F. Rieder et Cie (p. 129-150).



VIII


Dans le temps que Mlle  de La Ralphie, devenue orpheline, s’établissait à Guersac, Damase, arrivé à Oran, faisait son instruction militaire au 2e chasseurs d’Afrique. Cette période de la vie de soldat est encore assez pénible et l’était beaucoup plus autrefois. Il fallait à un jeune homme ayant quelque éducation, des habitudes polies et de la délicatesse de goûts, une certaine force de caractère et une énergique volonté pour surmonter les ennuis des débuts. Outre les fatigues de l’apprentissage du métier de soldat, assez sérieuses, surtout dans la cavalerie, il fallait tenir bon contre les brimades et les farces énormes des vieux soldats qui abondaient dans les anciens régiments, particulièrement dans ceux d’Afrique.

Dès son arrivée, Damage fut mis à l’épreuve. La bienvenue obligée se résuma en une notable quantité de peaux de bouc remplies chez le maltais voisin d’un gros vin d’Espagne, noir comme de l’encre et très capiteux. Les hommes à cheval sur leur lit, dans les baraques de campement, fumaient, et à la ronde buvaient à la régalade, ou accolaient la petite outre, comme eût dit maître François ; après quoi, ils reprenaient leur pipe, et, leur tour revenu, élevaient derechef la peau de bouc en l’air et recevaient le jet dans leur bouche altérée, avec une habileté qui dénotait une grande habitude de cet exercice. Lorsque les têtes furent échauffées, les chansons commencèrent ; chansons de corps de garde, à faire frémir des conscrits, braillées sur tous les airs et même sur celui des vêpres.

Il n’y avait guère là dans le peloton où avait été placé le cavalier Vital (Damase), comme portait son livret, que de vieux soldats chevronnés, à figures basanées, à barbes incultes, illettrés presque tous ; vieux routiers connaissant le fourbi, chapardeurs par instinct et par nécessité ; dans le nombre, pas mal de remplaçants ayant, selon l’expression soldatesque, « vendu le cochon de leur père ». Au demeurant, tous braves soldats, durs à la peine, supportant la misère stoïquement, mais se revenchant à l’occasion. Cette société de gens grossiers et déjà quelque peu ivres, n’était guère faite pour plaire à Damase qui, quoique né dans une condition très inférieure, s’était élevé déjà et aspirait encore à monter intellectuellement et moralement.

Les fumées du vin, celles du tabac et le tapage croissant lui donnèrent mal à la tête. Il ôta sa veste et son fez, prit le bidon d’eau de la chambrée et sortit de la baraque pour se rafraîchir la figure.

— Hé conscrit ! t’as le mal de mer ?

Et quelques chasseurs, sortis pour voir le « bleu » « piquer son renard », le goguenardaient, tandis qu’il se débarbouillait.

— Y se lave comme un vrai arbico.

— Tu sais, conscrit, Mahomet l’a dit : y te faut commencer par le coude…

— Et finir par la bouche, ajouta un autre.

— Sans changer d’eau, acheva un troisième.

Et tous se mirent à rire.

Cela alla bien d’abord. Damase ripostait sur le même ton, lorsque l’un des chasseurs aperçut sous sa chemise entr’ouverte la médaille de Mme  Boyssier. Alors, ce fut une explosion de brocards et de quolibets :

— Donc, tu étais marguillier dans ton endroit ?

— Enfant de chœur ?

— Rat d’église ?

Toutes ces interrogations partaient comme des coups de pistolet, et les railleries continuaient :

« Sans doute, il allait passer aumônier de la garnison… C’était sa maman qui lui avait mis ça au cou, le pauvre petit, pour lui porter bonheur ! »

« Ha ! ha ! ha ! On n’avait jamais vu de ces coyonnades-là aux chasse-marée…

— Ous qu’il est ton chapelet ?

— Et, nom de Dieu, le « bleu » allait faire la prière tous les soirs dans la chambre, ça serait « chouette », il serait le marabout du peloton… »

— Tas de brutes ! pensait Damase.

Mais l’un des chasseurs, vieux troupier trois fois chevronné, à barbe noire embroussaillée où couraient quelques poils blancs, surnommé par antiphrase : La Douceur, s’approcha, le « brûle-gueule » à la bouche, et avança la main pour prendre la médaille :

— Donne-moi ça, moutatchou, y n’est pas permis d’avoir ces histoires-là au régiment… Nous allons bazarder ça chez un yaoudi ; il y aura pour remplir encore les peaux de bouc.

— Ne touche pas à ça, vieille bête ! fit Damase en lui rabattant le bras.

— Qu’est-ce que tu dis ? Sacré nom de Dieu de bleu ! Tu te permets de te foutre des anciens ?

Et il saisit Damase au cou.

Mais lui se dégagea, et, d’un coup de poing solidement appliqué, envoya La Douceur à trois pas en arrière.

