Mahatma Gandhi/Chapitre 1

Stock (p. 9-69).


LA GRANDE ÂME
MAHATMA…[1]
l’Homme qui s’est fait un
avec l’Être de l’univers.


I

De tranquilles yeux sombres. Un petit homme débile, la face maigre, aux grandes oreilles écartées. Coiffé d’un bonnet blanc, vêtu d’étoffe blanche rude, les pieds nus. Il se nourrit de riz, de fruits, il ne boit que de l’eau, il couche sur le plancher, il dort peu, il travaille sans cesse. Son corps ne semble pas compter. Rien ne frappe en lui, d’abord, qu’une expression de grande patience et de grand amour. Pearson, qui le voit en 1913, au Sud-Afrique, pense à François d’Assise. Il est simple comme un enfant[2], doux et poli même avec ses adversaires[3], d’une sincérité immaculée[4]. Il se juge avec modestie, scrupuleux au point de paraître hésiter et de dire : « Je me suis trompé » ; ne cache jamais ses erreurs, ne fait jamais de compromis, n’a aucune diplomatie, fuit l’effet oratoire, ou mieux n’y pense pas[5] ; répugne aux manifestations populaires que sa personne déchaîne, et où sa chétive stature risquerait, certains jours, d’être écrasée, sans son ami Maulana Shaukat Ali, qui lui fait un rempart de son corps athlétique ; littéralement malade de la multitude qui l’adore[6] ; au fond, ayant la méfiance du nombre et l’aversion de la Mobocracy, de la populace lâchée ; il ne se sent à l’aise que dans la minorité, et heureux que dans la solitude, écoutant la still small voice (la petite voix silencieuse), qui commande[7]


Voici l’homme qui a soulevé trois cent millions d’hommes, ébranlé le British Empire, et inauguré dans la politique humaine le plus puissant mouvement depuis près de deux mille ans.



De son vrai nom, Mohandas Karamchand Gandhi. Il est né dans un petit État semi-indépendant, au nord-ouest de l’Inde, à Porbandar, la ville blanche, sur la mer d’Oman, le 2 octobre 1869. Race ardente, remuante, hier encore agitée par les guerres civiles. Race pratique, ayant le sens des affaires, et rayonnant pour son commerce d’Aden à Zanzibar. Son grand-père et son père furent tous deux premiers-ministres, tous deux disgraciés pour leur indépendance, forcés de fuir, et leur vie menacée. Il sortait d’un milieu riche, intelligent, cultivé, mais non de la caste supérieure. Ses parents appartenaient à l’école Jaïn de l’Hindouisme, dont un des grands principes est l’Ahimsâ[8], qu’il devait victorieusement affirmer dans le monde.

Pour les Jaïnistes, l’amour plus que l’intelligence est la voie qui mène à Dieu. Le père du Mahâtmâ n’attachait aucun prix à l’argent, et en laissa peu aux siens, ayant presque tout dépensé en charités. La mère, sévèrement religieuse, était une Sainte Élisabeth hindoue, jeûnant, faisant l’aumône et veillant les malades. On lisait régulièrement le Râmâyana, dans la famille. Sa première éducation fut confiée à un Brahmane, qui lui faisait répéter les textes de Vishnu[9]. Mais plus tard, il s’est plaint de n’avoir jamais été grand clerc en sanscrit : une de ses rancunes contre l’éducation anglaise, qui lui fit perdre les trésors de sa langue. Il est cependant très instruit des Écritures hindoues ; mais il ne lit les Vedas et les Upanishads que dans des traductions[10].

Il passa par une grave crise religieuse, tandis qu’il était encore à l’école. Par révolte contre l’hindouisme idolâtre et dégénéré, il fut — il crut être — pendant quelque temps un athée. Avec des camarades, il alla, dans son impiété, jusqu’à manger de la viande en cachette (le plus affreux des sacrilèges, pour un Hindou !) Il en faillit mourir d’horreur et de dégoût[11].

Marié encore enfant[12], il alla, à dix-neuf ans, compléter ses études en Angleterre, à l’Université de Londres et à l’École de Droit. Sa mère ne consentit à le laisser partir qu’après lui avoir fait prendre les trois vœux Jaïns qui obligent à l’abstention du vin, de la viande et des relations sexuelles.

Il arriva à Londres, en septembre 1888. Après les premiers mois d’incertitude et de déceptions — il avait gaspillé naïvement beaucoup de temps et d’argent, pour devenir, dit-il, un gentleman anglais, — il s’astreignit à une vie stricte et à un travail sévère. Des amis lui firent connaître la Bible ; mais l’heure n’était pas encore venue pour lui de la comprendre. Il fut lassé par les premiers livres, et n’alla pas plus loin que l’Exode. Au contraire, ce fut à Londres qu’il découvrit la beauté de la Bhagavad Gîtâ. Il en fut enivré. Elle était la lumière dont avait besoin le petit Indien exilé. Elle lui rendit la foi. Il reconnut que « pour lui, le salut était possible seulement par la religion hindoue[13] ».

Il retourna aux Indes, en 1891. Triste retour. Sa mère venait de mourir, et on lui avait caché la nouvelle. Il devint avocat à la Haute-Cour de Bombay. Quelques années plus tard, il devait renoncer à sa profession, qu’il jugea immorale. Même aux temps où il la remplit, il se réservait le droit d’abandonner une cause, quand l’injustice lui en apparaissait.

Déjà à cette époque, de grandes personnalités indiennes éveillaient en lui des pressentiments de sa mission future : « le roi sans couronne » de Bombay : le Parsi Dadabhai, et le professeur Gokhale, tous deux brûlant d’un religieux amour pour l’Inde : Gokhale, un des meilleurs hommes d’État de sa patrie, et des premiers à restaurer l’éducation indienne ; Dadabhai, fondateur du nationalisme indien (au témoignage de Gandhi)[14] ; tous deux aussi, maîtres de sagesse et de douceur. Ce fut Dadabhai qui, contrôlant l’ardeur juvénile de Gandhi, lui donna en 1892 sa première leçon pratique de Ahimsâ dans la vie publique : la passivité héroïque, s’il est possible de joindre ces deux mots, l’élan passionné de l’âme qui résiste au mal, non par le mal, mais par l’amour. Nous reviendrons sur cette parole magique, sublime message que l’Inde adresse au monde.

C’est en 1893 que commence l’action indienne de Gandhi. Elle se divise en deux périodes. De 1893 à 1914, elle a pour champ l’Afrique du Sud. Depuis 1914, elle s’exerce sur l’Inde.

Que cette action de vingt ans au Sud-Afrique n’ait pas eu plus de retentissement en Europe, est une preuve de l’incroyable étroitesse d’horizon de nos hommes politiques, de nos historiens, de nos penseurs et de nos hommes de foi : car c’est une épopée de l’âme, sans égale en notre temps, non seulement par la puissance et la constance du sacrifice, mais par sa victoire finale.

En 1890-91 se trouvaient installés dans l’Afrique du Sud, principalement au Natal, 150.000 Indiens. L’afflux de ce peuple étranger provoqua dans la population blanche une xénophobie, que le gouvernement se chargea d’interpréter par des mesures d’ostracisme. Il voulut interdire l’immigration des Asiatiques, et forcer à partir ceux qui étaient établis dans le pays. Des persécutions systématiques leur rendirent la vie intolérable : taxes accablantes, humiliantes obligations de police, outrages publics, et bientôt lynchages, pillages et destructions, sous l’égide de la civilisation blanche.

En 1893, Gandhi arriva en Sud-Afrique, appelé à Pretoria pour plaider une cause importante. Il était dans l’ignorance complète de la situation des Indiens en Afrique. Dès ses premiers pas à Natal, mais surtout au Transvaal hollandais, il fit des expériences cruelles. Cet Hindou de haute race, qui avait toujours été bien traité en Angleterre et qui, jusque-là, considérait les Européens comme des amis, se trouva en butte aux plus grossières avanies, jeté à la porte des hôtels et des trains, insulté, souffleté, frappé à coups de pied. Il fût reparti sur-le-champ pour l’Inde, s’il n’avait eu un contrat qui le liait pour douze mois avec ses clients. Pendant ces douze mois, il apprit la maîtrise sur soi-même. Mais le terme venu, il avait hâte de repartir, quand il sut que le gouvernement préparait un projet de loi qui enlevait aux Indiens leurs dernières franchises. Les Indiens d’Afrique étaient sans forces pour lutter, sans volonté, inorganisés, démoralisés. Il leur fallait un chef, une âme. Gandhi se dévoua. Il resta.

