Madeleine Férat/Chapitre X
X
Lorsque Jacques s’éveilla à la Noiraude, il fut très surpris du brusque départ de Guillaume et de sa femme. Il n’eut, d’ailleurs, pas le moindre soupçon du terrible drame qu’amenait sa présence. Geneviève lui conta, en quelques mots, l’histoire de la mort subite d’un parent, qui avait obligé ses maîtres à partir dans la nuit. Il ne pouvait songer un moment à discuter la véracité de cette histoire. « Bah ! se dit-il, je verrai mes tourtereaux à mon retour de Toulon. » Et il ne pensa plus qu’à tuer la journée le plus gaiement possible.
Il alla promener son ennui dans les petites rues silencieuses de Véteuil, où il eut la mauvaise chance de ne pas rencontrer un seul de ses anciens camarades de collège. L’heure de son départ menaçait de ne jamais arriver. Vers le soir, comme il lui restait à peine quelques minutes pour prendre la diligence, il fut accosté par un brave homme qui s’exclama en le reconnaissant, et se mit à lui raconter longuement les derniers instants de son oncle. Quand il le lâcha, la voiture était partie. Jacques perdit une heure à chercher un cabriolet de louage ; il entra tout juste à Mantes pour entendre le sifflet du train qui s’éloignait. Ce retard le contraria beaucoup. Ayant appris qu’il pourrait prendre le lendemain, de bonne heure, un train qui lui permettrait, en arrivant à Paris, d’aller s’embarquer immédiatement à la gare de Lyon, il résolut de coucher au Grand-Cerf, où il avait jadis fait quelques parties fines.
Il s’y retrouva en pays de connaissance ; le personnel était resté presque le même, et le domestique qui le conduisit à sa chambre se permit de lui rappeler, avec la familiarité des garçons d’hôtel, le court séjour qu’il avait fait à l’auberge en compagnie de Madeleine ; il se souvenait fort bien de cette dame, une belle fille, disait-il, et dont la bourse était toujours ouverte.
Il pouvait être alors dix heures. Jacques s’oublia à fumer devant son feu jusqu’à onze heures passées. Comme il allait se coucher, il entendit gratter à sa porte. Il alla ouvrir. Le garçon de service entra d’un air singulier. Il avait, balbutia-t-il, quelque chose à dire à Monsieur, mais il n’osait pas, il fallait que Monsieur promît à l’avance de lui pardonner son indiscrétion ; d’ailleurs, s’il se mêlait des affaires des autres, c’était qu’il pensait faire plaisir à Monsieur, dont il connaissait le récent retour en France, et qui ne serait sans doute pas fâché d’avoir des nouvelles d’une certaine personne. Jacques impatienté le pria de s’expliquer.
Alors, avec autant de crudité qu’il avais mis jusque-là de ménagement, le garçon lui apprit la présence de madame Madeleine dans l’auberge où elle venait d’arriver en compagnie d’un homme. Il eut un petit rire malin en ajoutant qu’il avait donné aux voyageurs la chambre no 7, dont Monsieur devait bien se souvenir. L’ancien chirurgien ne put s’empêcher de sourire également. Ses délicatesses étaient trop émoussées par ses amours de hasard, pour qu’il songeât à se blesser d’une pareille confidence. Il adressa même deux ou trois questions au garçon, lui demanda si Madeleine était toujours belle, si son compagnon paraissait vieux, et finit par le congédier en lui faisant entendre que le voisinage de la jeune femme n’allait pas l’empêcher de dormir à poings fermés.
Il se vantait. Quand le garçon ne fut plus là, il se mit à marcher de long en large dans sa chambre, songeant malgré lui à ses vieilles amours. Il n’était pas d’un naturel rêveur ; pendant sa longue absence, le souvenir de son ancienne maîtresse ne l’avait guère troublé. Cependant il n’apprenait pas sans une certaine émotion qu’elle se trouvait là, dans une pièce voisine, en compagnie d’un autre homme. Elle était la seule femme avec laquelle il eût vécu maritalement durant une année, et la certitude de l’avoir possédée vierge, la distinguait à ses yeux des nombreuses créatures aimées une nuit et jetées à la porte le lendemain. D’ailleurs, il se disait philosophiquement que c’était la vie, qu’il aurait dû s’attendre à revoir Madeleine au bras d’un autre. Il n’eut pas un instant l’idée de s’accuser d’avoir jeté la jeune femme dans une vie de hasards ; elle voyageait, elle devait avoir trouvé un amant riche. Sa rêverie aboutit à un vif désir de lui serrer la main en vieux camarade ; il ne l’aimait plus, seulement il aurait goûté une véritable joie à s’entretenir quelques minutes avec elle. Quand la pensée de cette poignée de main cordiale lui fut venue, il oublia le léger déchirement de cœur qu’il venait d’éprouver, il songea uniquement à inventer un moyen pour pénétrer un instant auprès de Madeleine. Cette entrevue lui paraissait toute simple, elle plaisait à son caractère bon enfant. Il s’attendait, d’ailleurs, à ce que son ancienne maîtresse lui sautât au cou. La supposition qu’elle pouvait être mariée, si elle lui était venue, lui eût paru fort comique, car il la revoyait toujours chez lui, rue Soufflot, au milieu de ses amis fumant leur pipe de terre blanche. Il résolut simplement d’agir avec prudence, pour ne pas lui nuire dans l’esprit de son nouvel amant.
Sa chambre se trouvait au bout du couloir ; trois pièces la séparaient du no 7. Il avait entrebâillé sa porte, écoutant, réfléchissant à la difficulté de mettre son projet à exécution. Devant partir le lendemain de bonne heure, il désespérait d’arriver à son but, lorsqu’il entendit un bruit de porte qui s’ouvrait. Il allongea la tête, il vit alors vaguement dans l’ombre un homme sortir du no 7 et s’éloigner du côté de l’escalier. Quand le bruit des pas de cet homme se fut perdu, il eut un rire silencieux.
