Mahatma Gandhi/Chapitre 2

Stock (p. 70-107).


II

Le 28 juillet 1920, Gandhi annonce à l’Inde que la Non-coopération sera proclamée le 1er août ; et il prescrit, pour la veille, 31 juillet, un Hartal solennel de préparation par le jeûne et les prières. Il ne craint rien de la fureur du gouvernement. Davantage, il redoute la fureur populaire ; et il prend des dispositions pour que l’ordre et la discipline règnent dans les rangs indiens.

« La Non-coopération complète veut une organisation complète. Le désordre vient de la colère. Il faut une absence totale de violence. Toute violence serait un recul pour la cause et un gaspillage inutile de vies innocentes. Avant tout, que l’ordre soit observé ! »

La tactique de la Non-coopération avait été établie, dans les deux mois précédents, par Gandhi et son comité de la N.-C. On avait décrété :

1° L’abandon de tous les titres et fonctions honorifiques ;

2° La non-participation aux emprunts du gouvernement ;

3° La grève des tribunaux et des hommes de loi ; l’arrangement des litiges par arbitrages privés ;

4° Le boycott des écoles du gouvernement par les étudiants et les familles ;

5° Le boycott des Conseils de Réformes constitutionnelles ;

6° La non-participation aux réceptions du gouvernement et à toutes fonctions officielles ;

7° Le refus de tout poste civil et militaire ;

8° La propagation du Swadeshi[1] : c’est-à-dire, après la partie négative du programme, la partie reconstructrice, l’ordre nouveau, sur lequel devait se fonder l’Inde nouvelle. Nous y reviendrons plus loin.

Ce n’était encore qu’une première étape ; et l’on remarquera la prudente sagesse — bien étonnante pour des révolutionnaires européens — de cet homme qui met en branle l’énorme machine de la Révolte hindoue, et qui la retient suspendue, d’abord, au premier cran. Il ne s’agit pas ici de Désobéissance civile. Gandhi connaît celle-ci. Il l’a étudiée chez Thoreau, qu’il cite dans ses articles, et il a grand soin de la distinguer de la Non-coopération. La désobéissance civile est plus qu’un refus d’obéissance, elle est une violation des lois. « Elle est une infraction, qui ne peut être pratiquée avec succès que par une élite, au lieu que la Non-coopération peut et doit être un mouvement de masse. » Gandhi veut préparer le peuple de l’Inde à la Désobéissance, mais graduellement ; il le sait insuffisamment prêt et ne veut point lui lâcher la bride, avant d’être certain que le peuple a conquis sa possession de soi. Dans ce premier programme de Non-coopération, il n’est même pas question du refus des impôts. Gandhi attend l’heure.

Le 1er août 1920, il donne le signal du mouvement, par une lettre fameuse au vice-roi. Il lui renvoie ses décorations et ses titres d’honneur.

« Ce n’est pas sans chagrin, dit-il, que je renvoie la médaille d’or Kaisar-i-Hind, pour ma tâche humanitaire dans le Sud-Afrique, la médaille de guerre Zoulou, pour mes services comme officier d’un corps d’ambulanciers volontaires hindous en 1906, la médaille de guerre Boer, pour mes services comme aide-surintendant du corps des brancardiers indiens en 1899-1900… » Mais, continue-t-il, après avoir rappelé les événements du Punjab et ceux qui ont motivé le mouvement Khilafat, « je ne puis conserver ni respect ni affection pour un gouvernement entaché de cette immoralité et de ces injustices… Il faut l’amener au repentir… J’ai suggéré la Non-coopération, qui permet de se dissocier du gouvernement et de le contraindre, sans violence. » Et Gandhi exprime l’espoir que le vice-roi réparera l’iniquité, en consultant les chefs reconnus du peuple.

L’exemple de Gandhi fut suivi sur-le-champ. De nombreux magistrats donnèrent leur démission. Des milliers d’étudiants furent retirés des collèges[2]. Les tribunaux perdirent leur prestige. Les écoles se vidèrent. Le Congrès de toute l’Inde, réuni en session spéciale, à Calcutta, avait dès le commencement de septembre, sanctionné les décisions de Gandhi, à une forte majorité. Gandhi et son ami Maulana Shaukat Ali parcoururent le pays, au milieu des acclamations.

Jamais Gandhi ne se révéla plus maître des millions d’hommes qu’en cette première année d’action. Il lui fallait brider la violence, qui ne demandait qu’à se ruer. Surtout, la violence anarchique de la populace lui faisait horreur. Il n’a pas d’expressions assez dures pour flétrir la « Mobocratie »[3], qui lui paraît le pire danger de l’Inde. Il déteste la guerre, mais il la préfère encore au déchaînement de Caliban. — « Si l’Inde recourt à la violence, que ce soit à la violence disciplinée, à la guerre l En aucun cas, la populace ![4] » Il se défie même des démonstrations joyeuses et tapageuses, mais confuses, d’où l’on ne sait jamais s’il n’en sortira point la frénésie et des actes sans nom. « Il faut faire surgir l’ordre de ce chaos. Il faut substituer à la populace la loi du peuple. » Et ce mystique aux yeux précis, dont le robuste sens pratique n’est pas inférieur à celui de nos grands mystiques Européens, organisateurs d’Ordres et dominateurs d’âmes, donne des règles minutieuses pour canaliser le torrent des manifestations populaires.

