 29.

On a beaucoup vanté, avant cette variété, la Betterave Jaune (Beta lutea major), qui vient très-grosse.

La Betterave à peau rose et à cercles concentriques roses et blancs dans la section transversale, donne des produits assez bons, mais est inférieure en racines, aux précédentes :

Enfin, on connaît encore la B. jaune blanche (à peau jaune et à chair blanche), que M. de Dombasle a trouvée la plus riche en sucre après la blanche, mais elle est très-peu répandue et donne peu de jus.

La difficulté de trouver de la graine bien pure et surtout bien choisie, et l’inconvénient qui en résulte d’avoir des racines très-mêlées ou très-petites, rabougries et sans valeur, doivent engager le cultivateur à recueillir lui-même sa semence ; à cet effet, il doit conserver un certain nombre des racines les plus belles, ni trop longues, ni trop courtes, point branchues, et annonçant une végétation vigoureuse. On leur enlève les feuilles, mais sans loucher au collet ; on les conserve placées debout dans du sable et dans un cellier sec et frais, pour les mettre en terre au printemps, dès qu’on n’a plus de gelées à craindre, dans un bon sol mais non récemment fumé ; on les plante à 3 pieds de distance en tout sens, en ne laissant sortir de terre que le collet. Il est bon, lorsque les tiges commencent à se ramifier, de placer quelques échalas ou rames autour des plantes et de les y attacher. La graine se récolte en septembre, à mesure quelle mûrit ; on ne doit prendre que la meilleure et celle qui est très-mûre, et rejeter ou laisser sur le pied toute celle qui offre de l’incertitude dans ses qualités. Chaque pied de betterave peut fournir depuis 5 jusqu’à 10 onces de semence. On peut battre la graine au fléau, mais elle est alors moins pure ; en tout cas, après l’avoir battue, il faut la faire sécher au soleil sur des toiles, ou dans une touraille avec un feu très-doux. — Elle conserve sa faculté germinative pendant 4 à 5 années. — Lorsqu’on veut avoir des semences de diverses variétés, il faut avoir soin d’en éloigner les porte-graines ; autrement les poussières fécondantes se mêleraient et les variétés cesseraient d’être pures.

L’époque la plus convenable pour le semis de la betterave est celle où la terre, déjà échauffée par le soleil et parfaitement meuble, renferme encore assez d’humidité pour favoriser la germination et hâter le développement de la plante, et où les gelées printanières seront peu à craindre quand les premières feuilles sortiront de terre. La dernière moitié d’avril et la première de mai, pour le nord et le centre de la France, réunissent ces conditions. On conçoit que, dans le midi, celte époque doit être avancée, et d’autant plus que l’on redoute davantage les sécheresses de l’été. — Toutes les fois que la terre est saine et en état, et la température favorable, il y a même avantage, dans le nord et le centre de la France, à semer plus tôt, c’est-à-dire dans la première quinzaine d’avril ; ce temps à gagner n’est pas à dédaigner lorsqu’on a de grands semis à faire ; il est encore plus important sous le rapport de la précocité de la récolte. Au surplus, lorsqu’on sème trop tôt, les betteraves lèvent le plus souvent mal et inégalement, parce que le sol n’est pas assez échauffé, et, en outre, on les met aux prises avec une multitude d’herbes parasites qui les étouffent ou rendent les sarclages plus difficiles et plus dispendieux. — Lorsqu’on sème tard, ce qui réussit bien néanmoins quelquefois, on risque de voir la sécheresse et les chaleurs empêcher le premier développement ou diminuer la végétation des plantes, et on recule nécessairement l’époque de la récolte. Nous ignorons dans quelles circonstances et d’après quelles expériences M C. Tollard conseille de semer le plus tard possible, c’est-à-dire à l’époque la plus rapprochée de la dernière quinzaine de juin.

La graine de betterave étant assez longtemps à germer, pour en hâter la levée, certains cultivateurs la mettent tremper pendant plusieurs jours dans de l’eau ou du purin ; on obtient ainsi une avance importante, mais on risque quelquefois, si la saison est défavorable, de perdre la semaille.

Le semis a lieu : 1° à la volée, comme pour les céréales, ce qui exige de 10 à 12 kilog. de graine par hectare : cette méthode réunit tant d’inconvéniens et si peu d’avantages, qu’elle est généralement abandonnée dans toutes les bonnes cultures.

En rayons ou lignes, méthode qui exige au plus de 5 à 6 kilog. de graine. Dans ce cas, on trace sur le sol bien préparé, à l’aide d’un rayonneur pourvu de socs distans les uns des autres de 1 pied et demi à 2 pieds et demi, de petits sillons parfaitement droits et parallèles entre eux, quii doivent avoir environ 2 pouces de profondeur ; des femmes suivent l’instrument et déposent les graines dans les rayons au nombre de 3 ou 4 par chaque pied de longueur dans la ligne ; chacune d’elles peut en répandre de la sorte environ 7,000 par jour. — Dans la petite culture, où tous les binages devront avoir lieu à la main, 18 pouces entre les lignes, et même de 12 à 15 dans les terres maigres, suffisent, et on peut mettre les 3 ou 4 graines par touffes, à chaque longueur de 9 à 15 pouces, ce qui offre l’avantage de garnir le champ d’une manière plus égale.

L’emploi d’un semoir pourvu de pieds rayonneurs et suivi d’une chaîne, d’un râteau ou rouleau, comme il en existe plusieurs, notamment celui de M. Hugues (Tome I, page 214), serait encore plus convenable et plus économique pour celte opération. Dans l’usage de toute espèce de semoir, la graine de betterave coulant très-difficilement à cause de sa légèreté et de ses aspérités, il est essentiel de n’employer que de la semence préalablement nettoyée et exemple de tout corps étranger.

C’est pour remédier à cet inconvénient que M. Chartier a fait connaître tout récemment qu’il pile les graines dans une sébile de bois, puis les crible et pile de nouveau jusqu’à ce qu’elles soient débarrassées des aspérités, et qu’on n’en trouve plus que très-peu adhérentes les unes aux autres ; 1 livre de graine ainsi nettoyée perd environ 1/3 de son poids. Par cette méthode on évite le dépôt et la germination de 3 ou 4 graines à la même place, et conséquemment la nécessité de faire enlever à la main les plants surabondans, opération coûteuse, minutieuse et qui n’est pas sans inconvéniens : en plaçant les rayons à une distance de 2 pieds, et la graine à 10 ou 11 pouces sur les lignes, le kilog. contenant de 40 à 50 mille graines, il faudrait, par la méthode ordinaire, environ 3 kilog. par hectare, tandis qu’après les avoir pilées, 2 suffisent ; il y a donc ainsi économie de main-d’œuvre et de graines. Par là on facilite aussi beaucoup l’emploi des semoirs.

C’est à cause du même inconvénient que M. de Dombasle recommande particulièrement pour la semaille des betteraves, le semoir à brosses et à brouette, avec lequel on n’a pas à craindre les interruptions dans la chute de la graine, dont il est difficile de s’apercevoir dans les grands semoirs, et qui ont l’inconvénient de laisser des lignes entières non semées. La brosse ne doit être serrée que très-légèrement.

Lorsqu’on n’a ni rayonneur, ni semoir, on peut, comme dans le Palatinat, mettre à la suite de la charrue 2 personnes, dont l’une pratique avec la main, ou avec un bâton, un petit enfoncement dans la bande retournée, et dont l’autre dépose dans ce creux les graines de betteraves et les recouvre de terre ; on fait ensuite passer un rouleau.

Dans les terres humides, on fait, à l’aide du buttoir, des sillons espacés de 2 pieds environ, et c’est sur la crête de ces sillons qu’on place les graines.

Dans le département du Nord, la semaille à la houe est la plus usitée ; un cordeau, tendu au moyen de deux piquets, guide un ouvrier qui, faisant entrer un des angles d’une petite houe en terre, pratique une raie de quelques pouces de profondeur ; après cette ligne il en ouvre une deuxième, et ainsi de suite. Une femme suit et dépose dans la première ligne les graines qu’elle prend d’une main dans un panier, les répartit également en faisant constamment jouer le pouce sur les doigts ; une seconde femme recouvre les graines en promenant alternativement les deux pieds sur la raie. L’homme et la première femme doivent marcher en sens contraire, afin qu’arrivant en même temps aux deux extrémités du champ, ils puissent ôter ensemble les piquets du cordeau et les reporter à la ligne suivante.