— Ah ! c’est comme ça ! Soldat du pape ! Benikelp ! Alouf ! Allons derrière la mosquée, je vais te foutre les tripes au soleil !

— Allons ! dit Damase.

Et les deux adversaires rentrèrent dans le baraquement prendre leur sabre et ressortirent bientôt, suivis de tout le peloton.

En ce temps-là, dans les troupes d’Afrique, la discipline n’existait guère qu’en face de l’ennemi, et, aux chasseurs, on ne demandait pas la permission pour se flanquer un coup de torchon.

Derrière l’enceinte de la Koubba, qui avoisinait le quartier, les deux hommes mirent bas veste et chemise et s’alignèrent. L’un avait un torse élégant et des membres bien attachés qui annonçaient de la vigueur ; l’autre était carré des épaules et poilu : comme un ours. Damase ignorait totalement l’escrime, comme celui qui touchait un sabre pour la première fois ; aussi, sa défense était tout instinctive, et, quant à l’attaque, il se servait de son arme comme d’un bâton et tapait dur. Le vieux soldat parait les coups sans trop de peine d’abord, et cherchait, par des feintes, à amener Damase à se découvrir ; mais c’était faire de l’habileté en pure perte avec ce conscrit qui ignorait les parades régulières et semblait un batteur en grange.

Au bout de cinq minutes de cette violente escrime, les deux adversaires s’arrêtèrent au commandement du brigadier de chambrée qui présidait à la rencontre. Le vieux chevronné, un peu essoufflé, tordait sa moustache et rageait. Damase, lui, ne tordait pas la sienne, encore naissante, et se reposait, une main sur la hanche, l’autre sur son sabre pointé en terre. À la reprise, La Douceur, furieux d’être tenu en échec par un conscrit, porta à Damase deux ou trois coups précipités que celui-ci eut quelque peine à parer, et, enfin, fonça sur lui d’un coup de pointe qui devait l’embrocher. Heureusement, le jeune homme voyant qu’il n’arrivait pas à temps à la parade, fit un bond de côté et en fut quitte pour une éraflure au flanc, tandis que son sabre s’abattait sur l’avant-bras de La Douceur auquel il fit une légère entaille :

— Te voilà un quatrième chevron !

— C’est assez ! dit le brigadier, le « bleu » s’est bien conduit. Allons, donnez-vous la main.

— Sans rancune, fit Damase.

L’autre grogna quelque chose, assez embêté ; mais il céda au brigadier et à ses camarades et donna la main. Puis l’on rentra au quartier et il fallut arroser la réconciliation. Pour ce faire, l’homme de corvée de chambre alla faire remplir, derechef, les peaux de bouc.

— Il vous faudra porter vos sabres chez le maître armurier, dit le brigadier en examinant les lames ébréchées ; vous vous en êtes foutus chacun pour vingt-sept sous et demi sur votre masse.

Après avoir conquis l’estime de ses camarades par sa ferme attitude, Damase gagna leur amitié par son caractère franc et loyal. Ces hommes frustes et rudes se rendirent compte aussi de la supériorité intellectuelle du nouveau venu et lui témoignaient une certaine déférence. Lorsqu’il s’agissait d’une question étrangère au métier, son avis était écouté par ces troupiers ignorants, et prévalait. Bientôt, il fut le kodja ou secrétaire de son peloton et écrivait, pour les illettrés, ces lettres dictées qui commencent invariablement par la formule : « Mes chers parents, je mets la plume à la main… » et se terminent non moins invariablement par un appel de fonds. Lorsque après avoir achevé ses classes d’instruction, Damase se mit à étudier la théorie, aucun de ses camarades n’en fut étonné. La Douceur qui, le premier moment de mauvaise humeur passé, était devenu son camarade de lit, ce qui, dans l’armée de terre, équivaut au « matelotage » dans la marine, La Douceur disait :

— Le bougre arrivera sous-officier, et même peut-être « mar-chef » !

Il tardait fort à Damase d’échapper à la vie de quartier, très ennuyeuse et monotone, car la garnison d’Oran était, à cette époque, resserrée dans la place et il ne faisait pas bon s’aventurer seul hors des murs. Aussi fut-il heureux une nuit d’entendre sonner : « À cheval ! »

Ben Tamy, khalifat d’Abd-el-Kader, était dans la plaine du Sig avec de nombreux contingents. Lorsque arrivés en vue de l’ennemi, les escadrons tirèrent le sabre et prirent le trot pour le rejoindre, Damase éprouva une émotion assez vive. Non pas qu’il eût peur, mais il ressentait cette impression d’une situation nouvelle, qui débute par un certain étonnement du danger auquel succède, dans l’action, une sorte de griserie guerrière que suit un sentiment de satisfaction lorsqu’on est sorti sain et sauf de la bagarre. C’est ce qu’éprouvent la plupart des conscrits, car les vieux soldats sont plus rassis : le danger blase comme le plaisir.