« Notre faute grave, dit-il, est d’avoir négligé la musique. La musique signifie le rythme et l’ordre. Malheureusement, elle est restée dans l’Inde l’apanage d’un petit nombre. Elle n’a jamais été nationalisée… Il faudrait faire chanter par des groupes des chants nationaux. Que de grands musiciens assistent à tous les Congrès et enseignent la musique de masses ! Rien de plus facile que de dresser la populace qui n’a pas de volonté suivie… »

Suit une liste de prescriptions :

1° Ne pas accepter, dans les grandes manifestations, de volontaires novices. Placer en tête les plus éprouvés ; 2° remettre à chaque volontaire un livret général d’instructions ; 3° convenir de sifflets d’appel entre volontaires ; 4° imposer à la foule l’obéissance aux volontaires, sans discussion ; 5° fixer les cris nationaux et les moments précis où ils doivent être poussés ; ne tolérer aucune infraction à la règle ; 6° obliger la foule à faire la haie sur les routes, de façon à ne pas bloquer le passage des voitures ; lui interdire l’entrée des gares ; ne pas permettre qu’elle amène de petits enfants dans les attroupements… etc.

Bref, Gandhi se fait le chef d’orchestre de ces océans d’hommes.

« La plus rude tâche pour la nation est de discipliner ses manifestations. »[5]

La foule ne veut la violence que par intermittences ; ou plutôt, elle ne sait ce qu’elle veut, elle s’abandonne à de brusques poussées, des élans contradictoires. Mais une partie de l’élite hindoue veut délibérément la violence ; elle ne comprend pas la pensée de Gandhi, ni surtout son efficacité politique. Gandhi reçoit des lettres anonymes, qui le prient de ne pas s’opposer à la violence, ou qui — (suprême affront !) — expriment la cynique croyance que ses paroles ne sont qu’une feinte pour tromper l’ennemi, et qui le pressent de donner le signal du combat. Gandhi répond vivement. Il a des discussions passionnées. En de très beaux articles, il combat « la doctrine du glaive »[6]. Il conteste que les Écritures hindoues et le Coran aient prescrit la violence. La violence n’est le Credo d’aucune religion. Jésus est le prince de la résistance passive. La Bhagavad-Gîtâ n’enseigne pas la violence, mais l’accomplissement du devoir, au péril de sa vie[7]. « L’homme ne possède pas le pouvoir de créer ; il ne possède donc pas le droit de détruire… » Il faut aimer même celui qui fait le mal : ce qui ne veut pas dire qu’on tolère le mal. Gandhi soignerait le général Dyer, s’il était malade. Mais si son propre fils vivait une vie de honte, « mon amour exigerait, écrit-il, que je lui retire mon soutien, quand même cela signifierait sa mort ». On n’a pas le droit de contraindre le méchant par la force. Mais on a le devoir de lui résister, en se séparant de lui, quoi qu’il en coûte. Et quand l’ennemi se repent, il faut lui ouvrir les bras[8].

Dans le même temps qu’il refrène les violents, il stimule les hésitants. Il rassure ceux qui reculent devant l’action directe :

« Rien n’a été fait sur terre sans action directe. J’ai rejeté les mots : résistance passive, pour leur insuffisance… C’est l’action directe qui, dans le Sud-Afrique, a converti le général Smuts… Quelle est la plus grande symbiose qu’aient réalisée Christ et Buddha ? Celle de la force et de la douceur. Buddha a porté la guerre dans le camp ennemi, il a fait s’agenouiller une prêtrise arrogante. Christ a chassé les marchands du temple, il a flagellé les hypocrites et les pharisiens. C’est de l’action directe la plus intense… Et en même temps, derrière leurs actes, une douceur infinie…[9]

Il fait aussi appel au cœur et à la raison des Anglais[10]. Il les nomme ses « chers amis » ; il leur rappelle qu’il a été pendant trente ans leur fidèle compagnon ; il leur demande de faire justice des perfidies de leur gouvernement. « La traîtrise de celui-ci a brisé ma foi en lui. Mais je crois encore à la bravoure anglaise. L’Inde ne peut vous opposer maintenant que la bravoure morale. La Non-coopération est le sacrifice de soi-même. Je veux vous conquérir par mes souffrances… »

Sa campagne de quatre à cinq mois n’eut pas seulement pour objet de paralyser le gouvernement anglais par la Non-acceptation, mais d’organiser une Inde nouvelle, capable de se suffire à elle-même et de se créer, matériellement et moralement une activité indépendante. Le premier point était de lui assurer l’indépendance économique. C’est ce que Gandhi appelle le Swadeshi. (Ou plutôt, c’est parmi les divers sens du mot, le plus immédiat et le plus pratique).

Évidemment, il fallait que l’Inde apprît à se priver de beaucoup de satisfactions matérielles, qu’elle acceptât sans plaintes bien des incommodités. Salubre discipline. Hygiène nécessaire. La santé de la race y trouverait son avantage, autant que la loi morale. Il fallait, avant tout, arracher de l’Inde « la malédiction de la boisson », former des groupes de tempérance, boycotter les vins, décider les vendeurs à renoncer à leurs patentes[11]. L’Inde comprit l’appel du Mahatma. Une vague de tempérance passa sur le pays ; et il fallut que Gandhi s’interposât, pour empêcher que la foule ne fermât de force et ne saccageât les magasins. Car « il n’est pas permis de rendre les gens purs, par force ».

Mais s’il était relativement facile de renoncer au fléau de la boisson, il était autrement grave d’assurer à l’Inde les moyens de subsistance. Comment se nourrirait-elle ? Comment se vêtirait-elle, une fois rejetés les produits européens ? La recette de Gandhi est d’une simplicité extrême, où s’accusent les tendances médiévales de son esprit : il veut qu’on rétablisse dans toutes les familles de l’Inde la vieille industrie domestique du Rouet (charkâ).

