La Revue populaire (p. 66-72).

III


Assise en une bergère profonde, Mme d’Aureilhan songeait que les événements ne marchaient pas aussi bien, aussi vite surtout, qu’elle y avait compté pour la réalisation de son plan secret.

Et, esprit pratique autant que résolu, elle cherchait d’où pouvait bien provenir cette résistance des choses, cette contradiction du sort qui lui fallait vaincre à tout prix…

Un bruit de voix lui fit lever la tête.

— Vous êtes là, ma tante ? cria l’organe cuivré de René de Lavardens.

— Certainement, répondit Mme d’Aureilhan d’une voix posée. Entre.

— Il fait noir comme dans un four ici !

— Possible ! repartit Mme d’Aureilhan du même accent de calme volontaire. Nous n’en serons que plus tranquilles pour causer.

René s’asseyait en face de sa tante. Il reprit :

— Ah ! oui, à propos, nous avons à causer.

… Eh bien ! qu’y a-t-il donc d’assez important pour nécessiter cette conférence secrète ?

— Secrète, tu l’as dit, appuya Mme d’Aureilhan, car j’ai désiré profiter de l’absence d’Huguette, afin d’examiner avec toi pour quelles raisons tes affaires avancent si peu… Parce qu’il me semble que tu ne progresses pas dans les bonnes grâces ma belle-fille ? Au contraire !

Une crispation nerveuse dérangea les traits assez réguliers de René de Lavardens

— Ce n’est pas ma faute ! répliqua-t-il avec humeur. Elle est déconcertante, cette Huguette ! Et, d’ailleurs, nous sommes fort bien ensemble…

Mme d’Aureilhan haussa les épaules :

— Allons donc ! Qu’est-ce que cela signifie ? Huguette te traite cordialement, je te l’accorde, mais sa cordialité est quelconque, inférieure même à celle dont elle dispose envers d’autres, ce petit Quéroy, par exemple… Tâche de ne pas te faire distancer n’est-ce pas ?

René serra les poings :

— Ah ! oui, ce Jean Quéroy, cet ingénieur de rien… On dirait, en effet, qu’elle le regarde avec bienveillance… S’il s’avise de marcher dans mes plates-bandes, celui-là !…

Il était livide de colère contenue.

Frénétiquement jaloux par nature, il se sentait, en outre, atteint dans son ombrageuse vanité par les constations de Mme d’Aureilhan.

Elle eut un mouvement de dédain :

— Veux-tu que je te dise ? tu ne sais pas t’y prendre avec Huguette. Dans le milieu de science où elle a vécu, dans l’atelier de ce peintre célèbre qu’était son grand-père, elle a connu les hommes les plus remarquables… Ce n’est donc pas une de ces jeunes filles que l’on puisse aisément éblouir, une naïve Petite Bleue qu’un regard de toi plonge en extase… Son jugement est formé et difficile… Tu n’as qu’une ressource : c’est de te faire aimer… Ne t’amuse plus à ce rôle de camaraderie galante qui ne t’a guère réussi jusqu’ici, montre-toi épris… sois tendre… sentimental…

Tout le grand jeu, enfin ! lança avec un cynique sourire, René qui se mordait les lèvres de dépit.

— Le grand jeu, s’il le faut, ordonna Mme d’Aureilhan raidie de sécheresse hautaine : N’oublie pas qu’il faut absolument que tu plaises à Huguette !

— Bah ! répondit-il en un retour de son invincible fatuité, je lui plairai, je lui plais… Nous sommes bons camarades, elle a de l’amitié pour moi, et, entre une jeune personne de son âge et un garçon du mien, l’amitié n’a jamais fait que servir de préambule à un sentiment plus ardent… Vous n’allez pas m’enseigner comment on mène à bien ces entreprises-là, je suppose, ma tante ?

Il se redressait, désinvolte et félin, une flamme au coin de ses yeux de velours noir, réellement redoutable de volonté passionnée d’une sorte de séduction brutale et câline à la fois, dont Mme d’Aureilhan elle-même subie le magnétique pouvoir.

