Maison rustique du XIXe siècle/éd. 1844/Livre 1/ch. 5

Texte établi par Jacques Alexandre BixioLibrairie agricole (Tome premierp. 112-158).
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CHAPITRE V. — des opérations agricoles propres à rendre le sol cultivable.

La France renferme encore, malheureusement, un bien grand nombre de terres Vagues et incultes, de Landes, de Bruyères, de Savarts, qui ne sont dévoués à la stérilité que faute d’être fécondés par des bras laborieux. Non seulement dans certaines parties du territoire, de vastes étendues de terrain sont ainsi improductives, mais, même dans les départemens les plus riches, les plus peuplés, les mieux cultivés, on rencontre encore çà et là quelques portions de sol que des travaux bien entendus rendraient facilement à la culture. Tantôt ces terrains sont occupés par des pierres, des broussailles, des arbustes ; la marche des instrumens aratoires y est gênée par des roches ; le guéret n’y a pas encore été entamé par la charrue. Tantôt l’abondance ou la stagnation des eaux les constitue, perpétuellement ou temporairement, en marais ou en terres marécageuses, ou bien l’invasion extraordinaire ou périodique de ces eaux y interdit les cultures réglées, et même menace le sol de l’envahissement ou de la destruction. L’objet de ce chapitre est de mettre les propriétaires et les cultivateurs à même de convertir en terres arables les terrains plus ou moins étendus, qui, par une cause quelconque, sont encore en friches et pourraient cesser d’y être. C. B. de M.

Sect. Ire. Des défrichemens. 
 113
§ Ier. Conditions avantageuses ou désavantageuses. 
 ib.
§ 2. Procédés divers de défrichement. 
 114
§ 3. Défrichemens à la charrue. 
 ib.
§ 4. — à la main : Pics, tournées, fourches. 
 115
Sect. II. De l’écobuage. 
 116
Art. Ier. Du découpage du sol. 
 117
Art. II. Du brûlis des terres contenant des végétaux. 
 119
Art. III. Du brûlis des terres dépouillées de toute végétation. 
 120
Art. IV. Des effets de l’écobuage. 
 121
§ Ier. Effets chimiques et physiques. 
 ib.
§ 2. Terres qu’il convient d’écobuer. 
 ib.
§ 3. Plantes auxquelles convient l’écobuage. 
 122
Sect. III. Des endiguages ou embanquemens, ou moyens de prévenir les envahissemens des eaux pluviales et de la mer. 
 123
Art. Ier. Observations générales. 
 ib.
§ Ier. Principes généraux. 
 ib.
§ 2. Procédés généraux d’endiguage. 
 ib.
Art. II. Des meilleurs moyens d’endiguer. 
 125
§ Ier. Claies vivaces sur le bord des ruisseaux. 
 ib.
§ 2. Moyens d’encaisser les rivières et torrens. 
 126
§ 3. Des polders ; digues sur les bords des fleuves et de la mer. 
 128
Sect. IV. Du dessèchement des marais et de leur mise en valeur. 
 131
Art. Ier. Causes de l’existence des marais et moyens de les assainir. 
 ib.
§ Ier. Desséchemens par remblaiment ou par colmates 
 132
§ 2. Dessèchement par un système de canaux. 
 133
§ 3. Observations sur les travaux d’art. 
 134
§ 4. Résultats généraux des desséchemens. 
 136
Art. II. Travaux pour le dessèchement des terrains inondés. 
 ib.
§ Ier. Terrains inondés par la stagnation des eaux pluviales, ou des fontes de neige. 
 ib.
§ 2. Terrains inondés par des sources provenant de réservoirs souterrains. 
 138
§ 3. Dessèchement des plaines sans pente et sans écoulement. 
 140
§ 4. Des puits perdus, puisards et boitouts. 
 ib.
§ 5. Confection des fossés ouverts et couverts. 
 143
§ 6. Machines à épuiser l’eau. 
 144
§ 7. Outils et instrumens de sondage. 
 146
Art. III. Entretien des travaux et emploi du sol après le desséchement. 
 148
§ Ier. Entretien des travaux 
 ib.
I. Réparation et conservation. 
 ib.
A. Envasement et attérissement des canaux. 
 ib.
B. Conservation des talus ; gazonnement. 
 149
C. Entretien et conservation des digues. 
 150
D. Entretien et conservation des ouvrages d’art. 
 ib.
II. Moyens de pourvoir aux dépenses d’entretien. 
 ib.
A. Parti qu’on peut tirer des canaux. 
 ib.
B. Pêcheries. 
 151
C. Végétations sur les francs-bords. 
 ib.
D. Plantations. 
 ib.
§ 2. Emploi du sol après le dessèchement. 
 152
I. Sol garanti des crues. 
 ib.
II. Sols goutteux, étangs et marais. 
 ib.
III. Lais et relais de la mer. 
 155
Sect. V. Calculs qui doivent précéder les opérations agricoles. 
 157


Section ire. — Des défrichemens.

Les défrichemens qu’on a quelquefois considérés comme l’ensemble de toutes les opérations propres à transformer les terrains incultes en terres labourables, ou des cultures permanentes en cultures d’une autre sorte, et qui embrassent dans ce sens tout ce qui se rattache aux desséchemens, aux nivellemens, au défoncage, à l’écobuage, aux amendemens, aux semis divers, et même à la pratique des assolemens, dans un ouvrage de la nature de celui-ci, où chacun de ces importans sujets devra être traité séparément avec tous les détails qu’il comporte, ne peuvent avoir une aussi grande importance. Pour nous, défricher un terrain, ce sera donc simplement le débarrasser de tous les végétaux ou autres obstacles qui se rencontrent à la surface, pour le mettre en état de recevoir selon sa nature, soit des céréales, soit des plantes fourragères, légumineuses ou industrielles, soit des végétaux ligneux ; et notre tâche sera remplie, quand nous aurons fait voir les difficultés et donné les moyens d’arriver à ce 1er  but.

[5:1:1]
§ ier. — Conditions avantageuses ou désavantageuses aux défrichemens.

Depuis un certain nombre d’années, à mesure que notre population s’est augmentée, que le prix des terres et avec lui le taux des fermages se sont progressivement élevés, les défrichemens sont devenus assez fréquens en France. Cependant, d’après des documens officiels, résultant d’opérations effectuées sur les lieux mêmes par les agens des contributions directes, contradictoirement avec les délégués des communes, on voit dans l’excellent travail de M. Huerne de Pommeuse[1], que sur une superficie de 52,874,614 hectares que présentent ensemble les quatre-vingt-six départemens, il en existe encore d’incultes au moins 7,185,475 hectares, c’est-à-dire environ la septième partie du territoire.

À l’exception des rochers, des crêtes de montagnes dépourvues de terre végétale, et des pentes trop escarpées, il n’est, à vrai dire, aucun sol dont on ne puisse tirer parti ; toutefois, les dépenses diverses qu’entraînerait dans bien des cas sa mise en culture, sont telles qu’il serait plus qu’imprudent de les faire avant d’avoir bien calculé préalablement toute la portée de l’opération et les résultats profitables qu’on est raisonablement en droit d’en attendre, eu égard non seulement à la nature de chaque terrain, mais à la position topographique de chaque localité, et aux moyens d’exécution dont on peut disposer.

Lors même que les défrichemens doivent s’opérer dans le voisinage et pour ainsi dire à la suite d’une ancienne exploitation, à l’aide d’attelages, d’ouvriers, de tout un matériel enfin déjà existant, ce sont encore souvent des entreprises coûteuses, peu à la portée des petits cultivateurs si elles sont faites sur une certaine échelle, et qui ne peuvent devenir profitables qu’autant qu’elles sont convenablement dirigées. Ce serait un fort mauvais calcul de croire qu’on pourra cultiver des étendues plus grandes, sans autres déboursés qu’un surcroît de main-d’œuvre. À la vérité, sur des défriches de genêts, d’ajoncs ou de bruyères, à l’aide de simples brûlis, presque sans engrais et souvent même sans engrais, on peut bien de loin en loin obtenir une ou deux chétives récoltes de seigle ou de sarrasin et de pommes-de-terre, qui paient tant bien que mal les frais de labours. À la vérité encore, sur l’emplacement de bois nouvellement déracinés, d’anciens marais desséchés, de vieilles prairies retournées, on peut quelque temps se fier à la fécondité surnaturelle du sol ; mais, dans le premier cas, le terrain épuisé par une si faible production, se refuserait à en donner aucune autre sans une nouvelle jachère de 8 à 10 ans ; dans le second, il ne faut voir qu’une exception momentanée à la règle ; dans l’un et l’autre, on arriverait à coup sûr à la stérilité, sans le concours des engrais.

Dans les terres de médiocre qualité, les défrichemens qui auraient pour but d’ajouter à la quantité des terres assolées d’une ferme ou à plus forte raison d’en créer une nouvelle, seraient généralement de fort mauvaises opérations, si elles n’étaient exécutées partiellement ou par des personnes en état de faire grandement les avances nécessaires. En pareil cas, bien souvent, les semis d’essences ligneuses, particulièrement ceux de Pins qui se montrent généralement si peu difficiles sur le choix des terrains, offrent le meilleur et le plus sûr moyen d’amélioration.

Pour les sols de meilleure qualité, les chances de succès augmentent en raison inverse de la difficulté de maintenir leur fécondité ; mais, là encore, loin de sacrifier l’avenir au présent, il faut au contraire savoir ne demander à la terre que ce qu’elle peut produire sans épuisement, et songer, avant tout, à augmenter la masse des fourrages pour obtenir plus d’engrais. Tel est en résumé le grand secret de la réussite ; car il est bien reconnu qu’avec moins de frais, la somme des fumiers restant la même, on peut tirer davantage de produits sur un champ de moyenne que de grande étendue, et qu’il est infiniment préférable de bien cultiver l’un que de cultiver l’autre en entier.

[5:1:2]
§ ii. — Des divers procédés de défrichement.

Trois obstacles matériels peuvent rendre les défrichemens d’une exécution parfois fort difficile et toujours assez dispendieuse. Ce sont : les racines qui occupent le sol, les pierres qui en pénètrent la masse de manière à entraver les labours, ou enfin les eaux stagnantes qui en recouvrent la surface.

Lorsqu’ils ont lieu sur d’anciennes pâtures ou des landes couvertes de sous-arbrisseaux d’une faible consistance, on connaît plusieurs moyens de les effectuer. Un des plus en usage, et dans beaucoup de cas des meilleurs, est d’écroûter d’abord le sol et de brûler ensuite les produits végéto-terreux ainsi enlevés, comme on le dira ci-après en traitant de l’écobuage.

Un second moyen recommandé avec raison par Thaer, consiste également à enlever, jusqu’à une faible profondeur, la surface du terrain, comme pour l’écobuage ; à diviser les gazons en morceaux irréguliers, et à les mettre en tas avec des fumiers d’étable ou de la chaux, puis à les laisser en cet état jusqu’à ce que leur décomposition soit accomplie. Pendant ce temps, on donne plusieurs labours au champ écroûté, on y répand ensuite le compost, et on l’enterre en semant sous raie ou par un fort hersage. Cette méthode, d’après le même auteur qui l’a éprouvée plusieurs fois, procure des récoltes très-abondantes, et met le sol dans un état de prospérité admirable, parce qu’il en résulte la décomposition absolue du gazon, sa transformation en humus, et une aération plus complète que cela n’aurait lieu de toute autre manière. Mais il est évident qu’un tel moyen est très-coûteux et ne peut être mis en pratique que sur des espaces peu étendus.

[5:1:3]
§ iii. — Défrichemens à la charrue.

D’autres fois on se borne à donner, pendant un an et même deux ans, plusieurs labours successifs, combinés de manière à détruire aussi complètement que possible la végétation des plantes adventices. Le premier de ces labours doit être assez profond seulement pour ramener à la surface la majeure partie des racines, et mettre les autres dans l’impossibilité de repousser. On le donne dans le courant des mois de décembre, janvier, février et mars, lorsqu’il ne gèle pas trop fort, et que la terre est suffisamment pénétrée et amollie par les eaux pluviales, ce qui contribue à diminuer la résistance qu’offre le labour.

Le défrichement se fait par larges planches et dans la direction la plus convenable à l’écoulement des eaux vers des fossés dont, presque toujours, il convient d’entourer le terrain avant de commencer le travail.

Dès que les gazons renversés sont suffisamment desséchés ou pourris, vers le mois de juillet, on donne un second labour dans le même sens, mais un peu plus profondément, afin de recouvrir les tranches, précédemment soulevées, d’une certaine quantité de terre de la couche inférieure.

D’autres cultivateurs remplacent ce labour par un simple hersage au moyen de la herse roulante (fig. 62) qu’ils promènent sur le défrichement dans la direction de la charrue et non en travers, car les mottes n’offriraient dans ce sens que peu de résistance aux dents de la herse sous lesquelles elles rouleraient sans se briser, tandis que, suivant la direction des traits de la charrue, les dents éprouvent une résistance qui favorise leur effet. Un troisième labour, exécuté en travers et suivi d’un hersage vers le mois de mars suivant, contribue encore à ameublir le sol et à détruire de plus en plus les mauvaises herbes. Il est le plus souvent suivi immédiatement des semailles de printemps ; cependant, comme à cette époque la terre n’est pas toujours assez nettoyée, il peut, dans certains cas, paraître préférable de donner encore quelques labours pendant une nouvelle jachère d’été. Dans notre opinion, il est généralement tout aussi convenable pour achever de nettoyer le sol et beaucoup plus productif, de recourir dès lors à des cultures qui exigent des sarclages, des binages ou des butages.

Toutes les défriches ne peuvent être destinées à produire des céréales ou à être converties en prairies. Il est des sols qu’il serait difficile d’utiliser autrement qu’en les plantant en bois. C’est pour ceux-là surtout (et dans cette catégorie on doit comprendre une grande partie des landes immenses de la Bretagne, de Bordeaux, etc., etc.), c’est pour ceux-là, dis-je, qu’il convient surtout d’employer la charrue. Cet instrument présente une économie telle, que deux hommes et un bon attelage de 4 ou 6 chevaux, suivant la nature du terrain, défrichent autant de landes en un jour que 50 hommes en pourraient faire au pic ou à la pioche en travaillant avec assiduité.

Parmi les charrues qu’on a surtout préconisées pour les défrichemens, il en est certainement fort peu qui donnent des résultats plus satisfaisans que celle de M. Mathieu de Dombasle sur les terres enherbées, telles que les trèfles, les luzernes et les vieilles pâtures, même lorsqu’elles exigent un fort tirage. Toutefois, lorsque les terrains sont surchargés de racines ligueuses, la charrue simple ne convient plus autant, parce qu’alors elle devient très-difficile à conduire, et que le système de coutre et de soc de cette charrue n’est pas approprié à un travail qui exige une force aussi extraordinaire. En pareil cas, nous pensons qu’on devra tâcher de se procurer la charrue de M. Trochu (fig. 63).

Son soc est plat, ayant la forme d’une demi-langue de carpe bien acérée et aiguisée de son côté oblique. Un large coutre, d’une forme demi-circulaire, tient au soc, étant forgé de la même pièce de fer ; il se termine par une pointe qui dépasse de 10 ou 15 centimètres, ou 4 pouces, l’extrémité du soc à laquelle il fait suite. Trois autres coutres, de longueurs inégalement progressives, suivent le premier. Chacun de ces derniers est denté à sa partie basse, ce qui donne à l’instrument la forme et l’effet d’une scie. Le 1er coutre, du côté de l’attelage, s’enfonce en terre d’environ 2 pouces ; il entame par deux secousses successives la pierre ou la racine qu’il rencontre. Le 2e  coutre, un peu plus long, prend aussitôt la place du premier, et entame comme lui la pierre ou la racine par deux secousses, mais à une plus grande profondeur ; le 3e  fait le même effet, si ce n’est qu’étant encore plus long que le précédent, il augmente encore de près d’un pouce l’incision faite à la pierre ou à la racine par les 2 autres coutres, qui sont venus avant lui ; et il est difficile que l’obstacle résiste à ce 3e  choc. Si cependant il n’était pas totalement détruit, le 4e  coutre attenant au soc le reprend en dessous, du côté opposé à l’entaille que lui ont faite les coutres précédens, et il ne peut plus offrir, par ce moyen, qu’une dernière et bien faible résistance.

Avec cet instrument très-facile à mouvoir et parfaitement approprié à sa destination, M. Trochu a pu, en attelant au besoin jusqu’à 10 forts chevaux, défricher de certaines landes à grand ajonc.

Terme moyen, le prix de défrichement d’un hectare ne lui coûtait pas cependant au-delà de 100 fr.

M. Lemasne, ayant fait une entreprise de défrichement de landes en Bretagne, a cherché à avoir un instrument à la fois solide, simple et économique, et surtout peu dispendieux. Persuadé que, pour assurer l’assiette de la charrue de manière à ce qu’elle pût résister aux plus grands assauts de tirage avec le moins de frottement possible, il parviendrait à ce résultat en renforçant la charrue nantaise déjà forte de sa nature, il y a fait quelques modifications. Il a changé le soc qu’il a rendu plat et tranchant, a ajouté un second coutre au premier, et il a consolidé la flèche et le sep par un boulon de fer transversal qui empêche l’écartement.

Cet instrument n’exige l’emploi que de deux paires de bœufs médiocres. Employé dans des landes prises d’ajoncs et de bruyères, mêlées de pierres, il les a levés facilement. La raie qu’il trace est droite, et les bandes de friche qu’il soulève sont retournées entièrement et avec uniformité.

Dans un défrichement exécuté à la charrue, l’action de cet instrument a moins pour objet d’effectuer des raies droites et de retourner complètement le sol, que de le dégager aussi profondément que possible des racines et des pierres qu’il renferme, en les amenant à sa surface. Aussi, la charrue de M. Trochu paraît-elle avoir sur celle de M. Lemasne un avantage qui doit en faire recommander de préférence l’usage, bien qu’elle exige un plus grand nombre de bêtes de trait, et que le prix de sa construction soit plus élevé.

[5:1:4]
§ iv. — Défrichemens à la main.

Pour opérer sur de petites portions de terrains des défrichemens à la main, on emploie, selon les localités, le pic à pointe et à taillant (fig. 64), propre à remplacer en quelque sorte la pioche et la coignée ; la tournée ordinaire (fig. 65), ordinairement préférée pour ouvrir des tranchées, arracher les arbres, et extraire les pierres d’une moyenne dimension.

On se sert encore de fortes houes, telles que l’écobue (fig. 66), fort en usage pour les défriches de gazons, de bruyères ou de genêts, et l’étrapa de Bretagne (fig. 67), également recherchée pour le même usage dans une partie de l’ouest de la France, etc.

Dans le département du Gers, on supplée à ces instrumens par un autre outil (fig. 68) composé de deux fortes dents de fer de 2 centimètres ou 6 lignes d’épaisseur, et de 5 centimètres ou 1 pouce de largeur, et d’une longueur de 20 centimètres ou 10 pouces ; un manche en bois de 90 centimètres ou 3 pieds y est adapté ; il permet à l’ouvrier de travailler presque droit. Il peut enfoncer cet instrument dans le sol à une profondeur d’environ 20 centim. ou 10 po., et le travail se fait plus rapidement qu’avec le pic ; aussi, dans les terrains qui ont besoin d’un défonçage moins profond, peut-il être employé de préférence. Parfois pour déraciner des arbrisseaux, on se sert d’un levier armé à l’une de ses extrémités d’un très-fort trident de fer dont les pointe sont ordinairement 20 po. de longueur (fig. 72).
« Comme elles doivent pouvoir supporter un grand effort, il faut que la partie de la fourche par laquelle elles tiennent à la douille, et cette douille elle-même, soient aussi très-solides. C’est dans cette douille qu’on introduit la perche servant de levier, qui doit être épais, de bois dur, si cela est possible de frêne, et avoir 15 à 20 pieds de long. À l’extrémité postérieure de ce manche on attache une corde longue de 8 à 10 pieds, à laquelle est suspendue une traverse, au moyen de laquelle plusieurs hommes peuvent employer à la fois leur force sur le levier. Après que les plus fortes racines latérales ont été coupées, on chasse le trident sous la souche dans une position inclinée, puis on place au-dessous du manche ou levier, un bloc que l’on rapproche de la souche jusqu’à ce que l’extrémité postérieure de ce manche soit élevée de 10 ou 12 pieds ; alors, par le moyen de la traverse attachée à la corde, les ouvriers abaissent la partie postérieure du manche jusqu’à ce que la souche cède à leurs efforts. À l’aide de cet instrument, tout simple qu’il soit, on peut souvent opérer des choses surprenantes, et lorsque ce moyen est insuffisant, des machines plus compliquées courraient grand risque de se rompre. » (Thaër, Principes raisonnés d’agriculture.)

Enfin, lorsque ce sont des arbres qui occupent le terrain, on est bien obligé ou d’entourer chacun d’eux de tranchées profondes et de couper leurs principales racines, à mesure qu’on les découvre, pour ensuite entraîner l’arbre entier au moyen d’une corde attachée le plus près possible de la sommité, ou de les abattre rez terre, abandonnant comme salaire toute la partie qui reste dans le sol, et même les menus branchages, aux ouvriers chargés de l’extraction des racines.

La présence de grosses pierres rend souvent la mise en culture des friches beaucoup plus difficile. Dans quelques cas, on trouve économique de les enfouir dans le champ même, à une profondeur assez grande pour ne gêner en rien la marche de la charrue. En d’autres circonstances, si ce moyen n’est pas praticable, si l’on trouve à utiliser les pierres dans le voisinage pour l’entretien des chemins ou pour des constructions rurales, on peut recourir, selon la nature du rocher, soit au pic et au coin du mineur, soit à la poudre à canon, dont l’emploi, qui exige d’ailleurs des frais assez considérables, n’est pas malheureusement sans danger en des mains inexpérimentées. Enfin, sans encourir le même inconvénient, on réussit encore parfois assez bien en faisant chauffer fortement la pierre sur un seul point, au moyen d’un feu aussi ardent que possible ; et, lorsque cette vive chaleur a produit une dilatation inusitée, en arrosant subitement le bloc avec de l’eau froide, et en le frappant en même temps de lourds marteaux ou de maillets métalliques à manches de bois durs et élastiques comme le houx.

Quant aux obstacles que peut présenter l’eau, en traiter ici serait faire double emploi avec l’article Dessèchement auquel nous devons renvoyer le lecteur. Vicomte Débonnaire de Gif.

Section ii. — De l’écobuage.

D’après l’étymologie que M. Desvaux donne du mot écobuage, ce mot dérive du latin scopula, petit balai, ou du celtique scod, bâton, morceau de bois, dont on a fait plus tard écot, écobues. Ecobuer ne s’appliquerait ainsi proprement qu’à l’extraction des fragmens de végétaux qui se trouvent à la surface et dans l’épaisseur des friches qu’on veut mettre en culture. Cependant, on réunit sous la même dénomination non seulement l’incinération de ces fragmens, tiges et racines, encore adhérens à une partie de la terre qui les portait, mais aussi le brûlis de la terre dépouillée de toute végétation.

Cette pratique, dans le sens général que nous devons lui donner ici, comprend donc trois opérations distinctes dont nous nous occuperons séparément, et dont la figure 70 représente l’ensemble.

Le but de l’écobuage, but dont nous verrons plus loin qu’il approche évidemment, dans beaucoup de cas, sans cependant l’atteindre complètement ou toujours, est de débarrasser la couche labourable des plantes qui en sont en possession ; de détruire, autant que possible, jusqu’à leurs germes par l’action du feu ; de diminuer directement, en détruisant leurs larves, ou indirectement, en les éloignant par une odeur particulière, la multiplication ou les ravages des insectes nuisibles ; de modifier favorablement la disposition moléculaire et les propriétés physiques du sol ; d’ajouter enfin à la puissance fécondante des engrais, de les suppléer même parfois presque entièrement en pratique.

L’usage de l’écobuage est fort ancien. On peut juger, d’après les écrits de Virgile, que les bons effets qu’il produit étaient connus et justement appréciés des Romains du temps d’Auguste. Il s’est conservé en Italie, particulièrement sur les Apennins, d’où il se répandit de proche en proche, d’abord en France, vers le commencement du 17e siècle, et, une 50e d’années plus tard, en Angleterre. De nos jours il n’est pas une contrée d’Europe où il ne soit plus ou moins connu.

On écobue principalement les friches couvertes d’arbrisseaux et d’arbustes ligneux ou sous-ligneux, tels que les genêts, les ajoncs, les bruyères ; les terres depuis plus ou moins long-temps cultivées en fourrages artificiels vivaces, comme la luzerne, le sainfoin ; les vieilles prairies, les pâtures, les tourbières et les marais nouvellement desséchés.

Eu égard à ces diverses circonstances, les moyens d’opérer ne sont pas tout-à-fait les mêmes.

[5:2:1]
Art. ier. — Du découpage du sol.

Si ce sont des végétaux de consistance ligneuse qui occupent le sol, quels que soient les moyens dont on aura fait choix pour les déraciner (voy. la sect. Défrichemens), si l’on ne juge pas plus profitable de les utiliser comme chauffage, on les laisse sécher en partie, et on les réunit ensuite en petits tas équidistans sur toute la surface du champ, pour les brûler en place, ainsi que je le dirai plus loin.

Si l’on doit opérer sur des friches en pâture ou sur de vieilles prairies, la première chose à faire est de détacher le gazon en plaques aussi régulières que possible. — Dans beaucoup de localités on emploie exclusivement pour cela une simple bêche acérée et terminée en pointe triangulaire (fig. 71).

En Angleterre, on fait fréquemment usage d’un instrument à peu près semblable, auquel on donne le nom de breast spade, et, assez improprement, celui de breast plough (fig. 72), dont le manche est légèrement convexe, et dont un des côtés du fer est parfois relevé en lame tranchante pour couper le gazon latéralement. Après avoir fait pénétrer cette bêche à la profondeur de 1 à 2 po. (0 m. 0,27 à 0 m. 0,54), l’ouvrier la dirige avec force devant lui, et soulève ainsi des espèces de lanières plus ou moins longues, qu’il retourne ensuite sens-dessus-dessous.

D’autres fois, comme un pareil travail est excessif pour un seul homme, on divise d’abord régulièrement le terrain au moyen du tranche-gazon (fig. 73), et on détache les plaques avec le lève-gazon (fig. 74), soit qu’un ouvrier seul le fasse mouvoir, soit que, au moyen d’un anneau fixé près de la base du manche et d’une corde qu’on y attache, un second ouvrier puisse le tirer, ainsi que nous l’avons représenté (fig. 70 et 75), tandis que le premier le dirige à peu près à la manière d’une charrue.

En Bretagne, sur les landes, on préfère l’étrapa (voy. fig. 67, page 116), très-commode pour couper entre deux terres les racines d’une certaine ténacité.

Ailleurs on choisit l’écobue (voy. fig. 66, page 116), avec laquelle il est facile de lever des plaques de 2 à 5 po. (0 m. 054 à 0 m. 135) de long sur 6 à 8 po. (0, 162 à 0, 217) de large.

Loudon nous apprend que dans les contrées marécageuses de l’Ecosse, où l’écobuage se pratique sur une grande échelle, on a généralement recours à une charrue (fig. 76) dont le coutre est remplacé par un disque métallique tranchant, tournant sur son axe, dont le soc large et plat est relevé en arête acérée, disposée de manière à diviser le gazon en lanières d’une largeur voulue à mesure qu’il est soulevé par le soc, et dont l’entrure est réglée, comme dans la charrue belge, par une roulette ou un sabot.

Dans le département du Tarn, M. de Villeneuve a introduit une autre charrue, dont il a donné le dessin (fig. 77), et la description suivante : « A, deux roues, dont l’une a été enlevée, afin de mieux laisser voir tous les détails de l’arrière-train ; B, soc en fer, ayant 1 pi. 2 po. de long sur 10 po. de large, terminé en pointe ; C, fort couteau en fer, destiné à couper le gazon sur le côté opposé au versoir ; D, pièce servant à diriger la charrue ; E, réunion par une charnière en fer des deux parties de la charrue ; elle donne non seulement la facilité de mieux diriger la charrue, mais en même temps celle de replier le train de derrière sur le train de devant porté par les roues ; ce qui rend le transport très-facile ; F, est le versoir de la charrue ; il a 1 pi. 8 po. de long. »

Une autre machine au moyen de laquelle on peut obtenir des résultats d’une régularité remarquable, est celle de Rey de Planazu. Elle se compose (fig. 78), : 1o d’une partie A armée de 3 à 6 coutres équidistans, droits ou même recourbés en arrière afin de présenter moins de résistance dans le sol, et assez finement acérés pour couper le gazon en bandes parallèles, ordinairement de 8 à 10 po. (0 m. 217 à 0 m. 271), sans exiger trop d’efforts de la part du conducteur ; — 2o d’une partie B, espèce de soc plat, en forme de bêche à deux ou trois compartimens, de largeur égale à l’écartement des coutres, destinée à pénétrer le sol à la profondeur voulue, et à détacher les bandes de gazon dont je viens de parler en plaques régulières, par un travail à angle droit du premier, comme on a cherché à l’indiquer (fig. 70) ; — 3o et enfin, d’un avant-train propre à recevoir indistinctement et tour-à-tour les deux parties A et B.