On a pu tourner en dérision cette solution patriarcale de la question sociale[12]. Mais il faut tâcher de comprendre les conditions spéciales de l’Inde, et le sens exact que Gandhi donne à la charkâ. Il n’a jamais prétendu que le filage fût un moyen suffisant de vivre, sauf pour les très pauvres, mais une industrie auxiliaire de l’agriculture, quand celle-ci est suspendue. Le problème n’est pas théorique ; il est poignant et urgent : 80% de la population de l’Inde sont agricoles et n’ont pas d’occupations pendant quatre mois de l’année. Un dixième de la population est normalement affamé. La classe moyenne est sous-nourrie. L’Angleterre n’a rien fait pour améliorer cet état ; elle l’a considérablement aggravé. Les Compagnies anglaises ont ruiné les industries locales, pompé les ressources de l’Inde, et lui sucent annuellement près de quarante millions de livres sterling[13]. L’Inde, qui produit tout le coton dont elle a besoin, en exporte des millions de balles au Japon et au Lancashire, d’où il lui revient sous la forme de calicot manufacturé. De toute évidence, il faut qu’elle apprenne à se passer des services ruineux de l’étranger, et qu’elle organise au plus vite ses propres ateliers ; il faut qu’au plus vite elle trouve quelque moyen de fournir à chacun travail et subsistance. Or, il n’en est pas de plus prompt et de plus économique que l’industrie de chaumière, la vieille industrie hindoue, le filage et tissage. Il ne s’agit pas de mettre au tissage les travailleurs agricoles occupés et gagnant bien, mais d’une part les chômeurs et flâneurs, de l’autre les femmes et les enfants, enfin tous les Hindous à leurs heures de loisirs. Gandhi prescrit donc : 1° de boycotter le tissu étranger ; 2° de restaurer et répandre l’enseignement, très facile, du filage ; 3° de s’engager à ne plus porter que les étoffes ainsi filées et tissées. Il se voue à cette propagande, avec une ardeur inlassable. Il veut que filer soit un devoir pour l’Inde entière[14], qu’on l’apprenne à l’école, que les enfants pauvres paient leur éducation en heures de rouet, que chacun, homme ou femme, y consacre une heure de bienfaisance par jour. Il entre dans les détails les plus précis, donne des indications techniques sur le coton, le fil, les diverses opérations de tissage, des conseils pratiques aux tisserands, aux acheteurs, aux pères de famille, aux écoliers ; montre, chiffres en main, comment, avec un petit capital, on peut en montant une boutique de Swadeshi (de produits du travail indien) réaliser des profits de 10%, etc. Il devient lyrique, lorsqu’il célèbre « la musique du rouet »[15], la plus antique de l’Inde, celle dont se délectaient Kabir, le poète tisserand, et Aureng-Zeb, le grand empereur qui fabriquait lui-même ses bonnets… Il réussit à enflammer l’opinion. À Bombay, les dames de grande famille se mettent au rouet. Hindoues et musulmanes font vœu de ne plus porter d’autre étoffe que les tissus nationaux. La mode s’enthousiasme pour le Khaddar ou Khadi, dont Rabindranath Tagore lui-même reconnaît le bon goût. Les commandes affluent ; il en vient jusque du Beloutchistan et d’Aden.

L’enthousiasme alla un peu loin, quand il s’agit de boycotter les tissus étrangers ; et Gandhi lui-même, si maître de lui à l’ordinaire, paraît avoir perdu la mesure. Il ordonna de les brûler, comme un emblème d’esclavage ; et l’on vit à Bombay, en août 1921, comme au temps de Savonarole, Christo regnante, sur la Place de la Seigneurie, des bûchers de splendides étoffes de famille, consumées par le feu, au milieu d’une joie tumultueuse. Un des plus généreux esprits anglais de l’Inde, C.-F. Andrews, ami de Tagore, écrivit à Gandhi, qu’il admirait, une lettre pathétique, déplorant qu’on brûlât ces étoffes au lieu de les donner aux pauvres, et qu’on fît appel aux mauvais instincts de race. Il s’élève contre ce nationalisme, qui est une forme de la violence ; il ne peut supporter qu’on fasse de la destruction une sorte de religion : détruire le fruit du travail est un crime. Andrews, qui avait d’abord épousé les réformes de Gandhi, au point de porter le Khaddar, hésite maintenant à le garder : la vue de ces bûchers l’a blessé dans sa foi en le Mahâtmâ. Mais Gandhi, qui publie sa lettre et y répond affectueusement, touché de cette effusion d’un cœur angoissé, déclare qu’il ne regrette rien. Il n’a aucun sentiment hostile pour quelque race que ce soit, et il ne demande pas la destruction de tous les objets étrangers, mais de ceux dont la malfaisance s’est manifestée. Des millions d’indiens ont été ruinés par les manufactures anglaises ; beaucoup sont tombés au rang de parias, ou de soldats mercenaires, et leurs femmes de prostituées. On ne peut sans péché porter ces étoffes criminelles. L’Inde n’est que trop portée à haïr ses exploiteurs anglais. Gandhi détourne sa rancune et la transfère des hommes sur les choses. Les coupables ne sont pas seulement les Anglais qui ont vendu ces tissus, mais les Indiens qui les ont achetés. On brûle, non par haine, mais par repentir. C’est une opération chirurgicale nécessaire. Et il serait inconvenant de donner ces étoffes souillées aux pauvres, qui ont, eux aussi, leur honneur.

Libérer la vie matérielle de l’asservissement étranger ne serait rien encore. Il faut libérer l’esprit. Gandhi voulut que son pays secouât le joug de la culture européenne ; et un de ses plus fiers efforts fut de jeter les bases d’une éducation vraiment indienne.