— Grand vainqueur, va ! conclut-elle en lui allongeant sur la joue une tape amicale.

Tandis que ce conciliabule avait lieu entre la tante et le neveu, Huguette prenait congé de la bonne Mme de Cazères et de son mari.

Détendue par ces heures de liberté douces dans le grand jardin plein de fleurs, elle regagnait la maison paternelle en excellente disposition.

Elle commençait à croire qu’elle avait réussi à aplanir les obstacles autour d’elle.

À présent, du moins, elle ne marchait plus dans l’inconnu ; fixée sur chaque caractère, familiarisée avec les tendances de l’entourage, elle n’avait plus, jugeait-elle, à craindre de surprise pénible.

Au reste, ses rapports étaient parfaits avec tout le monde, Mme d’Aureilhan lui témoignait une sorte de prévenance hautaine dont il fallait tenir grand compte à sa nature peu flexible, et pour ne pas demeurer en reste de bons procédés, Huguette avait remplacé le « Madame » hostile du début par un « ma mère » qui, quoique passablement officiel, ne cachait aucune animosité.

Le jour où elle prononça pour la première fois ce terme qui lui coûtait horriblement, elle vit que les paupières de M. d’Aureilhan étaient humides, et elle reçut ensuite de son père un baiser silencieux traduisant une gratitude infinie.

De par ses fortes études, Huguette avait été à l’école des philosophes ; elle n’eût donc pas souhaité une somme de félicité plus considérable que celle qui lui était dévolue, sans l’ennui latent qui était en elle, l’imprégnait de nostalgie quand elle comparait la vie sérieuse et active, ennoblie d’idéal, qu’elle avait quittée, à existence morne et sans horizon à laquelle elle se sentait condamnée au fond de cette province perdue.

Sans horizon ? Non, il y a toujours une vision radieuse dans les lointains d’avenir d’une jeune créature : l’amour inconnu qui saura la conquérir.

Mais, pour le moment, ce sentiment immortel ne pouvait s’incarner, au regard de la jeune fille, que sous les traits des deux seuls hommes de son milieu en âge de lui inspirer.

L’un était René de Lavardens.

Pour celui-là, elle ressentait un éloignement proche parent de l’antipathie irrémédiable.

Cette disposition se dissimulait sous les apparences correctes de la sociabilité, et il ne faudrait qu’un jeu des circonstances pour la faire jaillir.

En effet, douée d’observation pénétrante, Huguette n’avait eu besoin que de très peu de temps pour démêler « l’état d’âme » de René, et elle le connaissait présentement beaucoup mieux qu’il ne le savait, beaucoup mieux qu’il ne se connaissait lui-même, peut-être.

Quant à l’autre…

Il était grand, brun, avec des yeux bleus, sombres et doux, et portait la barbe en pointe.

Il avait l’âme haute, l’intelligence vaste, enrichie des plus récentes leçons de la science… il se donnait à un idéal, il aimait le travail, le courage, la lutte pour l’Idée, tout ce qu’Huguette admirait éperdument, tout ce pour quoi elle eût voulu vivre…

Il parlait peu ; il était grave et fier, peut-être un peu sauvage, mais il lui plaisait ainsi…

— Bonjour, mademoiselle Huguette…

Huguette tressaillit et se sentit devenir toute rose : celui que son rêve évoquait se tenait devant elle.

Il débouchait d’un sentier blotti sous les ramures, et sa silhouette d’une athlétique sveltesse se découpait contre ce fond verdoyant comme une image de la beauté virile.

Il s’était arrêté pour laisser passer le petit équipage et demeurait immobile, le chapeau à la main, souriant doucement, une lueur charmée en ses prunelles profondes.

Huguette pesa sur les rênes, et tandis que le petit domestique assis à l’arrière sautait à terre et venait prendre la tête du poney, elle tendit la main au jeune homme d’un geste de franche sympathie.