Mais, malgré l’économie de temps et de main-d’œuvre que peuvent présenter les machines perfectionnées dont je viens de parler, elles ne sont guère connues que sur de grandes exploitations et dans les contrées où la pratique de l’écobuage est fréquente. La charrue à versoir ordinaire, nonobstant l’irrégularité de ses résultats, attendu qu’elle se trouve partout, est assez communément employée. Entre des mains exercées, si on remplaçait le coutre par un disque coupant et tournant, et si, comme cela se pratique en Angleterre, au dire de sir John Sinclair, on adaptait seulement un soc à écobuer, elle deviendrait, à peu de frais, d’un usage infiniment plus commode. — Au reste, quoique l’emploi des instrumens mus à bras d’homme soit certainement plus dispendieux, il est cependant assez commun, non seulement parce qu’il ne nécessite aucune forte dépense d’acquisition première, mais aussi parce que tous les terrains ne se prêtent pas également, par leur régularité, à l’écobuage aux charrues.

On ne donne pas toujours aux plaques de gazon la même épaisseur. Ordinairement on écroute seulement le sol à la profondeur de un ou deux pouces (0 m. 0,27 à 0 m. 0,54). Il est des circonstances où, pour augmenter la masse des cendres végétales et de la terre brûlée, il ne peut y avoir que de l’avantage à pénétrer plus avant.

Lorsque les plaques ont été détachées d’une manière ou d’une autre, pour les faire sécher, on les laisse quelques jours sens-dessus-dessous, et on les retourne ensuite, afin d’exposer la face gazonnée au soleil. Enfin, s’il en est besoin, on les oppose deux-à-deux, par leur sommet, en forme de petites tentes, comme nous l’avons représenté figure 70.

[5:2:2]
Art. ii.Du brûlis des terres contenant des végétaux.

On n’emploie pas les produits de l’écobuage exclusivement en les soumettant à l’action du feu ; on les utilise encore, quelques-uns du moins, comme engrais et comme amendemens, soit en les enterrant à la charrue sur le sol même dont on vient de les arracher, soit en les déposant au fond de chaque tranchée de défoncement, soit enfin de toute autre manière. Je n’ai à m’ocuper ici que des brulis.

Quelquefois on fait brûler à la surface du terrain tous les végétaux frutescens et suffrutescens qu’il a produits ; plus communément on ne brûle que leurs racines, après les avoir réunies, comme je l’ai indiqué au commencement de l’article précédent, en petits morceaux, auxquels on met le feu avant leur entière dessiccation. De cette sorte, on enrichit le sol de stimulans favorables à un surcroît de fertilité, sans diminuer sensiblement la proportion des matières fermentescibles qui sont restées dans la couche de terre labourable, mais aussi en ne soumettant qu’une faible partie de celle-ci à l’action du feu.

On brûle assez souvent les chaumes, et parfois même, dit-on, dans le Lincoln, de la paille, qu’on répand à cet effet à la surface du sol dans la proportion d’environ 5 tons par acre, ou 1250 kilog. par hectare. Aux environs de Rayonne et ailleurs, dans le midi et l’ouest de la France, en Espagne, etc., la première de ces pratiques s’est continuée sans interruption.

Pour les résidus tourbeux et les plaques gazonnées qui retiennent fort peu de terre, les ouvriers les amoncèlent à la distance de 10 à 12 pi. (3 à 4 mètres). Il est facile de les enflammer au moyen d’une petite quantité de cendres incandescentes prises sur les tas dont la combustion s’achève.

Il arrive fréquemment dans les marais, dit John Sinclair, au lieu d’amasser les gazons en tas, de les brûler incomplètement en les laissant répandus à la surface dans l’état où les a laissés la bêche à écobuer, et cette pratique est suivie d’excellens effets.

Mais, lorsque les plaques contiennent une plus grande quantité de matières terreuses, tous ces procédés deviennent insuffisans. Voilà celui qui a été recommandé le plus communément, d’après notre célèbre Duhamel. — On construit avec les plaques, en les superposant à plat, la face gazonnée la première, de petits fours (Voy. fig. 70) d’un à deux pieds de diamètre dans oeuvre, au bas desquels on a soin de ménager, sous le vent, une ouverture carrée de 8 à 10 pouc. ( 0m 217 à 0m 271), et qui se terminent à la partie supérieure par une autre ouverture destinée à activer, au premier moment, la combustion des broussailles diverses dont on a rempli complètement la cavité du four avant de l’achever. — Dès que le bois est allumé convenablement, on ferme, avec de nouvelles plaques, la porte et la cheminée ; on bouche même les fentes par lesquelles la fumée pourrait s’échapper trop abondamment, précisément comme les charbonniers le font à leurs fourneaux. — Dans cet état, la combustion continue lentement jusqu’à ce que la masse entière ait subi ses effets.

Un tel moyen est incontestablement fort bon ; toutefois, par sa régularité même, il entraîne des frais de main-d’œuvre considérables. Il est un autre procédé plus simple, fort en usage dans la Catalogne française et espagnole, dans une grande partie de la Provence, et, d’après M. Gaston de La Beaume, dans toute la belle vallée du Grésivaudant. Voici la description qu’en a donnée mon vénérable collègue M. de Lasteyrie : « Comme les plaines de la Catalogne sont dépourvues de bois, les cultivateurs vont chercher sur les coteaux ou montagnes voisines des broussailles, des racines de lavande, de romarin, etc., pour la combustion de leurs terres[2]. Après avoir labouré une ou deux fois le champ qu’ils veulent brûler, ils placent sur toute la superficie, à des distances convenables, de petits fagots pour l’ordinaire de forme presque ronde et quelquefois plus alongée : un ouvrier forme les monceaux, que les Espagnols nomment formigas, par allusion à l’habitation des fourmis ; on leur donne 1 mètre de base sur 3 ou 4 d’élévation, et on ramène avec un râteau la terre qu’on range autour des fagots jusqu’à ce qu’il s’en trouve une suffisante quantité pour la formation du monceau. On recouvre le fagot des mottes de terre les plus grosses, ayant soin de laisser au sommet une petite ouverture pour le passage de la fumée et de l’air. C’est par cette ouverture qu’on met le feu, après avoir recouvert le fagot de quelques poignées de chaume, de paille ou autres combustibles facilement inflammables.... Ceux qui construisent les formigas se contentent de laisser, dans la partie supérieure, de petits interstices entre les mottes pour donner accès à l’air. Après avoir entassé sur le fagot de petites mottes, on recouvre celles-ci avec la terre fine que l’on enlève au moyen d’une houe ordinaire. Les monceaux ainsi disposés, on y met le feu et l’on a soin, durant la combustion, de jeter de la terre dans les endroits où la fumée sort en trop grande abondance ; on bouche pareillement le trou par lequel on a mis le feu. Lorsque le monceau s’affaisse par l’effet de la combustion, on y jette un peu de terre afin d’en exposer la plus grande quantité possible à l’effet de la chaleur et de la fumée. »

Dès que les résidus de l’écobuage sont suffisamment refroidis, on répand les cendres le plus également possible à la surface du champ, par un temps humide et calme, afin d’éviter les effets du vent, et sans attendre que des pluies fortes ou continues aient pu entraîner, au profit d’une partie du sol seulement, les substances solubles qu’elles contiennent. — Il est avantageux de ne différer cette opération que le moins possible, et, par la même raison, de la faire suivre promptement d’un premier labour, auquel il importe toutefois de ne donner que peu de profondeur.

Le moment le plus convenable pour les brûlis est donc celui qui précède immédiatement l’époque des semailles.

Presque toujours on établit les fourneaux ou les monceaux qui les remplacent à des distances égales de manière à employer, sur la surface du terrain, tous les produits qu’on lui a enlevés ; or, comme la nature et la quantité de ces produits sont essentiellement variables, il serait aussi difficile, en théorie qu’en pratique, d’indiquer des proportions fixes.

Quant aux frais de main-d’œuvre, ils varient aussi d’une manière impossible à préciser, selon la ténacité du sol, l’espèce des herbes qui le recouvrent, les instrumens qu’on emploie, et le prix des journées dans chaque localité. Le dégazonnement étant l’opération la plus longue et la plus pénible, entraîne une assez forte dépense que l’usage des charrues peut réduire considérablement.

[5:2:3]
Art. iii.Du brûlis de la terre dépouillée de végétation.

Jusqu’à présent nous ne nous sommes occupés que du brûlis des végétaux eux-mêmes, ou de la terre qui contenait en plus ou moins grande quantité diverses parties végétales. Avant de parler des effets de l’écobuage, il me reste à traiter du brûlis de la terre seule, c’est-à-dire dépouillée de toute végétation.

Cette pratique qui semble de nos jours acquérir une nouvelle importance, est déjà ancienne. Dans son Country Gentleman’s companion, imprimé à Londres en 1732, Stephen Switzer cite le comte de Halifax comme l’inventeur de cet utile procédé, qui était dès lors fort répandu dans le Sussex. Il donne deux dessins de fourneaux employés, l’un en Angleterre, l’autre en Écosse, pour brûler l’argile. Il affirme que des terres appauvries par la culture peuvent produire une excellente récolte de turneps, si, après avoir été labourées plusieurs fois, elles sont amendées avec des cendres argileuses. Il rapporte enfin diverses lettres écrites en 1730 et 1731, qui établissent que, sur plusieurs points des Îles Britanniques, l’argile brûlée a produit des effets supérieurs à ceux de la chaux et du fumier. — Ellis, dans son Practical farmer, fit connaitre tout au long, la même année, la manière de conduire cette sorte de brûlis. En 1786, James Arbuthnot, de Peterhead, tenta sur le même sujet plusieurs expériences heureuses qui furent répétées dans divers comtés. — En 1814, Craig chercha à faire revivre la même pratique, qui paraissait avoir été abandonnée à cause des frais qu’elle entraînait, et peu de temps après lui, le général Beatson, Curwen, Burrows, Cartwright et plusieurs autres, attirèrent de plus-en-plus sur elle l’attention des cultivateurs.

La méthode la plus ordinaire de brûler l’argile en Angleterre, est, d’après Loudon, de former un carré long de 15 pieds sur 10, au moyen de plaques de gazon qu’on élève en petites murailles de 3 ½ à 4 pieds. — À l’intérieur de cette construction, on dirige diagonalement des conduits d’air qui aboutissent à des ouvertures ménagées à chaque angle, et qui sont formés de plaques gazonnées, posées sur champ, à des distances telles les unes des autres, que d’autres plaques placées horizontalement puissent les recouvrir facilement. — Dans le quadruple intervalle qui se trouve entre ces conduits et les murs extérieurs, on allume d’abord un feu vif de bois et de gazons bien secs, puis on remplit en entier toute la cavité supérieure de ces derniers qui prennent feu très-promptement, et sur lesquels, dès qu’ils sont suffisamment incandescens, on jette l’argile en petite quantité chaque fois, mais aussi souvent que le permet l’intensité de la combustion. — Les conduits d’air ne sont vraiment utiles que pour commencer l’opération, car les plaques qui les forment sont bientôt réduites en cendres. — L’ouverture qui se trouve sous le vent est seule laissée ouverte ; il serait nécessaire de la clore et d’en déboucher une autre si celui-ci venait à changer de direction. — À mesure que l’intérieur de la construction se remplit d’argile, on élève les murs extérieurs de manière qu’ils dépassent constamment au moins de 10 pouces les plus hautes mottes, dans le but d’empêcher l’action du vent sur le feu. Lorsque la flamme se fait jour sur quelque point d’un de ces murs, comme cela arrive assez souvent, surtout lorsque la sommité du brûlis est surchargée d’argile, la brèche doit être immédiatement réparée, ce qui ne peut parfois se faire qu’en élevant un nouveau mur apposé parallèlement à celui qui menace ruine et qui, dans cette nouvelle position, se consume rapidement.

La première condition de succès pendant l’opération, c’est que chaque mur soit assez hermétiquement clos, et la partie supérieure du monceau recouverte constamment d’une quantité d’argile suffisante pour que l’air extérieur ne puisse, en pénétrant tout-à-coup dans la masse, arrêter l’incandescence. — De tels fourneaux exigent presque les mêmes soins que ceux dont on fait usage pour la fabrication du charbon.

Une seconde condition, c’est que cette même argile soit brûlée humide ; sèche, elle se durcirait au feu en forme de brique, et ne produirait plus tous les effets qu’on en attend. — Humide, au contraire, elle donne après la combustion des mottes poreuses que le moindre choc réduit facilement en poussière.

En suivant la méthode de Cartwright, au lieu d’établir de simples conduits d’air et de recouvrir à plat le combustible par l’argile, après avoir creusé une tranchée de 3 pieds de profondeur et de largeur, sur une longueur de 20 pieds, on la recouvre d’une voûte en briques, grossièrement maçonnée, et percée de trous nombreux pour laisser passer la flamme. On élève ensuite à 2 pieds de chacun des côtés de ladite voûte, sous laquelle sont entassés les combustibles, des murs de plaques de gazon semblables à ceux dont il a déjà été parlé, et l’on conduit du reste l’opération à peu près de la même manière que dans le cas précédent, c’est-à-dire qu’on recouvre les mottes d’argile de nouvelles mottes, à mesure que les premières commencent à prendre la couleur rouge obscure, indice de leur vive chaleur. — D’après ce procédé, Cartwright a calculé que son argile brûlée lui revenait à 1 fr. le tombereau de 20 pieds cubes, c’est-à-dire un peu moins qu’au général Beatson, puisque ce dernier estime au même prix les 16 pieds cubes.

Mais il est des moyens plus économiques. — M. de Schindler, en Autriche, sans autre construction préalable, fait disposer les mottes de terre en monceaux volumineux, et en quelque sorte à claire-voie ; à leur base on ménage des conduits destinés à recevoir une quantité suffisante de bois refendu de trois pieds. — Il obtient ainsi, pour le prix de 8 fr., jusqu’à 24 chariots.

Enfin, dans d’autres lieux, on imite le procédé espagnol, à cette seule différence près qu’on creuse une étroite tranchée, sur laquelle on dépose les fagots de manière à en former une espèce de voûte propre à recevoir les amas oblongs qui remplacent les formigas ; ou bien encore, en élevant les monceaux de mottes, on les stratifie, pour ainsi dire, avec des branchages, des bûches ; ou mieux, dans les localités où l’on peut s’en procurer, avec des plaques de tourbe, dont les cendres ajoutent puissamment à l’énergie de l’amendement.

Le général Beatson emploie l’argile brûlée une fois par rotation, c’est-à-dire tous les quatre ou cinq ans, à raison de 20 charretées de 16 boisseaux par acre ou 800 pi. cubes par hectare. — Lorsqu’il sème du froment sur du froment, ce qu’il croit pouvoir faire sans inconvénient d’après sa nouvelle méthode, parce que le terrain se maintient propre, il augmente d’un tiers la dose ordinaire. — Cartwright s’est bien trouvé d’en répandre environ un cinquième de plus. — On conçoit que ces proportions puissent varier encore en plus avec avantage, lorsque le surcroit de dépense n’est pas un obstacle.

L’application de cet amendement est, du reste, à peu près la même que celle de la chaux. — Lorsque, par suite de l’humidité atmosphérique ou d’une division mécanique, toujours facile quand l’opération a été bien faite, l’argile est réduite en cendre ou plutôt en poussière, on la répand, aussi également que possible, à la surface du sol, et on l’enterre par un léger labour avant ou en même temps que la semence. D’autres fois on la transporte et on l’étend sur les vieux trèfles avant de les enfouir.

On peut brûler de la même manière toutes les terres fortes et les diverses marnes argilo-calcaires. — Les résultats ne paraissent pas être sensiblement différens, quoique, dans ce dernier cas, il puisse cependant se produire une quantité plus notable de chaux.

[5:2:4]
Art. iv.Des effets de l’écobuage.
[5:2:4:1]
§ ier. — Effets chimiques et physiques.

L’écobuage exerce sur la végétation et sur le sol une double action. — Il agit chimiquement et physiquement.

Chimiquement, surtout lorsqu’on l’opère sur des végétaux dépouillés de terre ou sur des terres qui contiennent une quantité notable de racines ou d’autres parties végétales, en produisant divers sels dont la propriété stimulante a dû nous occuper ailleurs ; — peut-être, dans certains cas, conformément aux théories allemandes, en modifiant les particules terreuses de manière à les rendre plus solubles dans l’acide humique ; — en favorisant diverses combinaisons nouvelles favorables à la nutrition des plantes ; — enfin en pénétrant les terres soumises à son action de principes volatils, dont la présence se manifeste, pendant un temps fort long, au simple odorat, et dont j’ai lieu de croire que la puissance fécondante n’a pas été appréciée à sa valeur.

Physiquement, surtout lorsqu’on l’opère sur des terres dépouillées de végétaux ou qui n’en contiennent que des quantités inappréciables, en diminuant la consistance du sol. Ainsi que l’a déjà dit notre collaborateur Payen, la plupart des propriétés physiques changent par suite de la combustion. L’argile pure, qui formait la terre la plus compacte, devient friable, perd sa ténacité au point qu’il n’est plus possible de la lui rendre en l’humectant, et qu’elle ne revient qu’insensiblement, peut-être jamais, à son état primitif ; — en détruisant, par suite de ce premier effet, la tendance des terres fortes à se sur-saturer d’eau, et en les rendant conséquemment plus accessibles à la chaleur solaire ; — en augmentant leur porosité, ce qui les dispose à une absorption plus grande des gaz atmosphériques, tout en favorisant l’extension des chevelus. Si, en général, les terres recuites perdent, en partie, surtout lorsqu’elles ont été chauffées jusqu’à la calcination, la propriété chimique de se combiner à de nouvelles quantités d’oxigène, il est certain qu’elles acquièrent, par l’effet d’un feu moins vif, une disposition plus grande à se pénétrer, par simple addition, de ce gaz et de tous ceux avec lesquels elles se trouvent en contact. — Telle est particulièrement la disposition des argiles.

[5:2:4:2]
§ ii. — Terres qu’il convient d’écobuer.

D’après de telles considérations, je n’aurai que peu de choses à ajouter pour indiquer quelles sont les terres qu’il est avantageux d’écobuer, et il me sera plus facile de faire voir que le raisonnement vient parfaitement à l’appui des faits.

Il est clair que les brûlis détruisent en peu d’instans toutes les matières organiques qui se trouvent exposées à leur action, et qui, sans eux, auraient subi dans le sol une décomposition plus ou moins lente. Quoiqu’il ne faille pas en induire, comme on le voit, que dans cette opération tout soit perte pour la végétation, il n’en est pas moins vrai que l’écobuage souvent répété, sans le concours d’aucun engrais, épuiserait inévitablement le sol même le plus riche, et il n’est pas douteux que cette circonstance n’ait contribué, dans bien des cas, à le faire regarder comme plus funeste que profitable. — On a confondu l’abus avec l’usage.

Dans les tourbières, où la matière organique surabonde, l’écobuage ne peut avoir que des avantages. Il produit une poussière alcaline et terreuse qui s’interpose favorablement entre les débris des végétaux ; qui favorise, à la manière de la chaux, leur décomposition naturelle ; et qui sature, dans les circonstances assez nombreuses où ils se dégagent, divers acides essentiellement nuisibles à la végétation. Aussi, en pareil cas, cette opération est-elle un des plus puissans et des plus prompts moyens de mise en culture.

Dans les marais desséchés, les terrains tenaces, couverts de plantes à racines nombreuses ou charnues, comme la plupart de celles qui végètent de préférence dans les localités humides, l’utilité de l’écobuage est incontestable.

Sur les vieilles prairies, partout où les élémens du terreau sont nombreux et ont besoin d’être, pour ainsi dire, excités à la fermentation, il en est de même.

Cette utilité est aussi positive sur les terres glaiseuses, argilo-marneuses, et en général sur toutes celles qui pèchent par une trop grande ténacité.

Quant aux sols légers, sablonneux, naturellement chauds et peu riches en matières végétales, on doit juger, d’après ce qui précède, que l’écobuage leur est peu profitable. — Comme amendement, il tend à diminuer encore leur consistance ; — physiquement, il n’exerce aucune action sensible sur les sables, et chimiquement, il agit à peu près comme pourrait le faire un excitant prodigué à des convives affamés devant une table pauvrement servie. — Sur de tels terrains, l’écobuage ne doit donc être approuvé, en de rares circonstances, qu’avec le concours d’abondans engrais.

Du reste, les brûlis, dans les cas les plus ordinaires, n’excluent nullement l’usage des fumiers. Ils augmentent puissamment leur énergie, sans pour cela les remplacer.

À la vérité, dans trop de localités, sur des landes pauvres, sur le penchant de collines arides, après un écobuage, et sans le secours d’engrais ou presque d’aucun engrais, on sème une ou deux fois de suite du seigle, de l’avoine ou du sarrazin, puis on laisse le terrain se couvrir de nouveau de bruyères, de genêts ou d’ajoncs, qui devront l’occuper pendant 6, 7 ans, et quelquefois plus long-temps ; mais une telle routine ne peut être citée comme exemple.

[5:2:4:3]
§ iii. — Plantes auxquelles convient l’écobuage.

De même que l’écobuage ne réussit pas sur toutes les terres, il ne paraît pas convenir également à tous les végétaux. — Les crucifères, comme les turneps et autres raves, les navets, le colza, la navette, etc., s’en trouvent particulièrement bien. L’odeur acre et durable du brûlis paraît éloigner les altises. — Lorsque le sol n’est que d’une fertilité moyenne, les Anglais préfèrent les turneps à toute autre plante, parce que, soit qu’ils les fassent pâturer sur place par les moutons, au moyen du parcage, soit qu’ils les portent à l’étable ou à la bergerie pour les convertir en fumiers, qui devront être reportés sur le même terrain, ils obtiennent ainsi, l’année suivante, une orge ou une avoine toujours fort belle, sur laquelle le trèfle se développe avec une vigueur inusitée. Celui-ci, après un ou deux ans, est retourné avant la dernière coupe, et on brûle de nouveau pour faire place, sans addition d’engrais, à du froment.

La plupart des plantes légumineuses réussissent aussi fort bien après l’écobuage. — Les pommes-de-terre et les blés sont dans le même cas. Toutefois, il est généralement de bonne pratique de n’amener, sur une défriche, les céréales panaires qu’en seconde ou troisième récolte. — Sans entrer ici dans des détails qui seront plus utilement placés à l’article Assolemens, j’ajouterai seulement, par anticipation, que les bons résultats et la durée des effets de l’opération qui nous occupe en ce moment, sont étroitement liés au choix d’une bonne rotation de culture.

[5:2:4:4]
§ iv. — Causes des effets de l’écobuage, et opinions diverses sur cette opération.

Les chaumes, que dans beaucoup de lieux on est dans l’usage de brûler sur place, bien qu’on puisse croire qu’il serait plus profitable de les utiliser comme litière, produisent cependant, par suite du brûlis, un effet incontestable qu’il serait difficile d’attribuer exclusivement à l’incinération ; car, selon l’observation très-judicieuse de M. Puvis, dans un produit moyen de 12 hectolitres par hectare, un chaume de 5 pouces de longueur ne pèse pas plus de 12 quintaux, qui, brûlés, ne donnent que 50 livres de cendres ou à peine 1 pied cube, et ces cendres contiennent au moins moitié de substance terreuse ; or, on a vu qu’une telle quantité serait tout au plus le centième de celle qui conviendrait pour amender convenablement un espace de semblable étendue. — L’effet produit est donc dû en partie à l’action du feu sur le sol.

Les brûlis de racines et de branchages, ceux des argiles surtout, sont une nouvelle preuve de cette vérité. Dans le premier cas, les places où se trouvaient établis chaque tas, lors même qu’on a enlevé rigoureusement toutes les cendres, conservent encore une fertilité telle que les récoltes y versent fréquemment ; dans le second, il est bien évident que la proportion de matière végétale est le plus souvent fort minime.

Si personne, en présence d’une pratique journalière, n’a pu nier les effets du brûlis des terres engazonnées, il n’en a pas toujours été de même de celui des argiles dépouillées de végétation. — Tandis que le général Beatson le recommande comme moyen infaillible de remplacer avantageusement le fumier, les amendemens calcaires et les stimulans de toutes sortes, qu’il cite à l’appui de ses assertions une pratique de 6 années, M. Mathieu de Dombasle, après des essais trop courts peut-être, a cru pouvoir se prononcer contre toute efficacité, au moins sur les terres de Roville, de l’emploi du même moyen. — Entre deux opinions aussi contradictoires, l’une et l’autre sans doute beaucoup trop absolues pour être généralisées, il parait ressortir clairement des faits observés, principalement chez nos voisins les Anglais et les Allemands, que si le brûlis des terres n’a pas répondu toujours ou complètement à l’attente de l’expérimentateur, d’après les espérances exagérées qu’on lui faisait concevoir, il a du moins produit en certains lieux, et dans des circonstances que le commencement de cette section contribuera peut-être à faire reconnaître, des effets assez satisfaisans pour fixer sérieusement l’attention de nos agriculteurs.

Sur des parcelles de même qualité et d’égale étendue, en employant comparativement l’argile brûlée en proportion moindre d’un cinquième que la suie, et des deux tiers que les cendres végétales, Cartwright a obtenu des résultats constamment plus avantageux sur des turneps, des pommes-de-terre et des choux-raves. — Sans revenir sur les étranges résultats des essais prolongés du général Beatson, à côté de bien d’autres faits récens trop nombreux et trop précis pour qu’il soit permis de les laisser passer inaperçus ou de les rejeter sans examen, je pourrais citer encore la pratique de l’Irlande où, depuis près d’un siècle, l’argile brûlée est, dit-on, la base de la principale culture du pays, celle des pommes-de-terre ; les vieilles et durables coutumes du Sussex, de la Catalogne, etc., etc. — Essayons donc d’abord en petit, en cherchant un guide dans la théorie, sans pourtant nous en rapporter à elle, car « expérience passe science. » Oscar Leclerc-Thoüin.

[5:3]
Section iii. — Des endiguages ou embanquemens, ou des moyens de prévenir les envahissemens des eaux pluviales et de la mer.

Après quelques observations générales, nous indiquerons successivement les principaux moyens employés avec succès pour préserver des envahissemens des eaux et soutenir les bords des ruisseaux, particulièrement de ceux qu’on appelle rus, des torrens, des rivières et fleuves, et les rives de la mer : ces terrains sont presque toujours d’une grande valeur.

[5:3:1]
Art. ier. — Observations générales sur les endiguages.
[5:3:1:1]
§ ier. — Principes généraux.

On sait que l’eau, comme tout autre corps qui vient frapper une surface, est réfléchie ou renvoyée sous un angle égal à celui d’incidence, et que la vitesse de l’eau, toutes choses égales d’ailleurs, est en proportion de la pente de la surface sur laquelle elle coule.

Les endiguages doivent d’abord être considérés en ce qui regarde leur situation, leur direction, leur construction, les matériaux qu’on doit y employer.

La situation d’une digue doit être telle que sa base ne soit pas, sans nécessité, exposée à l’action immédiate du courant ou des vagues ; et quand la quantité d’eau est limitée, plus on laisse de largeur au lit, moins la digue a besoin de hauteur et de force.

La direction de l’endiguage doit n’offrir que le moins possible de résistance, soit au courant, soit à l’inondation ou à la marée.

Quant à la construction ou à la forme de la digue, sa hauteur et sa force doivent toujours être en rapport avec la profondeur et la pression de l’eau qu’elle peut avoir à soutenir ; afin d’augmenter la puissance, il est bon que sa face postérieure ait la forme d’un arc-boutant ou contre-fort, quand on a une grande pression à redouter. C’est de la face antérieure que dépend surtout la force et la durée de la digue : elle doit être en talus très-aplati, afin de mieux résister au poids et à l’action destructrice de l’eau. Une chaussée de 3 pieds de hauteur doit avoir 9 à 12 pieds à la base ; une moindre épaisseur suffit lorsque la terre est compacte ou graveleuse.