Déjà existaient quelques universités et collèges, où s’étaient conservés, sous la tutelle anglaise, des tisons de l’ancienne culture asiatique. Aligarh était depuis quarante-cinq ans une université musulmane, centre de la culture islamique dans l’Inde. Le collège de Khalsa était le centre de la culture Sikh. Les Hindous avaient l’université de Bénarès. Mais ces institutions scolastiques un peu arriérées étaient soumises au gouvernement, qui les subventionnait. Gandhi aurait voulu les détruire, pour y substituer des foyers plus purs. En novembre 1920, il inaugura l’Université nationale du Gujerat, à Ahmedabad. Elle s’inspirait des idéals d’une Inde unie. Ses deux piliers religieux étaient le Dharma des Hindous et l’Islam des Mahométans. Elle prétendait sauver les dialectes de l’Inde et en faire les sources de régénération nationale. Gandhi considère, à juste raison[16] — et nous pouvons faire notre profit de ses paroles — « qu’une étude systématique des cultures asiatiques n’est pas moins essentielle à une éducation complète que l’étude des sciences d’Occident. Les vastes trésors du sanscrit et de l’arabe, du persan, du pâli et du magadhi, doivent être explorés, afin que l’on retrouve les secrets de la force nationale ». Mais il n’est pas question de répéter ce qui fut dit ou fait, aux temps écoulés. « Il faut fonder une culture nouvelle sur celles du passé, enrichies par l’expérience des siècles. Elle doit être la synthèse des civilisations différentes, qui ont agi sur l’Inde et subi l’esprit du sol. Cette synthèse ne sera point effectuée sur le modèle américain, où une culture dominante absorbe et écrase tout le reste. Chaque culture aura sa place légitime. Le but est harmonie, et non unité factice par la force. » Tous les étudiants auront à connaître toutes les religions indiennes. Les hindous se familiariseront avec le Coran, et les musulmans avec les Shâstras. L’Université nationale n’exclut rien que l’esprit d’exclusion. Dans l’humanité entière, elle n’admet point d’ « intouchables ». L’hindoustani sera obligatoire, car il est le vrai dialecte national, mélangé de sanscrit, de hindi, et de urdu persianisé[17].

Les intellectuels recevront l’éducation professionnelle, et les autres l’éducation littéraire. Ainsi s’atténueront les différences de classes. L’esprit d’indépendance sera entretenu non seulement par l’étude, mais par une éducation que Gandhi nomme « vocationnelle »[18]. À l’encontre de l’éducation européenne qui déprécie le travail manuel en ne développant que le cerveau, Gandhi veut que le travail manuel soit introduit à l’école, dès les classes enfantines. Il est bon que l’enfant paye lui-même en travail de filage son enseignement, afin qu’il apprenne sans retard à gagner sa vie et son indépendance. Quant à l’éducation du cœur, que l’Europe néglige complètement, elle est toute à fonder. Et, avant de former les élèves, il faut former les éducateurs.

C’est l’objet d’instituts supérieurs, dont il semble que Gandhi rêve de faire la clef de voûte de l’éducation nouvelle, — bien plus qu’écoles, véritables couvents où se concentre, pour être ensuite propagé, le feu sacré de l’Inde, — ainsi que les grands monastères des Bénédictins d’Occident, religieux pionniers de la terre et de l’âme.

Nous possédons les règlements que Gandhi établit pour la maison Satyâgraha Ashram[19], à Ahmedabad, sa fille préférée. Ils concernent beaucoup plus les maîtres que les élèves, et ils lient les premiers par des vœux monastiques. Mais au lieu que, dans les couvents ordinaires, ces vœux, avec le temps, ne gardent plus qu’un caractère de discipline négative, ils sont ici palpitants de l’esprit de sacrifice et de pur amour qui anime les saints. Les directeurs sont tenus aux observances qui suivent :

Le vœu de Vérité. — Il ne suffit pas de ne pas mentir. « Aucun mensonge ne doit être employé, même pour le bien du pays. » La vérité peut exiger l’opposition aux parents et aux aînés.

Le vœu de « Ahimsâ » (Non-tuer). — Il ne suffit pas de ne pas prendre la vie d’un autre être. Il ne faut pas blesser même ceux qu’on croit être injustes. On ne doit jamais être irrité contre eux ; il faut les aimer. S’opposer à la tyrannie, mais ne point faire de mal au tyran. Le vaincre par l’amour. Lui refuser l’obéissance, jusqu’à la mort.

Le vœu de Célibat, sans lequel il est presque impossible d’observer les deux précédents. — Il ne suffit pas d’éviter la concupiscence. Il faut toujours contrôler ses passions animales, même dans sa pensée. Si l’on est marié, on doit regarder sa femme comme une amie pour la vie, et garder avec elle des relations de pureté parfaite.

4° « Le contrôle du palais ». — Il faut régler et purifier son régime. Abandonner graduellement les aliments qui ne sont pas nécessaires.

Le vœu de Non-voler. — Il ne s’agit pas seulement de la propriété des autres. « C’est un vol d’employer des objets, dont nous n’avons pas réellement besoin. » La nature fournit, de jour en jour, juste assez et pas plus pour nos besoins quotidiens.

Le vœu de Non-possession. — Il ne suffit pas de ne pas posséder. Il ne faut rien garder que d’absolument nécessaire pour nos besoins corporels. Éliminer constamment le trop. Simplifier la vie.