Alors, s’ouvre la lutte épique d’une conscience contre la force de l’État et de la masse brutale. Encore avocat à cette époque, il commença par démontrer juridiquement l’illégalité de l’Acte d’exclusion asiatique ; et, contre la plus virulente opposition, il gagna sa cause, en droit, sinon en fait, devant l’opinion de Natal et de Londres. Il fait signer d’énormes pétitions, suscite le Congrès indien de Natal, forme une Association d’éducation indienne ; un peu plus tard, il fonde un journal, Indian Opinion, publié en anglais et en trois langues indiennes. Puis, voulant assurer à ses compatriotes un régime honorable en Afrique, afin de mieux les défendre, il se rend pareil à eux. Il avait à Johannesburg une clientèle lucrative[15] : il l’abandonna pour épouser, comme François, la Pauvreté. Avec les Indiens misérables et persécutés, il fait vie commune ; il partage leurs épreuves, et il les sanctifie : car il leur impose la loi de Non-Résistance. Il crée, en 1904, à Phœnix, près de Durban, une colonie agricole, sur les plans de Tolstoy, qu’il admirait[16]. Il y rassemble les Indiens, leur fournit des terrains, et leur fait prendre le vœu solennel de pauvreté. Lui-même se charge des tâches les plus serviles. Là, pendant des années, ce peuple silencieux résiste au gouvernement. Il s’est retiré des villes ; la vie industrielle du pays en est paralysée. C’est une grève religieuse, contre laquelle toute violence se brise, comme celle de la Rome impériale contre les premiers Chrétiens. Mais bien peu de ces chrétiens auraient porté la doctrine de pardon et d’amour jusqu’au point de venir, comme Gandhi, au secours de leurs persécuteurs menacés. Chaque fois que l’État du Sud-Afrique se trouva aux prises avec de graves dangers, Gandhi suspendit la non-participation des Indiens aux services publics, et offrit aussitôt son aide. En 1899, pendant la guerre des Boers, il forma une Croix-Rouge indienne, qui fut deux fois citée à l’ordre du jour, avec éloges pour sa bravoure sous le feu. En 1904, la peste éclata à Johannesburg : Gandhi organisa un hôpital. En 1906, les indigènes se soulevèrent au Natal : Gandhi prit part à la guerre, à la tête d’un corps de brancardiers, et le gouvernement de Natal l’en remercia publiquement.

Ces services chevaleresques ne désarmaient pas la fureur xénophobe. Jeté en prison à diverses reprises[17] — (et même peu après les remerciements officiels pour la guerre du Natal) — condamné à la réclusion et aux travaux forcés, bâtonné par la populace furieuse[18], une fois laissé pour mort, Gandhi connut toutes les souffrances et toutes les humiliations. Rien n’altéra sa foi. Elle grandit par l’épreuve. C’est en 1908 qu’il écrivit, en réponse à l’école de la violence dans l’Afrique du Sud, son fameux petit livre : Hind Swarâj (Home Rule Indien), l’Évangile de l’amour héroïque[19].

La lutte se maintint pendant vingt ans, et elle atteignit son maximum d’âpreté entre 1907 et 1914. Le gouvernement du Sud-Afrique avait fait passer précipitamment un nouvel Acte asiatique, malgré l’opposition des Anglais éclairés. Alors, Gandhi organisa la Non-Résistance, dans toute son ampleur. En septembre 1906, à Johannesburg, fut prêté solennellement par les Indiens réunis le serment de « Résistance passive ». Tous les Asiatiques, de toute race, de toute caste, de toute religion, riches et pauvres, y apportèrent la même abnégation ; les Chinois d’Afrique s’unirent étroitement aux Indiens. On les emprisonna par milliers ; faute de prisons assez grandes, on les enferma dans les mines. Mais la prison semblait exercer un attrait sur eux. Le général Smuts, qui les persécutait, leur avait donné le nom de Conscientious Objectors. Gandhi fut incarcéré trois fois[20]. Il y eut des morts, des martyrs. Le mouvement grandit. En 1913, il s’étendit du Transvaal au Natal. De formidables grèves, des meetings passionnés, une marche en masse des Indiens à travers le Transvaal, surexcitèrent l’opinion en Afrique et en Asie. L’indignation gagna l’Inde, et le vice-roi, lord Harding, s’en fit lui-même, à Madras, l’interprète retentissant.

L’indomptable ténacité et la magie de la grande âme opéraient : la force plia les genoux devant l’héroïque douceur[21]. Le plus acharné contre la cause indienne, le général Smuts qui, en 1909, déclarait qu’il n’effacerait jamais du Livre des Statuts une mesure injurieuse pour les Indiens, s’avoua, cinq ans après, heureux de la faire disparaître[22]. Une Commission impériale donna raison à Gandhi sur presque tous les points. En 1914, un Acte supprima l’impôt de trois livres, et accorda la liberté de résidence dans le Natal à tous les Indiens qui voulaient y rester comme travailleurs libres. Après vingt ans de sacrifices, la Non-Résistance avait vaincu.


Gandhi retourna dans l’Inde, avec le prestige d’un chef.

Le mouvement d’indépendance nationale s’y annonçait, depuis le commencement du siècle. Une trentaine d’années avant, le Congrès National Indien avait été fondé par quelques Anglais intelligents : A. O. Hume, sir William Wedderburn, libéraux victoriens, qui longtemps lui avaient maintenu un caractère loyaliste, tâchant de concilier les intérêts de l’Inde avec la souveraineté anglaise. La victoire du Japon sur la Russie réveilla l’orgueil asiatique, et les provocations de lord Curzon blessèrent les patriotes indiens. Au sein du Congrès se forma un parti extrémiste, dont le nationalisme agressif trouva des échos dans le pays. Pourtant, le vieux parti constitutionnel resta, jusqu’à la guerre mondiale, sous l’influence de J. H. Gokhale, sincèrement patriote, mais fidèle à l’Angleterre et le sentiment national, qui dès lors pénétrait cette Assemblée des représentants de l’Inde, les acheminait tous vers la revendication d’un Home Rule (Swarâj), sur le sens duquel ils n’étaient pas d’accord : ceux-ci, s’accommodant de la coopération anglaise, ceux-là voulant chasser de l’Inde les Européens ; les uns prenant modèle sur le Canada et l’Afrique du Sud, les autres sur le Japon. Gandhi apportait sa solution, moins politique que religieuse, plus radicale au fond que toutes les autres (Hind Swarâj). Il lui manquait, pour l’adapter aux réalités pratiques, une connaissance exacte du milieu : car, si sa longue mission au Sud-Afrique lui avait été une expérience prodigieuse de l’âme hindoue et de l’arme irrésistible de l’Ahimsâ, il était resté vingt-trois ans éloigné de son pays. Il se recueillit et observa[23].

Il était encore si loin de songer à la révolte contre l’Empire que, lorsque la guerre éclata, en 1914, il se rendit en Angleterre, pour y lever un corps d’ambulanciers. « Il croyait honnêtement (écrit-il en 1921) qu’il était citoyen de l’Empire. » Il le rappellera, maintes fois, dans ses lettres de 1920 à tous les Anglais de l’Inde : « Chers amis, nul Anglais n’a coopéré plus étroitement que moi à l’Empire, pendant vingt-neuf ans d’activité publique. J’ai mis ma vie quatre fois en danger pour l’Angleterre… Jusqu’en 1919, j’ai parlé pour la coopération, avec une conviction sincère… »

Il n’était pas le seul. L’Inde entière s’était laissée prendre, en 1914, à l’idéalisme hypocrite de la guerre du Droit. En sollicitant son concours, le gouvernement anglais avait fait miroiter à ses yeux de grandes espérances. Ce Home Rule, tant désiré, était présenté comme un des enjeux de la guerre. En août 1917, l’intelligent secrétaire d’État pour l’Inde, E. S. Montagu, promit à l’Inde un gouvernement responsable ; une consultation de l’Inde eut lieu, et en juillet 1918, le vice-roi, lord Chelmsford, signait avec Montagu un rapport officiel sur la réforme constitutionnelle. Le danger était grand pour les armées alliées, en ces premiers mois de 1918. Lloyd George avait, le 2 avril, adressé un Appel au peuple de l’Inde ; et la Conférence de guerre, réunie à Delhi à la fin du même mois, laissa entendre que l’indépendance de l’Inde était proche. Aussi, l’Inde répondit-elle en masse, et Gandhi, une fois de plus, prêta à l’Angleterre l’aide de sa loyauté. L’Inde fournit 985.000 hommes ; elle fit d’immenses sacrifices. Et elle attendit, confiante, le prix de sa fidélité.

Le réveil fut terrible. Vers la fin de l’année, le danger était passé ; passée aussi la mémoire des services rendus. L’armistice conclu, le Gouvernement ne se donna plus la peine de feindre. Bien loin d’accorder des libertés à l’Inde, il suspendit celles qui existaient. Les Bills Rowlatt, présentés au Conseil Impérial Législatif de Delhi, en février 1919, témoignèrent d’une injurieuse méfiance pour le pays qui venait de donner tant de gages de son loyalisme ; ils perpétuaient les dispositions de l’Acte de Défense de l’Inde pendant la guerre, rétablissant la police secrète, la censure, toutes les tracasseries tyranniques d’un véritable état de siège.

Ce fut, dans l’Inde déçue, un sursaut indigné. La révolte commença[24]. Gandhi l’organisa.

Il s’était cantonné, pendant les années précédentes, dans les réformes sociales, s’occupant surtout d’améliorer la condition des travailleurs agricoles. Et, sans qu’on y eût pris garde, il avait fait, dans les troubles agraires de 1918, à Kaira dans le Gujerat, à Champaran dans le Behar, l’essai victorieux de l’arme formidable qu’il allait bientôt employer aux luttes nationales : cette Non-résistance passionnée, qui lui est propre, et que nous étudierons plus loin, sous le nom qu’il lui a donné de Satyâgraha.