— Eh ! bonjour, monsieur Jean ! Quelle surprise de vous rencontrer ! Moi qui vous croyais constamment enfermé dans votre laboratoire, car, sans reproche, on ne vous voit guère… Vous avez donc pu vous arracher à vos chères expériences ?

— Je deviendrai peut-être un savant, répondit-il modestement, mais je reste ce que j’ai toujours été : un passionné coureur des bois… C’est leur grande paix, leur solitude amie qui me repose de la fatigue cérébrale, causée par mes recherches, mademoiselle Huguette, et j’avoue de bonne grâce que ces deux occupations, ces deux amours, si vous voulez, font de moi un sauvage hantant peu les salons. Pourtant, il y a progrès, je vous assure. Je me civilise…

— Vraiment ? dit Huguette en riant. Qu’était-ce donc auparavant, mon Dieu !

— Auparavant… quand vous n’étiez pas encore ici, on ne me voyait pas du tout, repartit-il, d’un accent subitement sérieux. Malgré ce charme d’accueil dont monsieur votre père a le secret, je ne paraissais jamais à Aureilhan… L’excellent Gontaud m’y mena presque de force le jour où vous arrivâtes à l’improviste… Et depuis… depuis, je l’accompagne au château chaque fois qu’il veut bien m’en prier…

Le sombre regard des prunelles bleues avait une rayonnante éloquence.

Huguette baissa les yeux ; en dépit de sa crânerie coutumière, elle était embarrassée à ne pas trouver un mot.

Son cœur battait plus vite et elle ne savait quelle joie tumultueuse et douce l’inondait…

Jean Quéroy reprenait, précipitamment, comme quelqu’un qui a peur d’avoir trop parlé :

— Et puis-je me permettre de vous demander, mademoiselle Huguette, si vous vous plaisez parmi nous ?

Elle releva ses longues paupières frangées de soie.

— Certainement, dit-elle avec une hésitation marquée, je me plais… je me plais beaucoup…

À son tour, Jean Quéroy éclata de rire, d’un rire clair et gai, qui semblait plus séduisant chez ce grand garçon sérieux.

— Est-ce que vous vous moqueriez de moi, par hasard ? interrogea Huguette, affectant un ton piqué.

Il protesta, du même air de gaieté :

— Oh ! mademoiselle, pouvez-vous supposer !… Seulement, vous avez eu, pour me certifier que vous vous acclimatez, une intonation si amusante que…

— Eh bien ?

— Que vous m’avez invinciblement rappelé un joli conte d’Andersen…

— Les contes d’Andersen sont tous jolis, répondit Huguette avec un fin sourire, il ne s’agit que d’entendre leur moralité. Quel est celui que j’ai eu l’honneur de vous suggérer ?

— Vous ne vous fâcherez pas ?

— Allons donc ! fit-elle amusée. Votre comparaison est donc à ce point impertinente ?

— Jugez-en, articula-t-il de la voix contrite particulière au coupable qui avoue. Je pensais à l’exquise histoire de ce malheureux cygne éclos dans une couvée de vulgaires canards…

Huguette laissa tomber ses mains, abandonnant les rênes sur le dos de Mirliton impatient.

— C’est charmant pour moi… Mais comme c’est flatteur pour ma famille ! s’exclama-t-elle en une consternation plaisante. Mon cher papa n’en est point, j’espère ?

— Vous savez bien, mademoiselle, répliqua Jean très grave, que je professe pour M. d’Aureilhan la plus respectueuse sympathie. Je n’aurais pas osé un parallèle qui constituerait, en ce qui le concerne, un véritable outrage. Quant aux autres, vous ne vous indignerez pas, parce que vous sentez que la comparaison est juste… que le poète a cruellement raison. Tout être d’une essence morale différente, tout novateur est parmi les siens mêmes un étranger, pis encore, un intrus que l’on dénigre, à qui on inflige les plus dures souffrances, car on ne le comprend pas. Tel est le décevant partage de l’artiste, du chercheur qui veut, par l’idée ou la découverte, orienter l’humanité vers des voies nouvelles… Tel a été, — avec quelle amertume ! — le lot de l’humble artisan de science que je suis…