Deux observances « subsidiaires » s’ajoutent à ces vœux essentiels :

Le Swadeshi. — Ne pas employer d’objets pour lesquels il y ait une possibilité de tromperie. Cette prescription entraîne l’interdiction des objets manufacturés au dehors. Car ils sont le produit de la misère exploitée et des souffrances du peuple ouvrier d’Europe. Les marchandises étrangères sont donc « tabou » pour un disciple de l’Ahimsâ. D’où la nécessité de vêtements simples, faits dans le pays.

L’absence de crainte. — Car celui qui craint ne peut suivre les préceptes précédents. Il faut être libre de la peur des rois, des peuples, de la famille, des hommes et des bêtes féroces, de la mort. Un homme sans peur se défend par la « force de vérité » ou « force d’âme ».

Une fois bâtis les caractères sur cette armature de fer, Gandhi passe rapidement sur les autres prescriptions éducatives, dont les deux plus frappantes sont celles-ci : les maîtres doivent donner l’exemple du travail corporel (de préférence, du travail de la terre) ; et ils doivent apprendre les principales langues de l’Inde.

Quant aux enfants, une fois entrés à l’Ashram — et on peut les y mettre dès l’âge de quatre ans[20] — ils sont liés eux aussi jusqu’à leur sortie — (et le cycle des études dure environ dix ans). Ils sont séparés de leurs familles. Les parents renoncent à tout contrôle. Les enfants ne visitent pas les parents. Ils ont des vêtements simples, une nourriture simple, strictement végétarienne, pas de jours de congé au sens habituel, mais un jour et demi par semaine laissé au travail personnel, et trois mois par an consacrés au voyage à pied à travers l’Inde. Le hindi et un dialecte dravidien sont obligatoires pour tous. Ils doivent de plus apprendre l’anglais comme deuxième langue, et les caractères de cinq langues indiennes (urdu, bengali, tamil, telugu et devanagari). On leur enseigne, dans leurs dialectes propres, l’histoire, la géographie, les mathématiques, les sciences économiques, et le sanscrit. Parallèlement, ils pratiquent l’agriculture et le tissage à la main. Il va sans dire qu’un esprit religieux enveloppe tout l’enseignement. Quand les études sont à leur fin, les jeunes gens ont le choix : prendre les vœux comme leurs aînés, ou se retirer. Tout l’enseignement est gratuit.

J’ai insisté un peu longuement sur ce programme éducatif, parce qu’il montre la haute spiritualité du mouvement de Gandhi, et que, dans ses intentions, il en est le principal moteur. Pour créer l’Inde nouvelle, il faut créer des âmes nouvelles, des âmes fortes et pures, qui soient vraiment indiennes. Et il faut, pour les créer, former une légion sacrée d’apôtres qui, tels ceux du Christ, soient le sel de la terre. Gandhi n’est pas, comme nos révolutionnaires d’Europe, un fabricant de lois et de décrets. Il est le pétrisseur d’une nouvelle humanité.



Le gouvernement anglais — comme tous les gouvernements en pareil cas — n’avait, naturellement, rien compris à ce qui se passait. Son premier mouvement fut d’ironie supérieure. Le vice-roi, lord Chelmsford, en août 1920, dit que « de toutes les absurdités, celle-là était la plus absurde ». Il fallut bientôt descendre de ces régions de dédain confortable. Assez troublé déjà, mais incertain, le gouvernement publia, le 6 novembre 1920, un communiqué paterne et menaçant, disant qu’il n’avait pas voulu instituer de poursuites criminelles, parce que les promoteurs du mouvement prêchaient l’abstention de violence, mais qu’ordre d’agir était donné contre qui dépasserait les limites posées et pousserait à la violence ou à la désobéissance armée.

Les limites furent vite dépassées, mais par le gouvernement. Le mouvement avait pris une extension inquiétante. Et en décembre 1920, se produisit un événement d’une gravité exceptionnelle. La Non-coopération sans violence n’avait été jusque-là qu’une tactique d’essai, d’un caractère provisoire ; et le gouvernement se flattait de l’espoir que l’Assemblée générale indienne, dans sa session de fin d’année, l’abrogerait. Mais le Congrès national de toute l’Inde, réuni à Nagpur, l’inscrivit, au contraire, dans la Constitution, comme premier article de loi :

Article I. « L’objet du Congrès National est d’atteindre le Swarâj (Home Rule) du peuple de l’Inde, par tous les moyens pacifiques et légitimes. »

Il confirma le vote de Non-coopération qu’avait émis la session spéciale de Calcutta en septembre 1920, et il l’amplifia, soulignant le principe de Non-violence, montrant la nécessité, pour la victoire, d’une harmonie entre les éléments divers du pays, et par conséquent prônant l’unité hindoue-musulmane, bien plus, le rapprochement entre les classes privilégiées et refoulées. Surtout, il introduisit dans la Constitution des changements fondamentaux, qui établirent définitivement le régime représentatif de toutes les parties de l’Inde[21]. Le Congrès ne cachait point que la Non-coopération actuelle n’était encore qu’un premier échelon de la lutte engagée. Il annonçait que le refus complet d’association avec le gouvernement et le refus de paiement des taxes entreraient en vigueur, à un moment qui serait ultérieurement déterminé. En attendant, pour y préparer le pays, on étendait le boycott, on encourageait le tissage indien, on lançait un appel aux étudiants, aux parents, aux magistrats ; on les invitait à pratiquer avec plus de zèle la Non-coopération. Ceux qui refuseraient d’obéir aux prescriptions du Congrès seraient exclus de la vie publique.