En pépinières, pour repiquer lorsque le plant est parvenu à une certaine grosseur, manière qui est avantageuse lorsqu’on veut hâter le développement des betteraves, ou lorsqu’on doit les placer dans un sol humide, froid, ou dans des terres très-sales, mais qui impose une transplantation longue, dispendieuse, et qui, en faisant presque toujours perdre aux racines leur pivot, les empêche de s’alonger et leur fait produire une multitude de radicules nuisibles à leur valeur. — Au reste, quel que soit le mode d’ensemencement adapté, le cultivateur doit toujours se réserver quelques milliers de betteraves en pépinière, afin de pouvoir regarnir les vides et remplacer les plantes qui viendraient à périr.

Dans la culture pour transplanter, il faut choisir pour la pépinière un terrain très-riche, parfaitement préparé et bien fumé, même une portion de jardin ; on y répand la semence à la volée ou dans des rayons distans de 4 à 5 pouces, et de manière qu’il y ail de 6 à 8 plants par pied de longueur ; on calcule qu’il faut pour la pépinière le 10e de la surface à repiquer, quantité qu’on pourrait peut-être réduire.

Le repiquage a lieu du 15 mai au 15 juin, lorsque le plant a environ la grosseur du petit doigt ; il y a un grand avantage, dit Schwerz , à faire le repiquage de bonne heure et avec du gros plant, qui résiste aux sécheresses, tandis que le petit périt infailliblement. Avant de repiquer, on coupe les feuilles à 3 ou 4 pouces au-dessus du collet, en ménageant seulement les petites feuilles du cœur. On profite autant que possible, pour le repiquage, d’un temps pluvieux ; cependant il ne faut pas trop différer la transplantation. Lorsqu’on le peut, l’arrosage, avec de l’eau ou avec du purin, est très-avantageux. — Le repiquage s’exécute au plantoir et à la charrue. Pour le repiquage au plantoir, il faut enlever l’extrémité de la racine, qui, en se recourbant, nuirait au développement. On donne au plantoir la longueur qui doit séparer les plants les uns des autres ; armé de cet instrument, chaque ouvrier suit une raie, et pratique un trou assez profond pour que la racine y pénètre jusqu’au collet : il dépose dans ce trou un plant, il serre la terre tout contre, en enfonçant le plantoir une ou deux fois à côté du trou ; puis il termine en appuyant le pied tout près du plant afin d’affermir la terre. — Le Repiquage à la charrue se fait comme pour le Colza (voyez ci-devant, page 4), excepté qu’au lieu de garnir tous les sillons, on n’en garnit qu’un sur trois, en supposant le labour exécuté à 9 pouces. Le plant est couché contre la bande retournée et couvert lorsque la charrue repasse ; il n’y a plus alors qu’à venir presser la terre contre la racine avec le pied.

La méthode du semis en pépinière avec repiquage est peu usitée en France et dans les grandes cultures de la Flandre ; elle est, au contraire, adoptée dans presque toutes les contrées de l’Allemagne, où la betterave est cultivée en grand, et M. de Dombasle la recommande hautement. Ses partisans et ses détracteurs appuient leur sentiment par de très-bonnes raisons qu’il faut abandonner au jugement souverain de la pratique.

Les binages et sarclages fréquens sont la garantie de la prospérité des racines, comme de l’heureux résultat des cultures sarclées pour le nettoiement et la préparation de la terre. Ils sont de première nécessité pour la betterave, et c’est particulièrement sous ce rapport qu’il y a un avantage immense à les cultiver en rayons, l’économie dans les frais de main-d’œuvre s’élevant à plus de moitié.

Dès que les feuilles ont atteint la longueur d’un pouce à un pouce et demi, on procède au premier sarclage. « Aucune plante, dit M. de Dombasle, ne souffre autant que la betterave du retard ou de la négligence apportée dans ce premier sarclage ou dans ceux qui doivent le suivre.» Le premier sarclage a toujours lieu à la main ; on se sert de la serfouette (fig. 327, Tome 1, page 225) on pourrait aussi se servir avec avantages du sarcloir-Hugues (id. fig. 326). — Pour le second, qui se donne quinze jours ou trois semaines plus tard, ou peut encore employer ce sarcloir ou la houe à cheval ; mais, comme dans les cultures subséquentes, et surtout dans les terres dont la surface se durcit facilement, on est toujours obligé de biner à la main dans les ligues. — On doit avoir soin de ne commencer les binages qu’après que la rosée a disparu, ou, s’il a plu, qu’après que la terre est suffisamment ressuyée sans cependant être déjà devenue sèche ou durcie.

L’Éclaircissage des plants s’exécute lors du premier ou du deuxième sarclage. Cet arrachage est une opération indispensable, assez délicate quand plusieurs plantes se touchent, et qui demande à être faite avec attention, en appuyant au pied de celles qu’on veut conserver, et tirant les autres sur le côté en les inclinant. Il doit laisser les plants dans les lignes à 8 ou 10 pouces, et même à 5 ou 6 si l’on veut obtenir des racines moyennes.

Le nombre des sarclages et binages d’entretien est difficile à déterminer : on peut dire qu’il ne faut jamais laisser les mauvaises herbes se développer ni la terre se durcir ; ces opérations sont d’ailleurs peu dispendieuses, et permettent de saisir le moment favorable, la houe à cheval étant assez expéditive pour pouvoir biner de 1 1/2 à 2 hectares par jour, lorsque les lignes sont à 27 pouces, et, le sarcloir-Hugues (Tome 1, p. 225), abrégeant aussi beaucoup la besogne. — On cesse les binages lorsque les feuilles des betteraves s’étendent assez pour gêner dans le fonctionnement de l’instrument et pour arrêter la croissance des mauvaises herbes. — On ne saurait trop répéter que la belle venue des racines, qui est assurée par de nombreux remuemens de la terre, démontre qu’il n’y a pas de plus fausse économie que celle qui porte sur les travaux d’entretien et de propreté qui viennent de nous occuper.

§ IV.— Récolte, conservation, maladies, produits de la betterave.

Lorsqu’on cultive les betteraves pour la fabrication du sucre, encore plus que lorsque c’est pour la nourriture des bestiaux, il est très-important de bien saisir l’époque convenable pour en opérer l’arrachage. MM. Baudrimont et Grar pensent que les betteraves gagnent constamment en terre, jusque dans la saison la plus avancée, aussi bien en grosseur que le jus en densité. Il y aurait donc intérêt à retarder l’arrachage le plus possible, si la crainte des gelées, la quantité qu’on a de betteraves, la nécessité de faire les semailles d’hiver lorsqu’elles succèdent à ces racines, et encore d’autres considérations, n’obligeaient généralement à faire cette opération du 15 septembre à la fin d’octobre, et, dans les grands établissemens, depuis le 1er septembre jusqu’en décembre. Au reste, en arrachant trop tôt les betteraves, il y a l’inconvénient grave, outre qu’elles ne peuvent plus gagner en grosseur et en qualité, et qu’elles se conservent moins bien, que les racines se flétrissent, se rident, s’amollissent, et que l’extraction du sucre est plus difficile.

L’arrachage des betteraves est exécuté par des hommes et souvent par des femmes à l’aide du louchet ou du trident pour celles qui ne sortent point de terre et dans les terres fortes ; il suffit souvent dans les terres légères, et presque toujours pour les racines qui croissent hors de terre, de les tirer par le bas des feuilles. M. de Dombasle emploie pour cette opération une charrue qui a été représentée et décrite (fig. 418, p. 303 du T. 1), et qui rendra de grands services dans les cultures étendues de ces racines, lorsqu’elles sont disposées en lignes. Nous renverrons aux généralités de ce 1er volume, pour les autres détails de cette opération, et nous nous bornerons à dire qu’on doit autant que possible exécuter l’arrachage par un temps sec, afin que la terre qui adhère aux racines s’en détache facilement.

Le décolletage suit immédiatement l’arrachage ; il consiste à couper le collet de la racine, soit d’un seul coup du louchet frappé avec netteté, et après avoir couché les racines sur la terre, soit en prenant la betterave à la main et par des coupures successives avec un couteau ou une serpe. Dans cette opération on enlève aussi l’extrémité des racines et l’excès de terre adhérente : il faut veiller à ce que les ouvriers ne les frappent pas pour cela l’une contre l’autre, cornu e on le fait habituellement, et en général ne les heurtent pas rudement, parce qu’il en résulte des contusions qui déterminent la pourriture des racines dans les tas.

Les betteraves arrachées et décolletées sont mises sur le champ en petits monts qui permettent aux voilures de chargement de le parcourir sans écraser de racines ; on les charge alors pour les conduire aux lieux de conservation ou directement à la fabrique. — Lorsqu’on laisse sur le sol les feuilles et les collets, ces matières peuvent équivaloir à un quart de fumure, pourvu qu’on les enterre immédiatement.