Pendant que les chasseurs avançaient, les Arabes tiraillaient à force et les balles sifflaient dans les rangs, faisant secouer la tête des chevaux, incliner parfois celle d’un « bleu », et, çà et là, blessant quelqu’un. À cent pas de l’ennemi, les escadrons prirent le galop, et à cinquante pas chargèrent. Les chasseurs pénétraient comme autant de boulets dans cette masse de cavalerie qui s’élançait sur eux. Les cris gutturaux des Arabes, le hennissement des chevaux, serrés, mordant et ruant, le crépitement des coups de feu, le froissement des armes, la fumée de la poudre, les cris : « En avant » ! l’éclat des trompettes sonnant la charge, tout ce tumulte guerrier enleva Damase. Debout sur ses étriers, le sabre haut, il frappait fort, parait les coups de yatagan, détournait un coup de pistolet dirigé sur lui, allongeait un coup de pointe et se démenait comme un beau diable. Au bout d’un quart d’heure d’une mêlée furieuse, l’escadron ayant traversé et dispersé cette troupe, se trouva en présence d’un gros de cavaliers qui venaient au secours de celle-ci.

Les chasseurs se rallièrent promptement et l’officier qui les commandait s’élança en avant, le sabre haut, et, se tournant vers ses hommes, cria d’une voix retentissante.

— Chargez !

Et l’escadron se précipita sur les Arabes, les mieux montés ou les plus ardents les premiers.

— Doucement, chasseur ! dit l’officier à Damase, on ne charge pas en avant de son supérieur.

— À son côté, donc s’il vous plaît, mon capitaine !

Et, à ce moment, l’ennemi était abordé avec cette furie, cette impétuosité irrésistible qui ont rendu légendaires les chasseurs d’Afrique.

Après une mêlée comme la première, cette multitude d’Arabes, sabrée avec vigueur, se dispersa dans la plaine, fuyant dans la direction de Mascara.

À la suite de cette affaire, le capitaine fit appeler Damase et l’interrogea. Satisfait de ses réponses et de son intelligence autant que de son courage, il le congédia en lui disant :

— C’est bien, jeune homme, la première place de brigadier vacante dans l’escadron sera pour vous.

Damase remercia son capitaine et s’en fut surveiller le frichti de sa « tribu », autrement dit de son escouade, car il était de cuisine ce jour-là.

Cette vacance se produisit au mois de mai, pendant l’expédition de Tagdemt. Un maréchal des logis fut tué dans un combat contre les réguliers d’Abd-el-Kader, sur les hauteurs qui dominent Mascara, le jour même de la prise de cette ville. Cela fit deux heureux : le brigadier, qui remplaça le mort, et Damase, qui passa brigadier.

Le nouveau promu s’était tiré de plusieurs affaires sans une égratignure, mais il ne fut pas toujours aussi heureux. Vers la fin de septembre 1841, une colonne, commandée par le général Bugeaud, sortit de Mostaganem et se dirigea vers les montagnes boisées de Sidi-Yayia, et, quelques jours après, se trouva en présence de l’armée d’Abd-el-Kader. Huit cents chasseurs s’élancent sur les contingents des tribus, les mettent en fuite, puis reviennent sur les fantassins réguliers, les chargent, les enfoncent, les sabrent, et les dispersent. À ce moment se présentent les célèbres cavaliers rouges de l’émir. Les escadrons se rallient, les chargent et les rompent. Mais cette troupe d’élite ne fuit pas. Trois fois, elle se reforme, et trois fois elle est enfoncée par les chasseurs. Enfin, après une mêlée terrible, les cavaliers rouges, sabrés impitoyablement, se dispersent et fuient avec les réguliers et les cavaliers des goums, en laissant de nombreux morts sur le terrain.

Dans cette affaire, très chaude, Damase se distingua particulièrement en tuant de sa main trois fantassins réguliers, dont un sciaf ou capitaine. Mais, vers le soir, en donnant la chasse aux fuyards, entraîné par son ardeur, en avant de ses camarades, il se trouva aux prises avec quatre cavaliers rouges. D’un coup de pistolet, il en abattit un, mais les autres l’assaillirent à coups de yatagan qu’il parait de son mieux, lorsque, son cheval ayant été tué, il allait succomber.

Heureusement, quelques chasseurs accoururent à son secours, et il s’en tira avec une balle dans l’épaule et quelques coups de yatagan sur les bras et sur la tête. On le ramena au camp sur le cheval du cavalier rouge tué.

Le capitaine alla le voir à l’ambulance et le félicita chaudement.

— Brigadier Vital, lui dit-il, en le quittant, je ne vous oublierai pas !