… La triste vérité, c’est que, n’ayant pas réussi à trouver un emploi au sortir de l’École Centrale, je dus, à bout de ressources, me réfugier ici, dans la petite maison familiale. Je pensais rencontrer, en ce pays pour les habitants duquel mon père a héroïquement sacrifié sa vie, sinon une aide matérielle, du moins le secours moral plus précieux peut-être à ceux qui agonisent d’incertitude, d’épouvante du lendemain… Je n’entendis pas une bonne parole, je n’essuyai qu’ironie et dédain. Mes idées sur les applications nouvelles de l’électricité passèrent pour des rêves dangereux ; on décréta que j’étais un utopiste, un de ces cerveaux chimériques condamnés à l’insuccès… Sans ce bon, cet admirable Gontaud qui eut foi en moi et me permit, en me créant une position dans l’usine, d’étudier en paix, je serais mort de tristesse et de misère.

— Oh ! quel brave homme que M. Gontaud ! s’écria Huguette d’un élan. Je l’aime bien, et je le lui dirai !

Elle s’interrompit brusquement, effrayée des mots trop doux, trop tendres qui lui montaient du cœur aux lèvres.

De nouveau, elle tendait la main à Jean Quéroy.

— Le souvenir de notre rencontre me sera précieux, mademoiselle, prononça-t-il d’une voix changée, surtout s’il m’est permis de penser qu’elle m’a fourni l’occasion de vous être un peu moins inconnu, un peu moins indifférent… Vous n’aurez jamais besoin de mon dévouement ; cependant, laissez-moi vous supplier de compter sur moi… comme sur un ami…

— C’est juré ! promit Huguette d’un timbre cristallin qui voulait être dégagé et n’était qu’ému, tout simplement.

Ils se regardèrent.

Un ravissement flottait autour d’eux, dans l’air adorablement frais du soir proche, dans les arbres d’où tombaient des gazouillis d’oiseaux ensommeillés.

— Allons, fit Huguette pour rompre le charme, Marliton s’impatiente. Adieu monsieur Jean. Il faut que je retourne à ma basse-cour familiale !

Ils rirent.

Ils étaient séparés ; mais derrière eux l’écho de leur rire vibrait dans les feuillages comme une traînée de joie, un tintement de jeunesse, de douceur et d’espoir.

— Ah ! voici enfin Mlle Nouveu-Jeu ! s’exclama René de Lavardens, quand le panier d’Huguette s’arrêta au bas du perron, sur la balustrade duquel il s’était accoudé après sa conversation avec sa tante, attendant le retour de la jeune fille non sans secrète impatience.

— Bonjour, René. Vous êtes là depuis longtemps ?

— Je crois bien ! Je me languissais de vous, Huguette ! répondit-il d’un ton mi-plaisant, mi-sérieux, afin que celle à qui s’adressait ce provincialisme employé à dessein, pût le prendre à son gré pour une plaisanterie ou pour une déclaration.

Mais Huguette traitait tous les sentiments du beau René sur le mode léger.

— Grand bien vous fasse ! répliqua-t-elle avec une indifférence totale, tout en gravissant lestement les degrés du perron.

Vexé dans sa susceptibilité aiguë d’infaillible conquérant de cœurs féminins, René de Lavardens, malgré les récentes objurgations de sa tante, ne sut pas résister au plaisir d’une prompte revanche.

— Dites donc, Huguette, annonça-t-il comme la jeune fille pénétrait dans le salon et saluait sa belle-mère, je suis en mesure de vous donner des nouvelles de quelqu’un qui vous intéresse…

Elle le regarda avec surprise :

— Ah ! qui cela ?…

— Devinez !

— Comment devinerais-je ?

— De Mme Fresnault que je veux parler. Saviez-vous qu’elle daigne prêcher son évangile jusqu’en nos régions lointaines ?

Huguette avait légèrement tressailli. Tout au plaisir de ce qu’elle apprenait, elle ne prit pas garde à l’intonation sarcastique du jeune homme.