L’arrachement des betteraves, ainsi que leur transport en lieu abrité, doivent toujours précéder les gelées ; si l’on était surpris à contre-saison par le froid, il vaudrait mieux différer l’arrachage, attendu que les racines se conservent mieux en terre que dehors ; mais si elles étaient déjà arrachées et que l’on ne pût pas en opérer le transport, il faudrait les réunir en tas et les couvrir de leurs feuilles ou bien de paille, etc.

Pour la conservation des betteraves, l’opinion générale prescrivait encore naguère de les arracher à la fin de septembre ou au commencement d’octobre, lorsque le jaunissement des feuilles indiquait la maturité des racines, de les laisser parfaitement ressuyer sur le sol, à l’air et au soleil, avant de les mettre en silos, et cela pendant assez longtemps ; enfin, de ne les transporter dans les fosses que par un temps sec. Les fâcheux résultats de cette méthode, devenus évidens en 1830, ouvrirent les yeux des fabricans. Voici sur quels principes MM. Baudrimont et Grar, que nous laisserons presque toujours parler, font reposer la conservation des betteraves, reconnaissant d’abord qu’il faut les arracher le plus tard possible, et beaucoup moins craindre l’humidité que la sécheresse et la chaleur. La betterave, étant une plante bisannuelle, doit continuer de végéter dans les fosses, et l’on ne doit point s’inquiéter des jeunes feuilles qu’elle produit quelquefois, quoiqu’il y passe une petite partie de sucre, parce que si elle ne poussait pas du tout, ce serait un signe évident de la mort du végétal, et il s’ensuivrait promptement une altération dans les principes immédiats ou une espèce de fermentation d’abord acide, puis glaireuse dans laquelle le jus devient visqueux, puis enfin putride, d’où il résulterait avec plus ou moins de célérité, selon les causes agissantes, la décomposition et la pourriture. Lorsque la betterave vient d’un champ fortement fumé ; lorsqu’elle a été arrachée trop tôt, c’est-à-dire avant la suspension naturelle de la végétation ; quand on la rentre ou qu’on la laisse sur le champ par un temps chaud, ce qui la fait rider, la rend molle et flasque, on la prédispose à l’altération que nous venons de signaler. Il résulte de ces principes que, dans les précautions à prendre pour la conservation des betteraves, il est très-essentiel d’éviter tout ce qui peut non seulement faire mourir la plante, mais encore lui occasioner des blessures : « Il faut mettre la betterave fraîche en fosses et aussitôt son arrachement, sans s’inquiéter quelle soit humide ou non ; car l’essentiel est qu’elle ne reçoive pas, de la chaleur du soleil, ce commencement d’altération qui est le germe de la maladie qu’elle emporte dans les conserves ; si on ne peut le faire, il faut du moins couvrir les monceaux avec des feuilles, afin d’éviter une partie du mal. Il faut éviter de mettre en fosses les racines trop sèches ou trop humides : trop d’humidité fait pousser, c’est un mal léger ; trop de sécheresse, joint aux autres circonstances qui se rencontrent dans les fosses, peut faire mourir et par suite pourrir ; on pèche plus souvent par excès de sécheresse que par excès d’humidité. Il faut craindre la chaleur dans les fosses ; car en même temps qu’elle favorise la pousse, elle est aussi une cause très-puissante d’altération ; l’humidité, au contraire, favorable à la pousse, ne contribue pas à l’altération ; il vaudrait mieux un peu d’humidité et le moins possible de chaleur. On doit travailler aussitôt l’arrachage les betteraves provenant de terrains fortement fumés et conserver celles des champs moins engraissés. Il ne faut pas trop bien nettoyer les racines destinées à être mises en fosses, parce qu’on leur fait alors des blessures, des contusions, des froissemens qui ont des dangers, tandis que la terre, qui reste adhérente, n’a d’autre inconvénient que de coûter un peu de transport. En résumé, les betteraves que l’on veut conserver doivent être, autant que possible, récoltées par un temps froid, ni trop sec, ni trop humide, mais plutôt humide que sec.»

Quant à l’époque la plus favorable pour la rentrée des betteraves, d’après les mêmes principes, elle doit avoir lieu le plus tard possible ; cependant la gelée vient mettre un terme à ces retards ; mais généralement on ne croit pas avoir assez de latitude et l’on rentre trop tôt. C’est ainsi que les savans agronomes que nous venons de citer, pensent que des betteraves dont le jus pèse 7 degrés Baumé, peuvent sans danger subir une gelée de 5 à 6° cent. à l’air, et de 6 à 7° en monts couverts ou avant d’être déplantées ; que, par conséquent, on peut différer de rentrer les racines qu’on destine à la conservation, sous le climat de Paris, jusqu’au 22 novembre, époque où, pendant 18 années d’observation, il n’a gelé qu’une seule fois à 5° cent. au dessous de 0°. Ils ont constaté que les betteraves exigent un degré de froid d’autant plus intense pour geler, que leur jus a une plus grande densité, et qu’elles sont d’autant moins susceptibles d’être altérées par la gelée ou plutôt par le dégel, que ce dégel s’opère d’une manière moins brusque.

Quant aux détails des procédés de conservation des racines, par leur rentrée dans des magasins, des caves, et des silos ou fosses, nous renverrons aux généralités données à ce sujet. (Tome 1, page 328.)

Les betteraves ne paraissent sujettes qu’à un petit nombre de maladies, et ne sont pas non plus attaquées par beaucoup d’insectes. Une affection assez commune dans quelques parties de la France, quoiqu’inconnue dans le Nord, est désignée sous le nom de pied-chaud ; M. de Dombasle l’attribue aux froids qui surviennent dans les premiers temps de la croissance et aussi à la mauvaise qualité du terrain. Le premier symptôme de cette maladie, qui se développe toujours avant que les plants aient acquis six feuilles, est la cessation absolue de la croissance ; cependant les feuilles ne paraissent pas souffrir, mais, si l’on examine la racine, on la trouve dans le quart, la moitié, les 3 quarts, ou même la totalité de sa longueur, flétrie, brune et desséchée, sans chevelu ni apparence de vitalité. Les plants attaqués de la sorte périssent souvent ; mais souvent aussi, après 8 ou 15 jours de cette situation, quelques journées chaudes ou une pluie douce font apparaître à l’extrémité des racines quelques points blancs, signes certains de guérison. On ne connaît pas de remède à celte maladie. — Il existe encore une autre affection qui se reconnaît, à l’époque des récoltes, par un trou plus ou moins profond, plus ou moins grand, qui se trouve sous le collet des betteraves, et qui forme une sorte de plaie qu’on pourrait considérer comme le résultat d’une consomption produite par des insectes ou des larves ; la cause de cette lésion est mal connue. Du reste, elle ne fait pas périr les racines ; mais, lors de leur manipulation, on les trouve d’un travail plus difficile et n’offrant qu’un jus d’une qualité inférieure.

Les insectes les plus redoutables pour la betterave sont les larves des hannetons, ou vers-blancs ; elles l’attaquent surtout lorsqu’elle a déjà pris un certain développement, et par conséquent à une époque où il est presque impossible de repiquer les lieux où les plants ont été dévorés. Lorsque le ver blanc attaque une betterave, on voit ses feuilles se flétrir immédiatement : on ne doit jamais balancer à l’arracher aussitôt , afin de détruire ce redoutable ennemi. Pour les moyens préservatifs contre ce fléau, nous renverrons aux généralités (Tome I, page 566), et nous dirons seulement que, lors des labours et des sarclages, il ne faut jamais négliger de faire ramasser les vers-blancs que les instrumens mettent à découvert. — MM. Baudrimont et Grar signalent un autre insecte très-petit qui se rencontre principalement dans les terres fortes et en bon état de fumure, et qui attaque le jeune plant des betteraves avant qu’il ait acquis six feuilles. Il arrive quelquefois que, dans une pièce très-bien levée et de la plus belle apparence, une partie des plants disparaît comme par enchantement ; c’est l’indice de la présence de ces insectes. On ne connaît pas de moyens de destruction et pas d autre remède que de repiquer les places dégarnies, ou bien de semer tard et avec beaucoup de graines ; les jeunes plants atteignent alors plus vite les six feuilles avec lesquelles ils sont hors de danger, ou les ravages sont moins sensibles, et malgré la quantité de plants dévorés, il en reste encore suffisamment.

Tels sont les préceptes qui peuvent guider les agriculteurs dans la culture de la betterave. Il nous reste à estimer la valeur en argent des travaux et des produits ; cette appréciation offre tant de variations en raison des localités, que ce travail ne saurait être consulté qu’à titre de renseignemens ; en effet, tandis que les calculs de M. de Dombasle que nous allons citer, font ressortir le prix de revient des 1000 kilos à 16 fr. 21 cent., et que souvent les fabricans ne les trouvent pas trop chèrement payés à 20 ou 24 fr., il est des contrées où les cultivateurs ne vendent la récolte de l’hectare (graine fournie par le manufacturier) que 100 à 120 francs.