C’était l’affirmation d’un État dans l’État, le véritable État de l’Inde en face du Gouvernement britannique. Celui-ci ne pouvait plus rester sans agir. Il fallait traiter, ou combattre. Avec un peu d’esprit conciliant, une entente était encore possible. Le Congrès avait déclaré qu’il atteindrait à son but, « en association avec l’Angleterre, si elle s’y prêtait, sinon sans elle. » Comme toujours dans la politique européenne à l’égard des autres races, la violence l’emporta. On chercha des prétextes. Ils ne manquèrent point.

Malgré la volonté de Non-violence, affermée par Gandhi et par le Congrès, quelques graves désordres, qui n’avaient avec le mouvement de Non-coopération que des rapports assez lointains, se produisirent sur divers points de l’Inde. Dans les Provinces-Unies (Allahabad), il y eut des troubles agraires, des révoltes de tenanciers contre les propriétaires ; et la police y intervint d’une façon sanglante. Puis, le mouvement Akali des Sikhs, d’abord purement religieux, employa les méthodes de la Non-coopération, et aboutit, en février 1921, au massacre de deux cents Sikhs. On ne pouvait, de bonne foi, rendre responsables de ce drame du fanatisme Gandhi et ses disciples. Mais l’occasion était bonne. La répression reprit, au début de mars 1921, avec une violence croissante jusqu’à la fin de l’année. Elle avait choisi, pour entrer en scène, le prétexte des manifestations contre les vendeurs de boissons. Ce n’était pas la première fois que l’alcoolisme et la civilisation européenne marchaient de pair. Le Congrès indien leva le fonds Swaraj-Tilak, montant à dix millions de roupies, pour enrôler dix millions de membres et pour élever le nombre des charkhas à vingt lakhs (2 millions). En août 1921, une résolution fut passée pour effectuer le boycott complet du tissu étranger, le 30 septembre. Le gouvernement y répondit par des mesures violentes. À la fin novembre, une loi fut promulguée contre les meetings séditieux. En diverses provinces, carte blanche fut donnée à la police locale pour écraser le mouvement, qu’on dénomma révolutionnaire et anarchique. Des milliers d’indiens furent arrêtés ; on n’eut aucun égard pour des hommes respectés[22]. Naturellement, ces mesures provoquèrent des émeutes, et çà et là, des combats entre la police et la foule, des meurtres, des incendies.

Le Comité du Congrès de toute l’Inde, réuni à Bezwada, dans la dernière semaine de mars, discuta s’il fallait proclamer la Désobéissance civile. Avec une rare sagesse, il trouva que le pays n’était pas encore assez mûr et discipliné pour employer cette arme à double tranchant ; et il décida d’attendre, en procédant à une sorte de mobilisation civile et financière.

Gandhi reprit, avec plus d’élan, sa campagne pour l’unité de l’Inde, pour l’union des religions, des races, des partis et des castes. Il fit appel aux Parsis[23], riches, gros commerçants, grands industriels, et plus ou moins teintés, comme il dit, de l’esprit Rockfeller. — L’union hindoue-musulmane était sans cesse menacée par les anciens préjugés, les craintes, les soupçons mutuels. Il s’y voua, corps et âme[24], ne cherchant pas entre les deux peuples une fusion actuellement impossible, et que lui-même n’eût point voulue, mais une solide alliance bâtie sur l’amitié[25].

Son effort le plus haut fut de faire rentrer dans la communauté hindoue les classes rejetées. Sa revendication passionnée des droits des Parias, ses cris d’indignation et de douleur contre cette monstrueuse iniquité sociale, suffiraient à immortaliser son nom. La souffrance que lui causait ce qu’il nomme « la plus honteuse souillure de l’Hindouisme » avait sa source dans ses émotions d’enfance. Il raconte[26] que, lorsqu’il était petit, un paria venait dans sa maison pour les grossiers ouvrages ; on défendit à l’enfant de le frôler sans faire des ablutions ; il ne l’admettait point et discutait avec ses parents. À l’école, souvent il touchait les intouchables. Sa mère lui recommandait, pour se défaire de la souillure, de toucher ensuite un musulman. Mais, à douze ans, son jugement était fait. Il se jurait d’effacer ce péché de la conscience de l’Inde. Il projetait de venir au secours de ses frères dégradés. Jamais son esprit ne se montre plus libre que quand il sert leur cause. On en jugera par ce fait qu’il eût été prêt à sacrifier sa religion même, s’il lui avait été prouvé que l’intouchabilité en fût un dogme. Et cette seule injustice justifie, à ses yeux, toutes celles dont les Indiens souffrent dans l’univers…

« Si les Indiens sont devenus les parias de l’Empire, c’est un retour de la justice éternelle. Que les Indiens d’abord lavent leurs mains tachées de sang !… L’intouchabilité a dégradé l’Inde. Au Sud-Afrique, en Afrique orientale, au Canada, les Indiens, à leur tour, ont été traités en parias. Le Swarâj (Home Rule) est impossible, tant que subsisteront les parias. L’Inde est coupable. L’Angleterre n’a rien fait de plus noir. Le premier devoir est de protéger les faibles, et de ne pas outrager une conscience humaine. Nous ne valons pas mieux que des brutes, tant que nous ne serons pas lavés de ce péché. Le Swarâj doit être le règne de la justice sur toute la terre… »[27]