Une tendre joie brillait dans ses yeux.

D’une voix tremblante de tendresse émue, elle repartit :

— Chère Charlotte ! Aucun dévouement ne peut m’étonner de sa part. Aurais-je ce bonheur qu’elle vînt donner des conférences de ce côté ?

— Pas encore ! rétorqua René avec une satisfaction insolemment cruelle. Jusqu’ici ; Mme Fresnault n’a pas dépassé Bordeaux, où elle faisait avant-hier une conférence sur « l’Émancipation de la femme ». Je le sais par un de mes amis qui y était… mais nos pays ne sont pas mûrs pour ces idées subversives… L’oratrice a été consciencieusement huée. Elle s’est empressée de reprendre le train de Paris, et il est à croire qu’elle ne recommencera pas de sitôt, du moins chez nous…

Et, sans remarquer le visage d’Huguette, méconnaissable d’expression douloureuse, il acheva méchamment :

— Espérons que ce sera pour cette folle une bonne leçon !

Huguette rejeta vivement la tête en arrière, une telle fureur dans les yeux que, d’instinct, René détourna les siens.

— Qui vous a dit que Charlotte Fresnault fût une folle ? questionna-t-elle, altière.

— Mais, balbutia René, embarrassé, c’est la réputation qu’elle a… Elle paraît détraquée, exaltée…

— Pour vous, oui ! dit Huguette avec un écrasant dédain. De même que pour tous ceux dont elle dépasse la moyenne d’âme de toute sa hauteur. Savez-vous seulement ce qu’est celle que vous vous permettez de traiter de la sorte ?

— Non, répliqua-t-il d’un ton qu’il essayait de rendre dégagé ; j’ignore profondément ce que peut être une Mme Fresnault…

— C’est bien cela ! prononça Huguette de plus en plus méprisante. Alors, vous tentez de la ramener à votre mesure… Apprenez donc que Charlotte Fresnault est une créature de magnifique altruisme. Elle n’a plus rien, elle à tout donné. Elle est une admirable sœur de charité, une vraie sainte laïque. Les heures qu’elle ne passe pas dans l’École, cette maison de son esprit et de son cœur, elle les consacre à courir les mansardes parisiennes, soulageant chaque jour plusieurs misères nouvelles. Et c’est de cette femme qui a condensé en elle tout ce que l’âme humaine porte de plus miséricordieux et de plus beau, que vous parlez avec cette légèreté inepte et coupable ! Tenez, vous me faites pitié !

Belle d’indignation, elle marcha vers la porte et sortit laissant René atterré.

— Eh bien ! en voilà une algarade ! bégaya-t-il.

— Absolument méritée ! articula Mme d’Aureilhan pourpre de colère. A-t-on jamais vu heurter si sottement les idées et les affections de quelqu’un ?… Si c’est comme cela que tu t’y prends pour plaire à Huguette !… Mon pauvre garçon, j’ai bien peur que tu ne sois qu’un imbécile !…

Et, exaspérée, brusquement elle lui tourna le dos.

Ce soir-là encore, Huguette, une fois seule chez elle, se sentit submergée de détresse.

Mais, l’excès de cette douleur évoqua un rapprochement.

Avec une indicible douceur, Huguette se rappela. Elle entendit de nouveau la voix mâle qui, cet après-midi, disait éloquemment pourquoi il faut qu’on soit quelquefois un intrus parmi les siens.

Elle revit le tendre rayonnement des sombres prunelles bleues.

Et elle se retrouva vaillante, fière de souffrir la noble souffrance qu’un autre avait connue.

C’était, à son insu, toute sa jeunesse qui palpitait en elle, — l’éternelle Jeunesse confiante en la vie, transportée de mystérieuse espérance.

Elle sourit, heureuse.

N’avait-elle pas un ami, désormais un frère d’âme ?

Elle s’endormit, ce divin sourire aux lèvres, d’un sommeil ineffable où son cœur veillait et chantait…