Et, en effet, au mois de mars 1842, Damase fut nommé maréchal des logis. Le jour même, le vieux La Douceur vint le trouver :

— Dis donc, Vital, j’ai été ton camarade de lit jusqu’à présent ; mais, puisque te voilà sous-officier, je serai ton ordonnance, maintenant ; ça te va-t-il ?

— Ça me va, mon vieux.

Le nouveau maréchal des logis fit, pendant cette année-là, avec son escadron, diverses expéditions qu’il serait trop long de relater. Il est indispensable, cependant, de rapporter une affaire qui lui fit le plus grand honneur, mais où il faillit laisser sa peau.

Lors de l’expédition commandée par le général Bedeau ; en mai 1843, eut lieu la fameuse affaire du marabout de Sidi-Rached, où l’escadron, commandé par le capitaine Favras, se couvrit de gloire. C’était le 14 mai : cinquante et un chasseurs soutinrent un moment les efforts de quatre cents cavaliers d’Abdel-Kader et d’un millier de cavaliers de son goum. Enveloppés par cette masse d’ennemis, ils allaient être écrasés sous le nombre, lorsque le capitaine Favras, voyant le péril de cette petite troupe, charge les Arabes avec soixante chevaux, s’ouvre un passage et vient la secourir, ou plutôt mourir avec elle. Tous réunis, faisant le coup de feu et le coup de sabre, reculent lentement, tiraillant toujours, chargeant de temps en temps pour se dégager un peu. Dans une de ces charges, le cheval du capitaine est tué, et lui-même blessé à la jambe gauche ; il va être pris, c’est une mort certaine. Damase met pied à terre, donne son cheval à l’officier blessé, l’aide à se mettre en selle sous le feu de l’ennemi qu’il arrête un instant dans un passage difficile. Il avait reçu plusieurs balles dans ses habits et allait être pris ou tué, lorsque le feu de quelques chasseurs démontés arrête les Arabes. Il rejoint ses camarades et arrive avec eux en haut de la butte où est situé le monument funéraire de Sidi-Rached entouré d’un cimetière. Là, tous les cavaliers mettent pied à terre, placent leurs chevaux en arrière et se couchent à plat ventre pour éviter la grêle de balles qui crépite sur les murs du tombeau appelé, par métonymie, le « marabout » de Sidi-Rached. Ils ne se relèvent que lorsque les Arabes, arrivés au sommet, vont les aborder. Accueillis par une décharge générale, les assaillants hésitent : chargés à coups de sabre, à coups de crosse, ils reculent pour revenir encore. Pendant deux heures, ces assauts furieux se renouvellent plusieurs fois. Trente-sept chevaux sont déjà tombés ; quatorze hommes ont été tués, vingt-deux sont blessés, ainsi que six officiers. Parmi les blessés est Damase, qui, toujours en avant, a reçu, entre autres blessures, deux balles dans le corps en repoussant le dernier assaut. Heureusement pour cette poignée de braves, un bataillon du 32e vient les dégager.

Rapporté à Tlemcen, Damase fut quinze jours entre la vie et la mort. Lorsqu’il reprit ses sens et qu’il fut possible de lui parler, son capitaine vint à l’hôpital, boitant encore et marchant avec une béquille :

— Mon cher Vital, lui dit-il doucement, le général vous a cité à l’ordre… et puis, voici une compresse qui vous fera du bien…

Et, disant cela, il tira de sa poche un bout de ruban rouge qu’il attacha à la veste du blessé, suspendue au chevet du lit.

— Mon capitaine, dit Damase d’une voix faible, je vous remercie. C’est à vous que je dois cela…

— Oui, mon cher ami, et moi je vous dois la vie… Mais, chut… Ne parlez plus, vous êtes encore faible… Dormez ; demain, je reviendrai.

Pendant les longues journées qu’il passa immobile dans son lit, la pensée de Damase s’envolait vers Guersac. Il songeait à Mlle  de La Ralphie, et, quoiqu’il souffrit beaucoup encore, il se félicitait de ses blessures qui l’ennoblissaient et se réjouissait de cette croix, mobile de tant d’actions héroïques et infâmes, parce qu’il lui semblait qu’elle le rapprochait de celle qu’il aimait. Dans l’état de faiblesse où il était, ses rêveries flottaient mollement et lui présentaient Valérie comme une fiancée qui l’attendait. Mais, lorsque ayant repris des forces, il put se lever, son cerveau se raffermit et ses illusions se dissipèrent. Il revit en pensée Mlle  de La Ralphie telle qu’elle était, fière, orgueilleuse de sa naissance, l’aimant peut-être secrètement, mais incapable d’oublier entièrement qu’il était l’ancien petit domestique de Guersac.

Peu après, Damase fut évacué sur Oran, d’où on l’envoya plus tard en convalescence à Amélie-les-Bains.