Frais de culture d’un hectare de betteraves, semées en place, d’après M. de Dombasle.
Loyer de la terre 
60 »
Frais généraux de la ferme, comprenant intérêt du capital d’exploitation, entretien des instrumens, dépenses de ménage, etc., évalués par hectare, à 
60 »
Deux labours à 15 fr. (le deuxième pourra souvent être remplacé par une culture à l’extirpateur) 
30 »
Deux hersages, à 3 fr. 
6 »
Fumier : vingt-cinq voitures de 6 à 700 kilos, à 5 fr. font 125 fr., dont moitié à la charge de la récolte de betteraves 
62 50
Semence, 5 kilos à 2 fr. 
10 »
Rayonnage et semaille au semoir 
3 »
Premier sarclage à la main, 30 journées de femme à 75 cent. 
22 50
Deuxième sarclage et éclaircissement de plants, 20 journées de femme 
15 »
2 binages à la houe à cheval 
4 »
Arrachage, décollage et nettoyage des racines, savoir : une journée de 3 chevaux à 2 f. par tête. 
 6f. »c.
2 hommes pour la charrue à arracher 
 4   »  
35 journées de femme pour le nettoyage 
 24  25  
34 25
Transport des racines à la ferme, 3 voitures à un cheval, employées pendant une journée, pour la conduite de 20,000 kilos 
9 »
Chargement, déchargement et emmagasinage des racines, 8 journées d’homme à 1 fr. 
8 »
————
324 25

Produits : Dans un sol où le froment donne en moyenne 15 hectolitres par hectare, on doit obtenir un produit moyen de 20,000 kilos de betteraves, ce qui en établit le prix à 16 fr. 21 c. les 1000 kilos. Dans les terrains assez fertiles pour rendre en moyenne 22 hectolitres de froment, on obtiendra, avec peu de frais supplémentaires , un produit de 50,000 kilos.

Quant à la valeur nutritive des betteraves pour l’alimentation des bestiaux, le même savant agronome a trouvé, par des expériences très-précises, que 100 kilos de betteraves nourrissent autant que 45 kilog. 4 de bon foin ; l’hectare de terrain médiocre produisant au moins 20,000 kilos de racines, donne donc un équivalent de 9,000 kilos (18 milliers) de bon foin, c’est-à-dire le double environ de ce qu’on obtient dans d’excellentes prairies. Et, quant au prix, on voit, d’après les calculs ci-dessus, que, les 1000 kilos de betteraves ne revenant qu’à 16 fr. environ, les 1000 kilos de foin équivalens ne devraient coûter que 36 f. environ, prix qui est ordinairement double.

Si la culture de la betterave n’offre que des pratiques fort simples et généralement connues, il n’en est pas de même de l’extraction du sucre, qui exige des connaissances chimiques, de l’intelligence et de l’habileté, et enfin des capitaux assez considérables ; par conséquent, elle n’est pas à la portée de tous les cultivateurs, mais elle offre aux riches propriétaires un emploi doublement avantageux de leurs capitaux, qui viennent ainsi enrichir et augmenter la valeur des fonds de terre, et introduire dans les assolemens d’immenses améliorations.

Les avantages de la culture de la betterave ne se répartiront sur tous les cultivateurs que quand les fabriques de sucre, au lieu d’être une propriété particulière, seront en quelque sorte un établissement banal créé pour le service d’un certain nombre d’habitans dix même canton. En effet, dans l’état actuel des choses, la création d’une fabrique de sucre de betterave exige une mise de fonds considérable, et, tandis que le propriétaire de cette fabrique, à moins qu’il n’exploite par lui-même une immense étendue de terrain, est sous la dépendance des cultivateurs voisins qui peuvent s’entendre pour lui fournir les racines à un prix exorbitant, ceux-ci sont eux-mêmes aussi dans sa dépendance, puisqu’ils ne peuvent vendre leurs betteraves qu’à lui seul, d’où il résulte qu’il y a réciproquement incertitude dans les placemens. — D’une autre part, il est difficile qu’un grand établissement ait une quantité suffisante de bestiaux pour consommer les résidus des betteraves, et il en résulte qu’on est obligé de les donner à vil prix ou de les laisser perdre. — Ces considérations ont engagé la Société d’encouragement pour l’industrie nationale à proposer un prix de 4,000 fr. en faveur de l’Association agricole formée pour l’exploitation d’une fabrique de sucre de betterave, dont le but principal serait de concourir à l’amélioration de la culture de chaque membre de l’association, en lui fournissant les moyens de nourrir régulièrement un plus grand nombre de bestiaux, et de participer aux avantages de la culture de la betterave et de l’extraction de son sucre, que des moyens bornés ne permettraient pas d’entreprendre individuellement. Ce prix a été remporté par l’association de 15 propriétaires, formée à Saint-Clair (Isère), qui a été aussitôt imitée dans le même département et dans celui de la Drôme par plusieurs établissemens semblables. Faisons des vœux ardens pour voir se répandre une branche d’industrie agricole très-productive, et un mode d’exploitation qui fera participer à ses avantages l’universalité des propriétaires et des fermiers, enfin qui étendra l’esprit d’association qui a tant de peine à s’implanter dans le sol français, et qui y exercerait une si heureuse influence !

C. Bailly de Merlieux.
Section ii. — De la Chicorée.

La Chicorée sauvage (Cichorium intybus. Lin.; en anglais, Chiccory ; en italien, Cicorea ou Radicchio selvaggio) est une plante vivace et laiteuse de la classe des Synanthérées, Rich, et de la famille des Chicoracées, Cass. Elle croit dans toute l’Europe, le long des chemins et aux lieux peu ou point cultivés. Sa racine est fort longue, simple, pivotante, assez charnue ; la première année, elle ne pousse que des feuilles dites radicales, nombreuses, longues de 6 à 18 pouces, larges de 2 à 4 pouces dans la partie supérieure, plus étroites et roncinées dans le bas, et plus ou moins dentées dans toute leur longueur. Vers le milieu du printemps de la seconde année, il s’élève du centre de ces feuilles une tige cannelée, haute de 3 à 6 pieds, munie de feuilles plus petites que les radicales, rameuse dans la partie supérieure, et portant aux aisselles des petites feuilles raméales des fleurs agglomérées, larges de 15 lignes, le plus souvent d’un bleu d’azur, ou presque blanches dans une variété. Ces fleurs s’épanouissent successivement pendant longtemps chaque malin, et se referment avant midi pour ne plus s’ouvrir. Il leur succède des graines oblongues, anguleuses, surmontées d’une petite couronne scarieuse dentée, et contenues au nombre de 15 à 18 dans un calice commun, duquel il est assez difficile de les extraire.— Depuis bien longtemps la racine et les feuilles de la chicorée sont employées en médecine, comme toniques et dépuratives, pour rétablir l’appétit, etc., etc. — Depuis long temps aussi on la cultive dans les jardins, pour en manger les feuilles en salade lorsqu’elles sont encore jeunes et tendres, sous le nom de petite chicorée, ou, sous celui de barbe de capucin, lorsqu’après avoir arraché des racines et les avoir transplantées dans une cave, les feuilles qu’elles y poussent restent blanches, étiolées et tendres. Nous renvoyons aux livres de jardinage pour la manière de cultiver la chicorée sauvage dans les jardins, afin de ne pas trop alonger cet article, et passons tout de suite à la grande culture.

Culture de la chicorée sauvage comme plante fourragère. On doit à Cretté de Palluel l’introduction de la culture en grand de la chicorée sauvage aux environs de Paris. Il la semait au printemps à la volée avec de l’avoine, sur deux labours en terre forte et sur un seul labour en terre légère. On dit que les Anglais la sèment en rayons pour pouvoir la sarcler, mais nous croyons qu’il vaut mieux la semer à la volée, et de manière à ce que les pieds se trouvent à 2 ou 3 pouces les uns des autres, afin que les feuilles couvrent promptement toute la terre, et s’opposent à la croissance des mauvaises herbes ; il en résulte aussi que toutes les feuilles se soutiennent droites mutuellement, et qu’il est plus aisé de les faucher. Les semis d’automne réussissent très-bien, mais une partie des pieds tend à monter en graines le printemps suivant, avant que les racines aient pris une grande dimension, et la récolte des feuilles est moins considérable. Il vaut donc toujours mieux semer au printemps, parce qu’on pourra faire deux ou trois récoltes de feuilles depuis la mi-juillet jusqu’à l’hiver, et quatre ou cinq récoltes l’année suivante.