Gandhi voulait qu’une législature nationale améliorât au plus tôt le sort des frères parias, qu’on leur accordât un grand nombre d’écoles et de puits — car l’usage des puits publics leur était interdit. — Mais d’ici là ?… Son impatience, qui ne lui permet pas d’attendre, les bras croisés, que les classes privilégiées aient réparé leur iniquité, le fait passer dans le camp des parias : il se met à leur tête, et cherche à les grouper. Il examine avec eux les tactiques diverses : que peuvent-ils ? En appeler au gouvernement de l’Inde ? Ce serait changer d’esclavage… Rejeter l’Hindouisme — (Que l’on remarque cette généreuse audace d’un grand croyant hindou !) — et se convertir au christianisme ou au mahométisme ? Gandhi serait près de le conseiller, si l’Hindouisme était inséparable de l’intouchabilité. Mais il est convaincu que celle-ci n’en est qu’une excroissance malsaine, et qu’on doit l’extirper. Les parias devraient donc s’organiser pour leur défense. Ils auraient la ressource d’employer l’arme de la Non-coopération contre l’Hindouisme, en cessant toutes relations avec les autres hindous : (conseils singulièrement hardis de révolte sociale, dans la bouche de ce Patriote !) Mais, continue Gandhi, les parias ne sont capables d’aucune organisation ; ils n’ont point de chefs. Qu’ils se joignent donc — c’est le seul parti qui leur reste — au mouvement général de Non-coopération indienne, dont la première condition est l’union des classes ! La Non-coopération véritable est un acte religieux de purification. Nul ne peut y prendre part, en rejetant les parias ; il pécherait gravement. Ainsi, Gandhi réussit à mettre d’accord la religion, la patrie et l’humanité[28].

Une consécration solennelle fut donnée à ces premiers essais de groupement, par la Conférence des classes « supprimées » (Suppressed Classes Conference), que Gandhi présida à Ahmedabad, les 13 et 14 avril 1921. Il y prononça un de ses plus beaux discours. Il ne se contente pas de réclamer la suppression de l’inégalité sociale ; il attend des parias de grandes choses dans la vie sociale de l’Inde régénérée ; il leur rend confiance en eux ; il leur souffle la brûlante espérance qui l’anime. Il a remarqué chez eux, dit-il, d’immenses possibilités latentes. Il compte qu’en cinq mois les classes intouchables auront su, par leur dignité, conquérir leur juste place dans la grande famille indienne.

Gandhi eut la joie de voir l’Inde émue par l’appel fait à son cœur, et l’émancipation des parias se réaliser en de nombreuses régions[29]. La veille de son arrestation, il s’occupait encore de cette cause, et en relatait les progrès. Des Brahmanes s’y consacraient. Les classes privilégiées donnèrent des exemples touchants de repentir et d’amour fraternel. Gandhi cite le cas d’un jeune Brahmane de dix-huit ans, qui se fit balayeur, pour vivre avec les parias[30].

Gandhi prit parti, avec non moins de noblesse, pour une autre grande cause, celle des femmes.

La question sexuelle est particulièrement grave dans l’Inde, riche d’une sensualité débordante, accablante, et mal réglée. Les mariages d’enfants épuisent prématurément les énergies physiques et morales de la nation. L’obsession charnelle pèse sur la pensée ; et la dignité de la femme en est humiliée. Gandhi publie les plaintes de femmes hindoues contre la façon dégradante dont la femme est considérée par les nationalistes hindous[31]. Il donne raison à ces blâmes. C’est là, dit-il, une plaie de l’Inde, aussi grave que l’intouchabilité. Mais il ajoute que le monde entier en souffre. Le problème est universel. De même que pour les parias, il attend le progrès beaucoup plus des opprimés que des oppresseurs. C’est aux femmes qu’il s’adresse, pour que d’abord elles imposent le respect, en cessant de se regarder comme l’objet des appétits de l’homme. Qu’elles prennent part résolument à la vie publique, qu’elles en revendiquent les risques et les dangers ! Que non seulement elles renoncent à leur luxe, en rejetant et brûlant les tissus étrangers, mais qu’elles partagent toutes les peines des hommes ! Déjà, des femmes distinguées ont été emprisonnées à Calcutta. C’est bien. Que loin de réclamer un traitement de faveur, elles fassent assaut d’endurance et de privations avec les hommes ! Sur ce terrain, la femme peut toujours dépasser l’homme. Qu’elles ne redoutent rien ! La plus faible peut préserver son honneur. Il suffit de savoir mourir[32].

Il n’oublia point nos sœurs tombées[33]. Il raconte les conversations qu’il eut avec des assemblées de plusieurs centaines d’entre elles, dans la province Andhra, et à Barisal. Avec quelle simple noblesse il leur parle, elles lui parlent, elles se confient à lui, elles lui demandent conseil ! Il leur cherche un métier honorable, il leur propose le rouet, elles promettent de s’y mettre dès le lendemain, si on les aide. — Et, s’adressant aux hommes de l’Inde, Gandhi les rappelle au respect de la femme :

« Cette façon de jouer au vice n’a pas sa place dans notre Révolution. Le Swarâj veut dire que nous considérons tous les habitants de l’Inde comme nos frères et nos sœurs… Respect à tous !… Le sexe féminin n’est pas le sexe faible, il est le plus noble des deux, par son pouvoir de sacrifice, de souffrance silencieuse, d’humilité, de foi et de connaissance. L’intuition de la femme a souvent surpassé l’arrogante prétention de l’homme à un savoir supérieur… »

Il trouva en les femmes de l’Inde — à commencer par la sienne — des aides intelligentes et de ses meilleures disciples.