Mais il était resté jusqu’en 1919 au second rang, et un peu à l’écart du mouvement national indien, dont les éléments avancés, réunis en 1916 par Mrs Annie Besant (bientôt dépassée), reconnaissaient maintenant pour chef le grand hindou Lokamanya Bal Gangadhar Tilak. Homme d’une rare énergie, unissant en un faisceau de fer la triple grandeur de l’intelligence, de la volonté et du caractère, un plus vaste cerveau que Gandhi, plus solidement nourri de la vieille culture asiatique, savant, mathématicien, érudit, ayant sacrifié toutes les exigences de son génie au service de sa patrie, et, dénué comme Gandhi de toute ambition personnelle, n’attendant que la victoire de sa cause pour se retirer de la scène et reprendre son labeur scientifique. Il fut, tant qu’il vécut, le chef incontesté de l’Inde. Que se serait-il passé, si une mort prématurée ne l’eût enlevé, en août 1920 ? Gandhi, qui s’inclinait devant la souveraineté de son génie, différait profondément de lui sur la méthode politique, et, sans doute, n’eût-il gardé, Tilak vivant, que la direction en quelque sorte religieuse du mouvement. Quel eût été l’élan des peuples de l’Inde, sous ce double commandement ! Rien n’aurait pu lui résister, car Tilak possédait la maîtrise de l’action, comme Gandhi des forces intérieures. Le sort en a décidé autrement : on a pu le regretter, pour l’Inde, et pour Gandhi lui-même. Le rôle de chef de la minorité, de l’élite morale, eût mieux répondu à sa nature et à ses secrets désirs. Il eût laissé volontiers à Tilak la direction de la majorité. Il n’a jamais eu la foi en la majorité. Cette foi, Tilak la possédait. Ce mathématicien d’action croyait au nombre. Il était démocrate-né. Il était, aussi, résolument politique, sans égards aux exigences de la religion. Il disait que « la politique n’était pas pour les Sâdhus » (les saints, les hommes pieux). Ce savant eût sacrifié, déclarait-il, même la vérité à la liberté de son pays. Et cet homme intègre, dont la vie fut d’une pureté sans tache, n’hésitait pas à dire que tout était juste en politique. On peut croire qu’entre une telle personnalité et celle des dictateurs de Moscou des rapports de pensée eussent été possibles. Mais la pensée de Gandhi y est irréductible[25]. Les discussions entre Tilak et Gandhi n’ont fait, en affirmant leur profonde estime mutuelle, qu’établir l’opposition de leurs méthodes, — c’est-à-dire, en des hommes aussi absolument sincères, chez qui les formes de l’action sont calquées sur celles de la pensée, — l’opposition des impératifs qui dominent leur existence. En face de Tilak, Gandhi proclame qu’obligé au choix, il sacrifierait la liberté à la vérité. Et quelque amour religieux qu’il ait pour son pays, il met sa religion plus haut encore que le pays :

« Je suis marié à l’Inde, je lui dois tout. Je crois qu’elle a une mission. Si elle y manque, ce sera pour moi l’heure de l’épreuve, et j’espère que moi, je ne faillirai pas. Ma religion n’a pas de limites géographiques. Si ma foi est vivante, elle dépassera mon amour pour l’Inde même… »[26]

Grandes paroles qui donnent tout leur sens humain à la lutte que nous allons décrire maintenant : car elles font de l’apôtre de l’Inde un apôtre du monde, notre concitoyen à tous[27]. Et c’est pour nous tous que se livre le combat, engagé il y a quatre ans par le Mahâtmâ.


Il est à remarquer que, même à ce moment où il prend la tête du mouvement de révolte contre l’Acte Rowlatt, il le fait « pour détourner ce mouvement de la violence »[28]. Car, de toute façon, la révolte vient, et il faut la guider.

Pour bien comprendre ce qui va suivre, on doit se rappeler que la pensée de Gandhi est à deux étages : des substructions religieuses qui sont considérables, et l’action sociale qu’il construit sur ces bases invisibles, en l’adaptant aux possibilités actuelles et aux vœux du pays. Il est religieux par nature, politicien par nécessité. À mesure que la poussée des événements et la disparition des autres chefs de la nation l’obligent à assumer la charge de gouverner le navire dans la tempête, le caractère politique et pratique de son action s’affirme. Mais l’essentiel de l’édifice reste toujours la crypte : elle est vaste et profonde, et faite pour porter une bien autre cathédrale que celle qu’il faut bâtir hâtivement ; elle seule est durable, le reste est provisoire et destiné à l’usage des années de transition. Il importe donc de connaître cette église souterraine, où la pensée de Gandhi a ses solides assises. C’est là qu’il fait retraite, chaque jour, afin de reprendre des forces pour l’action d’en haut.

Gandhi croit avec ferveur en la religion de son peuple, l’Hindouisme ; mais non pas en savant, attaché aux textes ; et pas davantage en dévot sans critique, qui accepte aveuglément toute tradition. Sa religion a pour double contrôle sa conscience et sa raison.

« Je ne ferais pas un fétiche de la religion, et je n’excuse pas n’importe quel mal, en son nom sacré…[29]. Je n’ai aucun désir d’entraîner un seul être avec moi, si je ne peux en appeler à sa raison. Je vais jusqu’à rejeter la divinité des plus antiques Shâstras, si elles ne convainquent pas ma raison… »[30].

D’autre part, et ceci est essentiel, il ne reconnaît et ne permet à l’Hindouisme aucun exclusivisme :

« Je ne crois pas à la divinité exclusive des Vedas. Je crois que la Bible, le Coran et le Zend-Avesta sont aussi divinement inspirés que les Vedas… L’Hindouisme n’est pas une religion missionnaire. Il y a place en lui pour l’adoration de tous les prophètes du monde… Il dit à chacun d’adorer Dieu selon sa propre foi ou Dharma ; et ainsi, il vit en paix avec toutes les religions. »[31]

Il n’est pas sans voir les erreurs ou les vices qui se sont introduits au cours des siècles, dans l’Hindouisme, et il les flétrit. Mais…

«… Je ne puis pas plus décrire mon sentiment pour l’Hindouisme que celui que j’ai pour ma propre femme. Elle m’émeut comme nulle autre femme au monde ne le peut. Non point qu’elle soit sans fautes : j’ose dire qu’elle en a beaucoup plus que je n’en vois ; mais le sentiment d’un lien indissoluble est là. De même pour l’Hindouisme, avec tous ses défauts et toutes ses limitations. Rien ne me transporte autant que la musique de la Gitâ et du Râmâyana, les deux seuls livres de l’Hindouisme que je puisse prétendre connaître… Je sais les vices actuels qui souillent les grands sanctuaires hindous ; mais j’aime ceux-ci malgré tout… Réformateur jusqu’au bout, je ne rejette pourtant aucune des croyances essentielles de l’Hindouisme »[32].

Quelles sont donc ces essentielles vérités, auxquelles il donne son adhésion ? Il les énumère expressément dans un article du 6 octobre 1921, qui est son Credo public :

« 1. Je crois aux Vedas, aux Upanishads, aux Puranas, et à tout ce qui est compris sous le nom d’Écritures hindoues, et par conséquent je crois aux Avatars et aux renaissances ;

« 2. Je crois aux Varnâshrama Dharma[33] (Discipline des Castes), mais au sens strictement védique, et non pas actuel, populaire et grossier ;

« 3. Je crois à la protection de la vache, dans un sens beaucoup plus large que le sens populaire ;

« 4. Je ne désavoue pas le culte des idoles. »

Tout Européen qui s’arrêtera, dans sa lecture, à ces lignes du Credo jugera que la mentalité qui s’y exprime est si différente de la nôtre, si strictement enfermée dans un corps de doctrines religieuses et sociales, lointaines dans le temps, lointaines dans l’espace, sans mesure commune avec notre intelligence, qu’il est vain de poursuivre. Qu’il continue pourtant ! Il trouvera, quelques lignes plus bas, ceci qui lui sera plus familier :

« Je crois à l’aphorisme hindou, que nul ne connaît vraiment les Shâstras, qui n’ait atteint la perfection dans l’Innocence (Ahimsâ), dans la Vérité (Satya), dans la maîtrise de soi (Brahmacharya), et qui n’ait pas renoncé à toute acquisition et possession de richesses. »

Ici, la parole de l’Hindou rejoint celle de l’Évangile. Et Gandhi avait conscience de cette parenté. Son Ethical Religion s’achève par une citation du Christ[34]. Un pasteur anglais le questionnant, en 1920, sur les livres dont il avait reçu la plus forte influence, il répondit d’abord : Le Nouveau Testament[35]. Bien plus, c’est de son propre aveu[36], au Sermon sur la Montagne, qu’il dut en 1893 la révélation de la Résistance Passive. Son interlocuteur lui demanda, surpris :

« — Ne l’aviez-vous pas eue avant, par la lecture des livres hindous ?