La racine de la chicorée sauvage étant très-simple, et plongeant perpendiculairement à la profondeur de 15 à 18 pouces, il lui faut une terre qui ait du fond, de la fraîcheur même, quoique cette plante ne soit pas difficile sur la qualité de la terre, et que sa racine pivotante la mette à l’abri des grandes sécheresses. Sa graine étant assez fine, elle doit être peu enterrée ; à cet effet on doit, quand la terre est labourée à la charrue, y passer un coup de herse en travers pour combler en partie les sillons, semer ensuite la graine et la recouvrir avec la herse.

C’est principalement pour les vaches, et comme fourrage destiné à être mangé en vert que l’on cultive la chicorée sauvage. Son usage comme nourriture ne doit être même ni abondant ni continué sans interruption ; car, dit M. Tessier, les animaux qui mangent cette plante prennent en même temps une nourriture et un médicament. Il a été expérimenté que des vaches qui avaient eu de la chicorée sauvage pour seule nourriture pendant quelque temps, ne donnaient plus qu’un mauvais lait et des fromages amers. On ne devra donc semer, sur une ferme, que d’un à trois arpens de chicorée sauvage, en stratifier les feuilles par couches minces avec de la paille de blé ou d’avoine destinée à la nourriture des bestiaux. — La chicorée ne montant pas en graines la première année, on la fauche au fur et à mesure qu’on en a besoin, avec la précaution toutefois de ne pas laisser durcir les feuilles et de les couper quand il ne pleut pas, car elles ont de grandes dispositions à pourrir, et ne peuvent se faner comme d’autres fourrages. — Pendant la seconde et la troisième année, il faudra faucher la chicorée dès que ses tiges seront de la longueur des feuilles, afin que rien ne durcisse et que la plante repousse un plus grand nombre de feuilles. En conséquence, il faudra faucher aussi la partie du champ dont on n’aurait pas besoin pour le moment, dans la crainte de la voir se dégarnir de ses feuilles. Après trois années de récolte, on ménage un petit coin du champ pour obtenir de la graine, et on laboure le reste à la charrue pour ramener les racines de chicorée à la surface, les enlever et les faire cuire pour les cochons.

De la chicorée à café (fig. 30). Celle-ci est une variété de la précédente, plus grande dans toutes ses parties, assez facile à reconnaître, cultivée en Allemagne et dans le nord de la France pour ses racines, lesquelles, après avoir été séchées et torréfiées, sont réduites en une poudre qui remplace celle du café, ou du moins est mêlée avec elle chez les pauvres gens et chez ceux dont le goût n’est pas difficile. C’est pendant le blocus continental, sous l’empire, que la nécessité occasionée par le haut prix des denrées coloniales, a fait recourir aux moyens de suppléer au véritable calé par la poudre de cette chicorée, après qu’on eut essayé avec moins de succès les graines de lupin, des pois-chiche, de l’iris des marais et de plusieurs autres. — Cette variété est moins amère que la chicorée sauvage ordinaire ; sa racine est plus grosse, ses tiges sont sensiblement velues dans la partie inférieure ; ses feuilles, également velues particulièrement sur la nervure médiane en dessous, sont beaucoup plus grandes, plus épaisses et n’offrent pas vers la base les érosions ou les découpures que l’on remarque sur celles de la chicorée sauvage ordinaire ; les feuilles caulinaires surtout, au lieu d’être rétrécies à la base, sont beaucoup plus larges dans cette partie, et embrassent la tige de leurs grandes oreillettes. Des individus ont les fleurs presque blanches, tandis que d’autres les ont d’un bleu d’azur vif. C’est de Lille principalement que les épiciers de Paris tirent la poudre ou le café-chicorée qu’ils débitent dans leur commerce.

Fig. 80.

La culture de la chicorée à café n’est pas plus difficile que celle de l’espèce ; comme ici on doit tendre à obtenir des racines les plus grosses possible, il faut choisir une bonne terre. qui ait delà profondeur, et semer la graine assez clair dès le mois de mars, sarcler et biner le plant quand il en a besoin, afin que les racines prennent un grand développement dans la même année ; car elles devront être arrachées et livrées à la manipulation à la fin de l’automne et pendant l’hiver suivant tandis qu’elles sont pleines de suc. Cependant nous observerons qu’elles ne seraient pas perdues si on ne les arrachait pas à la fin de leur première année ; en poussant des tiges au printemps suivant, elles perdraient en effet de leur fécule, deviendraient coriaces, mais, si après la fructification qui arrive dans le mois d’août, on coupe toutes les tiges près du collet, et que l’on donne un binage, les racines poussent de nouvelles feuilles dans l’automne, et redeviennent aussi tendres et aussi succulentes qu’elles étaient auparavant.

Les racines de la chicorée à café ne craignent pas plus la gelée de nos hivers que celles de l’espèce. On peut les laisser en terre lorsqu’elles sont mûres, et ne les arracher qu’au fur et à mesure qu’on doit les envoyer à la manufacture. Si on craignait qu’une forte gelée prolongée ne permit pas d’ouvrir la terre pendant l’hiver, alors on devrait arracher les racines à la fin de l’automne, les mettre en jauge dans du sable en lieu où on puisse les aller prendre en tout temps, les laver proprement, leur couper la tête, les faire ressuyer, et les livrer au manufacturier qui doit les torréfier et les mettre en poudre, comme il est expliqué dans le Livre qui traite des Arts agricoles.

Poiteau.
Section iii. — Du Tabac.

Fig. 31.

Le Tabac (Nicotiana tabaccum, L. herbe à la reine ; en angl., Tobacco ; en allemand, Bauer tabac ; en italien et en espagnol, Tabacco ou Tabasco, ou Petun) (fig. 31) est une plante de la famille des Solanées ; elle porte le nom de Tabac ou Tabacco, parce que les Espagnols la virent employer à Tabasco en 1518 pour la première fois, comme un objet de luxe, par un cacique. A cette époque, Cortez en envoya des graines à Charles-Quint, qui les fit semer et cultiver avec empressement ; mais ce nouveau produit n’obtint pas dans ce temps un succès tel qu’on s’y attendait. Ce n’est qu’en 1560 que Nicot, ambassadeur français en Portugal, en envoya des graines en France, et l’année suivante cet ambassadeur ayant fait un voyage à Paris, il présenta lui même la plante de Tabac à Catherine de Médicis , qui en devint par la suite tellement enthousiaste, qu’elle le proposait comme un remède pour tous les maux. C’est à cette époque que le tabac prit le nom d’Herbe à la reine. Plus tard Linné lui donna à juste litre le nom générique de Nicotiana en mémoire de Nicot qui l’introduisit le premier dans son pays natal. Au Brésil et dans les Florides, le tabac est connu sous le nom de Petun.

§ 1er. — Espèces et variétés de tabac et leur description.

Il y a plusieurs espèces et variétés de tabac cultivées ; toutes sont originaires de l’Amérique méridionale. Notre but étant de faire connaitre celles qui concourent à former le tabac dont on se sert pour priser ou fumer, nous ne parlerons pas des autres.

Les principales espèces, et les plus employées dans les manufactures des tabacs, sont les suivantes :

Tabac a larges feuilles (Nicotiana latifolia). Sa racine est blanche, fibreuse, rameuse, très- désagréable au goût. Sa tige, grosse d’environ un pouce, s’élève de 4 à 5 pieds. Elle est cylindrique, moelleuse, velue, divisée en rameaux garnis de feuilles alternes, grandes, ovales, lancéolées. L’extrémité de ces rameaux porte des bouquets de fleurs purpurines. Le fruit est une capsule contenant une multitude prodigieuse de semences très-fines. Cette espèce, qu’on peut dire naturalisée en Europe, est la plus avantageuse à cultiver à cause de la grande dimension de ses feuilles, et de la finesse de son goût. Elle fleurit en juillet et août. Elle craint les grands froids, les brouillards et les ouragans. Quelquefois elle supporte les hivers modérés, mais en général elle n’est considérée dans nos climats que comme plante annuelle.

Tabac à feuilles étroites (N. angustifolia). C’est le tabac de Virginie, qui est une variété du précédent. Ses feuilles sont étroites, lancéolées, pointues, le tube des fleurs très-long. Cette variété est plus généralement cultivée en Virginie : c’est celle qui produit le tabac de première qualité, et le plus recherché dans tous les pays, mais elle rapporte moins en quantité, que la première espèce.

Tabac en arbre (N. fruticosa). Plusieurs botanistes soutiennent que cette espèce ne diffère nullement de la première. Abritée en orangerie ou laissée en plein air dans les pays où les hivers sont doux, elle devient ligneuse, forme un joli arbrisseau d’environ 5 pieds, qui dure trois ans, et qui produit du tabac aussi bon que celui de la première espèce.