Les matériaux, tant pour le corps de la digue et sa surface postérieure, que pour l’antérieure, lorsque les eaux sont à peu près stagnantes et que le fond est solide, sont en général la terre même du lieu ; mais, quand le courant de l’eau ou les vagues doivent venir frapper la digue, il est indispensable que ce point soit revêtu très-solidement. Quant à la base, elle doit être bien fortifiée, parce qu’il est difficile de la réparer : c’est pourquoi on agit sagement en gazonnant les digues qui sont en terre ordinaire, ce qui est suffisant pour résister aux eaux stagnantes ou aux inondations accidentelles ; tout le talus de la digue sera ainsi garni d’herbes, lorsque cela sera possible. Mais, quand la fréquence ou la nature du courant ne le permettra pas, un revêtement est indispensable ; on peut le faire en pierres, en galets, en graviers, en pailles, fagots ou fascines qu’on retient au moyen de piquets ou d’agraffes en bois.

[5:3:1:2]
§ ii. — Procédés généraux d’endiguage.

Les moyens de préserver du ravage des eaux les bords des rivières et des torrens, sont d’un grand intérêt pour les propriétaires de terres situées dans les contrées montagneuses et dans les plaines au-dessous, où les inondations causent souvent de grands dommages sur les rives, quelquefois même changent le lit naturel du courant. Non seulement ces ravages sont souvent très-considérables, mais encore ils donnent lieu à de fréquentes contestations entre les propriétaires voisins ; en sorte qu’un cours d’eau, qui doit être la limite la plus avantageuse d’une propriété, devient au contraire dans ce cas la plus mauvaise. Les propriétaires ont donc un double intérêt, toutes les fois que les circonstances le permettent, à faire les travaux nécessaires pour fixer d’une manière invariable le lit et les limites des cours d’eaux.

Les opérations pour ce genre d’amélioration ont pour objet d’empêcher les cours d’eau d’attaquer leurs rives, d’accélérer la vitesse de l’écoulement des eaux, de diminuer l’espace de terrain qu’elles occupent, enfin de changer ou de modifier leur lit. On obtient ces résultats par différens travaux d’art, tels que la construction de jetées, de môles, de défenses, d’épis, ou bien en changeant, redressant, ou creusant le lit du cours d’eau.

La destruction des bords des rivières est le plus ordinairement la suite des inondations, et provient souvent de ce qu’un arbre ou une grosse branche (a fig. 79), entrainés par le courant et déposés ou retenus sur une rive, viennent créer un obstacle qui rejette l’eau de l’autre côté en changeant son impulsion naturelle. L’effet continué, même après l’enlèvement de l’obstacle, si l’on n’y porte remède, est de creuser et miner petit-à-petit l’endroit où le courant vient frapper, et de porter le sable sur l’autre bord, ce qui accroît encore l’effet produit. On empêchera ces ravages, si l’on place des jetées ou défenses (d, d,) destinées à recevoir l’impulsion du courant ; mais il faut avoir grand soin qu’elles ne fassent que renvoyer le courant dans le milieu de la rivière, autrement elles pourraient avoir pour résultat de donner lieu à un contre-courant qui causerait sur l’autre rive des ravages analogues à ceux auxquels on voulait obvier. On peut encore remédier aux ravages des fortes eau en chargeant les points attaqués des rives de matériaux capables de résister au courant (b, b, c). Ce dernier procédé est souvent difficile, dispendieux et sans grand résultat quand le courant a de la puissance, tandis que le changement de direction qui résulte d’une jetée, dont la figure 80 représente la coupe et le plan, s’obtient ordinairement avec de moindres frais, et est plus efficace et plus durable.

Dans l’établissement de ces jetées, on doit avoir grand soin de construire solidement les fondations, soit en composant les premières assises de grosses pierres, soit en garnissant tout le côté où le courant de la rivière doit venir frapper, de pilotis placés de distance en distance, sur un ou deux rangs (a, fig. 80).

Dans les cas importans, et quand les crues d’eaux sont fréquentes, on construit ces jetées en pierres qu’on réunit régulièrement et solidement, selon les meilleurs procédés de construction.

Mais, dans bien des circonstances, il suffit d’un panier d’osier, de forme et de taille convenable, que l’on fixe et que l’on remplit avec des pierres détachées, de la terre et des racines chevelues, afin de retenir cette terre. On forme de cette manière des barrages très-solides pour quelques années ; il est même probable que leur utilité ne se borne pas à la durée des paniers, et que lorsqu’ils viennent à se détruire, les matériaux qui y étaient contenus se sont suffisamment consolidés pour remplir leur objet sans de nouveaux soins, surtout parce que le courant de l’eau s’est déjà modifié en raison de l’obstacle qu’il a rencontré, et a formé des dépôts qui étaient la conséquence de cette nouvelle direction. Dans les cas les plus simples, une claie vivace est souvent suffisante.

Les rivières et torrens dont le cours est en droite ligne ou à peu près, n’agissent presque pas d’une manière destructive sur leurs bords, excepté dans les grandes crues. Il y a donc en général beaucoup d’avantages à redresser le lit d’un cours d’eau, si ce n’est lorsqu’on veut qu’il humecte le terrain par infiltration, ou même à lui en creuser un nouveau. Il sera question de ces travaux à l’article Desséchemens, auquel nous renvoyons, ainsi que pour les moyens d’élever les eaux au-dessus du niveau de leur écoulement naturel.

Les moyens d’endiguer les lais et relais de la mer, les baies et golfes où l’eau est souvent très-basse, les hauts-fonds et les attérissemens qui occupent souvent sur les côtes des espaces immenses, nécessitent des travaux d’art qui sont le plus ordinairement au-dessus des forces des cultivateurs, et qui exigent la réunion des plus habiles ingénieurs et de grands capitalistes.

En Angleterre et en Hollande surtout, il y a des exemples prodigieux des résultats obtenus par des endiguages savamment combinés et solidement construits ; dans ce dernier pays, des contrées entières ont été conquises sur l’empire de la mer et sont inférieures à son niveau, en sorte que la moindre négligence dans l’entretien des digues les menacerait d’une inondation générale.

La pression de l’eau contre les parois du vase qui la contient étant en rapport avec sa profondeur, il s’ensuit qu’une digue composée de matériaux impénétrables à l’eau, et dont la coupe a la forme d’un triangle à angle droit, pourra toujours résister, quelle que soit l’étendue de la surface, pourvu que sa hauteur soit égale à celle qu’atteignent les eaux. Sous ce rapport, il n’est donc pas plus difficile de contenir l’Océan qu’un étang ou une rivière de peu d’étendue.

Quoique la branche d’amélioration et de conquête des terrains, qui consiste à les endiguer, ait été assez bien comprise dans beaucoup de pays, cependant on commet encore souvent de grandes bévues dans l’exécution des travaux d’endiguages ; il arrive souvent qu’on calcule mal ou qu’on indique inexactement à l’ingénieur la plus grande portée de la marée. Il arrive aussi souvent que pour éviter la dépense on ne donne pas à la digue une base assez large, et on cause par là sa prompte destruction qui entraine des frais de réparation bien plus considérables que les dépenses de premier établissement. Pour les digues opposées à la mer, il ne suffit pas de les élever, comme pour les rivières, de 16 pouces environ au-dessus des plus hautes eaux ; il faut calculer cette hauteur en raison des circonstances particulières, qui sont l’élévation des eaux les jours des marées de quadrature, et celle des vagues poussées par l’action du vent. Dans les situations défavorables, le talus antérieur de la digue doit avoir sept de base sur un de hauteur, et le talus postérieur être plus doux que 45 degrés (fig. 81).

Les moëres, polders ou terrains conquis sur la mer, ont besoin d’être délivrés des eaux intérieures par un système combiné de canaux de dessèchement et d’écluses. Dans les cas ordinaires, l’écluse est placée dans un conduit de décharge pratiqué à travers la digue, dans l’endroit le plus convenable en raison de la pente du terrain et de l’afflux des eaux. Elle est protégée par des piliers de défense ou une jetée, et sa porte est construite de façon qu’elle ne permet pas l’entrée des eaux extérieures, mais seulement la sortie de celles de l’intérieur. Plusieurs écluses remplissent cet objet : nous représenterons seulement ici celle fig. 82, qui agit d’elle-même, et est employée à l’embanquement de Bar Loch en Angleterre.

Les canaux et fossés nécessaires pour recueillir les eaux surabondantes du terrain endigué et les conduire aux écluses, ainsi que celles venant de loin qui pourraient le traverser, sont le résultat d’opérations entièrement analogues à celles qu’on aura à exécuter pour les dessèchements, auxquels nous renvoyons.

Nous devons aussi renvoyer aux sols siliceux (T. I, p. 32) pour les moyens de s’opposer aux envahissemens des dunes ou sables que la mer rejette sur certaines côtes, et pour l’amélioration et la culture de ces sables, ainsi que des grèves ou sables des bords des rivières. C. B. de M.

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Art. ii.Des meilleurs moyens d’endiguer les ruisseaux, torrens, rivières, fleuves et les bords de la mer.
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§ ier. — Des claies vivaces sur le bord des ruisseaux.

Il y a dans divers pays des ruisseaux appelés rus ou rupts, qui, faibles une partie de l’année, franchissent leur lit, par suite des pluies et de la fonte des neiges, et qui minent, dévastent et entraînent leurs bords. Pour protéger ces bords, il faut commencer par faire une tranchée au bord du ru ; examiner s’il n’est pas trop sinueux, s’il n’y a pas de l’avantage à rectifier dans quelques points son lit, qui doit être, autant que possible, sur une ligne droite, afin que les eaux s’écoulent facilement avec ce qu’elles ont enlevé, ne heurtent pas la claie et ne creusent pas le sol par dessous et derrière elles. Si le terrain à garantir présente des angles, travaillez à les adoucir ; la moindre négligence vous priverait du fruit de vos peines.

Choisissez pour votre claie vivace (fig. 83) le saule et l’osier : vous pourrez la fortifier avec le peuplier. Employez l’aune, si l’osier vous manque ; mais ne les entremêlez pas : le premier, devenu fort, étoufferait son rival. Le saule rouge est préférable, parce que son bois est plus dur, et qu’on peut vendre ses pousses avec celles de l’osier. Pour celui-ci, préférez le rouge, et surtout celui qui est vulgairement connu sous le nom d’osier à panier. On peut se servir aussi pour nos digues du Mûrier à papier (Broussonetia papyrifera, Ventenat), et dans le midi, du Tamarix. Le saule doit provenir du bottelage de cinq à six ans ; on le prendra assez long pour qu’il puisse entrer de 18 pouces à 2 pieds dans la terre, et que les pieux dépassent la claie d’environ un pied. Leur pourtour sera de 10 à 12 pouces. Enfin on coupe dans un taillis de 15 à 18 ans, et l’on conduit sur le terrain des gaules de 6 pouces de pourtour, et qu’il vaut mieux avoir en saule qui reprend, sinon en chêne qui est dur, ou en noisetier qui est flexible. Le charme et le frêne ne sont pas à employer, parce qu’ils passent rapidement et ne donnent pas le temps aux jets de la claie vivace de les remplacer.

Ces dispositions achevées, faites avec un pieu ferré, et à 2 ou 3 pieds de distance, suivant l’étendue et la disposition des rives à garantir, des trous pour y recevoir les piquets des saules, que vous y introduirez sur-le-champ, afin que le gravier ne vienne pas en obstruer les trous. Prenez ensuite des branches de saule dont vous piquez le gros bout dans le talus, en biais, de manière à les ramener et à les tresser comme des claies de parc, et à ce que la pointe de ces branches suive le courant, pour n’offrir aucun obstacle à la marche de l’eau. Mettez et tassez de la terre contre ce lit de saule. Agissez de même pour les branches d’osier piquées contre la rive, et s’enlaçant dans la claie ; si votre plant vivace peut compléter la claie, n’employez les gaules dont nous avons déjà parlé, que pour la brider jusqu’à son extrémité, afin de la soutenir et la consolider. À cet effet, insinuez l’une de celles-ci par son gros bout dans la terre, derrière la claie où vous la ramenez et la conduisez par des entrelacemens successifs, tantôt devant, tantôt derrière chaque piquet, et en suivant toujours la direction de l’eau. Une nouvelle gaule s’appuie entre les pieux sur celle qui l’a précédée. La claie faite, ou l’ébrousse, et avec une serpe on rafraîchit les pieux à 6 pouces de la claie, en mettant la partie taillée du côté du couchant, afin de la défendre contre les intempéries qui feraient pourrir bientôt un bois si tendre : le côté du nord serait le plus pernicieux.

Pour prévenir les affouillemens et les dégradations de la claie, on place en avant de celle-ci et entre chaque pieu, des piquets en chêne ou en saule, d’une hauteur égale à la moitié de la claie. Au bout de quelques années les racines forment en s’entrelaçant une sorte de digue vivace. Si la claie venait à être forcée, on retrouve ce même avantage dans les racines de peupliers que, pour obtenir des produits, on a placés à 18 pouces les uns des autres et à pareille distance derrière la claie. À cet effet, on a choisi des plançons sur les sujets élagués l’année d’avant, et que l’on a réduits à une longueur de 12 à 15 pouces ; on les a tenus le pied dans l’eau pendant une douzaine de jours, afin de hâter leur végétation. Tous les peupliers conviennent, surtout ceux d’Italie, qui trouvent une humidité habituelle dès qu’ils ont atteint le niveau du torrent.

C’est peu d’avoir établi un système de défense, s’il est ensuite négligé, exposé aux attaques du torrent ou à la dent des bestiaux, dont on connaît les funestes effets sur les plantations. Dans le cas où l’on ne pourrait tenir les animaux loin de la claie vivace, il faudrait au moins la défendre soit par une barrière en bois, soit par une haie vive ou sèche.

Quant aux soins, aux dépenses qu’exigent la construction et l’entretien de ces digues, il faut observer qu’ils sont compensés par les produits, et que d’ailleurs elles conservent des terrains précieux. On a calculé dans la Brie champenoise, qu’un hectare, occupé par elles, rapporte plus de 120 francs.

On peut employer avec succès les claies vivaces sur le bord des rivières et des torrens, dans les parties qui n’exigent pas une défense plus solide. J’ai vu des paniers ou des piquets plantés soit en triangle, soit en cercle, pour protéger les rives, et dont l’intérieur était rempli de pierres recouvertes de gravier. Quelquefois on place au-dessus une claie. L’osier à racines bien chevelues est toujours utile à planter, il remplace ensuite le panier. Sur les bords de la Loire, ce sont des quinconces de saules et de peupliers. (Voir T. I, pag. 33 et fig. 24 et 25.) Suivant les Transactions de la Société de la haute Écosse, des pieux ou poteaux (fig. 84), formés avec les eclaircis des plantations de pins, sont enfoncés de 5 à 6 pieds dans le sable ; on remplit leurs intervalles avec des bruyères ou des broussailles au milieu desquelles on entasse des pierres et du sable ; on défend ces pieux contre la rivière, par de grosses pierres amoncelées en forme de talus.

Tous ces travaux, au reste, varient selon la disposition des lieux. On a moins besoin d’y recourir sur les rus que sur les rivières et torrens. Mais souvent il est d’un grand avantage d’encaisser celles-là, et nécessaire, pour arrêter les envahissemens de ceux-ci, d’établir des barrières redoutables.

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§ ii. — Moyens d’encaisser les rivières et torrens.

Jusqu’à ces derniers temps, on avait élevé le long des rivières et torrens des chaussées revêtues d’un pavé que protégeaient des enrochemens ; la dépense en était considérable, surtout loin des carrières : ces digues, exposées à des affouillemens, avaient besoin d’être souvent rechargées. D’autres ingénieurs, pour forcer le torrent à changer de direction, plaçaient un barrage en travers de son lit ; d’autres enfin lui en ouvraient un nouveau à force de bras.

M. Fiard, architecte à Gap (Hautes-Alpes), s’est occupé spécialement des pays montagneux, qui forment le tiers de la France, et ses procédés économiques peuvent s’appliquer, avec quelques modifications, aux autres provinces. La fig. 85 représente les travaux exécutés sous sa direction sur les bords de la Durance. Prenant une montagne pour point de départ, il cherche en dessus ou en dessous l’endroit de la rivière où les eaux, étant basses, laissent à découvert la plus forte largeur de graviers entre le grand bras et le point de la rive à laquelle il veut attacher son ouvrage. Ce point déterminé, il trace un épi incliné vers l’amont, qu’il conduit jusqu’au point arrêté par l’Administration des ponts-et-chaussées pour conserver aux eaux un débouché convenable. À ce point, il établit la tête de l’épi, espèce de môle qui a 25 mètres de longueur parallèlement au lit de la rivière et 30 mètres perpendiculairement à cette direction (fig. 85 et 86). C’est un ouvrage en gravier, de forme prismatique, terminé en quart de cercle vers l’amont et en demi-cercle vers l’aval, revêtu d’un pavé incliné de 1 mètre 1/3 sur 1 mètre de base, et fortifié encore en amont par une jetée en pierres, dont la figure 87 donne les détails, et sous forme de cône aplati. Il réunit ensuite la partie de ce môle, dirigée vers la rive du lit majeur, par une levée en gravier, dont la partie supérieure arrase celle du môle, et qui vient s’attacher à la rive en terminant l’épi. Vers l’amont, le talus de cette levée a 2 mètres de base sur 1 de hauteur, et vers l’aval, on lui laisse prendre l’inclinaison qu’adoptent les graviers versés avec la brouette. Si cet épi traverse un des petits bras de la rivière, on a soin de le fermer, à son origine, au moyen de fascines, de pierrailles et de gravier. Ce premier épi étant formé, s’il survient une crue extraordinaire, B (fig. 88), soit en novembre, soit au printemps, les eaux en amont de l’épi occuperont généralement le lit d’une rive à l’autre : alors les eaux, rencontrant l’épi, perdront une grande partie de leur vitesse sur une certaine étendue, viendront se confondre avec le grand courant en retournant vers l’amont, effet aidé encore par la jetée conique qui fortifie le môle en amont, et elles s’éloigneront ainsi de l’ouvrage destiné à déterminer leur direction, au lieu de venir l’attaquer. Mais à la fin de la crue, le lit se sera approfondi de 4 à 5 pieds en amont, et à une certaine distance du môle établi parallèlement au courant ; enfin, l’épi se trouvera chaussé par un amas de gravier déposé sous la forme d’un triangle. Quant à l’aval, la rivière aura continué de creuser son lit sur une étendue de plus de 500 mètres, en s’encaissant sur cette longueur, de manière à ne plus l’abandonner ; et elle aura en même temps relevé le terrain qui la borde, en y jetant les graviers provenant du lit creusé. Si l’on continue ensuite sur le même plan, en établissant des épis à 400 mètres environ les uns des autres, on éprouvera toujours les mêmes effets. Il ne faut renvoyer le courant qu’au milieu du lit de la rivière ; autrement un contre-courant irait ravager l’autre bord.

Il est question maintenant d’utiliser le terrain qui a été garanti contre les attaques de la rivière, et d’empêcher que les eaux ne s’y répandent d’une manière nuisible. On obtiendra cet effet en formant entre les môles, et à 10 mètres environ en arrière de leur face extérieure, une levée en gravier et pierrailles, de 5 mètres de base pour 1 de hauteur, et arrondie en arc de cercle ; mais on ne s’en occupera qu’après avoir donné aux eaux le temps d’élever le terrain compris entre les deux épis à réunir. La hauteur de cette levée sera de 40 centimètres à sa naissance, sous le môle inférieur du premier épi, et de 1 mèt. 1/2 à son extrémité contre la jetée de l’épi intérieur. Ensuite, on emploiera les plus grosses pierres entre celles qui ont été élevées par les eaux sur les terrains, pour revêtir ces digues, et l’on y piquera de jeunes plants d’osiers, d’aunes, de peupliers et de saules, qu’on ne laissera sortir que de 6 pouces au-dessus de la surface de la levée au moment de la plantation. Enfin, pour compléter le système, on construira de 100 mètres en 100 mètres, immédiatement en avant de la levée arrondie, placée longitudinalement, de petits ouvrages auxquels on emploiera les pierres susceptibles d’être maniées par un homme ; lesdits ouvrages ayant la même inclinaison que les bords de la rivière, inclinés comme les épis vers l’amont, et terminés par des môles de la forme de ceux qui accompagnent ces épis. Alors, pour introduire et faire arriver sur les dépôts limoneux des eaux d’arrosage, et favoriser encore l’attérissement, on réservera dans le premier épi en amont des ouvertures que l’on garnira de vannes, et l’on pratiquera des aqueducs dans les épis inférieurs.

Tel est le système de M. Fiard ; il a été appliqué avec succès aux rives de la Durance, dans les Hautes-Alpes, et a valu à son ingénieux auteur une gratification de 3,000 francs, allouée par le ministre du commerce, ainsi que des médailles d’or décernées par la Société royale et centrale d’agriculture et par celle d’encouragement pour l’industrie nationale ; puisse-t-on former une école sous sa direction !

Dans les digues, on pratiquait ordinairement des martellières, espèces d’écluses ou de vannes, prenant l’eau à un point supérieur, soit pour arroser les champs ou les prairies, soit pour transformer les délaissés en terrains cultivables, dans des délais calculés sur la quantité de limon que le torrent charrie, et qu’on évalue, dans les Hautes-Alpes, de 3 à 4 ans pour la Durance. S’il est des galets que ne puisse atteindre l’eau, on l’attire dans des trous voisins, où elle dépose son résidu qu’on porte en temps utile sur les points qu’on veut rendre productifs. Ce mode est en usage sur les bords du Rhône.

Quant aux rives de la mer, l’avantage d’élever successivement le sol par des dépôts journaliers cède devant l’inconvénient qu’entraîne l’introduction des eaux salées qui, dans le nord de la France, diminuent fortement pendant quinze années les produits des terrains submergés. Dans l’Ouest, et surtout à Noirmoutiers, on se hâte d’interdire aux eaux, à tout jamais, leur rentrée sur les parties à conquérir par les ouvrages d’art dont nous allons parler tout-à-l’heure. Une mer favorable déposerait des sédimens qui élèveraient le sol ; mais il suffirait de vents impétueux pour le couvrir de galets, et d’une tempête pour le dévaster.

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§ iii. — Des polders ; — des digues sur les bords des fleuves et de la mer.

On appelle polders les terrains défendus par des digues contre les invasions de la mer ou des fleuves. Nous allons citer ici le Rhin.

Ce fleuve fait des affouillemens sur l’un de ses bords, tandis que sur l’autre il abandonne une partie des terres. En général, de Bâle à Clèves la rive gauche est moins élevée que la droite, et c’est pour la protéger que Frédéric II, en 1707, établit la législation relative au grand-duché de Clèves, y organisa les associations, et détermina les principes à suivre pour les ouvrages d’art. J’essayais de remettre en vigueur tout ce que renfermait d’utile ce règlement, lorsque l’empereur nomma M. Maillard directeur général des polders. Dans l’ancien département de la Roër, chacune de nos divisions fut composée de deux chefs députés, dont les fonctions étaient gratuites, d’un deichgraff, de trois jurés, d’un greffier, et l’on y attacha un messager garde-digues. Le décret du 22 janvier 1813 fixa la tenue des assemblées, le mode des contributions et le concours pour la défense.

Il y a dans cette belle province des digues d’hiver et des digues d’été, toutes formées de terre, et dont on exclut autant que possible le sable, qui facilite les affouillemens : celles-là, protégées par des oseraies, lorsque les alluvions le permettent, s’opposent aux crues occasionées par la fonte des neiges, et qui, amenant une immense masse d’eau dans la partie septentrionale du fleuve où cette fonte n’a pas été encore effectuée, soulèvent parfois jusqu’à une hauteur de 40 à 60 pieds les glaces qui se précipitent sur les digues, et les déchirent. Les digues d’été sont des remparts en seconde ligne, moins élevés, et qui quelque fois se trouvent insuffisans, comme en 1810, où je fus obligé d’appeler toute la population voisine pour empêcher que le Rhin ne se jetât dans le Wahal, et ne submergeât la Hollande.

Les statuts des polders de la Roër furent à peu près les mêmes que ceux de l’Escaut, de la Lys, des Bouches-du-Rhin et des Deux-Nèthes.

Les plus grands travaux des polders s’exécutent à l’embouchure des fleuves et sur les bords de la mer, au-dessous du niveau des hautes marées de quadrature. Là il s’agit non seulement de défendre, mais de conquérir, souvent sur une vaste échelle, les alluvions qui se nomment schorres. En Hollande, celles dont ne peut produire de titres appartiennent au prince, sans l’octroi préalable duquel on ne peut endiguer. Le règlement d’administration publique du 28 décembre 1811 contient tout ce que les anciennes ordonnances, surtout celle de janvier 1791, et l’expérience des temps antérieurs, pouvaient offrir de meilleur pour la Zélande. Les polders, divisés en cinq arrondissemens, concoururent à la défense commune, en venant au secours de ceux qu’on avait déclarés calamiteux, et qui ne recevaient cette dénomination qu’après avoir consacré le revenu de deux années de suite à l’entretien des ouvrages d’art, et plus de la moitié de la troisième année. Des formalités étaient établies pour les subsides des polders calamiteux, ainsi que pour le versement et l’emploi des fonds. Tous les ans, avant le 1er mai, les résolutions qui intéressaient l’association se discutaient dans une assemblée générale des plus forts propriétaires du polder, dont la direction se composait d’un dykgraff, d’un ou deux jurés, d’un receveur faisant les fonctions de greffier : on avait déterminé les attributions de chacun d’eux. Les garde-digues et éclusiers étaient nommés et révocables par le dykgraff. Comme la Zélande n’est vraiment qu’un archipel de polders, en partie calamiteux, le gouvernement est obligé de lui fournir des secours annuels.

On aimerait à citer comme des modèles les digues de Breskens ; mais, non seulement M. Lamandé, ingénieur en chef, les a imitées avec succès à la porte de Devin, dans la Vendée (fig. 89), mais il y a encore conçu et exécuté l’idée neuve de résister aux courans, de diviser par des épis les vagues, et d’en amortir, d’en détruire la force dans un intervalle laissé à cet effet entre le bec de mer et les ouvrages d’art. Les détails qu’on va lire, sur la manière dont on opéra, sont extraits des notes du premier livre de La Vendée militaire, par un officier supérieur.

M. Lamandé couvrit la partie menacée d’un bec ou talus ayant l’inclinaison de 1/7e, telle que l’ont beaucoup de parties de la rive, afin que les eaux y causent moins de ravages (fig. 90 et 91). La portion la plus exposée y est en tunage blocaillé, de 9 mètres environ de développement ; de gros blocs de pierre le terminent et se prolongent de 60 centimètres au-dessous de l’estran, afin de prévenir les affouillemens. On a construit en pierres de taille de 30 centimètres d’épaisseur, posant sur 25 centimètres de pierre, la partie supérieure du bec, et 2 mètres de tête horizontale. Un cours de madriers et une zone de 2 mètres de revêtement règnent en amont de la tête horizontale et sur le même plan (fig. 91). Comme ce bec est de 60 et 100 mètres en avant de l’ancienne digue, les 2 mètres de hauteur excédante d’eau vive n’arrivent à celle-ci qu’après avoir perdu presque toute leur force, et sont arrêtés par ce rempart désormais indestructible. Onze épis, en général perpendiculaires à la direction du bec de mer, et distans entre eux de 125 mètres environ, représentant le plan et la coupe de la queue d’un épi (Voir les fig.), avancent de 50 à 100 mètres vers l’Océan, pour diviser l’effet des vagues, et préserver du courant les parties opposées du talus : ils ont 8 mètres de largeur à la racine, 6 mètres à la queue, et sont fondés à 0m, 60 au-dessus de l’estran (fig. 92 et 93) ; le mouvement de la marée comble successivement les intervalles de ces épis, et donne chaque jour à ceux-ci plus de consistance.

Les épis et la partie du talus en clayonnage furent exécutés par des ouvriers hollandais, sous la direction de M. Plantier, sur un banc d’argile d’un mètre de hauteur. Une couche de paille, épaisse de 5 centimètres, fut consolidée en travers par des cours parallèles de saucissons en paille. Ces liens, distans de 20 centimètres de centre en centre, furent confectionnés et enfoncés de 20 centim. dans l’argile, au moyen d’instrumens particuliers (fig. 94), et à chaque intervalle de 30 centimètres, comme cela est indiqué dans le plan et la coupe figurés du revêtement en paille (fig. 95 et 96). Au-dessus de la paille, on posa 2 rangées de fascines (fig. 97 et 98), dans le sens de la ligne de plus grande pente. Ce lit de fascines et de paille fut traversé par des piquets à crochets, distans entre eux de 25 à 33 centim. dans le sens du talus et de 40 centimètres sur l’horizontale. On dépassa ainsi les fascines de 30 cent., et on affleura le revêtement en maçonnerie du bec de mer ; un clayonnage, haut de 30 centimètres, relia les piquets d’une même horizontale, et ils furent tenus par leurs crochets de tête ; une grosse blocaille remplit les intervalles des tunages. Les 50 premiers mètres d’épi sont à tunes serrées, distantes de 20 centimètres ; le reste est en tunage blocaillé décrit ci-dessus.