— Non, insiste Gandhi. Je connaissais et j’admirais, avant, la Bhagavad Gîtâ. Mais ce fut le Nouveau Testament qui m’éveilla à la valeur de la Résistance Passive. Je débordais de joie, en le lisant. La Bhagavad Gîtâ fortifia cette impression ; et Le Royaume de Dieu est en vous, de Tolstoy, lui donna une forme durable. »[37]

Il ne faut pas oublier, en effet, que ce croyant asiatique est nourri de Tolstoy[38], qu’il a traduit Ruskin[39] et Platon[40], qu’il s’appuie sur Thoreau, admire Mazzini, lit Edward Carpenter, et que sa pensée est imprégnée de celles d’Europe et d’Amérique. Il n’y a point de raison pour qu’un Européen se trouve davantage étranger à la sienne, s’il veut prendre la peine de s’en approcher. Alors, il reconnaîtra le sens profond de ces articles du Credo, dont la lettre l’étonne. Deux surtout paraissent établir une barrière infranchissable entre l’esprit religieux de l’Inde et celui de l’Europe : le culte de la vache, et le système des castes[41]. Mais voyons ce qu’ils signifient, au regard de Gandhi :

Certes, ce ne sont pas pour lui des articles secondaires, dans l’ensemble de la doctrine. La protection de la vache est la caractéristique de l’Hindouisme. Gandhi y voit même une des affirmations les plus hautes de l’évolution humaine. Pourquoi ? Parce qu’elle est un symbole de « tout le monde subhumain », avec lequel l’homme conclut un pacte d’alliance. Elle signifie « la fraternité entre l’homme et la bête ». Et, selon sa belle expression, « elle emporte l’être humain au-delà des limites de son espèce. Elle réalise l’identité de l’homme avec tout ce qui vit ». Si la vache a été choisie, de préférence aux autres êtres, c’est qu’elle est dans l’Inde le meilleur compagnon, la source d’abondance ; et Gandhi voit en « ce doux animal un poème de pitié. » Mais le culte qu’il lui rend n’a rien d’idolâtrique, et nul ne condamne plus durement le fétichisme sans bonté du peuple de l’Inde, qui n’observe que la lettre sans pratiquer l’esprit de compassion « pour les muettes créatures de Dieu ». Une fois qu’on l’a compris — (et qui l’eût mieux compris que le poverello d’Assise !) — on ne peut s’étonner de l’importance qu’y attache Gandhi. Il n’a point tort de dire que la protection de la vache, au sens qu’il lui attribue, « est le don de l’Hindouisme au monde ». Car, au précepte de l’Évangile : Aime ton prochain comme toi-même, il ajoute : Tout ce qui vit est ton prochain.[42]

Le système des castes est peut-être plus difficile encore à accepter pour une intelligence d’Europe — (tout au moins, de l’Europe d’aujourd’hui : car Dieu sait ce que nous réserve l’avenir d’une évolution qui n’est plus démocratique que de nom I) — Je ne me flatte point de réussir, par l’exposé des explications de Gandhi, à le faire accepter, et je ne le désire point. Mais elles établiront nettement qu’aucune pensée d’orgueil et de suprématie sociale n’inspire cette croyance, mais une pensée de devoir dans le rang qui est assigné à chacun.

« Je suis porté à croire, dit Gandhi, que la loi de l’hérédité est éternelle et que toute tentative pour la changer conduit à l’absolue confusion… Le Varnâshrama est inhérent à la nature humaine, et l’Hindouisme l’a simplement réduit en science… »

Mais il limite les classes à quatre seulement : Brahmanes (classe intellectuelle et spirituelle), Kshattriyas (militaire et gouvernementale), Vaishyas (commerciale), et Shudras (travail et service manuels). Et il n’admet entre elles aucune relation de supériorité ou d’infériorité. Ce sont des vocations différentes : rien de plus. Des devoirs. Point de privilèges[43].

« Il est contre le génie de l’Hindouisme qu’un homme s’assigne un plus haut rang, ou assigne à d’autres un plus bas. Tous sont nés pour servir la création de Dieu, le Brahmane par son savoir, le Kshattriya par sa force protectrice, le Vaishya par son habileté commerciale, le Shudra par son travail corporel. Cela ne veut pas dire qu’un Brahmane soit dispensé du travail corporel, mais qu’il est mieux fait pour le savoir, ni qu’un Shudra ne puisse acquérir tout le savoir, mais qu’il servira mieux avec son corps, et qu’il n’a pas besoin d’envier les fonctions des autres. Un Brahmane qui prétendrait à la supériorité, à cause de son savoir, serait, de ce fait, déchu de son rang, et n’a pas de Vrai savoir… Le Varnâshrama a pour raison d’être l’économie de l’énergie sociale (sa bonne distribution) et la saine contrainte exercée sur soi par la volonté… »

Il est donc basé sur l’« abnégation », et non sur le privilège. N’oublions pas, d’ailleurs, que, dans la croyance à la transmigration, la nature rétablit l’équilibre, au cours des existences successives, en faisant d’un Brahmane un Shudra, et vice versa.

La question des parias n’a aucun rapport avec celle des quatre castes différentes, mais égales. Nous verrons avec quelle passion brûlante Gandhi ne cesse de combattre cette iniquité sociale : et c’est un des côtés les plus émouvants de son apostolat. Elle est pour lui la honte de l’Hindouisme, une déformation abjecte de la vraie doctrine, une souillure, et il en souffre d’une façon intolérable :

« J’aimerais mieux être mis en pièces, écrit-il, que de ne pas reconnaître mes frères des classes refoulées… Je ne désire pas renaître ; mais si je renais, je désire renaître parmi les intouchables, afin de partager leurs affronts et de travailler à leur libération… »[44]

Il adopta une petite intouchable, et il parle avec tendresse de ce charmant diablotin de sept ans, qui faisait dans sa maison la pluie et le beau temps.

J’en ai dit assez pour montrer, sous le vêtement du Credo hindou, le grand cœur évangélique. Un Tolstoy plus tendre, plus apaisé, et, si j’ose dire, plus naturellement « chrétien », au sens universel : car Tolstoy l’est bien moins par nature que par volonté.

Où la ressemblance des deux hommes s’accuse, où peut-être l’influence de Tolstoy a été la plus réelle, c’est dans la condamnation portée par Gandhi contre la civilisation d’Europe.

Depuis Rousseau, le procès de la civilisation n’a cessé d’être fait par les esprits les plus libres d’Europe, et l’Asie réveillée n’avait qu’à puiser dans leurs cahiers de doléances, pour constituer un dossier formidable contre ses envahisseurs. Gandhi n’y a pas manqué, et l’Hind Swarâj énumère une liste de ces livres accusateurs, parmi lesquels bon nombre sont écrits par des Anglais. Mais le livre sans réplique, c’est celui que la civilisation d’Europe a écrit elle-même dans le sang des races opprimées, dépouillées et souillées, au nom de principes menteurs ; et ç’a été surtout la révélation éclatante de ce mensonge, de cette avidité, de cette férocité, impudiquement étalés aux yeux du monde par la dernière guerre, dite de la Civilisation. Telle fut l’inconscience de l’Europe qu’elle y convia les peuples d’Asie et d’Afrique, pour voir sa nudité. Ils l’ont vue et jugée.

« La dernière guerre a montré la nature satanique[45] de la civilisation qui domine l’Europe d’aujourd’hui. Toutes les lois de moralité publique ont été brisées par les vainqueurs, au nom de la vertu. Nul mensonge n’a été regardé trop ignoble pour être utilisé. Derrière tous les crimes, le motif est grossièrement matériel… L’Europe n’est pas chrétienne. Elle adore Mammon… »[46]

Vous trouverez de telles pensées vingt fois exprimées depuis cinq ans, aux Indes et au Japon. Même chez ceux qui sont trop prudents pour les énoncer tout haut, cette conviction est inscrite maintenant à l’intérieur du front. Ce n’est pas le moins ruineux résultat de la victoire à la Pyrrhus de 1918. Mais Gandhi n’avait pas attendu 1914 pour voir le vrai visage de la civilisation : elle s’était montrée à lui, sans masque, durant les vingt années au Sud-Afrique. Et, dans son Hind Swarâj de 1908, il dénonçait, comme « le grand vice », la a Civilisation moderne ».

La Civilisation, dit Gandhi, l’est seulement de nom. Elle est, selon une expression de l’Hindouisme, « l’âge noir, l’âge des ténèbres ». Elle fait du bien matériel le but unique de ta vie. Elle ne s’occupe point des biens de l’âme. Elle affole les Européens, elle les asservit à l’argent, elle les rend incapables de paix et même de vie intérieure ; elle est un enfer pour les faibles et pour les classes travailleuses ; elle mine la vitalité des races. Cette civilisation satanique se détruira elle-même. Le vrai ennemi de l’Inde, c’est elle, bien plus que les Anglais qui, individuellement, ne sont pas méchants, mais malades de leur civilisation. Aussi, Gandhi combat ceux de ses compatriotes qui voudraient chasser les Anglais, pour faire de l’Inde un État « civilisé », à la façon européenne. Ce serait, dit-il, « la nature du tigre, sans le tigre. » Non, le grand, « le seul effort requis est de chasser la civilisation d’Occident. »

Il est trois classes d’hommes contre qui Gandhi s’élève avec une âpreté particulière : les magistrats, les médecins et les professeurs.

L’exclusion de ces derniers est explicable, puisqu’ils ont désappris aux Indiens leur propre langue et leur propre pensée ; ils infligent à l’enfant une dégradation nationale. De plus, ils ne s’adressent qu’à l’intellect ; ils ignorent le cœur, ils négligent le caractère. Enfin, ils déprécient le travail manuel ; et c’est un véritable crime qu’une éducation uniquement littéraire, dans un peuple dont 80 % sont agricoles, 10 % industriels. — La profession de magistrat est immorale. Les tribunaux, dans l’Inde, sont un instrument du pouvoir britannique ; ils attisent les dissensions entre les Indiens ; et, d’une façon générale, ils entretiennent et multiplient en tous pays les discussions et les querelles. C’est une exploitation, grassement lucrative, des mauvais instincts. — Quant aux docteurs, Gandhi convient qu’il fut attiré d’abord par leur profession ; mais bientôt il reconnut qu’elle n’était pas honorable. La médecine d’Occident s’occupe uniquement de soulager le corps des malades, nullement d’extirper les causes des maladies, qui sont en grande partie les vices : on peut même dire qu’elle les cultive, en offrant aux vicieux les moyens d’en jouir, aux moindres risques. Elle contribue donc à démoraliser un peuple ; elle l’effémine, avec ses recettes de « magie noire »[47], qui le détournent d’une discipline héroïque du corps et de l’esprit. À cette fausse médecine d’Occident, que Gandhi a souvent flétrie, avec une violence qui dépasse la mesure, il oppose la vraie médecine préventive, à laquelle il a consacré Un de ses petits traités populaires : A Guide to Health (Le Guide de la Santé), fruit de vingt ans d’expérience. C’est un traité de morale autant que de thérapeutique : car « la maladie est le résultat, non seulement de nos actes, mais de nos pensées » ; et il est relativement simple de donner des règles pour prévenir le mal, « toutes les maladies ayant la même origine, qui est qu’on ne suit pas les lois naturelles de la santé. Le corps est la demeure de Dieu. Il faut le garder pur ». Il y a d’ailleurs dans les prescriptions de Gandhi (avec trop d’obstination à nier des remèdes éprouvés) beaucoup de bon sens, mais un extrême rigorisme moral[48].