La nouvelle du fameux combat de Sidi-Rached, aujourd’hui oublié, parvint à Fontagnac par l’Écho de Vésone, qui avait pour correspondant bénévole, à Oran, un aide-major originaire de Périgueux. Grâce à ce zélé compatriote, les diverses péripéties du combat, la bravoure de Damase et son dévouement héroïque furent l’objet de toutes les conversations de la petite ville ; on ne parlait que de cela sur le pont et on en oubliait les affaires de Taïti qui commençaient à faire du bruit. Toutefois, l’impression fut différente, selon les milieux. Les artisans, les gens du peuple se réjouissaient franchement de l’honneur reçu par un des leurs. Un sergent, légionnaire de l’Empire, le vieux Tarrade, qui, voyant le gouvernement de Juillet prodiguer la croix à ses créatures, avait coutume de dire qu’on en faisait « paillade », c’est-à-dire litière, applaudit hautement cette fois. Le maréchal des logis de la gendarmerie secouait ferme la main du vieux brave et disait :

— C’est moi qui lui ai conseillé de s’engager aux chasseurs d’Afrique ; je savais bien que c’était un crâne.

La bonne société prit la chose plus froidement, avec une sorte de jalousie. Il semblait à tous ces messieurs que la croix était une sorte de privilège réservé à la classe bourgeoise. Ce sentiment, toujours grandissant dans le juste-milieu, a fait, sous le deuxième Empire, inventer la médaille militaire pour les simples troupiers : que diable, il faut bien garder son rang ! Garder son rang, c’est là l’éternelle préoccupation de ces fils de paysans affranchis par la Révolution.

M. Boyssier jeta le journal dans un accès de dépit et laissa la relation du médecin militaire pour aller classer ses silex. Mme  Boyssier, elle, s’enferma dans sa chambre et pleura de douces larmes. Dans sa superstition de femme aimante, il lui semblait que sa médaille avait sauvé la vie de Damase. Le clergé garda le silence. Au cercle, les joueurs de bézigue n’en interrompirent pas leur partie : le capitaine Laugerie et les autres officiers retraités furent les seuls sympathiques, avec le commandeur qui porta la nouvelle à Guersac. Quant à Mme  Laugerie, elle exprima son opinion avec sa franchise habituelle :

— C’est un brave, ce Damase, et, avec ça, un beau garçon ! Si je n’avais que vingt-cinq ans, et même trente-cinq, le pauvre Laugerie en verrait de jaunes !

— Oh ! Madame Laugerie ! s’écrièrent en chœur les prudes bourgeoises qui faisaient de la broderie ou de la tapisserie chez Mme  Decoureau.

Mlle  de La Ralphie reçut la nouvelle avec un plaisir intense qu’elle ne songea pas à dissimuler. Elle était heureuse de voir justifier par Damase le penchant qui l’entraînait vers lui et elle lui savait gré, en quelque sorte, de diminuer par son mérite la distance qui les séparait. Désormais, son ancien page rustique, qui suivait sa bourrique, tête et pieds nus, l’ex-clerc de M. Boyssier s’idéalisaient dans sa pensée, ou plutôt s’effaçaient : il ne restait plus que le vaillant soldat d’Afrique. Non pas qu’elle admît une parité de condition entre eux, non ; elle n’allait pas jusqu’à mettre la noblesse personnelle au même rang que la noblesse héréditaire ; mais elle admettait tacitement une sorte d’égalité naturelle qui pouvait, lui semblait-il, justifier tous les entraînements du cœur et des sens.

— C’est dommage, disait-elle à M. de Lussac, en suivant ses pensées, c’est dommage que des hommes comme cela ne soient pas nobles ! Celui-ci a tout ce qui constitue la noblesse, et je me persuade même qu’il est le fils bâtard de quelque gentilhomme…

— Cela se peut fort bien, répondit le commandeur. Mais, quant à ce qui est de l’accession à la noblesse, si elle n’est plus possible, c’est la faute des idées philosophiques et révolutionnaires, que, dans son imprudence, la noblesse a tant contribué à répandre. Autrefois ce garçon eût fait souche de nobles. Combien de familles n’ont pas d’autres origines qu’un obscur aventurier d’épée sorti de la foule à force de valeur et de courage ! Jean du Jarry, votre ancêtre, était un soldat de fortune, fait sergent d’armes, à qui Henri d’Albret donna le petit fief de La Ralphie en récompenses de ses bons services.

Valérie se tut ; elle ne goûtait pas beaucoup ces faits généalogiques précis et clairs ; elle eût préféré que l’origine de sa famille sortît vague et incertaine de cette nuit des temps si commode et si flatteuse pour l’orgueil nobiliaire.

— Oui, reprit le commandeur, comment s’étonner que la noblesse périsse ? Autrefois, elle se revivifiait par l’admission dans son sein des roturiers de valeur ; mais, depuis qu’on a vendu des lettres de noblesse à vil prix, la décadence a commencé. Et ce ne sont pas les choix de l’homme au parapluie qui relèveront l’ordre : il ne nomme que des pieds-plats, des bonnetiers enrichis, des marchands de vins qui mettent leur titre sur leur facture !