L’officier supérieur qui nous fournit ces détails regarde cet ouvrage comme unique en France, et peut-être en Europe : commencé en 1825 et terminé en 1828, il a couté 500,000 francs ; toute l’île de Noirmoutier se trouve préservée d’une inondation qui paraissait imminente. J.-C.-F. Ladoucette.

Un autre travail qui mérite également d’être cité pour exemple, c’est l’endiguage de la baie de Kurnic. La digue est longue d’environ 1340 pieds et haute de 20 pieds. Sa largeur varie de 50 à 120 pieds. Hors de toute atteinte désormais, elle préserve d’une manière certaine le territoire qu’elle domine. Moins d’un an a suffi au propriétaire actuel du Kurnic, M. Derrien, pour construire ce môle ; il est formé sur ses deux flancs d’amas de pierres grossières rangées sur deux files ; l’intervalle compris entre ces deux lignes de défense, a été comblé par un double mur de gazon et de sable blanc. Les parois extérieures ont ensuite été garanties par une maçonnerie sèche. Maintenant la mer apporte contre le pied de la digue des sables dont l’entassement s’accroît tous les jours et qui formeront un bouclier indestructible. Les varecs commencent aussi à lier entre elles les pierres du môle. Au total l’état de celui-ci est parfait et ne laisse prise à aucune inquiétude.

Nos côtes fourmillent d’anses et de baies susceptibles d’être enlevées aux flots, et dont l’endiguement présenterait assez peu de difficultés. Les terres ainsi arrachées à la mer sont toutes, comme on le sait, d’une admirable fertilité, et les essais multipliés qui ont été faits ne laissent plus aucun doute sur la possibilité d’en obtenir la plus riche production. On peut donc affirmer sans crainte que les plus belles affaires agricoles de notre pays sont dans le dessèchement des baies susceptibles d’être fermées. Malheureusement les lais de mer, si propres à la fondation de vastes fermes modèles, n’ont été obtenus jusqu’à présent que difficilement, et le gouvernement a toujours été fort avare de concessions de ce genre. Espérons mieux des ministres actuels qui ont promis de mettre désormais en adjudication les terrains de cette espèce que l’industrie pourrait réclamer. C. B. de M.

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Section iv. — Du dessèchement des marais et des terres marécageuses, et de leur mise en valeur.

L’eau, si nécessaire à la végétation, est quelquefois, par sa surabondance, un obstacle à la culture, et il existe en France près d’un million d’hectares de terres incultes et improductives par la présence constante, ou à de certaines époques de l’année, d’eaux qui en forment des marais. La grande quantité de plantes aquatiques qui vivent dans les terrains marécageux et dont les débris enrichissent le sol, l’activité de végétation que procure une humidité modérée, les avantages des arrosemens dont il est facile de se réserver la possibilité, font du dessèchement des marais une des améliorations agricoles les plus fructueuses, lorsque les résultats en ont été bien conçus et que l’exécution en est bien dirigée ; sans parler encore du but philanthropique de ces entreprises qui assainissent le pays et transforment en fertiles guérets des foyers d’exhalaisons insalubres et de fièvres intermittentes toujours perfides pour la population.

Le dessèchement des grands marais nécessite des travaux d’art et un ensemble d’opérations pour lesquels l’intervention du gouvernement est obligatoire : ces difficultés, jointes aux capitaux considérables que ces belles entreprises exigent, expliquent pourquoi un si petit nombre ont été mises à exécution. Nous ne nous occuperons ici de ces grands travaux que pour les parties qui ont besoin du concours et des lumières des agriculteurs ; le surplus dépasse les limites ordinaires de leur capacité, et exige tout à la fois la réunion de puissans capitalistes et de très-habiles ingénieurs. C. B. de M.

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Art. ier. — Observations générales sur les causes de l’existence des marais et sur les moyens de les assainir.

Le choix des moyens qu’on doit employer pour assainir et livrer à la culture les terrains marécageux doit varier suivant les dispositions locales. Nous allons considérer successivement ceux dont l’expérience a le plus éminemment constaté l’utilité.

Quand il y a déclivité quelconque du terrain, on doit en profiter pour diriger les eaux vers le cours d’eau qu’il est le plus facile d’aborder ; mais les terrains creux ou sans pente, exposés à subir des inondations ou à recevoir des sources, et dont le sol est de nature à conserver l’eau, peuvent éprouver, de sa stagnation, des préjudices d’autant plus importans et redoutables qu’outre les pertes qui en rejaillissent immédiatement sur l’agriculture, il en résulte une insalubrité qui a souvent les suites les plus déplorables pour la santé et même pour l’existence des hommes et des animaux.

Lorsque le terrain présente de telles dispositions, il faut tâcher de reconnaître le sous-sol et la nature des couches inférieures, en recourant à cet effet à des sondages qu’on peut faire aisément au moyen des sondes employées ordinairement dans ce but.

Si on reconnaît que les couches imperméables du sous-sol peuvent être traversées jusqu’à ce qu’on arrive à une couche inférieure dont la perméabilité promet de donner l’issue qu’on veut obtenir, il faut pratiquer des forages que l’expérience a rendus faciles, et si le terrain présente une certaine étendue, on doit recourir à de bons nivellemens pour reconnaître l’inclinaison des couches afin de se régler sur ces inclinaisons.

Si la nature ou l’épaisseur des couches imperméables s’oppose à l’assainissement au moyen du forage de ces couches, on peut, par suite de bons nivellemens, pratiquer des tranchées à fonds de pierres, dirigées vers une déclivité plus ou moins éloignée et recouvertes ensuite de terres, de sorte que le sol ne perde rien de ce que sa superficie peut offrir à la culture. Quand la pierre est rare, on peut remplir ces tranchées de fascines de mauvais bois, ou même de paille si le bois est trop cher.

Dans les pays où la brique est à bas prix, on en fait qui sont propres à recouvrir les tranchées.

Mais lorsque les marais sont au-dessous des cours d’eau voisins, qu’ils forment ainsi des espèces de lacs, et que le forage ne peut être employé avec succès, il faut recourir à des épuisemens qui ne s’opèrent généralement qu’avec des ouvrages d’art, lesquels exigent souvent de grands moyens et des dépenses dont on doit se rendre préalablement compte, tels que des moulins à vent qui mettent en mouvement des roues à pot ou des vis d’Archimède, placées quelquefois à divers étages superposés pour atteindre le niveau du seuil que les eaux doivent franchir pour trouver leur écoulement.

Aujourd’hui, on emploie même à un but si important la force motrice des machines à vapeur. Pour élever les eaux, ces machines à vapeur mettent en action des roues d’un grand diamètre pourvues d’aubes qui prennent l’eau dans le niveau à dessécher et la font monter et déverser au-dessus du niveau du seuil qu’il faut franchir.

Il est digne d’un gouvernement de s’occuper de tels travaux pour assainir et vivifier des contrées entières, et la Hollande présente des exemples de ces moyens d’amélioration, non moins admirables par la grandeur de leur conception et la perfection de leur exécution, que par l’étendue des avantages et même des bénéfices qui en résultent, malgré les dépenses qu’ils exigent.

Nous avons vu sur les lieux mêmes, et notamment près le beau canal d’Amsterdam au Helder, qui reçoit des vaisseaux de ligne, de vastes lacs convertis ainsi en beaux pâturages, et nous citerons entre autres le lac Burmster dont la superficie était d’environ 10,000 hectares et dont le fond était de 5 mètres au-dessous de la basse mer.

Du reste, ces grands travaux nécessitent des capitaux et des connaissances que nous ne devons pas supposer aux propriétaires et aux cultivateurs auxquels nous parlons, et par cette raison nous n’entrerons pas à cet égard dans plus de détails. Lorsque ces vastes et belles entreprises ne sont pas exécutées par le gouvernement, elles doivent l’être par de puissantes compagnies de capitalistes, qui s’adressent à des ingénieurs habiles pour dresser les plans et projets et diriger l’exécution des travaux jusqu’à leur perfection ; pour ces entreprises, souvent longues et fort dispendieuses, il faut ordinairement le concours d’un grand nombre de propriétaires, et lorsqu’on ne peut l’obtenir amiablement, il faut se prévaloir des dispositions de la loi du 16 septembre 1807, qui règle le mode d’exécution des travaux, celui d’acquittement des indemnités dues, et des expropriations dans le cas où elles sont indispensables. On voit encore que ces spéculations sortent du domaine de l’agriculture. Quoi qu’il en soit, lorsque les travaux de dessèchement sont achevés et les terrains rendus cultivables, une nouvelle série de travaux véritablement agricoles commence, et nous devrons par ce motif nous y arrêter ; ce sera l’objet de l’art. iii.

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§ ier. — Desséchements par remblaiement et par colmates.

Il est un moyen d’assainissement applicable à certaines localités et auquel on donne généralement la dénomination de colmate.

Avant de nous en occuper plus particulièrement, nous ferons observer que quelquefois certaines localités indiquent comme moyen d’assainissement le remblaiement du sol par des terres rapportées, qu’on répand sur la surface en quantité et jusqu’à une hauteur telles que le dessus du remblai soit suffisamment élevé pour l’écoulement des eaux pluviales, et supérieur aux eaux courantes qui peuvent le traverser. Ce moyen, toujours très-dispendieux, est souvent impraticable, soit par la grande étendue du sol marécageux, soit par le manque de terres nécessaires pour le comblement : nous l’avons cependant vu employé, en grand et avec succès, à Lyon, près du confluent du Rhône et de la Saône, sur l’emplacement où l’on établit actuellement le beau quartier Perrache.

Le moyen connu plus particulièrement sous la dénomination de colmates, consiste à diriger des eaux troubles dans les fonds où elles peuvent déposer, au moyen de dispositions convenables, les terres qu’elles tiennent en dissolution. Il est très-répandu en Italie, où l’on s’en est servi depuis long-temps, et où l’on continue d’en faire usage avec beaucoup d’avantage et de profit. Plusieurs auteurs estimés ont donné des préceptes généraux sur la méthode des colmates[3], et nous renvoyons à leurs ouvrages, car il serait difficile d’analyser ce qu’ils ont dit sur cette matière.

Nous nous bornerons à observer que le succès de l’emploi de la méthode des colmates tient principalement à la promptitude avec laquelle on expulse, du terrain qu’on se propose d’exhausser par alluvion, les eaux limoneuses qui y ont été introduites, lorsque ces eaux, ayant déposé leur limon, sont devenues claires ; c’est par la rapidité de cet écoulement qu’on se procure le double avantage et de renouveler le plus souvent qu’il est possible, pendant un temps donné, les eaux troubles sur la surface du sol à colmater, et de réduire à rien ou à très-peu de chose le mélange de ces eaux troubles avec les eaux déjà clarifiées.

Il est donc manifeste que l’établissement d’un système de colmates suppose l’établissement préliminaire d’un système d’écoulement, et que la réussite du premier dépend absolument de la perfection du second ; bien entendu que les eaux destinées à former les alluvions satisfont encore à d’autres conditions indispensables.

D’un autre côté, on concevra aisément, avec quelques réflexions, que, lorsqu’un système d’écoulement est établi conformément aux principes exposés ci-dessus, rien n’est plus aisé, si on le juge convenable, que de s’en servir pour faire des colmates, soit sur la surface entière du sol à bonifier, soit sur quelques parties de cette surface, l’introduction et l’expulsion des eaux troubles n’exigeant que la construction de quelques ouvrages faciles et bien connus, qu’on exécute sans rien changer d’ailleurs au système des canaux et des fossés d’écoulement.

Nous avons vu sur les lieux mêmes de beaux exemples de résultats obtenus en France par l’emploi des colmates, surtout dans le midi ; nous citerons entre autres l’attérissement progressif de l’étang de Capestang (caput stagni), dont la superficie était de près de 2,000 hectares et qui est situé à environ 12, 000 mètres de la ville de Narbonne et 1200 du canal du Midi. Par suite de mesures prises relativement à ce beau canal et au desséchement de cet étang qui était d’une grande insalubrité, on dérive à volonté les eaux de l’Aude, lorsque ses crues lui font charrier des troubles considérables et rendraient l’approche de cette rivière dangereuse pour le canal, et on introduit alors les eaux de l’Aude dans l’étang de Capestang, avec des moyens combinés de manière à effectuer le plus efficacement possible le dépôt des troubles que charrie cette rivière dans ses crues.

Nous citerons, dans le prolongement de la même ligne navigable, l’attérissement progressif de l’étang de Mauguio, autrefois traversé par le canal des Etangs qu’on en a séparé, et qui s’attérit par le dépôt des eaux du Vidourle ; cette rivière torrentielle, lors de ses crues, charrie et dépose dans cet étang les troubles qu’elle reçoit dans son cours à partir des montagnes des Cevennes, et le comble ainsi progressivement. — Nous citerons encore les beaux attérissemens qui se font par des moyens analogues et des colmates, à l’embouchure du canal de Beaucaire à Aigues-Mortes, ancien port où s’embarqua saint Louis pour la Terre-Sainte, et maintenant séparé de la mer par un espace de 12,000 mètres d’attérissemens déposés par les torrens dont les crues se dirigent sur ce point.

Nous devons citer pour exemple de dessèchement par un moyen opposé, par celui de l’écoulement, l’étang de Marseillette dont la superficie était de plus de 2,000 hectares, et qui, entièrement assaini maintenant, voit prospérer dix-huit fermes ou métairies sur son sol autrefois entièrement sous l’eau[4]. Nous pourrions citer de nombreux exemples de ce genre, pratiqués en France depuis l’édit d’Henri IV et les mesures prises par ce bon roi pour les desséchemens ; mais, comme ce qu’il y a de plus important ici est d’exposer les systèmes ou moyens reconnus les plus avantageux, nous allons en donner les principales idées.

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§ ii. — Desséchement par un système de canaux.

Pour les desséchemens des grands marais qui se trouvent généralement dans des vallées ayant peu de pente, où affluent des rivières, des torrens et des ruisseaux qui n’ont pas de lit, ou qui en ont d’insuffisans pour le débit de leurs eaux, le problème à résoudre consiste à ouvrir un canal principal et des canaux secondaires qui soient capables d’écouler les plus grandes eaux, et de les maintenir au-dessous des terrains les plus bas à dessécher.

Ce problème peut avoir un grand nombre de solutions : la meilleure est celle qui atteint le but désiré avec la moindre dépense possible, et qui lègue à l’avenir des ouvrages stables et d’un entretien peu dispendieux.

Pour arriver à ces résultats, il faut commencer par reconnaître, niveler et jauger les différens cours d’eau dans toutes les saisons de l’année ; il faut en étudier avec soin le régime, examiner les surfaces inondées et la nature du sol, et dresser un plan général de nivellement et de sondes de tout l’ensemble des marais. Cela fait, il faut s’occuper d’écouler les affluens principaux en les isolant autant que possible des eaux locales, et en débouchant celles-ci dans les premières le plus en aval possible, ou assez loin pour que les accrues ou remous ne se fassent pas sentir jusque sur les parties basses à assainir. C’est par le même motif que l’on a éloigné, à Lyon, l’embouchure de la Saône dans le Rhône, à Grenoble, l’embouchure du Drac dans l’Isère, et à Avignon, l’embouchure de la Durance dans le Rhône.

On doit diriger les canaux des affluens le plus directement que faire se peut, vers le débouché général des marais, et éloigner ces affluens des parties basses pour les établir au contraire sur les faites ou parties hautes. Par ces dispositions importantes, les canaux principaux ont une pente plus forte et mieux soutenue, les eaux ont plus de vitesse et moins de section, les déblais sont diminués et rendus plus faciles : on se crée la faculté de pouvoir le plus souvent établir des prises d’eau pour des usines, des arrosages, et des chasses sur les canaux secondaires ; l’on évite enfin les changemens trop brusques de pente où il se forme des attérissemens qui exigent des curages difficiles et continuels.

L’idée qui se présente d’abord d’ouvrir un canal principal à travers les parties les plus basses des marais à dessécher, est donc généralement la plus mauvaise, puisqu’elle aurait pour résultat de porter sur ces parties basses des eaux étrangères qu’il faut au contraire en éloigner, et que l’on ne pourrait ensuite évacuer convenablement qu’en donnant au canal, ayant alors naturellement peu de pente, une grande section très-profonde, et en baissant considérablement le seuil du débouché des marais ; ce qui amènerait des difficultés immenses en pure perte, puisqu’on peut les éviter en se pénétrant bien de l’idée principale, que nous avons exprimée ci-dessus, qui est d’isoler autant que possible des marais les eaux affluentes qui les inondent. Cette idée capitale, qui n’a pas malheureusement toujours été mise en pratique, a été très-bien sentie en 1642 par Jean de Van-Ens, Hollandais, conseiller de Louis XIII, et auteur du dessèchement des marais d’Arles. Il a conduit, à travers les marais, jusqu’à l’étang du Galéjon, communiquant avec la mer, le cours d’eau considérable appelé Vigueirat, débitant environ 25 mètres cubes d’eau par seconde dans le Crau, et a créé à cet effet un grand canal en remblai de 39,000 mètres de longueur, ayant 0m 10 de pente par 1,000 mètres ; il a fait passer sous ce canal, de la rive droite à la rive gauche, par des aqueducs à syphon appelés nocs en hollandais, et bottes en italien, différens petits canaux d’écoulement qu’il a fait déboucher plus ou moins loin, suivant les cas, dans un second grand canal nommé Vidange, ayant 38,000 mètres de longueur, une pente beaucoup plus faible que celle du Vigueirat, se développant sur la ligne du Thalweg, débouchant aussi dans l’étang du Galéjon, et débitant dans les plus grandes eaux jusqu’à 35 mètres cubes par seconde à sa partie inférieure. Il s’est aussi ménagé la faculté de jeter en plusieurs points à sa volonté, tout ou partie des eaux du Vigueirat dans le Rhône ou dans la Vidange, et celles de la Vidange dans le Rhône ; enfin, pour mieux abaisser les eaux de plusieurs petits lacs et autres parties basses, il a ouvert différens petits canaux qu’il n’a point évacués immédiatement sur la Vidange, mais bien à quatre ou cinq mille mètres en aval, en se réservant de les y verser à volonté en chemin au moyen de marteillères, ou petites écluses à vannes. Si tous ces travaux ne produisent plus aujourd’hui leur effet, il ne faut point en accuser le génie de Van-Ens, mais la négligence qu’on a mise à entretenir son œuvre admirable.

Dans la recherche du volume des eaux à débiter par les différens canaux, et surtout par le canal principal, lorsque les localités le demandent, il faut avoir attention que les grandes eaux des affluens qui viennent de très-loin, n’arrivent dans les canaux de dessèchement que lorsque les crues des cours d’eau plus rapprochés se sont écoulées, et que, par conséquent, le canal principal ne doit pas débiter toutes les eaux en masse, mais les évacuer successivement. Un fait qui vient à l’appui de notre observation, c’est qu’avant le dessèchement des marais de Bourgoin, les crues de la rivière de Bourbre, qui traverse ces marais, s’élevaient, en aval de leur débouché, considérablement plus haut qu’après l’exécution des travaux ; ce que l’on explique en faisant remarquer qu’avant le dessèchement tous les petits affluens s’accumulaient dans les marais, et n’arrivaient à l’issue générale qu’après avoir donné aux grands cours d’eau le temps de les y joindre, tandis que maintenant les eaux locales s’écoulent successivement et sont déjà évacuées lorsque les eaux éloignées arrivent. La Bourbre débite à son entrée dans les marais, lors des crues, 60 mètres cubes par seconde, et environ 60 mètres cubes à sa sortie. La pente du grand canal, réunissant toutes les eaux, est de 0m 45 par 1,000 mètres.

Tous les principes exposés ci-dessus ne sont pas également susceptibles d’application sur les différens marais ; il suffit d’en avoir signalé l’esprit pour que l’on puisse en tirer le meilleur parti possible dans l’occasion.

Les canaux principaux doivent être ouverts les premiers, en tout ou en partie, suivant les cas. La marche des travaux n’est pas non plus indifférente : elle doit être étudiée et prescrite avec soin. Il ne faut s’occuper des canaux secondaires et autres que lorsque les eaux courantes sont dans les grands canaux, pour qu’elles puissent entraîner alors les vases qui s’accumuleraient sans cette attention au débouché des canaux latéraux.

Pour activer aussi l’évacuation de ces vases, il est important que le canal principal soit plus profond sur son axe qu’au pied des berges. Cette disposition a encore l’avantage de rendre le curage plus facile. Il faut également se ménager la faculté, autant que faire se peut, de détourner les eaux d’un canal dans un autre, afin de faire des chasses dans ce dernier, et de pouvoir curer le premier plus commodément. On doit enfin choisir, par motif de salubrité, l’hiver ou les temps pluvieux pour déboucher les eaux des plages inondées et marécageuses.

On doit encore éviter de faire passer les canaux sur les parties tremblantes ayant une grande profondeur de vase lorsqu’on ne peut faire mieux, il faut s’attendre à de grandes difficultés d’exécution, parce que les rives des tranchées se rapprochent, que la croûte flottante s’affaisse et se crevasse à une grande distance, et que l’on ne parvient à dessiner l’ouvrage qu’en l’ouvrant à plusieurs reprises au milieu des éboulis, et à travers les remblais en bonne terre que l’on est obligé d’y faire. Le parti de rapporter ainsi des terres dans les ouvertures des canaux éboulés, réussit aussi très-bien sur les marais qui sont formés d’une couche de gazon reposant sur un fond indéfini de sable. Si le terrain, sans être sablonneux, n’a cependant point assez de consistance pour résister au courant des eaux, on consolide les berges avec des fascines et clayons, en laissant libres et oscillantes du côté de l’eau les extrémités des branches, lesquelles divisent alors le courant, lui font abandonner les matières en suspension, et occasionent des dépôts là où il y aurait eu des affouillemens ; si, enfin, le cours d’eau est trop rapide, on diminue sa pente au moyen de chûtes convenablement disposées. Au marais de Bourgoin, la rivière de Bourbre entrait dans les marais avec une pente de cinq mètres par 1,000 mètres. On a réduit cette pente à moitié au moyen de plusieurs chutes.

Les canaux de ceinture que l’on recommande ordinairement dans les projets, sont rarement exécutables, parce que le périmètre qu’ils devraient parcourir est presque toujours trop irrégulier, et composé de contre-pentes plus ou moins rapides. Il faut donc renoncer à ces canaux et se contenter de ceindre les marais par de simples fossés.

Des francs-bords doivent accompagner tous les canaux ; aux marais de Bourgoin, déjà cités, ils ont été fixés sur chaque rive, ainsi qu’il suit : une berme de deux mètres pour les grands canaux, une berme d’un mètre et demi pour tous les autres ; et généralement pour tous une levée ayant à sa base la largeur du canal à sa superficie.

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§ iii. — Observations sur les travaux d’art nécessaires dans les desséchemens.

L’exécution d’un grand dessèchement exige souvent des ouvrages d’art assez difficiles, tels que dignes, aqueducs, chutes, barrages, ponts, canaux d’irrigation, etc., etc., qui nécessitent presque toujours les connaissances de l’ingénieur, et sur lesquels par conséquent nous ne croyons pas devoir nous étendre dans cet ouvrage. Cependant, à cette occasion, nous allons consigner ici quelques faits qui peuvent attirer l’attention des ingénieurs aussi bien que des agriculteurs.

Si l’on est dans le cas de battre des pieux dans des lits de rivière à fond de gravier, comme sont, par exemple, ceux de l’Isère, du Drac et de la Durance, il est bon d’être prévenu qu’on ne peut les y faire entrer que d’environ 4 mètres, et que lorsqu’ils doivent prendre une fiche plus grande, il faut draguer emplacement de manière à ce que les pieux n’aient plus à entrer dans le gravier que de 4 mètres en contre-bas du fond de la fouille. Pour n’avoir pas connu ce fait d’expérience, l’auteur du pont de Bon-Pas, sur la Durance, n’a pu donner aux pieux des palées une fiche suffisante en contre-bas de la superficie du gravier, en sorte que plusieurs de ces palées ont été emportées, et que l’on n’a sauvé les autres, déjà plus ou moins affaissées, qu’en défendant leur pied par de solides enrochemens en fortes dalles perdues d’environ 2 mètres de longueur, de 0m 66 de largeur et de 0m 33 d’épaisseur, qui sont capables de résister à une vitesse de 15 mètres par seconde (voyez Gauthey, page 272, tome II). Ainsi dans les enrochemens exposés à l’action d’un courant destructeur, il ne faut point employer des masses rondes et informes, mais des blocs minces et longs[5].

Quelquefois, sous le gravier, les pieux atteignent un banc de roche : si l’on continue alors à battre, le bout des pieux s’émousse, sort du sabot, se barbelle comme un champignon ; l’on compte sur une fiche que l’on n’a pas, et l’ouvrage est emporté à la première grande crue qui remue le gravier jusqu’au fond solide. C’est ce qui est arrivé, le 26 mai 1818, au pont de Furan, à peine terminé, dans le département de l’Isère.

Si les marais étaient longés par un cours d’eau contre lequel il fallût les défendre, comme les marais d’Arles qui sont voisins et en contre-bas du Rhône, ou s’ils étaient traversés par un torrent considérable ou une rivière torrentielle, il faudrait diguer ou encaisser ces cours d’eau. Le meilleur mode, selon nous, serait d’imiter en partie celui qui est en usage dans le Midi, sur la Durance et le Rhône, lequel consiste, suivant que les localités s’y présentent, à former un lit mineur propre à écouler les eaux ordinaires et les petites crues, au moyen de berges solides submersibles en enrochemens ou en fascinages ; à border ce lit par deux ségonneaux ou bandes de terrain également submersibles, et à terminer le tout par deux fortes levées en terre surmontant les plus hautes eaux et formant le lit majeur. Les ségonneaux ne sont point pour cela enlevés à l’agriculture, ils sont seulement exposés aux inondations. Dans les ségonneaux de la Durance, il y a des terrains plantés en vignes et cultivés en céréales, et dans ceux du Rhône on trouve même des bâtimens d’exploitation.

L’aspect effrayant du lit des torrens ne doit point faire préjuger un volume d’eau trop considérable en rapport avec la vaste étendue des terrains submergés ; il faut jauger le volume d’eau aussi bien que possible, et ne pas craindre ensuite de réduire le nouveau lit, s’il doit être encaissé, à la faible largeur nécessaire pour le débit des plus grandes eaux. La détermination de cette largeur demande de longs détails que les bornes de cet article ne nous permettent pas de développer ici ; il nous suffira de dire, comme résultats d’une grande expérience, qu’une trop grande largeur a les plus graves inconvéniens, et que l’endiguement des torrens est soumis à de nombreuses considérations importantes et délicates qui méritent toute l’attention des ingénieurs.

Comme exemples frappans du peu de largeur que l’on peut donner aux lits encaissés des grands cours d’eau, nous citerons : 1o le Drac, torrent considérable qui a son embouchure dans l’Isère, un peu en aval de Grenoble, et débite jusqu’à 4,000 mètres cubes d’eau par seconde. En aval du pont de Claix, d’une seule arche de 47 mètres d’ouverture, il a 3 mètres de pente par 1000 mètres, et un lit de 130 mètres de largeur entre les digues insubmersibles ; tandis qu’en amont dudit pont où sa pente est de 4 à 5 mètres par 1000 mètres, il occupe une largeur de 2,000 à 3,000 mètres.

2o L’Isère, qui, avant d’entrer en France, sillonne et inonde une grande surface, débite dans Grenoble 2,000 mètres cubes au moyen d’un lit de 90 mètres de largeur et d’une pente d’un mètre par 1,000 mètres, et avec la même pente, après avoir reçu le Drac, écoule ses eaux, ayant alors un débit de près de 6,000 mètres, au moyen d’un canal de 240 mètres de largeur, formé par des digues insubmersibles.