Tabac rustique (N. rustica). C’est une espèce moins précieuse et moins cultivée que les précédentes. Sa tige n’a que 2 ou 3 pieds de hauteur, se divise en beaucoup de rameaux garnis de feuilles petites, ovales, obtuses, très-entières, velues ; ses fleurs d’un jaune pâle, en bouquets terminaux. Cette espèce vient de l’Amérique méridionale, réussit bien dans les pays chauds, est moins délicate qu’aucune des autres, mais son produit n’est pas très-estimé. C’est pour cette raison qu’elle porte le nom de petite Nicotiane, tabac du Mexique ou faux tabac.

Tabac crépu (N. crispa). C’est une petite espèce provenant du Pérou ou du Brésil. Sa tige est très-branchue, garnie de poils blancs, feuilles étroites, ridées, ondulées, sessiles, amplexicaules. C’est cette espèce qu’on cultive de préférence en Syrie, en Calabre, dans tout l’archipel et l’Asie-Mineure. Le tabac crépu est très-doux : c’est de cette feuille que l’on fait les cigares du Levant.

§ II. — Culture du tabac.

Le tabac ayant une racine très-chevelue, pivotante, fort longue, avec des fibrilles très-fines, une tige moelleuse, très-branchue, et des feuilles grandes et nombreuses, pour donner en peu de mois un rapport abondant, demande une terre très-substantielle, profonde, ni trop légère, ni trop forte, fraîche sans humidité. Les terrains limoneux d’alluvion, ceux à lin, à chanvre, à coton, ceux de première qualité, les terrains neufs surtout, sont ceux qui conviennent le mieux au tabac. De plus, comme il est sensible à la gelée, et qu’il lui faut un certain degré de chaleur, tant pour son accroissement et l’élaboration de ses sucs, que pour sa dessiccation , les terres chaudes, bien exposées au soleil, nourries d’un fumier très-actif, consommé, fort substantiel, à surface plane et abritée contre les vents violens du nord et du nord-ouest, sont des conditions très-essentielles pour sa bonne réussite.

Le champ destiné à porter cette plante doit recevoir au commencement de l’hiver, un premier labour à la charrue, et un second labour au printemps, immédiatement avant la plantation. Ce second labour exige beaucoup de soin, d’exactitude et d’intelligence ; c’est-à-dire qu’on doit détruire les mottes, enlever les pierres, incorporer les fumiers avec le sol, extirper les mauvaises herbes ; en un mot, il est essentiel de bien disposer la terre, comme si l’on voulait cultiver du lin ou du chanvre, ou même des légumes.

Lorsque le terrain est ainsi préparé, on le divise en lignes parallèles distantes de 3 pieds les unes des autres, sur lesquelles on met en quinconce les plants du tabac, au moyen d’un cordeau garni de nœuds. Les plantes placées avec cet ordre et a cette distance, sont plus faciles à soigner, et peuvent recevoir toute la nourriture qui leur est- nécessaire pour bien végéter. En Virginie, dans le Maryland, et dans les pays méridionaux, on n’a pas besoin de cette régularité, ni de toutes ces précautions ; on sème la graine à la volée, on éclaircit plus tard, on fait des labours à la main, et la bonté du climat fait le reste.

Mais dans nos climats, on sème la graine en février, dans un endroit exposé au midi ou au levant, sur une couche froide composée de terre fine, meuble, mêlée de terreau, préparée à ce seul effet [1] : on sème la graine a la volée, on la couvre tout de suite d’un châssis vitré, et pour empêcher l’effet des gelées tardives pendant la nuit, et pour maîtriser les rayons du soleil pendant le jour, on recouvre le châssis d’un paillasson. On donne de l’air à la couche toutes les fois que la température extérieure le permet.

Quand le jeune plant est garni de 3 ou 4 feuilles, et qu’il a atteint à peu près un pouce et demi d’élévation, vers la fin d’avril, on en fait la transplantation. On choisit pour cette opération un temps couvert, immédiatement après une pluie, afin que la reprise soit plus assurée. On enlève le plant de la couche avec précaution, en conservant autour des racines une petite motte, et pour faciliter ce travail on arrose d’avance la terre de la couche si elle est trop sèche. On doit toujours y laisser du plant en dépôt pour regarnir plus tard les places où le plant aurait manqué à la reprise. Aussitôt que le plant est arraché, on le transplante comme nous l’avons indiqué, en laissant entre chaque plante une distance relative à la qualité du bol et au degré de force que la plante doit y acquérir ; car les feuilles ne doivent pas se toucher lorsqu’elles sont parvenues à leur grandeur naturelle. La transplantation a lieu à l’aide d’un plantoir. Le trou fait, on enfonce les racines des plantules jusqu’à la naissance des premières feuilles, et on affermit doucement la terre autour avec le plantoir. Quelques jours après la plantation, on a soin de regarnir les places où le plant a manqué.

Les tabacs ainsi disposés exigent d’abord d’être tenus propres de toute herbe étrangère. Quand la transplantation a été faite bien régulièrement, ce travail peut s’exécuter avec la houe à cheval ; sinon , on le fera avec des petits sarcloirs à main. On renouvellera l’opération du binage toutes les fois que les mauvaises herbes reparaîtront. On enlèvera de même tous les tabacs vicieux, rabougris, malades ou piqués des insectes.

Plus tard, il est essentiel de butter les tabacs avec la houe à cheval pour fournir un nouvel aliment aux racines, et pour leur procurer une douce fraîcheur si nécessaire à la végétation de cette plante.

Lorsque les tabacs ont atteint environ 2 pieds d’élévation, ce qui arrive un mois ou six semaines après la plantation, on coupe avant l’apparition des fleurs le sommet de chaque tige, ce qu’on appelle l’opération du pincement ; on ôte les feuilles inférieures gâtées qui sont près de terre, et on diminue ainsi leur nombre en le réduisant à 10 ou 12 sur chaque plante. Cette diminution des feuilles, en faisant refluer la sève sur celles qui restent, contribue à augmenter le rapport et à améliorer la qualité de ces dernières. Mais, comme la suppression du sommet d’une plante quelconque la détermine en général à pousser des bourgeons latéraux, et que le tabac, plus que toute autre plante, suit cette marche ordinaire de la nature, il faut de nouveau enlever ces feuilles et ces bourgeons axillaires toutes les fois qu’ils paraissent, parce que, en se nourrissant au détriment des feuilles principales, ils en détériorent la qualité. Toutes ces opérations doivent être faites avec intelligence : souvent le succès du produit des tabacs dépend de l’expérience et des soins de l’ouvrier qui les dirige.

Les plantes destinées à porter graine sont cultivées dans un endroit particulier bien abrité ; on leur donne l’exposition la plus chaude possible, afin qu’elles puissent fleurir de bonne heure. Elles reçoivent à peu près la même culture et les mêmes soins que celles cultivées en plein champ ; seulement on ne touche pas à une seule de leurs feuilles. Comme ce sont les premières capsules qui donnent la meilleure graine , il est essentiel de cultiver assez de pieds pour avoir suffisamment de leur semence. La meilleure semence est celle de la dernière récolte.

§ III. — Maladies, récolte du tabac.

Les feuilles du tabac étant d’une dimension assez considérable, les fortes pluies , la grêle, les nuits froides, les forts orages les frappent et les déchirent. Il est à peu près impossible d’empêcher ces désastres. Pour tirer un parti quelconque des tabacs battus par la grêle, on coupe tout de suite après l’accident les feuilles frappées ; celles qui repoussent, donnent un petit produit qui dédommage en partie les cultivateurs de leurs peines.

Parmi les ennemis des tabacs on rencontre une chenille qui en dévore les feuilles : il faut la chercher le matin avant le lever du soleil, et la détruire à la main. Quelques cultivateurs ont prétendu que les plantes de tabac étaient un préservatif contre les vers-blancs ; je puis certifier que ces animaux sont au contraire très-voraces des racines, et qu’il n’y a pas moyen de conserver une plante de tabac attaquée par ces larves.

L’Orobanche rameuse est aussi un redoutable ennemi pour les tabacs : cette plante parasite s’attache aux pieds, et les étouffe. Le seul moyen d’empêcher sa reproduction, est de l’arracher aussitôt qu’elle apparaît ; quelquefois même on est obligé de sacrifier le pied sur lequel il sien trouve.

Si les tabacs ont été bien soignés, et si la saison les a favorisés, six semaines après le pincement, les feuilles doivent se trouver en état de maturité parfaite. On connaît ce moment lorsque les feuilles commencent à changer de couleur, ou que leur couleur assez vive devient un peu obscure, jaunâtre ; qu’elles penchent vers la terre, qu’elles se rident, qu’elles deviennent rudes au toucher.