Mais le cœur de la civilisation moderne (âge de fer : cœur de fer), c’est la Machine. Elle est l’Idole monstrueuse. Il faut la rejeter. Le vœu ardent de Gandhi serait que le machinisme moderne fût arraché de l’Inde. À l’Inde libre, mais héritière du machinisme anglais, il préférerait encore l’asservissement de l’Inde au marché anglais.

« Mieux vaut encore acheter le tissu de Manchester qu’installer dans l’Inde les fabriques de Manchester. Un Rockfeller indien ne vaudrait pas mieux que l’autre. Le machinisme est un grand péché, il asservit les peuples… Et l’Argent est un poison, comme le vice sexuel… »

Mais, demandent les Indiens conquis par les idées modernes, que deviendra l’Inde sans les chemins de fer, les trams, les grandes industries ? — N’était-elle pas, avant ? réplique Gandhi. « Depuis des milliers d’années, l’Inde demeure, inébranlable, seule, au milieu du flot changeant des Empires. Tout le reste a passé. Elle a su conquérir, depuis des milliers d’années, la maîtrise de soi et la science du bonheur. Elle n’a en cela rien à apprendre des autres. Elle n’a pas voulu du machinisme et des grandes cités. L’antique charrue, le rouet, l’ancienne éducation indigène, ont assuré sa sagesse et son bien. Il nous faut revenir à la simplicité antique, non d’un seul coup, sans doute, mais peu à peu, patiemment, chacun donnant l’exemple…[49]

Ceci est le fond de la pensée ; et c’est grave. Elle suppose la négation du Progrès, et presque de la science d’Europe[50]. Cette foi médiévale risque donc de se heurter à la poussée volcanique de l’esprit humain et d’être mise en pièces. Mais d’abord, il serait peut-être prudent de dire, non pas : « de l’esprit humain », mais : « d’un esprit humain » : car si l’on peut croire — (et je crois) — à l’unité symphonique de l’esprit universel, elle est faite de bien des voix diverses, qui suivent chacune sa partie ; et notre jeune Occident, emporté par son rythme, ne songe pas assez qu’il n’a pas toujours mené la symphonie, que sa loi du progrès est sujette à éclipses, à mouvements contraires et à recommencements, que l’histoire de la civilisation humaine est, plus exactement, l’histoire des civilisations, et que si, dans chaque civilisation, on constate un progrès (variable, chaotique, brisé, parfois arrêté), on ne saurait du tout assurer qu’il y ait eu progrès d’une des grandes civilisations à une autre.

Mais, sans discuter ici le dogme européen du Progrès, et en se tenant simplement au fait que tout le mouvement actuel va contre le vœu profond de Gandhi, il ne faut pas croire que la foi de Gandhi va s’y briser. Ce serait mal connaître l’esprit oriental. Gobineau dit que « les Asiatiques sont en toutes choses beaucoup plus obstinés que nous. Ils attendent des siècles, quand il le faut, et leur idée, après un aussi long sommeil, ne se trouve jamais avoir vieilli ni perdu de ses forces ». Les siècles ne sont pas pour effrayer un Hindou. Gandhi est prêt au succès, dans le cours de l’année. Mais il y est aussi prêt, dans le cours de quelques siècles. Il ne violente pas le temps. Et si le temps s’attarde, il s’attarde avec lui. Si donc, dans son action, il trouve l’Inde insuffisamment préparée à comprendre et à pratiquer les réformes radicales qu’il voudrait lui imposer, il saura adapter son action aux possibilités. Et l’on ne s’étonnera pas d’entendre cet irréconciliable ennemi du machinisme dire, en 1921 :

« Je ne pleurerais pas la disparition des machines ; mais je n’ai aucun dessein (actuellement) contre les machines… »[51]

Ou bien :

« La loi de l’amour complet (sans exception ni restriction) est la loi de mon être. Mais je ne prêche pas cette loi finale par les mesures politiques que je préconise… Ce serait se condamner d’avance à l’échec. Attendre que la masse obéisse actuellement à cette loi ne serait pas raisonnable…[52]. Je ne suis pas un visionnaire, je prétends être un idéaliste pratique. »[53]

La définition est exacte ; il ne demande jamais aux hommes que ce qu’ils peuvent donner. Mais il leur demande tout ce qu’ils peuvent donner. Et ce tout est beaucoup, quand il s’agit d’un peuple comme celui de l’Inde. Peuple formidable, par son nombre[54], sa durée, et son âme abyssale. Entre ce peuple et Gandhi, dès les premiers contacts, il s’est fait un accord, ils se comprennent sans parler ; Gandhi sait ce qu’il en peut attendre, et ce peuple attend ce que Gandhi va lui demander.

Entre les deux, d’abord, cette convention formelle : le Swarâj[55], le Home Rule de l’Inde.

« Je sais, écrit Gandhi, que le Swarâj est le but de la nation, et non la Non-violence… »

Et il va jusqu’à ajouter cette parole, stupéfiante dans sa bouche :

« J’aimerais mieux voir l’Inde libre par la violence qu’esclave enchaînée à la violence des dominateurs. »

Mais, rectifie-t-il aussitôt, c’est supposer l’impossible : car la violence ne peut délivrer l’Inde ; le Swarâj ne peut être atteint sans les forces de l’âme, qui sont l’arme propre de l’Inde, l’arme d’amour, la force de vérité, — le Satyâgraha[56]. Et le coup de génie de Gandhi a été, en les prêchant à son peuple, de lui révéler sa vraie nature et sa puissance cachée.

Le terme de Satyâgraha avait été inventé par Gandhi, en Sud-Afrique, pour distinguer son action de la résistance passive. Il faut insister avec la plus grande force sur cette distinction : car c’est précisément par la « résistance passive » (ou par la « non-résistance ») que les Européens définissent le mouvement de Gandhi. Rien n’est plus faux. Nul homme au monde n’a plus d’aversion pour la passivité que ce lutteur inlassable, qui est un des types les plus héroïques du « Résistant ». L’âme de son mouvement est Résistance active, par l’énergie enflammée de l’amour, de la foi et du sacrifice. Et cette triple énergie s’exprime dans le mot de Satyâgraha.

Que le couard ne vienne donc pas abriter sa poltronnerie, à l’ombre d’un Gandhi ! Gandhi le chasse de sa communauté. Mieux vaut encore le violent que le lâche !

« Là où il n’y a le choix qu’entre lâcheté et violence, je conseillerai violence[57]. Je cultive le courage tranquille de mourir sans tuer. Mais qui n’a pas ce courage, je désire qu’il cultive l’art de tuer et d’être tué, plutôt que de fuir honteusement le danger. Car celui qui fuit commet une violence mentale : il fuit, parce qu’il n’a pas le courage d’être tué en tuant[58]. Je risquerais mille fois la violence, plutôt que l’émasculation de toute une race…[59]. Je préférerais de beaucoup voir l’Inde recourir aux armes pour défendre son honneur, plutôt que de rester lâchement témoin de son propre déshonneur… »[60]

« Mais, ajoute-t-il, je sais que la Non-violence est infiniment supérieure à la violence, que le pardon est plus viril que le châtiment. Le pardon est la parure du soldat. Mais s’abstenir de punir n’est pardon que quand existe le pouvoir de punir. Il n’a aucun sens, de la part d’une créature impuissante… Je ne crois pas l’Inde impuissante. Cent mille Anglais ne peuvent effrayer trois cent millions d’êtres humains… Et d’ailleurs, la force n’est pas dans les moyens physiques, elle réside dans une volonté indomptable… Non-violence n’est pas soumission bénévole au malfaisant. Non-violence oppose toute la force de l’âme à la volonté du tyran. Un seul homme peut ainsi défier un empire et provoquer sa chute… »

Mais à quel prix ? Sa souffrance. Souffrance, la grande loi

« L’insigne de la tribu humaine…[61]. La condition indispensable de l’être. La vie sort de la mort. Pour que le blé pousse, il faut que la semence périsse. Nul ne s’est jamais élevé sans avoir passé par le feu de la souffrance… Nul ne peut y échapper… Le progrès ne consiste qu’à purifier la souffrance, en évitant de faire souffrir… Plus pure est la souffrance (personnelle), plus grand le progrès…[62]. Non-violence est souffrance consciente… Je me suis permis de présenter à l’Inde l’antique loi du sacrifice de soi, la loi de Souffrance. Les Rishis qui découvrirent la loi de Non-violence, au milieu des pires violences, étaient de plus grands génies que Newton, de plus grands guerriers que Wellington : ils ont réalisé l’inutilité des armes, qu’ils avaient connues… La religion de la Non-violence n’est pas seulement pour les saints, elle est pour le commun des hommes. C’est la loi de notre espèce, comme la violence est la loi de la brute. L’esprit dort dans la brute. La dignité de l’homme veut une loi plus haute : la force de l’esprit… Je veux que l’Inde pratique cette loi, je veux qu’elle ait conscience de son pouvoir. Elle a une âme qui ne peut pas périr. Cette âme peut défier toutes les forces matérielles du monde entier[63]. »

Haut orgueil. Son amour fier de l’Inde veut qu’elle répudie l’indigne violence, et qu’elle se sacrifie. La Non-violence est son titre de noblesse. Si elle y renonce, elle est déchue. Et Gandhi n’en pourrait supporter la pensée :

« Si l’Inde faisait de la violence sa foi, je ne tiendrais plus à vivre dans l’Inde ; elle cesserait de m’inspirer aucune fierté. Mon patriotisme est subordonné à ma religion, je me cramponne à l’Inde, comme un enfant au sein maternel, parce que je sens qu’elle me donne la nourriture spirituelle dont j’ai besoin. Quand cette nourriture manquera, je serai comme un orphelin… Je me retirerai dans les solitudes de l’Himalaya, pour y abriter mon âme en sang… »[64]



Mais il ne doute point ; il croit en l’Inde, lorsqu’en février 1919 il décide d’ouvrir sa campagne de Satyâgraha, cette arme dont il avait expérimenté la puissance dans les Mouvements agraires de 1918.