Quelques mois se passèrent pendant lesquels la passion de Valérie grandit et se développa. Ce qui n’était auparavant qu’une disposition intime, une attraction des sens, devint un désir violent, un entraînement tumultueux. Elle n’était pas de ces femmes vaporeuses et romantiques, pour qui l’amour n’est qu’un cantique du cœur, un besoin de l’imagination ; qui se contentent de rêveries solitaires, d’effusions poétiques, d’étoiles contemplées à deux, et pour lesquelles le commerce charnel, purement accessoire, est une souillure à laquelle il faut bien se prêter à cause de la grossièreté des hommes. Non, ce n’était pas un de ces tempéraments lymphatiques qui n’ont que des velléités et point de désirs ; des langueurs amoureuses et point de passions. La poésie des Méditations, encore en grande faveur n’était pas son fait. Faut-il le dire, elle ne comprenait pas ces épanchements lyriques, ces sentiments alambiqués, ces amours sentimentalement mystiques ; Lamartine l’ennuyait.

En un mot, ce n’était pas la froide Elvire soupirant après l’âme sœur de la sienne, mais la brûlante Sulamite cherchant le bien-aimé. Elle avait alors près de dix-neuf ans et sa beauté, bien caractérisée et débordante de vie, annonçait une nature impérieusement attirée vers le plaisir. La nuit, elle avait des insomnies, des rêves obsédants qui la troublaient profondément ; et, quelquefois, dans un demi-sommeil, elle étendait les bras comme pour saisir un amant qui revêtait la forme d’un beau et vaillant soldat.

Parfois, assise à l’ombre, sur la terrasse qui dominait la rivière, elle écoutait, bercée par le bruit des eaux et les chants alternés et monotones des moissonneurs qui venaient de la plaine, l’hymne enflammé qui chantait en elle. Des rougeurs subites lui montaient au front à la contemplation intérieure de l’image qui la hantait, à la caresse, douce comme un coup d’aile de colombe amoureuse, de pensées subitement surgies. Alors, elle se levait, prise d’un besoin d’agitation, avide d’air et de vitesse, faisait seller sa jument, partait seule et galopait jusqu’à la nuit par les bois et les landes, d’un train qui faisait dire aux paysans :

— Elle va se tuer, la demoiselle, pour sûr.

Souvent, lorsque le commandeur tendait la main à son petit pied cambré, pour l’aider à se mettre en selle, ou lorsqu’il lui faisait face à table, racontant quelque histoire d’autrefois, elle le regardait fixement d’un air étrange, sans le voir, aveuglée par la vision interne d’un être jeune et beau qui se substituait à son vieux Sigisbée.

— Mademoiselle devrait se marier, lui dit un soir, en la déshabillant, sa soubrette, fine mouche qui voyait la situation de sa maîtresse et dont Valérie tolérait parfois les bavardages ; M. de Lussac est galant au possible, mais il ne peut remplacer un jeune mari.

— Laisse donc, je ne veux pas me donner un maître.

— Oh ! Mademoiselle est de celles qui commandent à leur mari comme Mme  la comtesse de Pardis, chez qui j’étais à Périgueux.

— Il faut tant de conditions réunies, la noblesse, la personne, l’esprit, la fortune et l’amour, qu’il est difficile de se marier dans notre monde, vois-tu, Martille !

— Mademoiselle m’excusera, si je lui dis qu’à ce compte, les demoiselles du monde ne se marieraient pas… Mais, ce qu’on ne trouve pas réuni en une seule personne…

— On le trouve en deux ?

— Oui, mademoiselle… ou en trois.

Valérie sourit, et, la Martille, encouragée, poursuivit :

— Mademoiselle peut m’en croire, toutes ces dames en étaient-là, bourgeoises et nobles : Mme  Saint-Chapy, Mme  de la Licoyne, Mme  Gentil de Pradères, Mme  la marquise de Boisgauberte, qui avait un jeune apothicaire attaché à son service particulier, et Mme  la comtesse de Trévignacq, qui était folle d’un mauvais sujet de lieutenant. En voilà une qui ne se gênait pas ! Elle s’en allait, d’un pas décidé, la tête haute, portant son ombrelle sur l’épaule, comme un fusil, et les officiers, en la voyant passer devant leur café, (disaient entre eux, en riant : Carrion lui a appris l’exercice !

— Tais-toi, mauvaise langue, laisse-moi dormir.