3o Le Rhône, dont le lit vague et très-large en amont de Lyon, débitant environ 4,000 mètres cubes, passe sous le pont Morand, de 200 mètres d’ouverture, conserve cette même largeur au pont de Sainte-Colombe, à Vienne, quoiqu’ayant reçu la Saône fournissant 2,000 mètres, et a encore la même largeur au pont de Valence, après avoir reçu l’Isère ;

4o Enfin, la Durance, à laquelle nous avons reconnu qu’en avant du pont de Bon-Pas, ayant 546 mètres d’ouverture, un lit encaissé de 300 mètres de largeur serait suffisant, avec une pente de 2m 50 par 1,000 mètres pour écouler les plus grandes eaux évaluées au maximum à 6,000 mètres cubes ; tandis que le lit actuel entre Mirabeau et le Rhône a une largeur variable de 1,000 à 2,000 mètres.

Les digues doivent être assez larges à leur couronnement pour recevoir des approvisionnemens de prévoyance destinés à leur entretien et à la réparation des avaries ; pour permettre en outre le passage d’une ou deux voitures, et pour recevoir sur le talus extérieur une ou deux lignes de plantations d’arbres qui sont d’un grand secours en cas de rupture des levées.

Résultats généraux et vues sur l’exécution des desséchemens.

Nous avons tâché de donner une idée des principaux moyens qui sont employés avec le plus de succès pour le dessèchement des marais ; mais ce que nous devons rappeler ici, comme un des objets les plus dignes des vœux de l’humanité, des méditations de nos publicistes, des efforts de l’émulation particulière, des soins et des encouragemens du gouvernement, c’est l’importance qu’on doit mettre à effectuer progressivement le dessèchement et l’assainissement des 600,000 hectares de marais qui existent encore en France, et qu’on peut considérer généralement comme des foyers d’insalubrité et des causes déplorables de dégénération physique et morale pour les populations limitrophes, tandis qu’elles trouveraient dans leur assainissement de nouvelles ressources pour le travail, de nouveaux moyens de bien-être, et feraient coopérer ainsi à la dignité, à la richesse du pays, les lieux même où la nature ne présente que des préjudices et des dommages affligeans.

Que si dans une si vaste étendue de marais, il s’en trouve, qui, soit par le degré de leur insalubrité, soit par la nature et la difficulté des travaux jugés nécessaires pour les assainir, feraient regretter à l’humanité d’employer à ces travaux l’ouvrier honnête et laborieux, dont elle doit chérir et protéger l’existence ; pourquoi cette même humanité, contrainte ainsi à des réflexions douloureuses, ne les étendrait-elle pas à ce que lui présente de déplorable pour elle le sort actuel des criminels ; pourquoi, dans le désir de le rendre moins affligeant, ne considérerait-elle pas alors ce que réclame d’une part la justice pour leur intimidation et leur punition, et d’autre part, l’ordre social et la religion pour leur amélioration et l’expiation de leurs crimes ? car le concours de ces réflexions devient plus que jamais important dans un pays où les progrès de la civilisation tendent à y supprimer de fait la peine capitale, quand bien même on la laisserait encore subsister dans le Code pénal, puisqu’il est reconnu maintenant que la majorité d’un jury préfère presque toujours proclamer la non-culpabilité, c’est-à-dire l’impunité, qui remet le coupable dans la société, quand une déclaration contraire livrerait le coupable à la mort ; pourquoi, en présence de considérations si puissantes, ne regarderait-on pas comme punition expiatoire pour la conscience même et la réhabilitation du criminel, ainsi que pour l’ordre social, les travaux qu’exigeraient les marais dont il serait trop pénible d’effectuer le dessèchement en n’y employant que des ouvriers dont l’honnêteté et la bonne conduite doivent faire diriger les travaux vers des buts encourageans pour eux, pour leur famille, et propres à conserver à l’Etat une utile et estimable existence[6] ? Huerne de Pommeuse.

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Art. ii. — Travaux particuliers pour le desséchement des terrains inondés.

Il ne s’agit point dans cet article du dessèchement des grands marais, mais seulement des terres cultivées ou cultivables sujettes à être annuellement inondées par la stagnation des eaux pluviales ou des fontes de neige.

L’humidité de la terre est utile, elle est nécessaire à la végétation ; mais sa surabondance est nuisible et pernicieuse à la plupart des plantes, et particulièrement à toute bonne culture. Lorsque l’eau séjourne en hiver dans un champ, la terre y devient stérile le reste de l’année ; souvent on ne peut la labourer en temps convenable ou lorsqu’il le faudrait, et, dans les années pluvieuses, une terre ainsi retardée ne peut plus rien rapporter. Dans les prairies, la stagnation des eaux fait périr les meilleures plantes ; les mauvaises ou les moins précieuses y résistent ; elles s’y multiplient ; elles altèrent, elles détériorent peu-à-peu toute l’étendue de la prairie. Le dessèchement des champs et des prairies est donc également nécessaire. Lorsqu’un dessèchement a lieu sur de grands espaces de pays, l’air en devient plus sain en été et moins froid en hiver ; l’époque des récoltes est plus hâtive et leur succès plus grand et plus assuré. Ces principes posés, je passe à leur application.

Les terrains sont inondés : 1o par la stagnation des eaux pluviales et de celles des fontes de neige ; 2o par des eaux provenant de réservoirs souterrains, dans lesquels elles s’accumulent et d’où elles s’élèvent à la surface par l’effet de leur propre pression ; et 3o parce que les terrains inondés sont plus bas que tout le pays environnant. J’examinerai successivement les moyens employés pour parvenir au dessèchement de ces trois espèces de terrains inondés, et, dans un dernier §, je parlerai des puits perdus ou puisards naturels, de leurs effets en agriculture, et, par suite, du dessèchement au moyen de puisards artificiels, de coulisses ou rigoles souterraines et de sondages.

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§ ier. — Dessèchement des terrains inondés par la stagnation des eaux pluviales ou celle des fontes de neige.

Le dessèchement des terres cultivables sujettes à être inondées par la stagnation des eaux pluviales ou par celles des fontes de neige, s’opère de deux manières : ou par des rigoles, espèces de fossés ouverts, ou par des fossés fermés ou couverts, communément appelés coulisses ou rigoles souterraines. Il ne sera pas ici traité des rigoles dont l’explication se confond avec ce que l’on aura à dire des raies d’écoulement et du billonnage dont il sera question à l’article Labours.

Le dessèchement des terres cultivables par fossés ouverts ayant le grand inconvénient d’interrompre la libre circulation des voitures ou de la charrue, et d’exiger la construction d’un grand nombre de ponts, on a cherché à y remédier par le desséchement au moyen des rigoles souterraines ou fossés couverts.

Les rigoles souterraines, communément désignées sous le nom de coulisses, sont des fosses garnis de pierres ou d’autres matières qui ont assez de solidité ou de durée pour maintenir les vides par lesquels l’eau doit s’écouler. On recouvre le tout de mousse, de gazon et de terre, de manière que la charrue ou la voiture passent par-dessus les coulisses sans jamais être arrêtées, comme elles le sont par les fossés ouverts.

L’usage de ces petits aqueducs pour le dessèchement des terres remonte à l’antiquité la plus reculée. Les Perses recueillent encore aujourd’hui les fruits et les avantages d’un grand nombre de ces canaux, construits, à une époque inconnue, dans des terrains humides et inondés, dont les eaux servent à arroser et enrichir d’autres terrains qui étaient trop secs. Caton, Palladius, Columelle, Pline, etc., parlent de ces aqueducs souterrains employés de leur temps pour le dessèchement des terres cultivables inondées et dont la culture était gênée par la stagnation des eaux. Après avoir ouvert les fossés, on les remplissait en pierres sèches, ou en branches tressées grossièrement, puis on les couvrait en pierres plates ou en gazon. Les coulisses des anciens avaient de 0m 90 à 1m et 1m 20 de profondeur. On ne leur donne plus que 0m 60 à 0m 70 ; mais les grandes coulisses qui doivent recevoir les eaux des coulisses transversales sont plus larges et plus profondes.

Aujourd’hui, les coulisses se font, comme chez les anciens, en pierres, et, à défaut de pierres, en fascines ou en branchages, et dans beaucoup de pays tout simplement en gazon. Pour faire les coulisses en fascines (fig. 99), on place, de distance en distance, dans le fond du fossé, deux pieux croisés en chevalet ou en croix de Saint-André, destinés à porter les fascines, au-dessus desquelles on met de la paille, de la mousse ou des feuilles, que l’on recouvre ensuite de terre. Suivant les localités, en emploie indistinctement les fascines de chêne, d’épines noires, de saule, d’orme, d’aune, de peupliers, etc., etc. Ces coulisses durent 30 à 40 ans et au-delà, suivant l’essence du bois des fascines, et la grosseur des branches.

Dans le Lancashire et dans le Buckinghamshire, on dessèche les prairies par des coulisses étroites (fig. 100), pratiquées avec un fort louchet ; mais dans beaucoup d’endroits, on se sert avec plus de succès de la charrue-taupe.

Les coulisses en pierre (fig. 101) durent plusieurs siècles. Ainsi, celles qui ont été faites par les anciens en Grèce, en Asie, en Perse, en Syrie, etc., sont encore bien conservées et remplissent parfaitement leurs fonctions sans que jamais on soit obligé d’y travailler. La figure en présente de plusieurs genres de construction, qui n’ont pas besoin de description spéciale, et entre lesquelles on peut choisir selon les besoins des localités et les matériaux disponibles.

L’argile cuite ou terre à briques et à poteries peut aussi servir à établir des coulisses très-durables, très-faciles à poser, et qui, pour certains pays, seront très-peu dispendieuses. La fig. 102 en offre de plusieurs formes. Il serait à désirer qu’on se mit à en fabriquer dans un grand nombre de nos départemens ; en attendant M. Gourlier a établi à Vaugirard, près Paris, une manufacture où l’on trouve des caniveaux de différentes sortes qui rempliront très bien l’usage que nous indiquons.

Les coulisses faites en gazon (fig. 103) durent 10, 12, 15 ans et quelquefois plus. On donne en général à ces fossés un mètre de profondeur et un demi-mètre de largeur. Lorsque le terrain où on les ouvre est gazonné, on met d’abord à part les gazons que l’on coupe en compartimens égaux et convenables pour être placés renversés au fond du fossé ; ce fond ne doit avoir que de 3 à 6 pouces de largeur. La première terre extraite, comme elle est la meilleure, est ensuite jetée à part d’un côté du fossé afin de servir à le combler et à niveler le sol ; celle extraite du fond a été jetée de l’autre côté et sera replacée immédiatement après le gazon.

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§ ii. — Dessèchement des terrains inondés par des sources provenant de réservoirs souterrains d’eaux comprimées.

Sans chercher à développer ici la théorie des sources, je crois ne pouvoir me dispenser de présenter quelques considérations sur l’effet des glaises ou argiles dans la constitution des terres désignées sous le nom de terres froides, fortes, et sujettes à être inondées par des sources provenant de réservoirs souterrains d’eaux comprimées. La propriété essentielle des glaises ou argiles, et par conséquent des terrains argileux, est de fournir des réservoirs aux sources et aux fontaines. Les grandes formations argileuses ou les dépôts d’argile, présentent des séries de couches plus ou moins épaisses, séparées assez généralement par des lits de sable ou de gravier, qui contiennent toujours des nappes d’eau plus ou moins abondantes. Rarement ces couches sont parfaitement horizontales ; elles sont communément inclinées sous divers angles et dans différentes directions. Quelquefois elles se montrent à la surface de la terre et vont plonger à une grande profondeur, pour se relever et se remontrer également plus loin à la surface du sol. Souvent ces couches sont brisées, rompues et coupées par des fentes ou des retraites remplies de sable ou de gravier. De telles variations dans la manière d’être des dépôts de glaise en déterminent dans la compacité des terres argileuses, dans leur perméabilité, et par suite, dans le gisement des nappes d’eau plus ou moins nombreuses et plus ou moins abondantes entre chaque couche perméable et imperméable. Si les terrains argileux, de quelque espèce d’ailleurs qu’ils soient, s’enfoncent également dans tous les sens, de manière à revêtir de toutes parts le fond d’un bassin souterrain d’une couche de glaise imperméable, les eaux, après s’y être amassées, ne trouveront aucune issue : elles exerceront alors une sorte de réaction ou de pression contre les couches supérieures, et, comme elles continueront toujours d’affluer dans le bassin, elles finiront par se faire jour dans la ligne de moindre résistance, en perçant ces couches, pour surgir à la surface du sol, qu’elles maintiendront constamment humide ou même marécageux, si celui-ci présente une dépression sans pente et sans écoulement. Et telle est, en effet, très-souvent et beaucoup trop souvent, l’action des eaux comprimées des réservoirs souterrains sur nos grandes plaines de terres argileuses.

Il existe en France d’immenses terrains incultes, inondés et submergés par des sources de réservoirs d’eau comprimée, et qu’il serait facile de rendre à la culture, au moyen du percement des glaises qui empêchent l’infiltration des eaux dans les terrains inférieurs. Ce percement peut se faire et se fait à peu de frais, à l’aide de cette même sonde dont le fontainier se sert pour faire jaillir les eaux à la surface ; enfin il se fait promptement et toujours avec certitude d’un plein succès.

Cette manière de dessécher les terrains inondés est depuis long-temps connue et pratiquée en Allemagne et en Angleterre ; elle est également en usage en Italie, et c’est peut-être de ce pays qu’elle s’est propagée dans les autres.

Dans son Rapport au Bureau d’agriculture du parlement d’Angleterre, M. Johnston en a attribué la découverte à Joseph Elkington, du comté de Warwick ; mais, longtemps avant lui, les Allemands avaient appliqué la sonde au dessèchement des terres inondées : d’ailleurs, James Anderson, d’Aberdeen, avait publié, dès 1775, sur cette matière, un ouvrage élémentaire sous le titre de : Vrais principes sur lesquels repose la théorie du dessèchement des terrains que des sources rendent marécageux : un heureux hasard, dit-il, lui ayant fait dessécher un marais par le creusement d’un puits dans une couche de glaise compacte, dont le percement fit jaillir avec impétuosité des eaux abondantes, et obtenir par suite le dessèchement de ce marais, dessèchement qu’il ne s’était point proposé.

Pour opérer le dessèchement des terrains inondés par des sources provenant de réservoirs d’eaux comprimées, suivant le procédé d’Elkington (fig. 104), on ouvre, dans la partie la plus basse, des fossés de largeur suffisante pour recevoir toutes les eaux, et l’on perce, de distance en distance, dans le fond de ces fossés des coups de sonde, pour donner un libre essor aux eaux comprimées et les faire écouler. S’il s’agit d’une surface d’une grande étendue, il faut ouvrir un ou plusieurs grands fossés d’écoulement dans toute la longueur du terrain à dessécher, et l’on y fait aboutir, comme autant de branches ou de ramifications, tous les fossés transversaux, dans lesquels sont percés les trous de sonde, que l’on multiplie suivant que le besoin l’exige. Si les bancs de pierre sous la terre végétale étaient inclinés, il faudrait que les coups de sonde fussent faits dans une direction perpendiculaire au plan de ces bancs de pierre, et tant qu’il ne sortira pas d’eau par les trous de sonde, ils devront être approfondis. L’effet de ces coups de sonde et des fossés d’écoulement est de rendre solides en très-peu de temps les terrains inondés et même les terrains tourbeux les plus humides. En desséchant, par ce procédé, des marais en plaine, Elkington est parvenu à se procurer une grande masse d’eau, qu’il élevait au-dessus de son niveau précédent, au moyen d’une tour creuse, garnie de glaise, bâtie autour de l’endroit perforé. L’eau parvenue au sommet de la tour était ensuite conduite là où elle pouvait être nécessaire pour le service des usines ou des irrigations.

Le docteur Anderson, qui a acquis en Angleterre une réputation justement méritée par le succès de ses opérations de dessèchement, préfère le percement des puits aux forages à la sonde. Quoique plus difficiles et plus dispendieux, les puits percés dans le voisinage des terrains inondés ou des marais produisent en effet un résultat prompt et infaillible ; mais ce moyen présente plus de difficultés ; il est plus dispendieux, je le répète, et souvent l’abondance des eaux ou les glaises coulantes rendent les percemens de puits très-difficiles.

La méthode que M. Wedge, de Bickenhill, a mise en pratique dans le comté de Warwick et dans celui d’Aylesford, pour le dessèchement des terrains inondés, est une modification de celle d’Elkington. Au lieu de fossés ouverts, il fait des coulisses ou rigoles souterraines, et avant de les fermer, il donne dans leur fond autant de coups de sonde qu’il est nécessaire pour parvenir à l’entier épuisement des réservoirs souterrains. Par ce procédé, M. Wedge a fait de très-grands et de très-beaux desséchemens qui ont donné une haute valeur à des terres qui jusqu’alors n’en avaient aucune.

En France, plusieurs desséchemens de ce genre pourraient être mis en parallèle avec ceux de l’Angleterre et de l’Allemagne ; il est même peu de départemens qui ne nous en offrent quelques exemples plus ou moins remarquables, et qui tous ont produit les résultats les plus avantageux. En Provence, en Dauphiné, en Languedoc, et en général dans tout le Midi, on trouve de ces desséchemens faits par rigoles souterraines à une époque inconnue. Les habitans les attribuent, les uns aux Romains, les autres aux Sarrasins. Ces rigoles ont généralement été faites avec soin, et, dans quelques localités, on voit que les Anciens avaient un double système de dessèchement et d’arrosement, puisque souvent les eaux de ces rigoles, après avoir été recueillies dans des bassins, servent ensuite à l’irrigation des terrains inférieurs.

Enfin, c’est par de semblables opérations, suivant le rapport fait en 1808, par notre vénérable collègue, M. Tessier, au ministre de l’intérieur, qui l’avait envoyé visiter l’établissement d’Hofwil ; c’est, dis-je, par de semblables opérations que le célèbre M. de Fellenberg, que l’on ne saurait trop citer quand il s’agit d’un bon procédé ou d’une bonne méthode à indiquer, a commencé ses perfectionnemens et son excellent système de culture, qui a fait la réputation du bel établissement agricole d’Hofwil[7].

Plusieurs membres de la Société royale et centrale d’agriculture ont travaillé sur cette importante question. Ainsi Varennes de Fenille, auquel l’agriculture doit tant d’améliorations, a fait de très-grands travaux en ce genre. Cretté de Palluel, après avoir remporté en 1789 le prix proposé par la Société d’agriculture de Laon, sur le dessèchement des marais du Laonnois, examina l’utilité qu’on peut tirer des marais desséchés et la manière de les cultiver. Chassiron, qui s’était spécialement occupé de la législation des cours d’eau et des irrigations, se livra à l’étude des moyens d’opérer les desséchemens par des procédés simples et peu dispendieux, tels que ceux qui furent employés par les Hollandais, dans le seizième siècle, pour le dessèchement des marais des anciennes provinces d’Aunis, Poitou, Saintonge, etc. De Perthuis, qui embrassait tout ce qui était avantageux, pour l’appliquer au perfectionnement de l’industrie et de l’agriculture, de Perthuis avait cherché à faire connaître et a répandu en France l’usage des kerises de la Perse, espèce de puits perdus ou puisards, communiquant avec des galeries ou rigoles souterraines, ouvertes dans le double motif du dessèchement des hautes plaines argileuses et de l’irrigation des terres qui manquaient d’eau. C’est par ces kerises, dont quelques-uns ont, dit-on, plus de 50 mètres de profondeur, que ces peuples avaient porté leur culture au plus haut point de prospérité.

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§ iii. — Desséchement des plaines humides, sans pente, sans écoulement, et des marais plus bas que tout le pays environnant.

Il est facile de concevoir que des plaines sans pente et sans écoulement soient constamment humides, que, dans les années pluvieuses, elles soient imbibées profondément, et que les eaux, ne pouvant s’épancher d’aucun côté, restent stagnantes sur leur surface. Il existe dans beaucoup de pays, au milieu des grandes plaines, de vastes espaces noyés et inondés une partie de l’année, leur fond argileux y retenant les eaux, qui y forment même quelquefois des marais assez étendus.

L’Allemagne et l’Angleterre offrent de nombreux exemples de plaines inondées et de marais plus bas que tout le pays environnant, autrefois incultes, aujourd’hui parfaitement desséchées, bien cultivées et donnant de belles et abondantes récoltes. Le docteur Nugent parait être le premier qui, dans la Relation de son Voyage d’Allemagne, publiée en 1768, ait fait connaître les procédés suivis par les Allemands pour le desséchement de ces terrains, et l’on trouve dans l’Encyclopédie britannique, à l’article Desséchement, une description détaillée et comparée de la méthode des Allemands et de celle qui est suivie en Angleterre dans le comté de Roxburgh.

Lorsque le terrain à dessécher est plus bas que tout le pays environnant, de manière que, pour parvenir à son dessèchement, on serait obligé de creuser un grand nombre de tranchées profondes qui coûteraient plus que le terrain ne vaudrait après son dessèchement, on commence par déterminer le point le plus bas de la plaine ou du marais à dessécher, et on le prend comme centre de l’opération, qui doit se faire dans la belle saison, et surtout dans une année de sécheresse. On s’établit le plus économiquement que l’on peut sur cet endroit avec des fascines et des planches, et l’on perce au centre avec des bêches, des louchets ou des dragues, suivant la nature du terrain, un puits ou puisard que l’on descend aussi profondément qu’il est possible de le faire à travers les terres, les glaises ou les tourbes, en les soutenant avec des branches d’arbres et des planches. On remplit ensuite le puits avec des pierres brutes irrégulières, jetées pêle-mêle et amoncelées sans aucun ordre : les unes au-dessus des autres, autour d’un tube ou coffre de bois placé verticalement dans le centre du puits et destiné à la manœuvre de la soude. Lorsque le remblais est fait, on descend la sonde dans le coffre et l’on perce jusqu’à ce que la tarière atteigne quelque terrain perméable qui absorbe toutes les eaux de la surface. Enfin, lorsque la sonde a fait connaître un de ces terrains perméables, on fait, sur toute la surface du terrain à dessécher, des fossés ou des coulisses qui aboutissent au puisard comme à un centre commun. Si le terrain présente une grande étendue, on perce plusieurs de ces puits, et souvent, pour éprouver moins de difficulté dans leur percement, on les ouvre, non dans le terrain à dessécher, mais dans son pourtour, et l’on dirige les fossés, du centre du terrain ou du marais, vers les puits percés en dehors. Lorsqu’on est assuré que les sondages produisent tout leur effet, on remplit les fossés avec des pierres ou des fascines, et on les recouvre de gazon et de terre, en nivelant ensuite toute la surface.

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§ iv. — Des puits perdus et puisards naturels, de leurs effets en agriculture, et du desséchement des terrains inondés, au moyen des puits perdus ou puisards artificiels et de sondages.

On désigne communément sous les noms de boitouts, bétoirs ou boitards, des puits perdus, ou puisards naturels plus ou moins profonds, de diamètres très-variés, le plus souvent verticaux, et cependant quelquefois obliques sous différentes inclinaisons. Les gouffres, entonnoirs, ou engoultouts ne diffèrent de ces puits que par leurs plus grandes dimensions. Ces puits et ces gouffres sont d’une grande utilité pour l’agriculture dans les pays argileux et de terres fortes et humides, pour absorber les eaux abondantes que la compacité de ces terres retient à la surface, et qui porteraient le plus grand préjudice aux récoltes. C’est à cette propriété d’absorber les eaux que sont dues les dénominations sous lesquelles les habitans des campagnes désignent ces gouffres et ces puits.

Des affaissemens d’anciennes exploitations de marnières ou de carrières, vers lesquels se rendaient naturellement les eaux pluviales et celles des fontes de neige, pour y disparaître et s’y perdre entièrement, ont dû, il y a long-temps, donner l’idée de creuser des puisards ou boitouts artificiels pour dessécher les terres que la charrue ne pouvait cultiver.

Il existe des terrains perméables presque généralement sous les argiles : ainsi, dans quelques endroits, sous les glaises ou les masses argileuses, on trouve des sables, des graviers, ou des couches de galets ; ailleurs ce sont des calcaires lacustres ou des calcaires siliceux, caverneux et chambrés, ou fendus et lézardés dans toute leur épaisseur ; ici, ce sont de grands dépôts de gypse ou de calcaire marin, dont les couches, rompues et bouleversées, présentent de longues et larges fentes qui se croisent dans tous les sens ; là, c’est la grande masse de craie, qui, fendillée par une sorte de retrait qu’elle a probablement éprouvé lors de sa dessiccation, forme un filtre toujours prêt à absorber les eaux lorsque les argiles de la surface ne s’opposent pas à leur infiltration ; au-delà, ce sont les calcaires oolithiques, coralliques, jurassiques, etc., qui tantôt sont divisés en lames minces ou feuilletées, tantôt sont caverneux, et tantôt rompus ou bouleversés, de manière à donner un libre accès aux eaux de la surface ; plus loin, ce sont des terrains schisteux, qui alternent avec des grès, des psammites, des phyllades, des pouddingues et des brèches plus ou moins perméables ; et plus loin, enfin, sont les terres argileuses des pays primitifs, des schistes micacés, alternant avec des gneiss, des porphyres et des granits, qui laissent encore filtrer les eaux entre leurs lits de superposition, ou dans les fissures et les fentes qui les coupent et les recoupent en diverses directions. D’où l’on voit : 1o que presque généralement partout, en perçant les glaises et les argiles, dont la compacité s’oppose à l’infiltration des eaux pluviales, on trouve au-dessous des terrains perméables, dans lesquels il y a certitude de les faire perdre ou disparaître plus ou moins promptement ; et 2o que parmi les moyens de dessèchement des terres cultivables sujettes aux inondations, quelle qu’en soit d’ailleurs la cause, on ne saurait trop recommander aux propriétaires et cultivateurs l’établissement de puits perdus, boitouts ou bétoirs artificiels, puisqu’une fois bien établis ils n’exigent plus aucuns frais, et qu’ils remplissent constamment le but proposé sans qu’il y ait jamais aucune réparation, aucun entretien à y faire, comme aux autres modes de dessèchement.

Les embughs des anciens marais de la plaine des Paluns, près de Marseille, aujourd’hui couverts de vignes, sont peut-être le plus bel exemple que l’on puisse citer en France d’un grand dessèchement au moyen de boitouts artificiels, et, en Angleterre, ceux du comté de Roxburg.

L’établissement d’un puits perdu ou boitout est facile et peu dispendieux lorsque le terrain à dessécher est plat ; mais lorsqu’il y a des fondrières ou des parties profondes et marécageuses (fig. 105), il exige plus de temps et plus de frais.

Avant d’entreprendre une opération de ce genre, on doit se pourvoir d’une sonde de fontainier-mineur, de 25 à 30 mètres de longueur, avec ses principaux instrumens. La dépense peut en être évaluée de 300 à 500 fr., suivant le nombre des instrumens que l’on prend[8]. Cette dépense première ne peut ni ne doit arrêter ; cette sonde, qu’on peut d’ailleurs louer, si on ne veut pas l’acheter, devant également servir, d’une part, pour dessécher un terrain inondé, comme pour se procurer des eaux jaillissantes, et, d’autre part, pour rechercher des marnes, des plâtres, des terres pyriteuses, etc. ; enfin, la sonde peut être successivement louée à tous ceux qui voudront s’en servir pour faire des desséchemens ou faire des recherches.

La première condition pour assurer le succès d’un desséchement, au moyen des puits perdus ou boitouts artificiels, est la levée du plan et le nivellement exact de tout le terrain à dessécher, pour connaître l’endroit ou les endroits les plus bas, parce que, s’ils sont éloignés des uns des autres, ils détermineront l’ouverture d’autant de boitouts qu’il y a de fondrières, afin d’éviter le creusement de grandes tranchées pour l’établissement de coulisses ou rigoles souterraines, qui doivent recueillir toutes les eaux de la surface.

On devra profiter d’une année de sécheresse et de la belle saison, pour ne pas s’exposer à être obligé de suspendre les travaux pendant plusieurs mois.

Les emplacemens des boitouts ayant été déterminés par le nivellement, on fera, sur l’un d’eux, un sondage d’exploration, si on ne connaît pas encore la nature ou la composition du fond du sol, ce dont on peut communément s’assurer dans les ravins, les escarpemens, ou les marnières et carrières ouvertes dans les environs. Lorsqu’on a acquis la connaissance exacte de la nature du sol, on commence l’ouverture du boitout sur un diamètre de cinq à six mètres, suivant l’étendue du terrain à dessécher ou la distance d’un boitout à un autre, et l’on pousse rapidement son creusement par banquettes en spirale, autour du cône ou de l’entonnoir, en soutenant les terres avec des pieux et des branches d’arbres ou des palplanches. Si, malgré ces moyens, on craint, ou si l’on éprouve des glissemens et des éboulemens de terre, on donne au talus ou à l’évasement du cône un angle de cinquante à soixante degrés.