Nulle couleur de révolte politique. Gandhi est encore loyaliste. Il le restera, tant qu’il conservera une lueur d’espoir en la loyauté de l’Angleterre. Jusqu’en janvier 1920, il défendra — et les nationalistes indiens le lui reprocheront amèrement[65] — le principe de coopération avec l’Empire. Il y porte la conviction de son honnêteté. En cette première année d’opposition au gouvernement de l’Inde, il pourra affirmer en toute sincérité à lord Hunter qu’il voit dans les adeptes au Satyâgraha les meilleurs sujets constitutionnels du gouvernement. Il faudra l’entêtement borné du gouvernement de l’Inde pour forcer le guide moral de l’Inde à déchirer le contrat de loyalisme, auquel il se croyait lié.

Ainsi, le Satyâgraha se présente au début comme une opposition constitutionnelle, une sommation respectueuse au gouvernement. Le gouvernement a édicté une loi injuste. Les « Salyâgrahi », qui, en temps ordinaire, s’inclinent devant les lois, désobéissent délibérément à la loi déshonorante ; et si cela ne suffit point pour rétablir la justice, ils se réservent la faculté d’étendre leur désobéissance à d’autres lois, jusqu’à retirer leur coopération complète à l’État. Mais que le caractère de cette désobéissance est différent de tout ce qu’on entend par ce mot, en Occident ! Quel extraordinaire accent d’héroïsme religieux !

Comme il est interdit aux Satyâgrahi d’agir sur l’adversaire par la violence — car on doit admettre que l’adversaire est, lui aussi, sincère : ce qui paraît vérité à l’un, à l’autre peut paraître erreur ; et la violence ne convainc jamais[66], — il faut qu’ils convainquent l’adversaire par le rayonnement d’amour qui émane de leur conviction, par leur abnégation, par leurs souffrances librement, joyeusement acceptées[67]. Propagande irrésistible. Par elle, la croix du Christ et son petit troupeau a conquis l’Empire.

Afin de mettre en lumière ce religieux élan d’un peuple qui s’offre au sacrifice pour les biens éternels : justice et liberté, le Mahâtmâ inaugura le mouvement[68], en fixant au 6 avril 1919 un jour de prières et de jeûne, un Hartal[69] de toute l’Inde en protestation contre l’Acte Rowlatt. Ce fut son premier acte.

Et cet acte toucha au plus profond de la conscience de son peuple. Il eut un effet inouï. Pour la première fois, toutes les classes s’unirent en un même geste. L’Inde s’était retrouvée.

Le calme avait été à peu près général. À Delhi seulement, se produisirent quelques échauffourées[70]. Gandhi s’y rendit, pour éclairer le peuple sur ses devoirs. Mais le gouvernement le fit arrêter en chemin et reconduire à Bombay. Le bruit de l’arrestation souleva, en Punjab, des émeutes populaires. Il y eut à Amritsar des pillages et quelques meurtres. Le général Dyer arriva avec ses troupes, dans la nuit du 11 avril, et occupa la ville. Tout était rentré dans l’ordre. Le 13 était un jour de grande fête hindoue. La foule se rendit à une assemblée sur le lieu dit Jallianwalla Bagh. Elle était paisible et comptait beaucoup de femmes et d’enfants. Le général Dyer avait, dans la nuit précédente, prohibé tout meeting ; mais nul ne connaissait encore l’interdiction. Le général vint avec des mitrailleuses, à Jallianwalla Bagh. Aucune sommation ne fut faite. Trente secondes après arrivée des troupes, le feu fut ouvert sur la foule sans défense ; il dura dix minutes, jusqu’à épuisement des munitions. Le terrain était entouré de hautes murailles ; la fuite était impossible. Cinq à six cents Hindous furent tués, un plus grand nombre blessés. On ne prit aucun souci des morts et des blessés. La loi martiale fut proclamée dans le pays. Un régime de terreur écrasa le Punjab. On vit des avions jeter des bombes sur des foules désarmées. Les plus honorables citoyens furent traînés devant les tribunaux militaires, fouettés, contraints à ramper sur le ventre, soumis à de honteuses humiliations… On eût dit qu’un vent de folie soufflât sur les dominateurs anglais. Comme si la loi de Non-violence, proclamée par l’Inde, eût eu pour premier effet d’exaspérer les violents d’Europe, jusqu’à la frénésie ! Gandhi ne l’ignorait point. Il n’avait pas promis à son peuple de le mener à la victoire, par une route blanche. Il lui avait promis la voie sanglante. Et le jour de Jallianwalla Bagh c’était que le jour du baptême…

« Nous devons être prêts à envisager avec égalité d’âme, leur dit-il, non pas mille assassinats d’hommes et de femmes innocents, mais plusieurs milliers, avant que l’Inde atteigne dans le monde à un rang qui ne sera jamais surpassé… Que chacun regarde la pendaison comme une affaire ordinaire de la vie !…[71] »

La censure militaire réussit à empêcher pendant quelques semaines que les horreurs du Punjab fussent connues au dehors[72]. Mais quand le bruit s’en répandit dans l’Inde, un flot d’indignation parcourut le pays ; et l’Angleterre même s’émut. Une enquête fut ouverte par une Commission, que présidait lord Hunter. Parallèlement, le Congrès National indien forma une sous-commission pour procéder à une contre-enquête. L’intérêt évident du Gouvernement — (tous les Anglais intelligents le comprirent) — eût été de sévir contre les fauteurs du massacre d’Amritsar. Gandhi n’en demandait même pas tant. En son admirable modération, il se refusait à réclamer le châtiment du général Dyer et des autres officiers coupables, tout en les flétrissant. Il ne voulait pas de vengeance. Il n’avait pas de rancune… « On n’a pas de rancune contre un fou. Mais il faut lui enlever les moyens de faire du mal… » Il exigeait donc seulement le rappel de Dyer. Mais quos vult perdere… Avant les conclusions de enquête, le gouvernement de l’Inde se hâta de faire passer une loi d’indemnité (Indemnity Act) pour la protection des fonctionnaires ; les officiers criminels ne furent pas seulement maintenus, ils furent récompensés.

L’Inde était au milieu de cet ébranlement, lorsqu’une seconde affaire, beaucoup plus grave encore que la première, une violation flagrante d’engagements solennels pris par e chef du gouvernement anglais, acheva de ruiner le reste de confiance qu’elle pouvait avoir encore en la bonne foi des Européens déclencha la grande Révolte.

La guerre d’Europe avait posé aux musulmans de l’Inde un rude problème de conscience. Ils se trouvaient partagés entre leur loyalisme envers l’Empire et leur fidélité au chef de leur religion. Ils ne s’étaient décidés pour l’Angleterre qu’après avoir reçu d’elle la promesse qu’elle n’attenterait pas à la souveraineté du Sultan ou Khalife. L’opinion musulmane exigeait que les Turcs conservassent la Turquie d’Europe, et que le Sultan gardât, avec le contrôle des Lieux Saints de l’Islam, la suzeraineté de l’Arabie telle qu’elle était définie par les savants musulmans, avec ses enclaves de la Mésopotamie, de la Syrie et de la Palestine. Lloyd George et le vice-roi de l’Inde avaient pris des engagements formels. La guerre terminée, de ces engagements il ne resta rien. Au cours de l’été 1919, les Musulmans de l’Inde, inquiets de la paix écrasante qui se brassait, commencèrent à gronder ; et ce fut le début de l’agitation du Khilafat (Kalifat).

Elle s’ouvrit, le 17 octobre 1919 (Khilafat Day), par une imposante démonstration pacifique, suivie, un mois après (24 novembre), par une Conférence du Khilafat de toute l’Inde, à Delhi, Gandhi la présidait. D’un œil prompt, il avait aussitôt saisi la question musulmane, comme l’instrument le plus propre à opérer l’unité indienne. C’était un gros problème. Les Anglais avaient toujours escompté l’inimitié naturelle entre Hindous et Musulmans ; et Gandhi les accuse même de l’avoir en grande partie créée. Ils n’avaient, en tout cas, rien fait pour la diminuer. Les deux religions se provoquaient puérilement l’une l’autre. Les Hindous ne manquaient pas de chanter en passant devant les mosquées, où le silence est de règle. Et les Musulmans avaient beau jeu à blesser les Hindous dans leur culte de la vache. Il s’en suivait des querelles et des combats continuels qui entretenaient l’animosité. Les deux peuples ne frayaient pas entre eux ; mariages et repas communs leur étaient interdits. Le gouvernement de l’Inde dormait sur la certitude cette division éternelle. La voix de Gandhi, proclamant l’union, à la conférence du Khilafat, le réveilla en sursaut. Avec une générosité sincère — et d’autant plus habile — Gandhi déclara que les Hindous devaient ne faire qu’un avec les Mahométans, pour la cause musulmane.