Et Mlle  de La Ralphie se plongeait tout éveillée dans la contemplation idéale de son amant d’élection. Elle se le présentait toujours jeune, beau, dévoué, avec ce prestige que donnent la vaillance et la gloire, avec cette gravité douce de ceux que la mort a effleurés de son aile. Et alors elle était prise d’un désir tenaillant de le revoir, de l’avoir là, près d’elle, de lire dans ses yeux cet amour profond qu’il lui avait voué, de tenir cette main loyale et terrible à l’ennemi ; et, quoi de plus ? Oui, d’étreindre cette poitrine trouée de nobles blessures… Elle se sentait incapable de résister à l’impulsion qui la poussait vers lui, et, fière toujours et jalouse de garder son libre arbitre, se débattait pour reconquérir sa liberté comme une bête empiégée. Puis, l’incertitude la tourmentait : viendrait-il à Fontagnac après sa cure ? et, s’il venait le verrait-elle, seulement ? Elle connaissait assez son caractère réservé pour douter qu’il osât se présenter. Et pourtant, que d’affection dans son dernier regard, lors de la procession de la Fête-Dieu ! Oui, mais depuis, il pouvait avoir oublié son rêve comme irréalisable ; un soldat ne vit pas de souvenirs et change d’amour comme de garnison…

Le lendemain, afin d’avoir une certitude, elle prit le prétexte de la maladie du commandeur, qu’un accès de goutte clouait sur son lit, et s’en fut à Fontagnac. Après avoir constaté que son écuyer ne serait pas sur pied de quelque temps et l’avoir consolé un peu distraitement, elle se remit seule en selle au moyen de la pierre montoire de la porte et repartit. Mais, en passant devant la maison du défunt Caïus, « hardie comme un page », selon l’expression du pays, et avec cette noble assurance d’une fille de race qui se sent au-dessus des commentaires du vulgaire, elle arrêta sa jument et appela :

— Avez-vous des nouvelles de Damage, Faurille ?

— Oui, demoiselle, je vous remercie ; il est guéri tout à fait, maintenant, et il viendra un de ces jours.

— Ah !… Eh bien ! vous lui direz que j’espère qu’il ne repartira pas sans venir à Guersac… n’est-ce pas ?

— Je n’y manquerai pas, demoiselle, merci bien.

— Adieu, Faurille.

Et, tranquillement, Valérie continua sa route au petit pas, sans se soucier de quelques oisifs, arrêtés sur le pont, qui avaient remarqué ce colloque et se travaillaient pour en deviner l’objet.

Lorsqu’en arrivant, quelques jours après, Damase apprit la démarche de Mlle  de La Ralphie, il éprouva une émotion profonde. Pour qu’elle eût ainsi agi, il fallait qu’elle l’aimât… Était-ce possible ? Quelque peu vain qu’il fut, il se disait que, peut-être, elle avait été touchée par cet amour humble et désintéressé qui datait de loin et ne craignait pas de lui laisser deviner qu’elle n’était pas insensible à cette affection cachée aux yeux de tous. Et alors il se ressouvenait de ce battement de paupières qu’il avait presque interprété comme un aveu… et qui n’était peut-être qu’un adieu.

D’ailleurs, en supposant qu’il ne se trompât pas, qu’elle ne fût pas indifférente aux sentiments qu’il lui avait voués, à quoi cela pourrait-il aboutir ? Il connaissait trop ses préjugés de race, sa fierté nobiliaire, et il se souvenait trop lui-même de son origine humiliante, selon le monde, pour faire des suppositions chimériques encore que maintenant il pût entrevoir un honorable avenir… Alors, quoi ? Mais il repoussait comme injurieuse toute autre supposition. La « petite demoiselle » d’autrefois, Mlle  de La Ralphie d’aujourd’hui, était placée trop haut dans sa pensée pour qu’il lui vînt à l’esprit de ces fatuités familières aux jeunes hommes. Il était loin de soupçonner le tempérament de Valérie ; aussi l’amour qu’il ressentait, certes complet et passionné, était respectueux en même temps et n’admettait pas que l’idole qu’il plaçait si haut dans le ciel de ses rêves pût descendre jusqu’à ces réalités dont la pensée l’enivrait et qu’il repoussait cependant. Oui, sans doute, elle s’était souvenue du Pas-du-Chevalier, elle estimait le soldat qui avait fait son devoir, elle voulait le féliciter, lui donner une marque de sympathie… et ce serait tout.