La nature du terrain détermine la profondeur du puisard. Elle peut n’être que de 3 à 4 mètres, comme elle peut l’être de 5 à 6 et au delà, ainsi qu’on l’a vu plus haut. Quelquefois, sous les glaises, on trouve, à un ou deux mètres, des couches dures et pierreuses, sur lesquelles on s’arrête, mais le plus souvent les glaises et argiles ont plusieurs mètres d’épaisseur, et alors il faut les creuser entièrement pour former le cône tronqué, au fond duquel on place de grosses pierres brutes en cercles, en laissant entre elles des intervalles, dans lesquels on fait entrer de force d’autres pierres irrégulières, qui doivent les serrer, tout en laissant cependant des vides ou des interstices pour l’arrivée des eaux. À défaut de pierres, on jette dans le fond du puisard quelques vieux arbres, tels que des chênes, des ormes, des aunes, des saules ou autres, avec des fascines ou des bourrées.

Au centre du cône, on fait un sondage de 5 à 6 mètres de profondeur, jusqu’à ce qu’on atteigne quelque terrain perméable, et l’on place dans le trou du sondage un tube ou coffre de bois d’aune, ou d’orme, ou de chêne, dont l’ouverture dépasse le cercle de pierres ou les troncs d’arbres de quelques décimètres. Pour prévenir l’engorgement du tube, on met dessus quelques épines, et sur celles-ci une pierre plate dont les extrémités portent sur trois ou quatre pierres placées autour du tube. On remplit ensuite tout le cône du boitout soit avec des pierres entassées irrégulièrement les unes sur les autres, soit avec des fascines, jusqu’à un mètre environ de la surface de la terre.

Si, lorsqu’on est arrivé à quelques mètres de profondeur dans le creusement des glaises, l’abondance des eaux ne permettait pas d’approfondir le cône, on devrait se hâter de placer au centre le tube de sondage, puis, comme on l’a vu précédemment, on remplirait immédiatement, soit en pierres brutes et irrégulières, jetées pêle-mêle les unes sur les autres, soit en fascines, le cône du puisard, et l’on procéderait au sondage au moyen du tube.

Dans la circonférence, on ouvre 4, 6, 8 fossés, ou un plus grand nombre, suivant le terrain à dessécher. Ces fossés ont d’un à deux mètres de profondeur ; on les garnit, à leur embouchure dans le puisard, de pierres brutes, ou de branchages et fascines, que l’on recouvre de tuiles ou de pierres plates.

Enfin, et avant de fermer les tranchées, lorsqu’on n’a pas de pierres à sa disposition, on met des fascines, des branches, ou des gazons, et l’on recouvre le tout en nivelant les terres, pour que la charrue et les voitures puissent passer partout et dans tous les sens.

Ces puisards ou boitouts peuvent rester ouverts, mais les accidens qui en résultent souvent pour les hommes et pour les bestiaux qui s’y précipitent, doivent en décider la fermeture. À cet effet, sur les pierres qu’on y a entassées, on met des fascines ou bourrées, de la paille, des feuilles, de la mousse, du gazon et de la terre. Ainsi recouverts ou fermés, ils produisent leurs effets aussi bien que les boitouts ouverts et ils n’en présentent point les inconvéniens.

Ce mode de dessèchement une fois bien établi, l’est pour toujours. Il est infaillible, il est peu dispendieux, il n’est sujet à aucun entretien. Enfin, il n’est point subordonné, comme celui de Paterson, à l’assentiment de tous les propriétaires ou cultivateurs d’une commune ou d’un canton, assentiment si difficile et malheureusement presque toujours impossible à obtenir, indépendamment de l’inconvénient qu’il présente encore de couper tout un pays de fossés dans toutes les directions, outre celui de l’entretien annuel.

On pourra objecter que cette méthode exige des frais et des dépenses plus élevés que la valeur du terrain à dessécher ; aussi ne la conseillera-t-on que lorsque l’étendue du terrain et la certitude d’en recueillir des récoltes abondantes pourront dédommager de ces premières avances, comme on l’a fait avec tant de succès en Allemagne et en Angleterre. Quant à l’acquisition de la sonde, on ne doit pas hésiter, puisque cet instrument peut servir à tout autre usage, et que, d’ailleurs, on peut louer une sonde pour la durée des opérations du sondage, ou les faire faire par un sondeur. — Une autre objection mieux fondée est la crainte que le sondage, au lieu de produire le dessèchement par la perte des eaux dans le terrain perméable, ne ramenât au contraire des eaux ascendantes à la surface de la terre. Il est bien vrai que des sondages profonds pourraient produire ce résultat ; mais ce ne sont pas des coups de sonde aussi peu profonds que ceux dont il est question qui doivent ramener des sources jaillissantes : d’ailleurs, le remède serait encore dans la cause même du mal. La sonde offre en effet le moyen de se débarrasser des eaux jaillissantes lorsqu’on ne veut pas les employer, puisqu’elle fait connaître à toute profondeur des terrains perméables dans lesquels on peut replonger et faire perdre les eaux ascendantes. Ainsi, dans le grand sondage que M. Mullot d’Épinay a fait sur la place aux Gueldres, à Saint-Denis, après avoir, par deux tubes placés l’un dans l’autre, ramené de deux profondeurs différentes (de 53 mètres et de 66 mètres) deux sources jaillissantes l’une à 1 mètre et l’autre à 2 mètres au-dessus du pavé de cette place, cet habile mécanicien a établi un troisième tube d’un plus grand diamètre et contenant les deux premiers, au moyen duquel il fait perdre à volonté l’une de ces deux sources, ou même toutes les deux ensemble par leurs infiltrations dans un terrain perméable, lorsqu’on ne veut pas les laisser couler à la surface de la terre.

Enfin, lorsqu’on veut éviter la dépense des boitouts que ne comportent point de petites surfaces qu’il est cependant important de dessécher, on peut se borner à ouvrir des coulisses ou rigoles souterraines, dans lesquelles on donne de distance en distance quelques coups de sonde. De tels sondages ont été faits en France avec le plus grand succès dans plusieurs endroits, pour faire perdre les eaux pluviales sur des terrains dont la dépression causait annuellement l’inondation. L’ingénieur Degousée a fait plusieurs sondages de ce genre, et je citerai entre autres celui qu’il a exécuté aux Thermes, près Paris, parce qu’il prouve la facilité avec laquelle, dans tout établissement, usine ou manufacture, on peut, à peu de frais, perdre les eaux-mères et infectes que, trop souvent dans les villes ou faubourgs, on laisse couler sur la voie publique, à son détriment et au préjudice de tous les voisins.

Le Code civil n’assujettit les fonds inférieurs à recevoir les eaux des fonds supérieurs, que lorsqu’elles en découlent naturellement et sans que la main de l’homme y ait contribué ; le moyen de dessèchement que nous venons d’indiquer évitera donc encore les difficultés sur l’interprétation de cette disposition, et permettra de ne plus jeter sur les fonds inférieurs les eaux que la main de l’homme aurait rassemblées dans les fossés du champ supérieur pour le dessécher.

En rédigeant cette instruction sur le dessèchement des terres cultivables sujettes à être inondées, je n’ai point oublié que la pratique éclaire bien plus que la théorie. Je me suis donc attaché à décrire des méthodes connues et pratiquées avec succès. J’ai voulu parler aux agronomes et aux cultivateurs de toutes les classes. J’ai voulu les faire participer aux avantages que les nouvelles méthodes ont procurés à ceux qui les ont adoptées en Flandre, en Hollande, en Allemagne, en Angleterre, en Amérique, etc. Heureux si, par le dessèchement de nos terres inondées et de nos marais infects et pestilentiels, nous pouvons enfin parvenir à en faire des campagnes fertiles comme on l’a fait dans ces différens pays ! Voilà le vrai point de grandeur et de prospérité ; voila les hautes destinées auxquelles la France est appelée et qu’il faut sans cesse avoir devant les yeux, disait, il y a trente ans, l’un de nos collègues, le bon et estimable Chassiron, en nous exposant son grand système de dessèchement !

Paris, 4 juillet 1834. — L. Héricart de Thury.

[5:4:2:5]
§ v. — De la confection des fossés ouverts et couverts.

Le succès des opérations de dessèchement des terrains marécageux dépend en grande partie des soins qu’on apporte dans l’établissement des fossés ouverts ou couverts ; il est donc utile d’entrer à cet égard dans quelques détails particuliers de pratique.

Dans la confection des fossés ouverts il est très-essentiel d’en jeter la terre assez loin, non seulement pour qu’elle n’exerce pas sur les bords de ce fossé une pression nuisible, mais encore pour que, dans le cas assez fréquent où l’on serait obligé de rélargir ce fossé, la terre enlevée la première fois n’y apporte pas d’empêchement. Pour ces sortes de fossés, il ne suffit pas de les tracer et les creuser, il faut encore avoir soin de les curer et entretenir. Par conséquent il faut prévoir et calculer non seulement les frais d’établissement, mais encore ceux d’entretien, lesquels varient suivant les localités et les circonstances.

Dans tes terres composées de chaux ou de glaise tenace, les labours n’ont ordinairement lieu que très-superficiellement à cause de la difficulté du travail dans les sols de ce genre ; il en résulte que la couche inférieure se durcit fortement, de sorte qu’elle ne laisse point écouler l’eau de la couche supérieure, et que lorsque les pluies viennent en ajouter une nouvelle quantité, la terre se trouve transformée en une espèce de bouillie, état très-nuisible aux plantes, qui occasione la putréfaction de leurs racines et par conséquent leur mort. — Dans ces cas on ne doit pas pratiquer de fossés couverts, car ces tranchées étant recouvertes de 9 à 10 pouces de terre au moins, cette couche de terre est trop épaisse pour que l’eau puisse passer au travers et pénétrer dans la coulisse. C’est pour ne pas avoir tenu compte de ces circonstances qu’on a quelquefois accusé les tranchées souterraines de ne pas produire d’effets ou de n’avoir qu’une très-courte durée, parce que la terre dont on les avait recouvertes, quoique meuble alors, n’avait pas tardé à se durcir et à former au-dessus de la tranchée une masse imperméable. Les tranchées ouvertes sont dont alors préférables, et lorsqu’on y a recours, on leur donne la direction où la pente est la plus sensible, c’est-à-dire celle qui conduit plus promptement l’eau dans le lieu où elle doit arriver.

Dans les pentes des montagnes on rencontre quelque fois des portions de terrains marécageuses, superposées les unes aux autres, parce que les inflexions ou concavités des roches ou des couches d’argile retiennent les eaux à différentes hauteurs. Dans ces situations, lorsque quelques coupures dans le sol (fig. 106) sembleraient devoir débarrasser facilement des eaux, il peut arriver qu’on ne fasse que les reporter un peu plus bas ; il est donc préférable de faire courir les eaux à la surface ou de les faire plonger par un trou de sonde au-dessous du banc d’argile le plus inférieur.

Les tranchées souterraines, pour produire leur effet, ne doivent jamais être disposées dans le sens de la pente du terrain, parce qu’elles ne rassembleraient pas toutes les eaux qui découleraient du sol ; elles doivent au contraire couper cette pente transversalement. Cependant elles doivent, dans cette direction, avoir une légère inclinaison vers le point où l’eau a son écoulement ; mais cette inclinaison ne doit pas aller au-delà d’un pouce sur 10 mètres, autrement elles pourraient facilement se combler. — La meilleure issue à donner à ces tranchées souterraines, c’est dans un fossé ou canal d’écoulement qu’on garnit de pieux afin qu’il ne s’éboule pas. Quelquefois on réunit plusieurs coulisses dans une seule ; mais cette pratique est à éviter autant que possible, parce qu’il n’est pas rare que les rigoles se bouchent et qu’alors on ne découvre pas facilement où est le mal.

On donne aux tranchées souterraines des profondeurs variées : si, sous une couche de terrain poreux, il s’en trouve une imperméable, il faut pénétrer jusqu’à celle-ci et y creuser le canal dans lequel l’eau doit couler ; si au contraire la couche de terre argileuse a peu d’épaisseur, il suffit que la tranchée soit recouverte d’un pied de terre ou même seulement de 10 pouces, lorsque la terre qui est à la surface du sol est passablement tenace ; bien entendu, cependant, que le labour ne doive pas excéder 6 pouces de profondeur. Dans les terres légères et meubles, il faut quelquefois que la tranchée soit recouverte de 18 et même de 24 pouces de terre. Quant à la partie de la tranchée qui est destinée au passage de l’eau, il suffit qu’elle ait de 9 à 10 pouces de hauteur et une largeur souvent fort peu considérable. Cela dépend au reste de la nature des matériaux : si la tranchée doit être garnie avec des pierres brutes, on peut lui donner jusqu’à 16 pouces à sa sommité et 10 au bas ; si on doit la remplir avec des branchages, il ne faut pas dépasser 12 pouces et même 9 dans la partie supérieure, et 2 ou 3 dans l’inférieure. Quant à l’ouverture à la superficie du sol, on lui donne assez de largeur pour qu’on puisse travailler commodément dans le fossé et creuser à la profondeur nécessaire.

(Thaër.)

Une précaution qu’il ne faut pas omettre dans les champs assainis par des coulisses, rigoles ou tranchées souterraines, c’est de ne pas laisser passer des voitures fortement chargées précisément dans le sens de leur direction longitudinale.

Dans tous les cas où cela est possible, et ils sont fort nombreux, on doit faire usage de la charrue pour commencer l’ouverture des fossés et même pour en remuer la terre à une certaine profondeur, de manière à ce que les ouvriers n’auront plus qu’à la ramasser et la jeter à la pelle. Le travail s’exécutera de cette manière beaucoup plus promptement et plus économiquement ; au premier trait de charrue on l’introduit à environ un pied de profondeur et on éloigne le plus possible la terre du bord ; au second trait on s’efforce de fouiller le sol à 6 ou 8 pouces plus bas. On accomplit alors le creusement avec des instrumens à main, soit la louche ou bêche ordinaire (voir à l’art. Labours), soit plutôt avec deux ou trois instrumens analogues dont le premier est très-large et les suivans vont toujours se rétrécissant, comme le représente la fig. 107. En disposant les ouvriers à la suite les uns des autres pour enlever la terre remuée par la charrue, donner le premier, le second et enfin le troisième coup de bêche, la besogne marche très-vite et la tranchée est immédiatement achevée.

Charrues-taupes. — On a proposé divers appareils sous le nom de charrues-taupes, pour établir des rigoles souterraines, sans être obligé d’ouvrir des tranchées, ni d’employer des matériaux étrangers au sol. Ces appareils sont très-compliqués, et par conséquent difficiles à manœuvrer et dispendieux, notamment celui de William Robinson, décrit par M. Byerley et figuré dans les Mémoires de la Société royale d’Agriculture(tome 1, de 1827), ce qui nous porte à ne pas le représenter ; on peut en dire autant de ceux indiqués dans l’ouvrage de M. Loudon. La charrue-taupe dont nous donnons le dessin (fig. 108) nous semble,

après quelques tentatives, devoir remplir son objet ; nous n’avons encore pu la faire construire d’après ce dernier modèle ni la livrer à l’essai dans des terrains difficiles. On conçoit que les tiges de support qui remplacent le coutre et s’attachent au coulissoir M, L qui tient lieu de soc, doivent être minces et tranchantes, afin d’occasioner moins de résistance et de couper le terrain sans y laisser de traces ; le coulissoir doit être long et très-pointu afin d’agir à la manière d’un coin et de laisser derrière lui une rigole parfaitement cylindrique. Il serait facile d’ajouter à cet appareil un système de leviers analogues à ceux de plusieurs nouvelles charrues, et au moyen duquel on pourrait toujours donner aux rigoles un tracé horizontal, malgré les légères inflexions de la surface du sol. Du reste, ces appareils ne peuvent avoir plein succès que dans les terrains un peu ou très-tenaces, et surtout dans les prairies. C. B. de M.

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§ vi. — Des machines à épuiser l’eau.

Lorsque les terrains sont inondés parce qu’ils forment des bas-fonds moins élevés que le lit des cours d’eau ; que par conséquent ils ne peuvent se débarrasser des eaux surabondantes qui arrivent des hauteurs environnantes, ou qui suintent et transsudent dans les terres en y formant des marais, des eaux croupissantes ou des mares ; si l’on ne peut avoir recours aux boitouts ou percemens à la sonde pour leur donner écoulement, et qu’il soit également impossible de couper les eaux qui descendent des collines au moyen d’un canal, dans une position assez haute, quelque éloignée qu’elle soit, pour les conduire dans le courant qui doit les emmener : il ne reste plus qu’à avoir recours à des machines pour puiser les eaux dans les bas-fonds et les élever dans un canal de transport dont le niveau soit supérieur à celui de la rivière. Ce sont les Hollandais qui ont devancé tous les habitans des contrées basses, par leurs inventions et leurs modèles en ce genre. Généralement leurs machines à épuiser sont mises en mouvement par le vent ; les qualités qu’on doit le plus rechercher dans ces machines, sont de n’avoir pas besoin de beaucoup de vent pour être mises en mouvement, et d’être d’une construction qui les mette à l’abri de fractures ou de dérangemens fréquens : sans cela elles se trouveraient souvent hors de service au moment où elles seraient le plus nécessaires. — On est quelquefois obligé de mettre en œuvre à la fois plusieurs de ces machines pour pouvoir élever l’eau à la hauteur convenable, notamment avec les moulins hollandais ; il en existe un grand nombre de variétés : celui à palettes (fig. 109) donné par Moolenbook, n’élève guère l’eau, en la poussant, à plus d’un pied et demi ou deux pieds.

On peut encore employer comme machines à épuisement la plupart des machines qui servent à élever l’eau pour les irrigations (voir cet art.), et notamment la pompe à chapelet (fig. 110), le noria à godets de cuir coniques (fig. 111), et la vis d’Archimède (fig. 112), qui n’ont pas besoin de description, et qu’on met en mouvement soit avec un manège auquel on attèle un mauvais cheval, un âne ou une vache, soit avec une manivelle à main, soit avec les ailes d’un moulin à vent. Le Mémorial encyclopédique a décrit, dans le no de juin 1834, une nouvelle machine pour élever l’eau, de l’invention de M. Edwards Lucas, de Birmingham ; on doit aussi à M. Laperelle une machine à épuisement, simple et puissante, qui sera décrite et figurée à l’article irrigations.

Dans les contrées entrecoupées de nombreux cours d’eau, il n’est pas rare de trouver auprès des rivières des bas-fonds plus profonds que le lit de celles ci, en sorte qu’il est impossible de procurer par le moyen de la rivière aucun écoulement aux eaux qui refluent dans ces bas-fonds. Dans ce cas, pour opérer l’assainissement, qui semble impraticable autrement que par des machines à épuiser, on peut encore, après avoir encaissé par le moyen de digues le cours plus élevé de la rivière, faire passer l’eau sous les digues et sous le lit de la rivière,

soit par le moyen de tuyaux ou de conduits en bois, soit par celui de canaux, aqueducs ou tunnels en maçonnerie et couverts, à l’aide desquels on conduit l’eau dans quelques ruisseaux inférieurs. Cretté de Paluel a mis cette méthode en pratique dans plusieurs circonstances avec un plein succès. [5:4:2:7]
§ vii. — Des outils et instrumens de sondage.

Nous ne devons pas entrer ici dans le détail des grandes opérations de sondage, ni dans la description des moyens et appareils que nous avons souvent employés pour vaincre les difficultés qu’on rencontre dans ces travaux. Parmi les sondages difficiles que nous avons dirigés, nous pourrions citer celui exécuté à Cormeilles en Parisis, où j’ai traversé 230 pieds de gypse crevassé, mêlé de grès et de sables coulans ; plusieurs fois mes tiges se sont rompues. J’ai eu à vaincre à Chartres une agglomération de silex de 90 pieds : c’est avec la pointe et la boucharde que j’y suis parvenu. À la Brosse-Monceau, près Montereau, pour traverser 300 pieds de craie mêlée de silex, le trépan m’a souvent servi. À Riocourt, près Chaumout, j’ai traversé 250 pieds de calcaire jurassique avec des ciseaux plats dentelés de diamètres successifs. Au Luard (Sarthe), 240 pieds de sable et de pyrites ont été traversés avec la tarière à clapet, le tire-bourre et la pointe. Aux Batignoles, près Paris, j’ai rencontré souvent le sable coulant alternant avec les grès, et je suis parvenu à 221 pieds, malgré une multitude de difficultés. Avec la boucharde et le ciseau carré, j’ai percé, chez M. le comte de Gonteau, à Mongermont, une masse de calcaire siliceux de plus de 100 pieds d’épaisseur. Avec la tarière ouverte et la pointe, j’ai fait, dans la vallée de Montmorency, trois sondages qui donnent des eaux jaillissantes au-dessus du sol ; le premier de ces sondages a duré sept jours, le second quatre, et le troisième dix. Ils donnent ensemble près de 800,000 litres d’eau par vingt-quatre heures. — Les percemens opérés à Tours ont été jugés par la Société royale et centrale d’agriculture avoir fait surmonter deux des principales difficultés, savoir : le percement de la craie et la traversée du sable coulant ; ils m’ont valu son grand prix en 1831, et une médaille de rappel en 1833. Ces puits forés ont donné pour cette ville des résultats d’un immense intérêt.

Dans les sondages qui intéressent spécialement l’agriculture et qui ont pour objet les opérations de dessèchement, il ne faut ordinairement que des instrumens simples, d’un prix peu élevé et qui n’atteignent pas à une grande profondeur. Il suffit d’une sonde de 50 pieds, de 3 pouces de diamètre, et à emmanchement à vis, qui coûte 350 f., ou celle à emmanchement à enfourchement, qui coûte 450 f. Elle se compose d’un manche, de cinq tiges, d’une tarière, d’un ciseau plat, d’un tourne-à-gauche.

Tous les instrumens que nous avons décrits et figurés dans notre notice spéciale[9] sont loin d’être nécessaires pour faire un sondage. La tarière à clapet (fig. 113), la tarière ouverte (fig. 114), et la tarière américaine ou celle rubanée (fig. 115 et 116), ainsi que des ciseaux (fig. 117 ), peuvent souvent suffire, mais, suivant les localités, pour activer le travail et atteindre en un jour une profondeur qui nécessiterait une semaine, j’emploie l’alésoir à glaises (fig. 118), ou bien celui pour les roches (fig. 119), le tirre-bourre (fig. 120), ou l’entonnoir à sable (fig. 121) ; ou, pour briser des roches plus activement que ne peut le faire un ciseau, j’emploie la pointe de diamant (fig. 122), ou la boucharde (fig. 123). On a souvent aussi besoin de la chèvre simple (fig. 124).

Pour ce qui est du procédé chinois, dont on s’occupe beaucoup en ce moment, il semble être plutôt avantageux pour les sondages à de grandes profondeurs, et je ne le crois applicable que dans des terrains constamment uniformes ; l’application n’en est pas nouvelle en France et en Allemagne ; les mines de Rouchamp, dans les Vosges, ont plusieurs fois employé ce moyen dans des sondages de 8 à 900 pieds. Mais ce mode est impraticable lorsque le terrain ne fait pas masse compacte et continue ; il est également inapplicable dans les sables et les argiles ; en un mot, il ne me paraît bon que dans une roche plus ou moins compacte, mais surtout constamment continue. M. Héricart de Thury partage, je crois, mon sentiment à ce sujet.

Je me suis plusieurs fois occupé de desséchemens : pour employer la sonde avec avantage il faut que la partie argileuse qui s’oppose à l’écoulement des eaux n’ait pas plus de 8 à 10 mètres de puissance. Alors, avec une tarière ouverte (fig. 114), ou une tarière rubanée (fig. 116), 3 hommes peuvent faire 2 à 3 puisards par jour. Le mieux est de se servir d’un instrument de 24 à 30 cent. (9 à 11 pouces) de diamètre. Lorsque le trou de sonde est fait, l’on a un saucisson en épines ou autres menues branches, que l’on introduit pour empêcher le resserrement des argiles, et l’on donne ensuite les pentes nécessaires pour amener les eaux au boitout ; 3 ou 4 m’ont suffi pour assainir un hectare, surtout lorsque l’argile traversée repose sur du jarre ou gros sable. J. Degousée.

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Art. iii. — Entretien des travaux et emploi du sol après le desséchement.
OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES.

Les desséchemens tentés en France depuis 30 ou 40 ans ont presque tous complètement réussi sous le rapport de l’art, mais la plupart ont donné peu de bénéfices aux compagnies qui les ont effectués, quelques-uns les ont ruiné. Dans les Pays-Bas, au contraire, où ces opérations sont généralement plus dispendieuses que la plupart de celles qu’on a tentées en France, le bénéfice est à peu près assuré, et bien souvent pourrait être escompté d’avance. C’est qu’en Hollande on sait, avant d’opérer, ce que sera le sol après l’opération, et comment on devra l’administrer pour en tirer parti. On détermine le système de desséchement d’après cette connaissance, tandis qu’en France on dessèche à tort et à travers, sans calculer comment on pourvoira économiquement à l’entretien des travaux, quel usage on fera du sol, quels moyens on emploiera pour maintenir la fertilité, quels débouchés on aura pour les produits. Nos ingénieurs sont les plus habiles de l’Europe, mais non les plus économes ; nos spéculateurs et nos capitalistes sont, tout à la fois, les plus timides et les plus imprévoyans, les plus défians et les plus faciles à se laisser duper par leurs propres illusions ou celles des intrigans qui les obsèdent.

Je ne puis qu’effleurer ici les importantes considérations qui se rattachent à ces questions ; je me propose de les traiter dans un ouvrage spécial ; cependant, ce que je vais dire pourra mettre sur la voie de mes idées les dessiccateurs à venir.

L’effet utile de toute opération de ce genre est l’assainissement de la contrée où elle a lieu et l’augmentation des produits du sol. Selon qu’on vise plus particulièrement à l’un ou l’autre but, l’opération doit se modifier. Le devoir de l’administration publique est de faire prévaloir à tout prix l’intérêt sanitaire, et s’il en résulte un accroissement de dépense ou une diminution de bénéfice pour le dessiccateur, il doit être indemnisé. Je supposerai donc dans ce qui suit que l’entrepreneur de desséchement vise surtout à l’augmentation de son revenu.

Avant d’opérer, il a dû déterminer, d’après le nivellement de la surface, les portions de terrain qui seront tout-à-fait desséchées, celles qui ne subiront qu’un demi-desséchement et celles qui seront complètement abandonnées aux eaux.Il a dû calculer ensuite la manière la plus économique d’exécuter les travaux, les moyens de pourvoir à leur entretien, et le parti le plus convenable à tirer du sol après l’opération. L’exécution des travaux de desséchement étant l’objet des articles qui précèdent, nous allons nous occuper des deux autres points.

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§ ier. — Entretien des travaux de desséchement.
i. Réparation et conservation des travaux.
A. Envasement et attérissement des canaux.

Pour réduire au minimum les frais d’entretien des canaux d’écoulement, de navigation ou d’irrigation, il faut prévoir et empêcher autant qu’on le peut l’envasement de leur lit et l’éboulement de leurs talus.

L’envasement a lieu par deux causes principales : le dépôt que laissent les eaux limoneuses affluentes, et le détritus des végétaux aquatiques. Pour atténuer l’effet de la première cause, il faut donner aux eaux la plus grande rapidité possible, si ce n’est constamment, au moins par intervalles, pour enlever par le courant les dépôts formés à eau dormante. Dans certains cas, on peut aussi ne laisser entrer dans les canaux que les eaux déjà clarifiées ; lorsque, par exemple, on possède en amont des terrains tourbeux ou graveleux qui ont besoin pour être fertilisés d’être recouverts d’une couche de limon, il est alors doublement avantageux d’y faire séjourner les eaux avant de les laisser entrer dans les canaux d’écoulement. Si l’on n’a pu empêcher les envasemens limoneux, il faudra faire des curages, soit à bras d’homme en mettant les canaux à sec, soit, si l’assèchement est impossible, à l’aide des dragues mues à la main ou par un manège, ou même par une machine à vapeur, selon l’importance des repurgemens. Dans beaucoup de cas, la curure de ces canaux, employée comme engrais, indemnisera d’une partie notable des frais ; mais, quoi qu’il en coûte, on ne doit jamais négliger cette opération pour les canaux non plus que pour les rigoles.

Lorsque l’attérissement a lieu par la végétation des plantes aquatiques, rien de plus facile que de l’empêcher ; il suffit d’extirper ces plantes, une ou deux fois par an, à l’aide du râteau hollandais, dont nous donnons la figure (fig. 125), ou de tout instrument analogue. On fait précéder cette opération d’un fauchage à rez du sol, s’il se trouve dans le canal des végétaux implantés dans le plafond ou sur le talus. On se sert pour ce fauchage dans l’eau d’une faucille emmanchée d’une perche suffisamment longue, qui fait avec son croissant un angle d’environ 60 degrés (fig. 126). La litière que fournissent ces plantes extraites de l’eau paiera presque toujours les 2/3 de la dépense, qui, du reste, est bien peu de chose si l’on emploie des ouvriers ayant l’habitude de ce travail. Elle est d’autant moindre qu’elle est plus souvent répétée.