« Hindous, Parsis, chrétiens ou Juifs, dit-il, qui que nous soyons, si nous souhaitons de vivre en une seule nation, l’intérêt d’un seul doit être celui tous. La seule considération qui compte, c’est la justice de sa cause. »

Le sang des Mahométans s’était déjà mêlé à celui des Hindous sur le champ de massacre d’Amritsar. Maintenant, il fallait sceller l’alliance. Une alliance sans conditions. Les Musulmans étaient l’élément le plus hardi de la population de l’Inde. Ils furent les premiers à décider, dans cette Conférence du Khilafat, le refus de coopération avec le gouvernement, s’ils n’obtenaient pas satisfaction. Gandhi les approuva. Toutefois, fidèle à son esprit de modération, il se refusa au boycott des marchandises anglaises, parce qu’il y voyait à la fois une vengeance et une marque de faiblesse. Une seconde conférence du Khilafat, à Amritsar, vers la fin de décembre 1919, résolut d’envoyer une députation en Europe, et fit porter au vice-roi un ultimatum menaçant pour le cas où la paix serait contraire aux volontés de l’Inde. Une troisième Conférence à Bombay, en février 1920, lança un manifeste musulman, qui flétrissait la politique anglaise et annonçait l’orage.

Gandhi le voyait venir ; et, bien loin de l’appeler, il faisait tout pour le retenir.

En Angleterre, il semblait qu’enfin on comprît le danger. Par de tardives concessions, on tâchait de l’arrêter. Un Acte de Réforme Indienne, basé sur les rapports Montagu-Chelmsford, accordait au peuple l’Inde plus de pouvoirs et de responsabilités dans le gouvernement central et les administrations provinciales. Le Roi, par une Proclamation du 24 décembre 1919, y donna son assentiment, convia le peuple et les fonctionnaires indiens à y coopérer, et demanda au vice-roi d’amnistier les condamnés politiques. Gandhi, toujours sensible à la générosité, se montra touché, et, voyant dans ces démarches un engagement tacite pris par l’Angleterre de rendre justice à l’Inde, il conseilla d’accepter les réformes ; il les jugeait incomplètes, mais pensait qu’elles pouvaient être le point de départ de conquêtes légales plus étendues et qu’on devait franchement s’y rallier. Après de vifs débats, son avis prévalut, au Congrès National de toute l’Inde.

Mais ce dernier espoir fut déjoué, comme les autres. Le vice-roi ne tint pas compte de l’appel fait à sa clémence ; si les prisons s’ouvrirent pour un grand nombre de condamnés politiques, l’amnistie ne fut pas générale, et il y eut des exécutions, qui surexcitèrent l’Inde. Il devint évident que les promesses de réformes resteraient un leurre.

À ce moment (14 mai 1920), l’Inde apprit les conditions de la paix désastreuse pour la Turquie. Un message du vice-roi reconnaissait qu’elles devaient être pénibles aux cœurs musulmans, mais les engageait à la résignation.

Enfin, en ces mêmes jours, tardivement publié, le rapport officiel de la Commission d’enquête sur les massacres d’Amritsar achevait de soulever la conscience du pays.

C’en fut fait. Les liens étaient rompus.

Le Comité Khilafat, réuni à Bombay, le 28 mai 1920, adopta la Non-coopération, proposée par Gandhi ; et la Conférence hindoue-musulmane d’Allahabad la vota à l’unanimité, le 30 juin 1920 : elle fixait au vice-roi un délai d’un mois pour faire droit à l’ultimatum.

Gandhi écrit lui-même au vice-roi. Il lui notifie le mouvement de Non-coopération. Il explique pourquoi il y a recours ; et les raisons qu’il en donne sont curieuses : car, même à ce suprême instant, il atteste son désir de ne pas rompre avec l’Angleterre, et son espoir de l’amener à résipiscence par une révolte légale :

« Il ne me reste plus, dit-il, que deux seuls partis : ou bien me détacher de l’Angleterre, ou bien, si je crois encore à la supériorité de la Constitution britannique sur les autres Constitutions, obliger le gouvernement à nous rendre justice. Or, je crois encore à la supériorité de la Constitution britannique. Et c’est pourquoi je conseille la désobéissance. »

On voit quel grand citoyen de l’Empire l'aveugle orgueil de l’Empire n’a pas su conserver.

  1. C’est le sens littéral de ce nom, qui fut décerné à Gandhi par le peuple de l’Inde : Mahâ, grande ; Atmâ, âme. Le mot remonte aux Upanishads, où il désigne l’Être suprême, et, par communion de connaissance et d’amour, ceux qui s’unifient à lui :

    Il est l’Un lumineux, le Créateur de Tout, le Mahâtmâ,
    Toujours dans le cœur des peuples établi,
    Révélé par le cœur, par l’intuition, par l’intelligence,
    Celui qui le connaît, il devient immortel.

    Tagore, visitant en décembre 1922 l’Ashram (retraite favorite de Gandhi), cita ce beau verset, en l’appliquant à l’apôtre.

  2. C.-F. Andrews, qui ajoute : « Il rit comme un enfant, et il adore les enfants ».
  3. « Peu d’hommes peuvent résister au charme de sa personnalité. Ses plus violents adversaires sont rendus courtois par sa belle courtoisie ». (Joseph J. Doke).
  4. « Tout écart de la vérité, même en passant, lui est intolérable ». (C.-F. Andrews).
  5. « Il n’est pas un orateur passionné ; sa manière est calme et lente ; il s’adresse surtout à l’intelligence. Mais sa tranquillité place les sujets sous le jour le plus limpide. Ses inflexions de voix sont peu variées, mais d’une sincérité intense. Jamais il n’agite les bras, il remue rarement un doigt en parlant. Sa parole lumineuse, qui s’exprime par sentences nerveuses, emporte la conviction. Il ne lâche aucun point, avant d’être sûr qu’il est bien compris ». (Joseph J. Doke).
  6. Young India, 2 mars 1922. (Les dates citées au bas des pages de cette Étude se réfèrent aux articles de Gandhi publiés dans le vol. Young India).
  7. Ibid.
  8. A : privatif, Himsâ, faire du mal. Non-injure à toute vie. Non-violence. Un des plus anciens principes de la religion hindoue, particulièrement affirmé par Mahâvira, fondateur du Jaïnisme, par Buddha, ainsi que par les champions du culte de Vishnu, qui eut beaucoup d’influence sur Gandhi.
  9. Il étudia jusqu’à sept ans à l’école élémentaire de Porbandar, puis à l’école publique de Rajkot ; après dix ans, à la High School de Katyavar, enfin à dix-sept ans à l’Université d’Ahmedabad.
  10. Il a raconté son enfance, dans un discours familier, à la Conférence des classes intouchables (parias), le 13 avril 1921.
  11. Plus tard, il fit part de ses transes à Joseph J. Doke. Il en perdit le sommeil ; il se croyait un meurtrier.
  12. Fiancé à huit ans, marié à douze ans. Par la suite, il combattit les mariages d’enfants, où il voit une cause de ruine pour la race. Cependant, il ajoute qu’exceptionnellement une telle union pour la vie, commencée avant que le caractère soit formé, peut produire entre les époux une merveilleuse unité d’âme. Son propre mariage en a été un exemple admirable. Mme Gandhi a partagé toutes les épreuves de son mari, avec une fidélité et un courage qui ne se sont jamais démentis.
  13. Discours du 13 avril 1921.
  14. Ces Précurseurs, dont la hardiesse politique a été bien dépassée, ont souffert de l’ingratitude et de l’oubli des générations nouvelles. Mais Gandhi leur est resté fidèle, particulièrement à Gokhale, avec qui il était lié par une pieuse affection. À diverses reprises, il impose son nom et celui de Dadabhai à la vénération de la Jeune Inde. (Voir Hind Swarâj), la Lettre aux Parsis du 23 mars 1921, et la Profession de foi du 13 juillet 1921).
  15. Il gagnait, dit Gokhale, 5 à 6.000 livres par an. Dorénavant, il vécut de trois livres par mois.
  16. The Golden Number of Indian Opinion, publié à Phœnix, en 1914, reproduit une longue lettre de Tolstoy à Gandhi, écrite le 7 septembre 1910, peu avant sa mort. Tolstoy avait lu l’Indian Opinion, et il se réjouissait de ce qu’il y avait appris des non-résistants Indiens. Il encourage le mouvement et dit que « la non-résistance est la loi de l’amour, c’est-à-dire l’aspiration à la communion des âmes humaines », C’est la loi promulguée par Christ et les sages du monde entier.

    Notre ami Paul Birukoff a retrouvé dans l’Archive Tolstoy, à Moscou, d’autres lettres de Tolstoy à Gandhi. Il va les publier, avec une collection de lettres de Tolstoy à des Asiatiques, sous le titre général : Tolstoy et l’Orient.