Si l’on a planté les tabacs vers les premiers jours de juin, le commencement de la récolte pourra avoir lieu vers la moitié de septembre. Cette récolte se fait le matin lorsque les feuilles des tabacs ne sont plus mouillées par la rosée, en coupant la tige à 2 pouces au-dessus du sol ; on les laisse sur les lieux, on les retourne deux ou trois fois dans la journée, afin que l’air et le soleil les frappent partout et qu’elles fanent également. Le soir même on les transporte sous un hangar un peu éloigné de l’habitation principale, parce que les feuilles de tabac encore fraîches exhalent une odeur irritante et un gaz délétère qui, respiré dans un lieu fermé, pourrait même asphyxier.

C’est sur le sol de ce hangar qu’on étend les feuilles les unes sur les autres : on les couvre de toiles ou de nattes, puis de planches ; on les charge de grosses pierres, et ou les laisse dans celte position trois ou quatre jours, afin qu’elles puissent ressuyer et fermenter également.

Ici finit la culture et la récolte du tabac. Tout ce qui reste à dire appartient à la manufacture du tabac, matière en dehors de notre sujet.

§ IV. — Usages du tabac.

Tout le monde sait que le tabac est un irritant très-puissant. Sa poudre, inspirée par le nez, excite un mouvement convulsif qui, à force d’être répété, devient peu-à-peu, dit-on, agréable. La mastication des feuilles détermine la sécrétion de la salive, et la rend plus abondante ; on prétend que la paralysie pituiteuse et de la langue, la surdité catarrhale, l’enchifrènement, se guérissent par la mastication des feuilles de cette plante. La fumée de tabac guérit, dit-on, les maux des dents.

Le tabac était autrefois plus employé en médecine ; des dictionnaires de botanique rapportent plusieurs exemples de guérisons inespérées par l’emploi du tabac ; aujourd’hui cette plante n’est presque plus en usage en médecine. Les vétérinaires continuent de s’en servir en lavemens, elle purge avec violence ; appliquée extérieurement, elle guérit les dartres, la gale, les ulcères invétérés.

L’huile de tabac est un émétique très-actif ; prise en forte dose, elle est un poison très-violent. — La décoction et la fumée de tabac font périr les insectes dans les serres, et même sur les arbres fruitiers.

On sait que, dans l’état actuel de la législation en France, la préparation du tabac, sa vente et sa culture ne sont point libres. La vente a lieu dans des bureaux autorisés par l’administration des contributions indirectes ; la fabrication s’opère par les soins de la même régie, qui mélange dans de certaines proportions les tabacs indigènes et exotiques ; enfin la culture n’est permise que dans certains départemens et cantons, où elle est soumise à des déclarations préalables, à des vérifications et contrôles sévères ; les produits sont achetés aux cultivateurs par la régie des contributions indirectes, suivant des tarifs qui règlent le prix de la feuille. En Angleterre la culture du tabac est prohibée, et chaque famille peut seulement en élever pour sa propre consommation.

L’abbé Berlèse.
Section iv. — De la Patate.

La Patate douce (Ypomœa Batatas, Poir. ; Convolvulus Batatas, Lin.; en anglais, Batatas ; en italien, Patatta) appartient à la famille des Liserons (Convolvulacées). Elle croît naturellement dans les régions les plus chaudes de l’Inde et de l’Amérique, où elle est aussi cultivée pour ses grosses et tubéreuses racines qui fournissent une nourriture abondante. Depuis environ deux siècles, on l’a introduite en Portugal, en Espagne, en Italie, sur la côte d’Afrique, et particulièrement à Alger où elle réussit très-bien, et d’où nous en avons reçu d’excellens tubercules depuis que la France est en possession de cette colonie. Les bonnes qualités de la patate ont naturellement fait désirer l’introduction de sa culture en France, et elle a été tentée pour la première fois sous Louis XV, dans les jardins de Trianon et de Choisy, avec assez de succès. Cependant, depuis la mort de ce prince jusqu’à l’empire, la patate semble avoir été presque entièrement oubliée ; les efforts de Rosier, Parmentier et Thouin n’ont pu en faire établir la culture dans nos départemens les plus méridionaux. Il était réservé à M. le comte Lelieur, de Ville-sur-Arce, administrateur des jardins de la couronne sous l’empire, de remettre la patate en honneur, sinon dans la grande culture, du moins dans les jardins pour la table des riches, et il avait complètement réussi. Depuis lors , les vicissitudes politiques ont fait négliger la culture de la patate, mais son mérite n’a pas été oublié ; M. Vilmorin a toujours entretenu le feu sacré , et M. Vallet de Villeneuve a fait des expériences en grand dans le département du Var, qui ne laissent aucun doute sur la possibilité de cultiver la patate en plein champ avec succès dans le midi de la France. C’est donc principalement d’après les expériences de ce dernier, que nous croyons que la patate peut et doit entrer dans la grande culture, et que nous allons exposer les procédés qui nous semblent devoir conduire au résultat le plus satisfaisant. Nous commencerons par donner une idée de la patate elle-même, et de sa manière de se propager.

La patate produit d’abord beaucoup de racines fibreuses et filiformes, dont une partie se change bientôt en tubercules ovales, oblongs, fusiformes, charnus, gros au point que quelques-uns pèsent jusqu’à 8 livres. En même temps que les tubercules se forment dans la terre, la tige grandit, se ramifie, s’alonge d’un ou deux mètres, rampe sur la terre, s’y enracine en plusieurs endroits si on ne s’y oppose pas, se couvre de grandes feuilles alternes, cordiformes, qui se lobent ou se divisent plus ou moins selon les variétés, et quand les circonstances sont favorables, celte tige produit en outre des grappes axillaires de fleurs d’un blanc violacé, assez grandes et figurées en entonnoir. A ces fleurs succèdent de petites capsules qui contiennent quelques graines dont la maturité est rare en France, mais qui ont cependant mûri complètement a Toulon en 1834 ; ce qui donne l’espoir d’en obtenir des variétés d’une culture plus facile que celles que nous possédons.

Les variétés de patate bien connues aujourd’hui en France, sont les suivantes, parmi lesquelles les trois premières réussissent très-bien en terre légère ; il paraît que les deux dernières demandent une terre un peu plus forte. 1° La Patate rouge (A, fig. 32 ) est souvent fort alongée ; sa peau est d’un rouge violacé ; sa chair est jaunâtre, très-tendre et la plus sucrée. 2° La P. jaune (B, fig. 32) est plus grosse, jaunâtre en dehors et en dedans ; sa chair est plus ferme, plus farineuse et probablement plus nutritive que celle de la rouge. 3° La P. igname (C, fig. 32) est plus grosse et moins longue que les précédentes ; sa peau et sa chair sont d’un blanc terne ; elle paraît moins sucrée que la jaune, et surtout que la rouge ; mais étant nouvellement introduite en France, ses qualités ne sont pas encore suffisamment appréciées. 4° La P. blanche est fort longue et fort grosse ; on l’estime beaucoup en Espagne. 5° La P. à feuilles palmées est également blanche, grosse et longue ; elle est estimée de tous ceux qui la connaissent. Quant à la précocité, la Patate rouge l’emporte sur toutes les autres, mais elle se conserve plus difficilement pendant l’hiver. Nous indiquerons tout-à-l’heure les moyens de conservation. Passons à la culture.

Fig 32.

La Société d’horticulture de Paris s’étant fait faire un Rapport sur la culture de la patate dans les jardins, nous conseillons aux personnes qui seraient encore peu au courant de l’histoire de cette plante, de lire ce rapport [2] avant d’entreprendre la culture de la patate ; elles y trouveront des principes préliminaires propres à les guider dans la bonne roule, et à leur faire éviter les erreurs dans lesquelles on tombe souvent lorsqu’on n’est pas dirigé par l’expérience. Ici nous nous bornons à exposer ce qui nous semble indispensable à la culture de la patate en plein champ, à sa conservation après la récolte, et à l’indication de ses principaux usages.

En annonçant la culture de la patate en plein champ, nous ne voulons pas dire qu’on paisse la cultiver partout indistinctement ; celle plante a besoin pendant sa végétation d’une somme de chaleur qu’elle ne trouverait pas sur les montagnes, ni dans les plaines élevées et découvertes, ni dans les terres fortes et froides ; elle ne trouverait même pas cette somme de chaleur sous le parallèle de Paris, aux expositions les mieux abritées, sans les secours de l’art du jardinage ; mais nous croyons celle culture possible et lucrative dans nos départemens méridionaux , entre les 43e et 45e degrés de latitude, aux expositions abritées du vent du nord en terre légère qui s’échauffe aisément, fertile par elle-même ou par un engrais consommé qui y aura été préalablement mêlé, et rendue très-meuble par deux labours à la charrue, car il n’y aurait pas de succès à espérer si la terre conservait de grosses mottes.