Les autres instrumens le plus généralement employés pour les divers travaux d’entretien des desséchemens sont les suivans : les écopes (fig. 127 et 128), qui servent à nettoyer le fond des fossés des branchages, herbes, pierres, boues ou autres objets qui les obstruent ; le coupe-gazon (fig. 129), très-commode pour tailler et couper le gazon dans la confection des fossés ; différentes bêches en fer (fig. 130) ou en bois (fig. 131), pour travailler dans des terrains plus ou moins difficiles ; la bêche ou louche des pionniers (fig. 132), instrument un peu concave, que ces ouvriers préfèrent, en général, pour creuser les étangs et canaux, afin de jeter la terre à de grandes distances.


B. Conservation des talus. Gazonnement.

La rapidité du courant que nous venons de recommander pour empêcher les envasemens a l’inconvénient d’attaquer les talus, d’occasioner des éboulemens, et par suite, bien souvent, des engorgemens qui empêchent la circulation de l’eau et causent des désastres.

Quand le sol a peu de consistance ou qu’il est très-sablonneux, les éboulemens ont lieu même à eau dormante. Si l’on n’a pas donné un talus très-doux aux berges, il faut le rendre tel, quand on peut, à l’aide d’un recoupement ; sinon il faut gazonner ce talus, le complanter en osiers ou tamarix, et même le revêtir d’un pierre, si l’action du courant est trop forte.

Nous ne dirons rien ici des recoupemens non plus que des pierres, il en est question autre part. Nous renverrons aussi au Tome IV ce qui concerne les plantations. Nous allons seulement dire deux mots sur le gazonnement. La première chose à faire, c’est de chercher un tapis de verdure formé par des espèces de plantes en harmonie avec le sol où l’on veut établir son gazonnement, de manière à ne pas placer des végétaux qui exigent un fond sablonneux sur un terrain argileux, ceux qui redoutent l’humidité, dans l’eau, etc. On sent par conséquent qu’il faudra en outre, pour réussir complètement, considérer dans ce talus trois zones, chacune demandant trois espèces de gazon différentes. La première, constamment sous l’eau, ne devra être garnie que de joncs ou autres plantes aquatiques ; la seconde, tantôt sous l’eau, tantôt à sec, comportera des plantes analogues et, de plus, quelques graminées, quelques légumineuses ; la troisième enfin ne devra être gazonnée qu’avec des végétaux qui ne craignent pas trop la sécheresse tels que ceux qui croissent le long des fossés qui longent les routes dans les prairies sèches, etc. — Le choix des gazons fait, il faudra commencer par régaler parfaitement les talus, afin de pouvoir y placer régulièrement les mottes par assises parallèles, comme un maçon place les pierres de taille ; on coupera ensuite des gazons égaux en longueur, largeur et épaisseur ; on les placera de manière que le supérieur porte sur deux inférieurs, et qu’il y ait le moins d’intervalle possible entre les joints ; on garnira même ces joints avec de la terre meuble, on battra le tout et l’on arrosera, si l’on peut. (On sent combien il importe de placer les gazons aussi fraîchement arrachés que possible, et point endommagés par le transport.) — D’habiles ouvriers acquièrent promptement l’habitude de faire des mottes sensiblement égales, à l’aide des instrumens ordinaires des terrassiers, mais il serait bien plus avantageux d’employer le double instrument inventé pour cet usage dans les Pays-Bas nommé zoden-mes. L’instrument (fig. 133) a la forme d’une lame courbe munie d’un anneau pour attacher une corde ; il est emmanché dans un bâton : il tranche par sa partie convexe ; l’instrument (fig. 134) est en forme de croissant, muni comme l’autre d’un anneau, mais emmanché dans une douille. Ce croissant a de 28 à 30 centimètres de largeur.

Avec le premier instrument, on divise en petits carrés égaux d’environ 30 centimètres le terrain à dégazonner ; avec l’autre on détache ces carrés du sol en leur donnant l’épaisseur qu’on juge convenable (ordinairement de 7 à 8 centim.). Un homme tire l’instrument fig. 133, tandis qu’un autre le dirige, le maintient en terre et le fait trancher. Un autre homme vient ensuite, tirant par saccades l’instrumens fig. 134 ; à chaque saccade il détache un gazon (comme on le voit en action dans la fig. 70, T. I, p. 117), que l’ouvrier placé par-derrière soulève et met de côté pour recommencer. J’ignore si cet instrument est connu en France ; il mériterait d’être propagé partout. Deux hommes coupent ainsi 400 mètres carrés de gazon par jour.

Un moyen qui me paraît avantageux pour conserver les digues dans les canaux à large dimension et à eau dormante, c’est celui qui a été employé sur le canal du Languedoc : une sorte de brise-lame en mottes de jonc (Juncus acutus), placé de 50 centimètres à 1 mètre en avant du talus. On dirait une bordure de jardin, tant elle est régulière et bien entretenue dans ce beau canal.

Nous ne parlerons pas ici des clayonnages et autres ouvrages analogues, quoique l’on soit obligé quelquefois d’y recourir pour la conservation des talus. Il en a été traité dans la section des Endiguages.

C. Entretien et conservation des digues.

Quand la terre des digues n’a pas une grande consistance, il convient d’empêcher les bestiaux de grande taille d’y passer jusqu’à ce qu’elles soient couvertes d’une végétation suffisante. On hâte ce moment par des ensemencemens et des plantations appropriées au terrain et au climat, quelquefois par des amendemens et des engrais, surtout par le parcage des bêtes à laine en temps opportun. Outre l’engrais, le parcage donne au sol un tassement précieux.

Souvent on a été obligé de revêtir les digues, en les construisant, d’un gazonnement, d’un nattage, d’un fascinage et même d’un pierré ; alors il importe plus que dans tout autre cas de veiller à ce que toutes les dégradations soient soigneusement réparées avant la saison des sinistres. Il faut en outre, en temps opportun, mettre en magasin, à portée des endroits les plus exposés, tous les outils et approvisionnemens qui peuvent être utiles au moment des accidens extraordinaires. Dans les polders des Pays-Bas, le long de l’Escaut, de la Meuse, du Rhin, du Zuiderzée, etc., on a toujours en réserve, auprès des digues, des magasins abondamment pourvus d’instrumens de terrassiers, de brouettes, de brancards, de piquets, de fascines, de clayons de roseaux, de paille, d’osier, et surtout de claies en bois toutes faites, analogues à celles qui forment les parcs des bergeries des environs de Paris, mais plus légères. Ces claies sont extrêmement utiles lorsque surviennent les coups de mer. La digue est-elle entamée par le batillage ? on y applique une ou plusieurs claies que l’on fixe avec des piquets ou des clayons : c’est assez pour diminuer et souvent empêcher tout-à-fait les corrosions. Après la tempête, on enlève les claies et l’on fait un remblai recouvert d’un nattage ou d’un fascinage, selon l’opportunité. Se fait-il une rupture ? avant qu’elle s’agrandisse on place verticalement une claie en dehors, une autre en dedans ; l’on forme ainsi un encaissement qu’on remplit promptement en terre, et la rupture est fermée. Enfin, désire-t-on traverser un large fossé ou un canal pour aller chercher des matériaux ou pour tout autre besoin urgent ? on met deux ou trois poutres en travers du fossé, et sur ces poutres des claies qui font en quelques minutes un pont de service très-solide pour les hommes, pour les animaux et même pour les petits chariots hollandais que j’ai vus y passer sans accident.

Ce qu’on ne saurait trop recommander, c’est de faire surveiller les digues par des gardes champêtres cantonniers, chargés de rétablir les portions endommagées par le bétail, de boucher les trous de renard, de lapin, et même ceux de taupes et de rats ; de réparer les moindres avaries ; d’empêcher tout dommage de la part des malveillans ou des maraudeurs ; d’avertir enfin les chefs de l’entreprise de tout ce qu’il leur importe de savoir pour la conservation, le perfectionnement ou la réparation des ouvrages confiés à leur surveillance.

Dans les Pays-Bas, on a de plus l’appui d’une législation sévère qui oblige tous les citoyens, sous les peines les plus graves, à se porter sur les points menacés au premier signal du danger.

D. Entretien et réparation des ouvrages d’art.

Dans un desséchement, il faut que toutes les parties soient toujours prêtes à fonctionner ; aussi doit-on tenir en bon état les ponts, les écluses, les vannes, et réparer sans délai les dégradations qui s’y manifestent ; faire remplacer soigneusement toutes les pièces qui dépérissent et qui ont éprouvé un dommage accidentel irréparable ; boucher tous les trous, mastiquer tous les joints de la maçonnerie ; repeindre à l’huile les bois et les fers ; graisser les serrures, les gonds, les charnières. Tous ces soins, en apparence dispendieux, produisent au bout du compte une économie considérable et assurent le service. Le garde cantonnier, plus spécialement chargé d’ouvrir et de fermer les écluses et les vannes, peut faire la plupart de ces réparations d’entretien.

ii. Moyen de pourvoir aux dépenses d’entretien.
A. Parti qu’on peut tirer des canaux pour l’irrigation, pour la navigation ou pour des usines.

Il peut se faire que les canaux creusés pour dessécher soient d’un niveau convenable pour arroser et convertir en prairies des propriété inférieures ; la vente de l’eau peut servir alors à payer une grande partie des frais de construction, à plus forte raison si ces propriétés inférieures appartiennent au dessiccateur. Il se peut aussi que ces eaux puissent servir à mettre en mouvement des usines. Le dessiccateur, avant de commencer, a dû calculer ces circonstances pour procéder de manière à en tirer le meilleur parti possible.

Le plus souvent l’eau a peu de pente ; alors il a dû s’efforcer de tracer ses canaux de desséchement de manière à ce qu’ils puissent servir à la navigation. Il est telle localité où cette combinaison peut rapporter l’intérêt de l’argent employé à leur construction. Si les canaux ne peuvent servir pour des étrangers, ils peuvent du moins être utilisés par le dessiccateur et faire un service important, lors même qu’ils sont fort étroits, tels que celui de Charleroi à Bruxelles, où des bateaux très-longs, mais larges seulement de 2 mètres, portent une immense quantité de marchandises. On connaît l’utilité des canaux de petite navigation dans certains comtés de l’Angleterre.

B. Pêcherie.
Il sera aisé de disposer les canaux de manière à former une pêcherie plus ou moins lucrative, selon la masse plus ou moins grande et la qualité des eaux. Si elles ont beaucoup de rapidité, les truites, les écrevisses, etc., s’y multipliront, si elles sont moins rapides et plus abondantes, les carpes, les anguilles, les brochets, les tanches, etc. ; si elles sont tout-à-fait stagnantes, les mêmes espèces, mais bien moins bonnes. Enfin il n’est pas jusqu’aux eaux croupissantes et aux cloaques dont on ne puisse tirer parti en y faisant multiplier les sangsues, genre d’industrie que la médecine moderne a créé, mais qui n’est pas encore assez connu, quoiqu’on assure qu’il existe des personnes qui ont fait des bénéfices considérables en s’y adonnant. On cite entre autres les sœurs hospitalières d’une ville importante dont le nom m’échappe.

Je n’ai pas parlé des oies, des canards qui peuvent trouver une partie de leur nourriture dans l’eau ; c’est un objet peu important, mais qui mérite considération.

C. Végétation dans les canaux et sur les francs-bords.

Quand les canaux ont peu de profondeur et que l’eau y reste stagnante, les poissons n’y réussissent pas très-bien, mais la végétation des plantes marécageuses qui s’y établit, fournit un produit assez important. Si ce sont des roseaux (Arundo phragmites), ils peuvent être fanés et servir à l’alimentation du gros bétail en hiver, ou bien être conservés pour couvrir les habitations, pour natter les digues, etc. Si ce sont des carex, des souchets, des joncs, etc., ils peuvent être mangés en vert par les bêtes à cornes, ou plutôt être fauchés pour litière. Il est même quelques espèces de joncs qu’on peut employer à faire des nattes d’un effet très-agréable. On en voit de telles dans les salles à manger des Hollandais qui servent de tapis de pied.

Les talus et les francs-bords du canal se garniront aussi d’une végétation plus ou moins abondante, selon la plus ou moins grande fertilité du sol. Dans les Pays-Bas on fauche presque tous ces talus ; on en retire ainsi un revenu assez considérable. Si on ne pouvait les faucher, on aurait du moins un pâturage abondant ; mais il faudrait prendre garde que le piétinement du bétail n’occasionât des dégradations à ces talus et aux francs-bords.

D. Plantations.

Les francs-bords, les banquettes et les talus des canaux peuvent être rendus productifs par des plantations appropriées au terrain ; mais, avant d’y procéder, il convient de bien reconnaître la qualité du sol, sa consistance, son niveau, son exposition ; d’étudier le climat, les besoins locaux, l’emploi qu’on pourra trouver des produits ; en un mot, de prendre note de toutes les circonstances dans lesquelles on va agir.

Si le canal doit servir à la navigation, il ne faut planter entre le chemin de halage et l’eau que des osiers coupés rez de terre, qui sont taillés tous les ans pour des liens de cercle, pour des paniers ou pour tout autre usage analogue. Encore risque-t-on de nuire à cette navigation quand le bief du canal est très-étroit, et de voir ces plantations dépérir si le halage a lieu fréquemment.

Si l’on n’est pas gêné par cette considération, je conseille de placer un rang d’osier au rez de l’eau, puis un second rang à un pied au-dessus, mais alternant avec celui d’au-dessous, de manière que la plante supérieure se trouve entre deux inférieures. Si l’on a un espace suffisant, on plantera au haut des talus un rang de saule, de peuplier, d’aune, ou de frêne, selon qu’on le jugera convenable et selon l’emploi qu’on en prévoira. On pourra ensuite complanter les francs-bords, par-delà des banquettes, avec les espèces susceptibles d’y croître le mieux.

Je n’entrerai pas à cet égard dans des développemens plus étendus, on les trouvera dans d’autres parties de cet ouvrage. Seulement je ferai observer que, pour épargner la bourse des dessiccateurs, qui ont déjà tant de dépenses à supporter, on peut se borner à planter des pourrettes d’ormes et autres arbres analogues, au lieu de sujets tirés des pépinières, en supposant toutefois qu’il soit facile de les garantir de la dent du bétail. Un homme plantera, dans une terre meuble comme l’est celle des francs-bords d’un canal nouvellement creusé, jusqu’à cinq cents pourrettes par jour, et si les dessiccateurs ont semé eux-mêmes ces pourrettes, elles ne reviendront pas à plus de 2 ou 3 fr. le mille, de sorte qu’on peut à très-bon marché garnir ses canaux d’une multitude d’arbres. Je conseillerais de les mettre d’abord très-épais ; on les éclaircit ensuite facilement et avec bénéfice en vendant les plants qu’on a de trop.

Avant de terminer ce paragraphe, je recommanderai la culture du chêne en têtard comme dans la Belgique. Il fournit un bois de chauffage de fort bonne qualité.

Je dois observer que, dans tout ce qui précède, j’ai supposé que le terrain n’était pas salé et l’eau non plus. Dans le cas contraire, il faudrait substituer à la plantation des arbres ci-dessus, celle des tamarix ; aux gazonnemens en graminées, l’ensemencement et la transplantation des plantes alcalines, telles que le Chenopodiun fruticosum, lAtriplex portalocoides, etc. ; aux cypéracés enfin, les plantations du Juncus acutus, le seul qui résiste bien, sinon à l’eau salée, du moins à l’eau saumâtre.

Il est entendu aussi qu’on choisira entre les diverses variétés osier et de tamarix celles qui réussissent le mieux et ont un meilleur débit. Parmi les osiers il y en a de plus propres aux cours d’eau rapides, d’autres aux cours paisibles, d’autres aux marais, d’autres aux lais de mer ; il y en a qui sont préférés pour les corbeilles, d’autres pour la tonnellerie, d’autres pour le fagotage. Parmi les Tamarix, l’africana est préférable dans les climats chauds, le gallica dans les climats tempérés, et le germanica dans les climats froids.

Je n’ai rien dit non plus de la culture du roseau à quenouille (Arundo donax), qui réussit très-bien dans les sables, sert à les fixer, et peut être utilement employé à faire des paniers très-solides, des canisses à vers à soie, des castellets de pêcheurs, etc.

Sur les bords du canal de Beaucaire on a planté, il y a peu d’années, des mûriers qui ont très-bien réussi. On y sème de la luzerne. On eût pu y cultiver avec profit les espèces de vigne qui sont propres à produire le vin de chaudière, ou introduire toute autre culture appropriée au sol.

On sent, par tout ce qui précède, qu’il faudrait des circonstances bien défavorables pour que les frais d’entretien des digues et des canaux ne fussent pas couverts par une bonne administration de leurs produits. La plupart du temps, si l’on sait en tirer parti, ils donneront un excédant imputable sur l’intérêt de l’argent qu’on y aura dépensé.

[5:4:3:2]
§ ii. — Emploi du sol après le dessèchement.
Observation préliminaire.

L’usage qu’on fera du terrain desséché dépendra, comme dans toutes les autres exploitations, du climat, du sol, des ouvriers qu’on pourra employer, des débouchés, etc. Nous n’entrerons dans aucun détail à cet égard, afin d’éviter des répétitions ; nous ne parlerons que des opérations spéciales et des modifications aux règles générales qu’exige ou que comporte l’état particulier de ces terrains.

Pour mettre de l’ordre dans nos idées, nous diviserons les sols desséchés en trois classes : 1o sols endigués contre les torrens, rivières ou fleuves ; 2o sols goutteux, étangs et marais d’eau douce ; 3o lais et relais de la mer. Dans chacune de ces classes nous considérerons : 1o les terrains complètement desséchés ; 2o ceux qui ne le sont qu’imparfaitement ; 3o enfin, ceux qui sont tout-à-fait abandonnés aux eaux.

I. Sol garanti des crues de torrens, rivières et fleuves.
A. Lits de torrens et de rivières torrentielles endigués.

Les torrens et les rivières qui en ont l’impétuosité ne laissent guère sur leur passage, dans les premières parties de leur route, que d’énormes cailloux et des blocs de rochers. Il est rare alors qu’on puisse les endiguer avec avantage ; mais lorsque, parvenus dans de larges vallées, ils ne déposent plus que des galets, du gravier et du sable, il peut être très-profitable de conquérir sur leur lit tout ce qui n’est pas indispensable pour contenir les fortes eaux.

Cependant, cette conquête une fois réalisée par un bon système d’endiguement, on se trouverait souvent n’avoir acquis qu’une plaine stérile, si le torrent lui-même ne fournissait le moyen de fertiliser le sol qu’on lui a ravi. Il suffit pour cela de pratiquer, le long de la digue, des déversoirs disposés de telle sorte que les eaux de submersion n’arrivent qu’à reculons sur la plaine endiguée. Ce n’est plus du sable et du gravier qu’elles apportent alors, mais du limon. Ce résultat est d’autant plus assuré, que l’opération a été mieux combinée. Le moyen le plus sûr de l’obtenir est de construire, immédiatement en aval de chaque déversoir, une petite digue qui traverse la grève perpendiculairement au cours du torrent, de manière qu’elle retienne l’inondation, afin que, au lieu de dévaster le sol, elle forme autant de bassins à eau dormante qu’il y a d’intervalles entre deux digues. À chaque crue tous les bassins sont submergés, mais nullement engravés, le sable et le gravier restent dans le lit du torrent.

Souvent les eaux torrentielles n’arrivent pas assez fréquemment dans ces bassins pour produire un effet utile ; alors il convient de recourir au terrement (warping des Anglais), si on le peut sans trop de frais. Cette opération, peu connue en France, mais usitée dans quelques cantons de l’Allemagne, de l’Angleterre et de l’Italie, consiste à diriger un cours d’eau rapide sur le sol qu’on veut amender ainsi, et à faire charrier par cette eau la terre qu’on y jette à force de bras. (Voir ci-devant, pag. 132)

Si par l’un ou l’autre de ces procédés l’on parvient à créer un sol susceptible de cultures régulières, cette grève se trouve assimilable aux terres ordinaires analogues : nous n’en parlerons pas. Mais si on ne peut rien faire de semblable, on sera obligé de se contenter de la végétation qui convient aux sols de cailloux : la vigne, le mûrier, l’olivier, le figuier dans les contrées méridionales ; quelques autres espèces d’arbres fruitiers dans des climats moins heureux, et par tout pays des arbres forestiers de diverses espèces.

Il arrive souvent que l’endiguement n’est pas tellement complet, que le terrain ne soit sujet à être submergé accidentellement. Dans ce cas, il faudrait n’y cultiver que les espèces d’arbres qui ne craignent pas de pareils accidens, le bouleau, le frêne, l’orme, le chêne, etc.

Si ce terrain est trop fréquemment inondé, soit par l’imperfection des travaux, soit par l’adoption d’un des systèmes d’attérissement dont nous avons parlé tout-à-l’heure ; en attendant qu’on puisse y introduire des cultures ordinaires, il faudra le couvrir de peupliers de diverses espèces, de saules, d’aunes, de trembles, etc., qui, réussissant par boutures, coûtent très-peu de plantation, retiennent les eaux les font déposer, et augmentent, par la chute annuelle de leurs feuilles, la couche de bonne terre végétale. Leur rapide végétation permet d’ailleurs des coupes très-fréquentes et très-lucratives.

Quelquefois, l’endiguement fait, il se trouve des fonds de cuve qui, par les infiltrations affluentes ou par toute autre cause, se remplissent d’eau et ne peuvent être desséchées ; si l’on désespère de parvenir à les attérir ou si l’opération parait trop dispendieuse, il faudra faire de ces fonds de cuve des réservoirs pour le poisson, y faire croitre des végétaux aquatiques, ne fut-ce que du cresson, les entourer d’arbres, et, s’il est impossible d’en tirer un parti plus utile, tâcher d’en faire une pièce d’eau d’agrément.

Il est inutile que j’observe ici que les cultures devront être modifiées dans les divers cas selon la nature des alluvions, argileuses, calcaires, siliceuses ou mixtes, sur lesquelles on opère.

B. Alluvions des fleuves et rivières à pente douce.

L’endiguement des fleuves et rivières à pente douce donne des terrains presque toujours très-fertiles. Leur traitement, quand le dessèchement a été complet, est trop connu pour que j’en parle ici. Je me bornerai à recommander de conserver à ces terrains, surtout dans les pays chauds, les moyens d’irrigation que les pentes peuvent fournir.

Lorsqu’après les travaux de desséchement on est encore exposé à des inondations accidentelles, le parti le plus sage c’est de faire en sorte que ces inondations enrichissent le sol au lieu de l’appauvrir, et pour cela de ralentir autant qu’on le peut par des haies transversales, des palissades et des plantations, le cours des eaux submergeantes, tout en adoptant un système de rigoles d’écoulement assez bien combiné pour qu’après l’inondation l’eau s’écoule le plus tôt possible. Les cultures qui conviennent le mieux dans cette circonstance sont celles qui craignent le moins ces accidens et celles dont les produits sont récoltés avant les crues.

On trouve en général plus commode et plus souvent avantageux de disposer les terrains de cette nature pour le pâturage du gros bétail. Il y aurait danger à y conduire les bêtes à laines.

Les fonds de cuve et les terrains indesséchables qui restent quelquefois après les opérations de desséchement, ne peuvent guère être employés qu’à des pêcheries, s’ils ont beaucoup de profondeur ; s’ils en ont peu, une végétation abondante et très-profitable peut s’y établir.

Les terrains à moitié desséchés peuvent devenir, selon le plus ou moins long séjour des eaux, des terres susceptibles d’être cultivées en céréales de printemps, en légumes, en plantes textiles, ou de toute autre manière, sinon être laissées, à l’état de pré marécageux ou de roselières, genre de propriété trop peu connu et sur lequel voici quelques détails.

Il existe dans le Midi et notamment à Bellegarde, département du Gard, de ces roselières, c’est-à-dire des espèces de prés palustres où domine le roseau (Arundo phragmites), et souvent une autre espèce (Arundo egyptiaca) dont la coupe annuelle se vend jusqu’à 150 fr. et 200 fr. par hectare, sans autres frais pour le propriétaire que la mise aux enchères. Ce sont des plaines fertiles inondées en hiver par l’eau du Rhône, et convenablement arrosées par submersion au printemps. Ces roseaux fournissent tout à la fois la nourriture et la litière aux mulets et aux chevaux qui labourent les beaux vignobles des environs. Cette nourriture suffit, avec une médiocre quantité d’avoine, pour maintenir en bon état, durant les pénibles travaux de l’hiver, ces bêtes de labour. L’on a reconnu qu’avec ce régime ces animaux se portent toujours bien, malgré les rudes fatigues qu’on en exige. Cette nourriture est la plus saine, sinon la plus substantielle, qu’on connaisse.

II. Sols goutteux, étangs et marais proprement dits.
A. Sols goutteux.

Les sols goutteux ne peuvent être complètement assainis qu’autant que, par une tranchée creusée à l’entour jusqu’à la couche imperméable, on s’est emparé de toutes les eaux qui, des coteaux environnans, viennent former une sorte de lac entre deux terres, et dont le siphonnement fatigue la végétation des terrains qui le subissent.

Quand cette opération a complètement réussi, ces terrains rentrent dans la catégorie des sols superposés à une couche argileuse plus ou moins rapprochée de la surface, nous n’avons pas à nous en occuper spécialement ici. Mais, quand elle a échoué, on peut couper la surface goutteuse par des fossés parallèles très-rapprochés, pour planter sur le talus des aunes ou des saules qui réussissent fort bien, et, dans les espaces intermédiaires, des peupliers, des ormes, des bouleaux, etc. On se procure ainsi en peu de temps un revenu avantageux, et on change un sol nu et fangeux en un riant bosquet. L’aune et le saule se coupent tous les 4 ans, au rez de terre, et donnent une grande quantité de bourrées, de barres, etc. Les fossés doivent être dirigés dans le sens de la pente pour mieux égoutter, et pour qu’en réunissant les suintemens on puisse en former un réservoir d’eau, et, s’il y en a suffisamment, un étang. D’autres préfèrent pratiquer des tranchées, qu’on remplit de gravier ou de fascines, et qu’on couvre de terre, pour que le sol ne reste pas dépecé en lanières.

Parmi les terrains goutteux, les plus ingrats sont ceux que M. Bosc appelle uligineux ; ils sont tout à la fois goutteux et tourbeux ; ce qui en a été dit (Tome 1er , page 37) nous dispense de nous en occuper ici.

Nous renvoyons ce qui concerne les étangs proprement dits à l’article qui les concerne. Nous nous bornerons à observer que ceux qui sont alternativement cultivés pendant 2 ou 3 ans consécutifs, submergés ensuite, et empoissonnés pendant un pareil nombre d’années, donnent un excellent revenu, mais qu’on ne peut pas toujours réunir les conditions nécessaires pour adopter cette espèce d’assolement, un des plus avantageux qu’on connaisse.

Les étangs, s’ils n’ont pas une grande profondeur, peuvent nourrir plusieurs espèces de végétaux d’un bon produit, tels que le roseau dont nous avons déjà parlé ; le Scirpus lacustris, qui fournit pendant sa végétation une abondante litière, et dont les racines après le dessèchement, présentent aux cochons une nourriture tellement attrayante pour eux que ceux qui les gardent ont bien de la peine à les empêcher de s’échapper pour aller fouiller la terre qu’ils savent en contenir et bouleverser les céréales qui y sont ensemencées ; je citerai encore le fenouil d’eau (Phelandrium aquaticum), que les vaches mangent volontiers, ainsi que la brouille (Festuca fluitans)[10] ; enfin diverses espèces de souchets et de joncs, parmi lesquelles plusieurs peuvent alimenter le bétail, toutes fournir de la litière, quelques-unes servir dans les arts pour faire des nattes ou des paillassons, garnir des chaises, etc. Nous ne pouvons entrer dans des détails circonstanciés sur le meilleur système d’administration de ces terrains, non plus que sur les précautions sanitaires les plus importantes ; cela nous mènerait trop loin.