  1. Étymologiquement : Swa : Self, soi-même ; Deshi : Fait dans le pays, d’où : objets faits dans le pays. Les adeptes de la non-coopération le prennent surtout dans le sens restreint d’Indépendance économique. Mais nous verrons plus loin quel « Évangile social » en font sortir les disciples de Gandhi (The Gospel of Swadeshi).
  2. Huit mille, à Lahore.
  3. Ce que Karl Marx appelle « la Voyoucratie ».
  4. 8 septembre 1920.
  5. 8 et 24 septembre, 20 octobre 1920.
  6. 11 août, 25 août 1920.
  7. Telle est du moins l’interprétation de Gandhi. Un Européen osera-t-ll dire qu’il voit dans la Bhagavad Gîtâ tout au moins l’indifférence sereine à la violence commise et subie ?
  8. 25 août 1920.
  9. 12 mai 1920.
  10. « À tous les Anglais de l’Inde », 27 octobre 1920.
  11. 28 avril 1920, 8 juin, 1er septembre 1921. Dans sa Lettre aux Parsis, qui sont grands commerçants, Gandhi les adjure de fermer leurs magasins de boissons (23 mars 1921). Dans sa Lettre aux modérés (8 juin 1921), il leur demande même s’ils ne sont pas d’accord avec lui pour le reste du programme, d’appuyer ses efforts sur ce point. En même temps que les boissons, Il combat le commerce des drugs, des stupéfiants, les fumeries d’opium.
  12. Gandhi lui-même sait qu’on rira de lui. Mais, dit-il, l’aiguille a-t-elle cédé la place à la machine à coudre, ou la main à la machine à écrire ? Le rouet n’a rien perdu de son utilité. Et il est actuellement une nécessité nationale, la seule ressource possible pour les millions d’affamés (21 juillet 1920).
  13. Évaluation faite par Lajpat Raj.
  14. 2 février 1921.
  15. 21 juillet 1920.
  16. 17 novembre 1920.
  17. L’anglais n’est pas exclu, (ni aucune langue européenne). On le réserve aux cours supérieurs, à la fin du cycle scolaire. En revanche, les dialectes sont employés, à tous les degrés universitaires. Gandhi rêve d’un état supérieur de l’existence universelle, où toutes ces différences persistent dans l’unité, non pas comme des divisions, mais « comme les facettes d’une même pierrerie. » (juin 1920).
  18. On ne doit pas traduire « professionnelle », car il s’agit justement de dégager l’Âme de la profession.
  19. Ashram : lieu de discipline, ermitage.
  20. Mais on peut être admit comme étudiant, à tout âge.
  21. Au Congrès de Nagpur prenaient part plus de 4.726 délégués dont 469 musulmans, 65 sikhs, 5 parsis, 2 intouchables, 4.079 hindous, 106 femmes.

    La Constitution nouvelle décida qu’un délégué serait nommé pour 50.000 habitants : ce qui ferait au total 6.173 délégués. Le Congrès National de toute l’Inde se réunit en session, une fois par an (vers Noël). Le Comité du Congrès de toute l’Inde, comprenant environ 350 membres, est chargé d’exécuter la politique du Congrès, en interprétant ses résolutions ; il possède, dans l’intervalle des sessions du Congrès, la même autorité que lui. Un Comité exécutif de 15 membres joue le rôle de Cabinet, par rapport au Parlement ; il peut être congédié par le Comité du Congrès.

    Le Congrès de Nagpur dressa les plans d’une hiérarchie de Comités de Congrès provinciaux, représentant 21 provinces et 12 langues — et, au-dessous, des Comités de Congrès locaux pour tous les villages ou groupes de villages, — avec des troupes d’« ouvriers » ou fonctionnaires nationaux (Service national Indien) entretenus par un fond Swarâj de toute l’Inde, en mémoire de Tilak.

    Tout homme ou toute femme, adulte, souscrivant quatre annas au fonds du Congrès est électeur, sous la condition préalable qu’il ait signé le Credo de la Constitution. L’âge d’éligibilité est 21 ans. La condition est d’accepter l’article 1 de la Constitution, les règlements et les méthodes du Congrès.

  22. Lajpat Rai fut le premier arrêté, le 3 décembre 1921, au nom de la loi criminelle du 24 novembre 1921.
  23. 23 mars 1921.
  24. 6 octobre 1920, 11 mai, 18 mai, 28 juillet, 20 octobre 1921.
  25. Donnant en exemple son amitié intime avec le musulman Maulana Mohamed Ali, il atteste que l’un et l’autre restent fidèles à leur foi respective. Gandhi ne donnerait pas sa fille en mariage à un des fils d’Ali ; il ne partagerait pas les repas de son ami ; et son ami agirait de même. Cela ne les empêche point de s’aimer et d’être sûrs l’un de l’autre. Gandhi ne prétend point, d’ailleurs, que les mariages mixtes entre Hindous et Musulmans, et les repas en commun soient à condamner ; mais il faudra un siècle pour en arriver à cette fusion. Une politique pratique ne doit pas poursuivre une toile réforme. Gandhi n’y met pas obstacle ; mais il la croit prématurée. Ici se montre encore son sens des réalités (20 octobre 1921).
  26. Dans un discours public, le 27 avril 1921.
  27. 27 octobre 1920, 27 avril 1921.
  28. 27 octobre 1920.
  29. Dès la fin d’avril 1921, l’intouchabilité diminue. Dans beaucoup de villages, les parias vivent parmi les autres Hindous et partagent leurs droits (27 avril 1921). En revanche, dans d’autres régions, particulièrement à Madras, leur situation restait déplorable (29 septembre 1921). — La question est désormais inscrite à l’ordre du jour des Assemblées Nationales indiennes. Déjà, le Congrès de Nagpur, en décembre 1920, avait émis le vœu que disparût le « péché » de l’intouchabilité.
  30. 27 avril 1921.
  31. 21 juillet 1921, 6 octobre 1920.
  32. 21 juillet, 11 août, 15 décembre 1921.
  33. C’est le titre d’un de ses articles : Our fallen sister (15 septembre 1921).