Damase fut distrait de ces pensées par l’arrivée du maréchal des logis et du vieux Tarrade. Cette députation venait le convier, pour le soir même, à un petit banquet que ses collègues, les légionnaires de Fontagnac, lui offraient à l’hôtellerie du Cheval Pie, en témoignage d’estime. Ce fut un dîner tout militaire. Il y avait là le capitaine Laugerie, le lieutenant en retraite Bassier ; M. Gillerac, ancien capitaine d’habillement ; Tarrade, le vieux sergent des grenadiers, et, enfin, le maréchal des logis qui n’était décoré qu’en expectative, mais qui, pour avoir déterminé la vocation de Damase, méritait bien d’être convié. Quant aux « pékins » décorés que possédait Fontagnac, ils avaient été exclus à l’unanimité. Est-ce qu’on avait besoin de cet ex-procureur du roi à figure de lame de couteau de guillotine, qui avait attrapé la croix en poursuivant impitoyablement les bonapartistes sous la Restauration ? Et ce maire qui, dit Tarrade, avait tué tant de Français avec sa lancette, pourquoi l’aurait-on admis ? N’était-il pas au su de tous et d’un chacun qu’il avait été décoré pour avoir fait nommer député M. Duverdière, qui, devenu influent, avait ainsi payé sa dette ? Et cet ancien régent du collège de Périgueux, ne savait-on pas qu’il avait reçu la croix pour une ode à la duchesse d’Angoulême ? Ces vieux braves n’admirent même pas un ancien officier d’administration. Un riz-pain-sel, n’était-ce pas un « pékin » et de la plus malfaisante espèce pour les troupiers ? Si ce n’était pas une honte de décorer des gens qui avaient fait tant de rabiot !

Comme le fit remarquer judicieusement l’ancien capitaine d’habillement, tous ces décorés par l’intrigue, la faveur ou d’autres moyens malhonnêtes, n’étaient pas dignes de fraterniser avec de vrais enfants de Mars ayant conquis leur croix à la pointe de l’épée.

Point n’est besoin de dire qu’on trinqua ferme à ce dîner, et que, sauf Damase, chacun raconta ses exploits, quelque peu amplifiés, peut-être. Toutefois, le capitaine Gillerac, avec sa verve gasconne, éclipsa tous les convives, notamment par le récit de l’affaire de Llers, où il avait occis sept Espagnols de sa propre main.

— Je vous croyais dans l’habillement ? dit le capitaine Laugerie, vexé.

— Est-ce que vous douteriez de ma parole, capitaine Laugerie ? répliqua l’autre en retroussant sa moustache blanche d’un air provocant.

Damase et le maréchal des logis calmèrent ces vieux guerriers qu’après le banquet il fallut reconduire à leur logis respectif.

Le lendemain, Damase descendait lentement le long de la rivière en suivant le marchepied, ramassant ses pensées. [Il avait hâte et appréhension à la fois d’arriver à Guersac. Quel accueil allait lui faire Mlle  de La Ralphie ? Faurille ne s’était-elle pas méprise ? Ne s’était-elle pas exagéré une de ces marques d’intérêt banales qu’à la campagne on donne à tous, même aux plus humbles ?

— Mademoiselle, il y a en bas un militaire décoré.

Valérie éprouva une violente commotion et se leva :

— Fais-le monter, dit-elle, sans laisser achever la Martille.

En voyant Damase, un flot de sang lui monta au visage, et, sans se soucier de sa soubrette qui fermait lentement la porte, elle s’avança, les yeux brillants, les narines gonflées, et, le prenant par la main, le fit asseoir près d’elle, sur un canapé.

— C’est donc toi !

La beauté mâle de Damase la fascinait. Ses cheveux fauves, coupés court, faisaient cinq pointes sur son large front, comme un casque mauresque doré. Une fine moustache ombrageait sa lèvre et virilisait un peu l’expression de sa bouche où rayonnait la bonté. Dans ses yeux noirs et grands ouverts comme ceux de l’homme qui n’a rien à cacher, elle plongeait avidement les siens et se sentait envahir par une sorte d’invincible ivresse.

Tous deux restèrent muets, un instant, la gorge serrée par l’émotion ; elle lui tenant toujours la main et le regardant.

— Et tu es bien guéri, maintenant ?

— Oui, Mademoiselle…

— Oh ! interrompit-elle, Mademoiselle, c’est bien cérémonieux !

Il lui sourit et protesta qu’il était toujours le même, le Damase d’autrefois.

— Celui qui voulait se faire couper en morceaux pour moi ?

— Oui, dit-il, celui-là même.

Et ils continuèrent une conversation coupée de longs silences où chacun d’eux écoutait parler son cœur. Valérie ne cherchait pas à maîtriser la fougue de passion qui la jetait à Damase, et la pression de sa main traduisait les mouvements de tout son être. Quant à lui, en voyant, à n’en pouvoir douter, que son amour était partagé, une joie immense l’envahissait. Mais, dans sa nature loyale, il respectait un abandon qu’il croyait innocent et la regardait doucement, plein d’un bonheur silencieux et recueilli.

— Où as-tu été blessé, cette fois ? demanda-t-elle.

Il montra le haut de sa poitrine, près de la clavicule :

— Ici.

— Et là ? fit-elle, irrésistiblement entraînée, en posant son doigt sur le cœur du jeune homme, au-dessous de la croix, n’as-tu pas été blessé aussi ?

Il la regarda éperdu :

— Oui, dit-il lentement, et c’est une blessure dont je ne guérirai jamais.