B. Marais proprement dits.

Les marais peuvent être de diverses nature : argileux, sablonneux, calcaires, mixtes ou tourbeux. Nous n’avons à nous occuper ici que des terrains de la dernière espèce ; les autres, une fois desséchés, rentrent dans l’ordre des cultures ordinaires, avec cette modification, toutefois, que les détritus végétaux dont ils sont couverts conservent une certaine acidité qui tromperait les espérances de l’agriculteur s’il avait pu penser que ces détritus fussent un humus de la même nature que celui des bois ou prés desséchés. Les engrais calcaires, quelques autres agens physiques et chimiques sagement et économiquement employés, pourront diminuer et même faire disparaître à la longue cette acidité que leur état prolongé de submersion leur a fait contracter.

Mais si le sol est tout-à-fait tourbeux, ce n’est qu’à la longue et par un traitement approprié à sa nature qu’il peut être rendu apte à nourrir un petit nombre de végétaux d’abord, et devenir ensuite avec le temps susceptible des plus riches cultures, la luzerne, la garance, la betterave.

Lorsque sous la couche tourbeuse on trouve de la bonne terre, ce qu’il y a de mieux à faire c’est d’exploiter la tourbe pour alimenter les foyers ou les usines du voisinage, s’il y a une consommation suffisante. On connaît les procédés d’extraction, la fabrication des mottes, etc., nous n’en parlerons pas, mais nous devons mentionner le procédé pour carboniser la tourbe introduit dans les marais de Bourgoin par le général Evain, aujourd’hui ministre de la guerre en Belgique, alors employé de M. Lapierre, adjudicataire de ces marais. C’est une sorte d’alambic à l’aide duquel on sépare, de la tourbe par la distillation, la partie bitumineuse, et l’on convertit le surplus en morceaux de charbons propres à être employés dans les fabriques d’acier, comme le goudron obtenu peut l’être dans la marine. Il existe aux environs de Paris (à Croï) un grand établissement où ce procédé est, dit-on, en pleine activité. (Voir le livre des Arts agricoles, où cet objet sera traité dans un article spécial.)

Comme on n’a pas toujours à sa portée une ville où le besoin de combustibles fasse rechercher la tourbe, et comme d’ailleurs, même dans ce cas, il serait la plupart du temps trop long d’attendre la consommation de toute la couche tourbeuse pour tirer du sol un produit agricole, il faut tâcher de faire croître une végétation avantageuse sur ces tourbes elles-mêmes. Le plus simple de tous les moyens, c’est de les rendre à l’état marécageux ; mais, outre que le produit des marais est bien mince, ce serait perpétuer des foyers d’infection. Il vaut mieux, quand on est convenablement placé pour cela, recourir au moyen employé par les Hollandais dans plusieurs de leurs principaux polders. Le sol est divisé par de larges fossés en lanières étroites et longues, légèrement relevées en ados sur le milieu. Chacune de ces lanières reçoit au printemps et jusqu’à l’automne le nombre de bœufs ou de vaches qu’elle peut nourrir ; ces animaux n’en sortent ni nuit ni jour, ils se gardent seuls, grâce à la largeur des fossés dont le fond vaseux est un obstacle suffisant pour les vaches de ce pays naturellement paresseuses et sédentaires, accoutumées d’ailleurs par des corrections et des entraves à ne pas sortir de leurs domaines respectifs, où du reste elles se trouvent trop bien pour tenter fortune ailleurs. Chacune de ces lanières contient de 3 à 4 et jusqu’à 7 et 8 vaches, d’après son étendue et d’après la plus ou moins grande abondance et la qualité de l’herbe. Les propriétaires soigneux font épargir fréquemment la fiente de ces animaux, afin qu’il ne se forme pas d’inégalités et que le sol soit uniformément amendé partout ; ils font aussi arracher les chardons avec un échardonnoir, espèce de grandes tenailles en bois, très-commode pour cet objet (fig. 135).

Pour conserver à ces pâturages toute l’activité de leur végétation, ils ont soin de tenir les fossés pleins d’eau pendant l’été, afin que la surface intermédiaire reçoive une humidité convenable par l’infiltration et l’ascension capillaire de cette eau. En hiver ils les couvrent d’une forte couche d’eau fertilisante, s’ils en ont à leur portée, d’abord à cause de l’engrais que ces eaux charrient, en second lieu pour que leur poids tasse le gazon et la terre naturellement trop spongieuse de ces pâturages. Ils ont soin de renouveler ces eaux ou du moins de les rafraîchir le plus souvent qu’ils peuvent. Ils obtiennent par tous ces soins des pâturages magnifiques et d’un très-bon produit.

Quand on n’a pas le moyen d’entretenir durant l’été l’humidité nécessaire à la végétation de ces pâturages, et qu’on en est réduit à chercher à tirer parti de ces sols tourbeux complètement desséchés, il faut tâcher d’abord d’amender une couche plus ou moins épaisse de la surface, afin de la rendre propre à la production. L’écobuage poussé jusqu’à la conversion en cendres d’une couche assez considérable du sol, est un des moyens les plus efficaces, surtout si l’on peut ensuite recouvrir la surface brûlée d’une quantité de terre forte capable de donner une certaine consistance à ces cendres. Mais c’est souvent fort difficile et toujours très-dispendieux, à moins que la couche de tourbe soit peu épaisse et qu’on puisse, avec une forte charrue, aller puiser cette bonne terre à la couche inférieure pour la mettre au-dessus. Je ne parle pas du cas où l’on serait placé convenablement pour introduire des eaux troubles, naturelles ou artificielles (warping) ; ce serait sans contredit le procédé le meilleur et le plus économique.

L’avoine est la première céréale qu’on puisse cultiver dans les tourbes amendées ; en général, celle de mars ou d’avril convient mieux que celle d’automne, lors même qu’on n’aurait rien à craindre des inondations ; cette nature de terre étant très-spongieuse, les gelées la soulèvent et arrachent la plante. Un agriculteur praticien (M. Cabail), qui a fait construire une belle ferme sur les marais tourbeux de Bourgoin, dans les environs de la Volpilière, m’a montré de belles avoines qu’il récoltait pour la 15e fois sans interruption sur le même terrain, m’assurant qu’il y mettait fort peu d’engrais, et que chaque année la terre s’amendait par le seul effet de la culture prolongée, et donnait de cette même céréale un produit de plus en plus considérable (jusqu’à 30 pour un). Il cultive aussi avec quelque succès dans ces tourbes, du ray-grass d’Italie, des pommes-de-terre, du chanvre, des betteraves, des haricots, des betteraves et diverses plantes potagères. Dans les terrains environnans de même nature, mais un peu plus améliorés, on sème de la fenasse, du trèfle, de la lupuline, etc. Les simples cultivateurs du village de la Volpilière cultivent dans leurs petits héritages des plantes potagères qui réussissent très-bien et deviennent superbes[11].

Je n’y ai pas vu de sarrasin, quoiqu’on le cultive dans tous les environs. C’est cependant la principale culture des terres de bruyères et des tourbières desséchées de la Frise et de l’Over-Issel ; là, non seulement on emploie son grain aux usages ordinaires, mais on utilise la fleur pour l’alimentation des abeilles. Chaque année, au printemps, les ruches, au sortir des champs de colza où elles sont portées pendant la floraison de cette crucifère, sont placées au milieu des sarrasins d’où elles vont compléter leurs approvisionnemens dans les bruyères en fleur, où on les transporte avant de les rentrer dans leurs quartiers d’hiver.

La préparation qu’on fait subir aux tourbes dans la Hollande pour les mettre en culture, consiste surtout dans l’écobuage ; après quoi l’on sème de la supergule ou du sarrasin, si l’on manque d’engrais, des pommes-de-terre si l’on en a, et quelquefois de l’avoine, du trèfle, etc. ; mais, lorsque le sol est trop tourbeux, on l’abandonne, après une ou deux récoltes, à la végétation des plantes sauvages. On va écobuer un autre morceau, et l’on ne revient au premier qu’après un laps de temps assez considérable.

On connait la fertilité du comtat Venaissin, ses belles cultures, ses magnifiques garancières, etc. Eh bien ! la majeure partie était autrefois marécages, et des sols aujourd’hui d’un produit immense, dont l’hectare s’est vendu pour planter la garance jusqu’à 6,000 francs, ne sont que des terrains tourbeux autrefois, fertilisés peu-à-peu. C’est le cas des environs d’Avignon et d’une bonne partie du territoire de la commune appelée le Tor et de plusieurs autres.

III. Lais et relais de la mer.

Les lais et relais de la mer sont de diverses natures : les dunes et terrains sablonneux qui en dérivent ; les sols d’alluvion des embouchures des fleuves ; les salans, autrement dits salobres ou sansouires ; enfin les tangues ou alluvions boueuses de la mer.

A. Dunes et sols sablonneux qui en dérivent.

Les dunes une fois fixées par les travaux dont il est question à l’article desséchement et à celui des sols sablonneux, il reste à en tirer le meilleur parti possible. Nous n’en voyons d’autre que les plantations en chêne-liège dans les climats qui lui conviennent, en pins et autres arbres résineux dans la plupart des localités. Cependant, quand on est assuré des débouchés, on peut y introduire diverses cultures, même des cultures de jardin ; celle des asperges, par exemple, qui viennent très-bien et sont très-hâtives dans les sables de mer sortis depuis peu du sein de l’eau.

Un objet surtout me paraît mériter de fixer toute l’attention du spéculateur agricole, c’est la masse d’eau douce que les dunes recèlent bien souvent. Elle est telle qu’en certains endroits elle peut donner lieu à des cours d’eau très-importans pour l’agriculture (comme aux environs de Katwik près de Leyde), et presque toujours alimenter des canaux de navigation, du moins sur les côtes de l’Océan.

Derrière les dunes on trouve des terres sablonneuses qui prennent le nom de landes lorsqu’elles ne sont pas cultivées ni en apparence cultivables. Nous ne devons pas nous étendre ici sur cette matière qui à elle seule exigerait un traité spécial, non plus que sur la culture des sols plus ou moins sablonneux qui leur sont contigus (voir ci-devant, p. 32).

B. Terrains d’alluvions, schores et polders.

La plupart des lais de mer sont dus aux fleuves qui, exhaussant peu-à-peu le fond de la mer par leurs dépôts successifs, ont fini par ajouter au continent de nouvelles surfaces, d’abord presque toujours submergées, puis au-dessus du niveau de l’étiage, enfin au-dessus des marées ordinaires. Parvenues à ce dernier point, si elles reçoivent beaucoup plus souvent les inondations du fleuve que celles de la mer, et si les eaux salées n’y séjournent pas après leur invasion, il s’y établit une abondante, une riche végétation dont on peut tirer un grand parti pour toute espèce de cultures ; c’est ce qu’on appelle schores dans la Flandre. Dans le cas contraire, il faut, avant de les cultiver, un traitement particulier, dont nous parlerons tout-à-l’heure.

Dans les Pays-Bas et particulièrement vers les bouches de l’Escaut, on considère un schore comme parvenu à son point de maturité pour être converti en polder, lorsque la végétation des roseaux et autres plantes amphibies (qu’on me passe l’expression), est assez riche et établie depuis assez long-temps pour qu’il se soit formé une couche d’humus abondante au-dessus des attérissemens ; alors seulement on l’endigue et il prend le nom de polder.

Les premières récoltes dans les schores endigués sur les bords de l’Escaut, réussissent si bien, que des Hollandais accourent dès qu’il y a un endiguement achevé, font à leurs frais le défrichement, et donnent jusqu’à trois et quatre cents francs de loyer par hectare pour les premières années. Ils y sèment du lin et réalisent, à ce qu’il paraît, d’énormes bénéfices lorsqu’il réussit. Quelques propriétaires préfèrent exploiter pour leur compte cette première fertilité. Ordinairement ils sèment du colza deux années de suite, ils prétendent avoir encore plus de profit qu’en cédant aux Hollandais. Après les premières récoltes, les schores entrent dans la catégorie des meilleures terres à froment et à fourrage, selon la nature du sol. Nous n’en parlerons pas davantage ici.

Il existe quelquefois dans les schores des terrains situés de manière à ce qu’on ne puisse empècher complètement les eaux pluviales des portions plus élevées de s’y rendre ; d’autres qui sont inondées par le siphonnement des eaux intérieures, ou bien par des submersions du fleuve. Ces terrains convenablement traités peuvent former d’excellentes roselières, ou bien nourrir diverses plantes marécageuses, parmi lesquelles nous indiquerons particulièrement les Typha, à cause de leur fibre éminemment propre à la fabrication du papier, qu’on exploite sous ce rapport aux environs de Fox (Bouches-du-Rhône).

Dans les endroits submergés durant toute l’année, on aura une pêcherie abondante. On pourrait peut-être aussi y nourrir avec profit des tortues d’eau douce, si rares aujourd’hui, et cependant si recherchées par les médecins. Ces sortes de marécages leur conviennent parfaitement. Les marais d’Arles en nourrissaient beaucoup avant que la médecine leur eût fait une chasse si acharnée. Il n’y en a plus maintenant.

C. Salans, salobres ou sansouires.

Nous ne pouvons ici qu’effleurer les questions au risque d’omettre souvent des choses essentielles ; nous nous bornerons en conséquence à dire que lorsqu’on dispose, au moins par intervalles, d’un cours d’eau supérieur aux terrains salans, ce qu’il y a de mieux pour leur amélioration, c’est de les submerger et arroser le plus souvent qu’on peut, jusqu’à ce que la végétation, triomphant de la salure, ait converti ces sansouires en schores artificiels qu’on traite ensuite comme les schores ordinaires, sauf l’attention de ne donner qu’avec précaution des cultures profondes, de crainte d’amener au-dessus la terre infertile.

D’autres personnes conseillent de cultiver ces sols, puis de les submerger ; aussitôt après d’évacuer les eaux chargées de sels qu’elles auront dissous puis de les cultiver de nouveau ; de les submerger encore, et ainsi de suite jusqu’à ce que l’on puisse les semer avec confiance. Cette méthode, peut-être plus expéditive, n’est pas aussi sure que la première, car l’humus se dissout et s’en va avec l’eau, tandis que par le premier procédé il s’accroit sans cesse.

Bien souvent après l’endiguement des salans on n’a pas d’eau pluviale ou torrentielle à portée pour faire cette opération. Alors on a encore le choix entre deux des méthodes analogues. La première consiste à diviser la surface en petits carrés par de petits fossés ou de forts sillons de charrue, dont les déblais retiennent l’eau pluviale et l’obligent à séjourner à l’endroit même où elle est tombée. Elle y fait croître peu-à-peu des végétaux qui à la longue forment une couche d’humus superposée au salant susceptible de donner d’abondantes récoltes. Par la seconde on cultive la terre à grosses glèbes, qu’on laisse ainsi sans les briser pour faciliter le lavage de la couche superficielle où doit s’établir la culture ; on ne permet jamais à la terre de se tasser, tant qu’elle n’est pas couverte par une végétation suffisante ; car le soleil, en pompant l’humidité supérieure, ferait remonter avec l’eau, par l’effet de l’attraction capillaire, les sels qu’on s’était efforcé de faire descendre par l’infiltration de l’eau fluviale à travers la terre ameublie.

Les plantes cultivées ou non, qui croissent dans les salans, donnent des produits moins abondans, mais de bien meilleure qualité que ceux des autres natures de terrains. Les animaux qui s’y nourrissent (tels que les moutons de prés salés) y sont de bien meilleur goût, la race ovine n’y est pas sujette à la pourriture, elle est plus robuste, sa laine est plus nerveuse.

Je devrais peut-être parler ici de la culture de quelques plantes particulières aux terrains salés, les Salicornia, les Salsola, etc. ; mais la valeur de ces produits est descendue si bas depuis qu’on fabrique de la soude avec le sel marin, qu’on ne peut conseiller de les ensemencer, quoique ce soit le genre de plante qui s’accommode le mieux de la salure du sol.

Nous avons déjà parlé du tamarix ; on ne saurait trop multiplier les arbres de cette espèce ; ils amendent peu-à-peu le sol, donnent un combustible d’autant plus précieux que ce sont les seuls qui y croissent, et leurs cendres contiennent une telle quantité de sulfate de soude et autres sels, qu’on les lessiverait avec avantage si l’on en brûlait une assez grande quantité. D’ailleurs, il suffit, pour avoir un tamarin, d’enfoncer en terre, en temps opportun, une cheville de ce bois.

Les parties indesséchables peuvent devenir de bonnes pêcheries si on leur a ménagé une communication facile avec un fleuve ou avec la mer. Dans le premier cas, elles sont en même temps converties en excellentes roselières, dans le second on pourrait essayer avec profit d’y nourrir des huîtres et autres testacés. Mais il serait plus profitable d’y faire des salines si la nature du sol le comportait et si l’on avait un débouché assuré pour le sel.

Il a été question dans le chap. des amendemens des tangues ou alluvions des bords de la mer (Tome 1er , page 76). On a vu que sur les côtes de l’ouest, ou il y a beaucoup de lais de mer de cette nature, elles sont d’une prodigieuse fertilité, et qu’on transporte avec succès cette substance pour l’amendement des terres voisines

Conclusion.

J’ai dû abréger ce chapitre, parce que le temps et l’espace me manquaient. Il n’est pas de paragraphe qui n’eût comporté de plus longs développemens, et cependant j’ai omis plusieurs objets importans qui eussent pu faire la matière d’autres paragraphes : tels que les précautions sanitaires à prendre pendant et après l’opération du desséchement ; la manière d’attirer la population nécessaire à la culture des terrains desséchés ; la division en fermes, la colonisation, l’amodiation, et enfin les ventes pour réaliser des bénéfices. La plupart de ces sujets seront traités dans le livre consacré à l’Administration rurale.

Je crois cependant m’être assez étendu pour engager les bons esprits à étudier à fond cette matière, et pour montrer aux personnes prévenues contre les travaux de desséchement, qu’il est peu d’entreprises présentant autant de chances de succès à ceux qui savent les diriger convenablement, puisqu’il n’est point de terrain submergé, si mauvais qu’il soit, desséchable ou non, dont l’industrie éclairée d’un habile entrepreneur ne puisse tirer des produits importans ; encore n’ai-je fouillé qu’avec réserve dans mes notes, et surtout dans celles que j’ai recueillies pour le Voyage en Hollande que je me propose de publier. Baron de Rivière.

Section v. — Des calculs qui doivent précéder les opérations agricoles.

Quelle que soit l’étendue des opérations auxquelles on se livre pour améliorer l’état des terres et les rendre cultivables, qu’on les limite à des portions restreintes de ses propriétés, ou qu’on en fasse l’objet de vastes entreprises, il est très-essentiel, avant de s’y engager, d’en calculer approximativement les résultats, afin de constater d’abord si l’opération sera définitivement profitable, et ensuite de s’assurer de la somme nécessaire pour la mener à bonne fin.

D’accord en cela avec la marche tracée par la loi du 16 septembre 1807, qui régit cette matière pour les entreprises faites sur les terrains qui sont la propriété d’autrui, nous dirons que la première chose à faire est de fixer exactement la valeur du sol avant l’opération : la cote des contributions, l’estimation cadastrale, l’enquête faite auprès des habitans du lieu, l’examen du sol et de ses produits, permettront d’assigner sa véritable valeur à chaque parcelle dont l’état doit être modifié par suite de l’opération projetée.

Lorsqu’on n’est pas propriétaire et maître du terrain, cette estimation primitive, base des opérations, doit être rendue publique avec le plan parcellaire et les projets d’exécution, afin d’être contrôlée et contestée, s’il y a lieu, par les intéressés, et enfin arrêtée après cet examen par des experts. Dans le cas contraire elle n’est pas moins indispensable, puisque c’est elle qui doit décider l’exécution ou l’abandon de l’entreprise.

Le 2e  point à considérer est le montant des dépenses de l’opération, ce qui suppose l’exacte connaissance des travaux à exécuter, et par conséquent un plan préliminaire bien arrêté et un devis détaillé de ces travaux. Il a déjà été dit que, relativement aux travaux d’art, il est le plus souvent nécessaire, pour ces plans et devis, comme pour la surveillance de l’exécution, d’avoir recours aux ingénieurs et architectes. Presque tous les autres travaux se résolvent en main d’œuvre, qu’il est assez facile de calculer à l’avance. Ainsi, lorsqu’on a déterminé si un défrichement s’opérera à bras d’hommes ou à la charrue, et qu’on s’est bien rendu compte des obstacles ; lorsque dans un écobuage on a fixé l’épaisseur des couches de gazon à enlever, la forme des fours à incinérer, etc. ; quand, pour un endiguement ou un desséchement, on sait quels canaux, quels fossés ouverts ou couverts, quels sondages il faut ouvrir, ou bien à quelle élévation, à quelle distance il faut conduire les eaux affluentes ou surabondantes, etc., on doit, avant de mettre la main à l’œuvre, réduire toutes ces opérations en journées de travail, et, d’après le prix de cette journée dans le pays, calculer la somme totale qu’il faudra débourser pour terminer l’opération. Au moyen de quelques mesures ou même d’opérations partielles faites çà et là à titre d’essais, il sera facile de trouver le cube des terres à déblayer ou remblayer, et de mesurer également chacune des autres opérations ; on pourra dès-lors les adjuger à de sous-entrepreneurs ou à des maîtres ouvriers, moyennant un prix à forfait ou par tâches à tant du mètre cube, ou du mètre courant, modes qui sont ordinairement très-préférables à l’emploi d’ouvriers à la journée. En raison des difficultés du travail, on sait bien ce que peut faire par jour un ouvrier ordinaire : on calcule d’après cela combien il faudra de journées pour l’exécution de tous les travaux, et l’on a ainsi le montant total des dépenses.

La facilité ou la difficulté de ces opérations, le nombre d’ouvriers dont on peut disposer, et diverses autres considérations, règlent la durée du temps dans lequel on présume pouvoir achever l’entreprise. Ce temps, qu’il est en soi-même intéressant de connaître, importe aussi pour le calcul des dépenses ; car on ne peut négliger, dans ces opérations qui ont souvent une longue durée, de tenir compte des intérêts des capitaux employés à l’exécution des travaux des premières années, et même quelquefois des travaux préliminaires. — On pourra souvent d’un autre côté en défalquer, ou porter en ligne de compte, les recettes présumées à provenir des produits qu’on pourra obtenir des terrains soumis les premiers à l’amélioration projetée.

Lorsqu’on a les connaissances agricoles nécessaires, on jugera fort bien d’avance quels seront sur le terrain les effets de l’opération, et à quelles cultures productives il sera devenu propre après leur achèvement. On fixera d’après cela quelle valeur nouvelle sera donnée au sol, et on verra si cette nouvelle valeur est supérieure à la valeur primitive du sol, augmentée du coût de tous les travaux, des intérêts des capitaux, en un mot des frais de tout genre de l’opération, et enfin d’un légitime bénéfice, sans l’espérance duquel il serait imprudent de tenter une entreprise quelconque. — L’estimation des terrains avant et après l’opération, détermine donc la plus-value définitive qui est le résultat des travaux entrepris. C’est cette plus-value dont le partage entre les propriétaires du sol et les entrepreneurs est fixé dans l’acte de concession pour les opérations dans lesquelles intervient l’autorité publique ; c’est pour la débattre que les uns et les autres sont presque toujours en désaccord, et que chacun, dans l’espoir de faire prévaloir ses prétentions, engage souvent des procès qui causent la ruine des meilleures entreprises. C’est pour cette raison que les entrepreneurs de ces grands et utiles travaux reculent quelquefois devant ceux qui doivent être les plus fructueux, lorsqu’ils ne peuvent pas, par des transactions préliminaires, statuer d’avance et invariablement sur les droits et les prétentions de tous les intéressés, de manière à éviter les embarras, les ennuis et les pertes que des contestations sans nombre viennent souvent leur apporter en récompense de leurs soins et de leurs risques.

Quoi qu’il en soit, faisons remarquer, particulièrement, pour les propriétaires qui exécutent les opérations d’amélioration qui nous occupent, sur leur propre terrain, que, pour bien apprécier la plus-value d’un terrain amélioré, il ne faut pas seulement considérer sa valeur vénale nouvelle après l’opération, valeur qui souvent, par suite des préjugés ou de l’ignorance des habitans, par suite de l’étendue des terrains améliorés et du défaut d’acheteurs, serait fort peu considérable ; mais qu’il faut prendre en principale considération la capacité acquise au sol pour des cultures productives. — D’où l’on voit que dans les grandes entreprises de ce genre, la mise en culture est une conséquence presque toujours nécessaire de l’opération qui a pour but de rendre les terrains cultivables, et que sans elle le succès définitif pourrait souvent être gravement compromis.

Ici se présente donc une nouvelle série de calculs purement agricoles, dont les résultats devront aussi puissamment influer sur la détermination à prendre pour entreprendre une opération de ce genre. Quels produits le sol pourra-t-il donner, et quels travaux seront nécessaires pour les obtenir ? par quelles mains l’exploitation pourra-t-elle en être faite ? quels débouchés trouveront ces produits souvent nouveaux dans la contrée où l’on va les faire naître ? quelle sera leur valeur en raison de ces circonstances et des moyens de transport ? Toutes ces questions et beaucoup d’autres, lorsqu’on leur aura d’avance préparé des solutions, feront juger si l’amélioration projetée, profitable dans tel lieu et telles circonstances, ne peut pas être nulle ou onéreuse dans la position où l’on se trouve placé, et par conséquent elles la feront embrasser avec ardeur ou rejeter pour des temps où les circonstances seront devenues plus favorables.
C. B. de M.

  1. Des colonies agricoles et de leurs avantages. Un vol. in-8o, 1832, Chez Mme  Huzard.
  2. Cette méthode décrite ici pour la combustion des terres dépouillées de végétation dont nous nous occuperons plus spécialement dans la section suivante, est cependant applicable et souvent appliquée aux brûlis des plaques engazonnées. C’est sous ce point de vue que je la reproduis ici.
  3. Les traités de Guglielmini, Natura de’fiumi ; de Zendrini, Leggie e fenomeni dell’acque correnti ; de Fossombroni, Memorie idraulico-storico sopra la Val-di-Chiana, etc.
  4. On peut consulter, pour de plus amples détails sur les desséchemens qu’on vient de citer, ce qui est dit dans notre ouvrage sur les canaux navigables, publié en 1822, in-4o  de 600 pages, accompagné d’un atlas, chez Mme Huzard.
  5. Voir, pour plus de développement, l’ouvrage de M. de Prony, sur les marais Pontins ; l’extrait qui en a été fait par M. Navier dans les Annales de physique et de chimie, tome xi, an 1819 ; et le chapitre viii des canaux de dessèchement, tome [illisible] des Principes hydrauliques, par Dubuat
  6. Voir, pour le moyen d’exécution des mesures convenables et nécessaires, ce qui en est dit à ce sujet dans l’ouvrage sur les Colonies agricoles et leurs avantages, etc., par M. Huerne de Pommeuse, ouvrage que la Société centrale d’agriculture a fait publier à ses frais et que l’Académie française a fait participer au prix fondé par M. de Monthion pour l’ouvrage le plus utile aux moeurs. (In-8o  de 900 pages, chez Mme  Huzard.)
  7. M. de Fellenberg avait à lutter contre les eaux, qui nuisaient à sa culture. Pour y remédier, il creusa une grande galerie à l’effet de rassembler toutes les eaux pour les faire servir à l’irrigation des prés. La longueur de cette galerie est de plus de trois cents mètres. Sans cette galerie, M. de Fellenberg n’aurait pu exploiter sa propriété avec le succès qui lui a acquis une si haute réputation. En été, elle était noyée presque entièrement par les fontes de neige des montagnes de Gromval. Cette propriété, située à deux lieues et demie de Berne, est sur un monticule environné d’autres monticules qui sont au pied de hautes montagnes couvertes de neiges et de glaciers toute l’année. (Note de M. Tessier.)
  8. On trouvera des sondes de fontainier-sondeur chez M. Degousée, ingénieur civil, rue de Chabrol, no 13 ; et M. Mullot, serrurier-mécanicien à Épinay, près Saint-Denis.
  9. Entreprise de sondages et fabrication de sondes, de J. Dégousée. Broch. in-8o et 3 planch. À Paris, rue de Chabrol, no 13.
  10. « Un étang brouilleux de 6 hectares et demi peut nourrir parfaitement 40 têtes de gros bétail depuis le commencement du printemps jusqu’au milieu du mois de mai, et depuis la fin d’août jusqu’aux premiers froids. Au milieu de l’été les feuilles continuent à tapisser la surface des eaux, mais le bétail a cessé d’en être avide » (Statistique de l’Ain, p. 536.)
  11. J’ai cité de préférence les marais de Bourgoin parce que la compagnie qui les a desséchés, faute d’avoir suffisamment connu les moyens de tirer parti des tourbes, a fait d’énormes pertes, tandis qu’elle aurait pu faire des bénéfices convenables. Du reste, elle a fait la fortune de toutes les communes environnantes en les assainissant.