Quoiqu’on cite M. Escudien, près de Toulon, comme plantant ses tubercules à la manière des pommes-de-terre, sans les avoir fait germer auparavant, nous ne pouvons conseiller d’employer ce procédé ; nous insistons au contraire pour que l’on fasse germer les tubercules dans un endroit particulier, afin de leur faire pousser des tiges que l’on détachera au fur et à mesure pour les bouturer, leur faire prendre racines et les planter ensuite à demeure. Voici donc le procédé que nous conseillons de suivre pour la culture de la patate, en grand, dans le midi de la France.

D’abord, il convient de se borner à une seule variété, et nous pensons qu’il faut donner la préférence à la jaune ; on pourra par la suite essayer les autres variétés. Il faut que les plantes soient plantées en lignes espacées de 4 pieds, et les plantes à 2 pieds 1/2 l’une de l’autre dans chaque ligne. 12 moyens tubercules de la récolte précédente peuvent donner au moins 400 boutures, en les faisant germer de la manière que nous allons indiquer ; ainsi rien de plus facile que de connaître le nombre de tubercules qu’il faut mettre en germination pour obtenir la quantité de plants voulue.

Dans les premiers jours de mars, on fera une couche de fumier de cheval neuf susceptible de bien s’échauffer, on la chargera de terre légère de l’épaisseur de 6 pouces, et on la couvrira d’un châssis vitré afin que la chaleur se communique promptement à la terre, et qu’elle ne se dessèche pas. Quand la terre sera chaude, on couchera dessus les tubercules à plat, en les espaçant seulement à 2 ou 3 pouces les uns des autres, on ne les recouvrira que de 2 lignes de terre, el on replacera tout de suite le châssis vitré par-dessus. En peu de jours les tubercules produiront des tiges de divers points de leur surface, qui s’élèveront perpendiculairement et seront bientôt hautes de 4 à 6 pouces. C’est alors qu’il faut voir si ces tiges sont assez nombreuses pour emplir le terrain qui doit les recevoir, car s’il n’y en avait pas assez, on en ferait pousser d’autres en cassant ou coupant les premières à 3 ou 4 lignes au-dessus de leur naissance, au lieu de les détacher entièrement pour les bouturer comme nous allons le dire.

Quand on voit que les tiges s’alongent, on prépare par un labour à la bêche une planche de terre, en la rendant aussi meuble et aussi fertile que possible par une grande division et par le mélange d’un terreau consommé ; on en unit la surface avec un râteau, et tout de suite on détache des tubercules les tiges qui ont de 4 à 6 pouces de longueur, et on les plante à 5 pouces les unes des autres dans la planche préparée. Il vaut mieux planter les boutures couchées à 45 degrés que perpendiculairement, et il faut supprimer les feuilles infirmes, s’il y en a, et faire en sorte qu’il y ait au moins trois nœuds d’enterrés. Pour peu que la terre soit humide elle ciel couvert, on doit se dispenser d’arroser, car ces boutures craignent l’humidité. Aucune bouture ne s’enracine aussi promptement que celles de patate, parce que les tiges de cette plante ont à chaque nœud des rudimens de racines qui ne demandent qu’un peu d’humidité et d’ombre pour s’alonger. Aussitôt que la plantation du moment est faite, il faut empêcher les boutures de trop transpirer en les couvrant d’un châssis en papier huilé, ou du moins avec des branchages soutenus par des gaulettes, et mettre un obstacle au vent qui pourrait souffler violemment dessous par les côtés. On plante ainsi des boutures successivement à mesure que les tiges poussent et s’alongent sur les tubercules, et ce tous les 5 ou 6 jours pendant le courant d’avril. A la fin du mois ou dans les premiers jours de mai, les premières boutures doivent être assez fortes pour être mises en place, et il faut s’occuper de cette opération.

Le terrain dans lequel on veut planter les patates a dû être bien ameubli, bien divisé comme une terre de jardin, par un labour d’automne et un labour de mars ; maintenant, il faut diviser ce terrain en petits billons ou ados dirigés du nord au sud, larges chacun de 3 traits de charrue ; cela s’exécute facilement en laissant au milieu la largeur d’un trait, et en renversant sur ce milieu la terre du trait ou du sillon de droite et de gauche. Chaque billon se trouve ainsi séparé par deux traits de charrue et à la distance requise. Cette opération faite, on prend un panier large, une bèche ou une houlette, on se transporte à la planche aux boutures, auxquelles on aura dû ôter les châssis de papier ou les branchages au moins 8 jours d’avance ; on lève en motte autant que possible les plus anciennes boutures, ou les met dans le panier, on les porte sur le terrain, on fait un trou avec la main, au bout et au sommet du premier billon, on en émiette bien la terre, on y plante une bouture, en étendant bien les racines, en couchant la tige de manière qu’elle ait de 2 à 4 nœuds enterrés et recouverts de 18 à 24 lignes de terre, et de sorte qu’après l’opération la plante se trouve dans un enfoncement évasé à pouvoir être rechaussée quelque temps après. La seconde bouture se plante de la même manière à 2 pieds 1/2 de la première, et ainsi de suite. Il faut tâcher que la dernière plantation ne se fasse pas plus tard que le 15 mai. Si à l’époque de la plantation il faisait très-chaud ou si la terre était sèche, il serait utile de donner une demi-bouteille d’eau à chaque plante.

Quand les tiges se seront ramifiées et alongées de 12 à 15 pouces, on rechaussera le pied en remplissant la petite fossette et en couvrant de terre quelques nœuds du bas des tiges ; il en résulte une espèce de marcottage qui multiplie les racines et le nombre des tubercules. Les soins subséquens sont des binages pour entretenir la terre propre et pour l’empêcher de se durcir. Si pendant l’été les pluies étaient rares et que les plantes parussent souffrir, quelques arrosemens à fond seraient très-avantageux. Autant la patate craint l’eau quand elle ne végète pas, autant elle l’aime quand elle végète vigoureusement ; mais il ne faut plus arroser après le 15 septembre, dans la crainte de nuire à la qualité des tubercules.

Nous venons de conseiller de planter sur des billons, parce que les tubercules s’y font mieux, sont de meilleure qualité et d’une extraction plus facile qu’en terre plane. Nous avons conseillé aussi de diriger les billons du nord au sud, afin que le soleil en échauffe un coté le matin et l’autre l’après-midi, car la patate aime beaucoup la chaleur.

Récolte. C’est en octobre et novembre que les tubercules patates se récoltent. On commence par supprimer les tiges, ensuite on détourne la terre avec une bêche, et on tire les patates avec la main en prenant garde do les casser ou de les meurtrir, car ils sont très-tendres, et la moindre blessure les fait pourrir. On les laisse se ressuyer sur le terrain pendant quelques heures si le temps est sec, et vers le soir on les porte sous un hangar aéré, où on les étend sur de la paille pendant six ou huit jours, en les retournant une fois le troisième ou le quatrième jour.

Moyens de conservation. — Il parait suffisamment démontré que pour que les patates puissent se conserver hors de terre, il faut les abriter du contact de l’air, de la lumière, les tenir très-sèchement et dans une température peu variable entre +8 et 12 degrés de Réaumur. Pour atteindre ces buts, on doit avoir ou du foin très-sec sans odeur, ou de la menue paille, ou de la sciure de bois, ou même de la cendre dans le plus grand état de siccité : on en place un lit dans le fond d’une futaille, puis un lit de patates assez éloignées pour qu’elles ne se touchent pas, et on continue d’alterner les lits jusqu’à ce que la futaille soit pleine et de manière que le dernier lit soit de foin, de paille ou de la substance employée ; on refonce la futaille et on la place en lieu sec où la température se lient au degré indiqué.

Usages de la patate. — La patate est un aliment très-sain, très-agréable, que l’art culinaire sait varier de mille manières différentes ; mais on convient généralement que cuite entière, sous la cendre ou à la vapeur, elle est plus savoureuse que préparée de toute autre manière. Dans les colonies elle forme une grande partie de la nourriture des habitans. Les jeunes tiges et la sommité des anciennes se mangent en asperges ou en petits pois. Les feuilles se préparent comme des épinards, et ne sont pas moins bonnes. Les chevaux, les vaches, les moutons mangent les tiges et les feuilles avec avidité, et elles sont pour eux une nourriture très-salutaire.

Poiteau.

  1. Une couche de 6 pieds de long sur 4 de large fournit 6,000 pieds de terre, quantité suffisante pour un arpent de terre.
  2. Broch. in-8. Paris, 1835 ; à la lib. de Mme Huzard, rue de l’Eperon, n. 7.