  17. Il a raconté lui-même, avec une tranquille bonhomie, ses expériences de prison, en un curieux article, reproduit dans le volume : Speeches and writings of M. K. Gandhi, Natesan, Madras, pages 152-178.
  18. En 1907, par ses propres compatriotes : car il eut à la fois à souffrir de la violence des oppresseurs et de celle des opprimés ; à ceux-ci la modération de Gandhi était suspecte, et le gouvernement faisait ce qu’il pouvait pour le compromettre.
  19. J’y reviendrai plus loin.
  20. Joseph J. Doke, dont les entretiens avec Gandhi au Transvaal sont si révélateurs, termine son livre en octobre 1908, sur la vision de Gandhi en costume de forçat, conduit au fort de Johannesburg, et jeté dans un cachot avec d’ignobles criminels Chinois de droit commun.
  21. L’intervention de deux nobles Anglais : C.-F. Andrews et W.-W. Pearson, seconda efficacement les efforts de Gandhi.
  22. Gandhi rappelle le fait, dans un article du 12 mai 1920.
  23. Son maître aimé, Gokhale, qui venait de mourir, lui avait fait promettre qu’il ne se mêlerait pas à la politique active, avant d’avoir, au moins pendant un an, fait le tour de l’Inde et revu de près son peuple, avec qui il avait perdu contact.
  24. On peut dater du 28 février 1919 les débuts du mouvement Satyâgraha.
  25. Il s’est prononcé nettement contre le Bolchevisme. (24 novembre 1921).
  26. 11 août 1920. Gandhi s’oppose ici à « la doctrine de l’Épée ».
  27. « L’humanité est une. Il y a des différences de races ; mais plus une race est haute, plus elle a de devoirs. » (Ethical Religion).
  28. 5 novembre 1919.
  29. 27 octobre 1920.
  30. Juillet 1920. — « Ma croyance n’exige pas que je considère tous les versets comme divinement inspirés… Je me refuse à être lié par aucune interprétation, quelque savante qu’elle soit, si elle répugne à la raison et au sens moral… » (6 octobre 1921).
  31. Ibid. — « Toutes les religions sont des routes diverses qui convergent vers le même but. » (Hind Swarâj). — « Toutes les religions sont fondées sur les mêmes lois morales. Ma religion éthique est faite des lois qui lient tous les hommes du monde. » (Ethical Religion).
  32. 6 octobre 1921.
  33. Étymologiquement : Varna : couleur, classe ou caste ; ashrama : lien de discipline ; dharma : religion. La société est représentée comme une discipline de classes. C’est le fondement de l’Hindouisme.
  34. « Cherchez le royaume de Dieu et la Justice, et le reste vous sera donné par surcroît. »
  35. Young India, 25 février 1920.
  36. À Joseph J. Doke, on 1908.

    Il fut même très près de se faire chrétien, en Sud-Afrique. Mais la lecture des livres bouddhiques, en le satisfaisant plus pleinement, le retint dans l’hindouisme.

  37. Il dit encore à Joseph J. Doke :

    « Dieu s’est incarné, sous des formes diverses, à travers les âges. Dans la Gitâ, Krishna dit : Quand la religion tombe en décadence, quand l’irréligion prévaut, alors je me manifeste. Pour la protection du bien, pour la destruction du mal, pour le ferme établissement du Dharma, je renais encore et toujours.

    Le Christianisme fait partie de ma théologie. Le Christ est une resplendissante révélation de Dieu. Mais non la révélation unique. Je ne la vois pas sur un trône solitaire… »

  38. La brochure de l’Hind Swarâj contient, à la fin, une liste dressée par Gandhi de six ouvrages de Tolstoy, qu’il conseille de lire (notamment : Le Royaume de Dieu est en vous, Qu’est-ce que l’Art ? Que faire ? ) — Il parle à Joseph J. Doke de la profonde influence que Tolstoy exerça sur lui. Mats il ajoute qu’il ne l’a pas suivi dans ses idées politiques. — À une question qui lui est posée, en 1921 : « Dans quels rapports êtes-vous avec le comte Tolstoy ? » Gandhi répond dans Young India (25 octobre 1921) : « Ceux d’un admirateur dévot, qui lui doit beaucoup dans la vie. »
  39. Il aimait surtout de Ruskin le livre : Crown of Wild Olive (La Couronne d’olivier sauvage).
  40. L’Apologie et la Mort de Socrate, traduite par Gandhi, fut parmi les livres prohibés par le gouvernement de l’Inde, en 1919.
  41. Il n’y a pas lieu de s’arrêter au culte des idoles. « Je n’ai pas de vénération pour elles, écrit Gandhi. Mais cela fait partie de la nature humaine. » Il le considère comme un besoin respectable, inhérent à l’infirmité de l’esprit humain, qui a parfois besoin de matérialiser sa croyance, pour mieux l’adorer. Ce n’est donc rien de plus que ce que nous voyons dans toutes nos églises catholiques.
  42. Sur le culte de la vache, voir dans Young India les articles des 16 mars, 8 juin, 29 juin, 4 août 1920, 18 mai, 6 octobre 1921. — Sur les castes. 8 décembre 1920, 6 octobre 1921.
  43. Quand au cours des âges, les classes primitives ne pétrifièrent en castes orgueilleuses, les Upanishads élevèrent leur protestation.
  44. 27 avril 1921.
  45. C’est un terme qui revient souvent, sous la plume de Gandhi : « L’intouchabilité (la croyance aux parias) est une invention de Satan ». (10 Juin 1921).
  46. 8 septembre 1920.
  47. On ne doit pas oublier qu’un des principaux griefs de Gandhi contre la médecine d’Europe est qu’elle a recours à la vivisection, « ce crime le plus noir de l’homme ».
  48. Particulièrement en ce qui concerne les relations sexuelles : sa doctrine sévère rappelle Saint-Paul.
  49. Hind Swarâj, passim.
  50. Gandhi tâche de sauvegarder, à défaut de la science européenne, la nécessité des recherches scientifiques et leur stricte discipline. Il admire le zèle et le sacrifice des hommes de science européens, qu’il trouve souvent supérieurs à ceux des hommes de foi hindous. Il respecte l’esprit ; il conteste seulement le chemin que cet esprit a choisi. — Mais en dépit de ces réserves, l’antagonisme est évident. Et là-dessus Tagore, comme nous le verrons, élève une juste protestation contre le médiévalisme de Gandhi.
  51. 19 janvier 1921.
  52. 9 mars 1921.
  53. 11 août 1920.
  54. Le cinquième de la population du globe.
  55. Étymologie : Swa : « Self », soi-même ; Râj : gouvernement. Autonomie. Le mot est aussi vieux que le. Vedas ; mal il fut redécouvert et introduit dans le vocabulaire politique par Dadabhai, le maître Parsi de Gandhi.
  56. Étymologiquement : Satya : juste, droit ; Agraha : essai, tentative ; essai juste. On rappliqua spécialement à la Non-acceptation de l’injustice. Gandhi le définit (5 novembre 1919) par:« Se tenir à la vérité ; force de vérité ; force d’amour, ou force d’âme » ; et enfin, « triomphe de la vérité par la force d’âme et d’amour ».
  57. 11 août 1920.
  58. 20 octobre 1921.
  59. 4 août 1920.
  60. 11 août 1920. Une des Observances de l’École Satyâgraha Ashram, fondée par Gandhi, est l’absence de peur, l’âme libérée de la crainte des rois, des peuples, des castes, des familles, des hommes et des bêtes sauvages, de la mort ».

    C’est aussi Ia quatrième condition de la Résistance non-violente dans l’Hind Swarâj. (Les trois autres sont la Chasteté, la Pauvreté, la Vérité).

  61. 9 mars 1920.
  62. 16 juin 1920.
  63. 11 août 1920.
  64. 6 avril 1921.
  65. Quelques mois encore avant son emprisonnement, Gandhi répond aux vifs reproches qui lui sont adressés sur « l’illogisme » de sa politique. On rappelle avec dérision le secours qu’il a apporté à l’Angleterre, dans le Sud-Afrique, et pendant la guerre mondiale. À ce moment encore, il ne renie rien de sa conduite passée. Il croyait honnêtement, dit-il, qu’il était citoyen de l’Empire ; son affaire n’était pas de juger le gouvernement ; il trouverait fâcheux que chacun se constituât le juge de son gouvernement. Il a fait crédit à l’intelligence et à l’honnêteté anglaise, aussi longtemps qu’il l’a pu. L’aberration du gouvernement lui a arraché sa confiance. Que le gouvernement en porte la responsabilité ! (17 novembre 1921).
  66. Elle fait pis. Elle dégrade celui qui l’emploie. Les violences des Alliés contre l’Allemagne, dit Gandhi, ont eu pour effet de rendre les Alliés pareils aux Allemands, dont ils flétrissaient les actes, au début de la guerre (9 juin 1920).
  67. « Si dure que soit une nature, elle fondra au feu de l’amour. Si elle ne fond pas, c’est que le feu n’est pas assez fort. » (9 mars 1920). Les participants au Satyâgraha signent, en masse, l’engagement de refuser l’obéissance aux lois mauvaises que leur désignera Comité du Satyâgraha, de suivre fidèlement la voie de vérité, et de s’abstenir de toute violence à la vie, à la personne et à la propriété.
  68. 23 mars 1919.
  69. Ce mot hindi signifie : « arrêt de travail en signe de protestation ou de deuil ».
  70. Delhi s’était d’ailleurs trompée de date ; elle avait fait son Hartal, dès le 30 mars.
  71. 7 avril 1920.
  72. De son côté, Gandhi suspendait son mouvement, le 18 avril 1919, pour calmer l’effervescence, au lieu de l’exploiter, comme l’eût fait tout autre révolutionnaire.