— Monsieur n’est plus là, pensa-t-il, c’est l’instant d’aller présenter mes amitiés à madame.
Et il vint à pas de loup frapper à la porte de Madeleine. Lorsqu’il fut entré, lorsque celle-ci l’aperçut devant elle, elle se leva d’un mouvement brusque. D’ailleurs, cette apparition ne lui porta pas le coup rude dont l’aurait écrasée la vue soudaine de Jacques en d’autres circonstances. Elle s’y attendait presque. Depuis qu’elle avait reconnu la chambre, depuis que les souvenirs du passé l’affolaient de nouveau, elle s’imaginait avoir devant elle son ancien amant. Il venait, et cela lui semblait naturel, il était là chez lui. Elle ne se demanda même pas comment il se faisait qu’il se trouvât au Grand-Cerf et qu’il y eût appris sa présence. Elle sentit simplement tout son être se glacer. Droite, rigide, les yeux fixés sur Jacques, elle attendit qu’il parlât le premier, dans un calme étrange.
— Eh ! oui, c’est bien Madeleine, dit-il enfin en baissant la voix.
Il souriait, il la regardait d’un air heureux.
— Ce Joseph a une excellente mémoire… Tu te rappelles, ce garçon qui nous a servis, lorsque nous nous sommes arrêtés dans cette auberge… Il vient de me dire que tu étais ici et qu’il t’avait reconnue… J’ai voulu te serrer la main, ma chère enfant.
Et il s’avança vers elle, les mains tendues, cordialement, souriant toujours. La jeune femme recula.
— Non, non , murmura-t-elle.
Il parut surpris de ce refus, mais il ne perdit pas sa belle humeur.
— Tu ne veux pas que je te serre la main ? reprit-il. Et pourquoi ? tu ne t’imagines pas au moins que je viens troubler tes nouvelles amours. Je suis un ami, Madeleine, un vieux camarade, rien de plus… J’ai attendu que monsieur ne fût plus là, et je me retirerai avant qu’il ne revienne… Est-ce le gros Raoul ?
Le gros Raoul était cet étudiant qui avait offert à Madeleine de se mettre en ménage avec lui, quelques minutes après le départ du chirurgien. Elle frissonna au nom de cet homme. La supposition que faisait Jacques, la possibilité d’une liaison entre elle et un de ses anciens amis la blessait profondément. « Si je lui disais tout ? » pensait-elle. Acculée, saignante, elle retrouvait l’énergie et la décision de son caractère ; elle allait, en quelques mots brefs, avouer la vérité à son premier amant, le supplier de ne jamais chercher à la revoir, lorsque celui-ci continua de sa voix joyeuse :
— Tu ne réponds pas ?… Bon Dieu ! comme tu es discrète !… Est-ce toi qui as choisi cette chambre ?… Tu te souviens de cette chambre, n’est-ce pas ?… Ah ! ma pauvre enfant, les belles et bonnes journées !… Sais-tu que tu joues un mauvais tour à ce monsieur en l’amenant ici ?
Il eut un gros rire. Madeleine, écrasée, le regardait d’un air de stupeur profonde.
— Je n’ai jamais été fat, ajouta-t-il, je crois que tu m’as parfaitement oublié… Cependant, je ne voudrais pas être à la place de ce monsieur… Là, entre nous, pourquoi diable as-tu choisi cette chambre ?… Tu ne réponds pas ? Nous nous sommes donc quittés fâchés ?
— Non, dit-elle d’un ton sourd.
Elle chancelait, elle s’appuyait à la cheminée pour ne pas tomber. Elle sentait qu’elle n’aurait plus le courage de parler ; jamais elle n’oserait nommer Guillaume, maintenant que Jacques avait ri de l’homme qui devait passer la nuit avec elle dans la chambre où ils s’étaient jadis aimés. Et il fallait encore qu’il la soupçonnât, par une brutale plaisanterie de viveur, d’avoir choisi cette chambre avec intention. Il lui semblait que son premier amant la rejetait d’un mot dans la boue dont elle n’aurait pas dû sortir ; elle se croyait salie d’une tache si ineffaçable, qu’elle baissait la tête honteusement, comme une coupable. D’ailleurs, la présence de Jacques produisait sur elle l’effet d’effarement qui, la veille, l’avait déjà tirée de sa froideur et de son énergie ordinaires ; il lui venait de ce tempérament sanguin des secousses profondes ; ce garçon puissant auquel elle appartenait toujours par des liens intimes de chair, brisait ses volontés du son seul de sa voix, la rendait d’un regard toute pantelante, faible et vaincue. Quand elle éprouva dans son être cet amollissement de femme soumise, elle eut peur de ses pensées premières de lutte, elle s’abandonna. Jacques ignorait tout, c’était le hasard qui le poussait sur son passage ; elle boirait sa honte jusqu’au bout, elle attendrait qu’il s’éloignât.
Le jeune homme ne pouvait deviner les pensées qui la faisaient pâlir et frissonner. Il s’imagina qu’elle le supposait capable d’attendre l’homme avec lequel elle se trouvait, et de se livrer alors à une scène ridicule.
— Mais ne tremble donc pas ! lui dit-il en continuant à rire. Me prends-tu pour un ogre ? Je t’ai déjà dit que je voulais te serrer simplement la main. Je parais et je disparais… Va, je n’ai pas envie de voir ce monsieur. Sa vue ne m’intéresserait nullement. Au moindre bruit, je me sauve…
Il alla écouter à la porte qu’il avait laissée ouverte. Puis il revint, sans que l’attitude de Madeleine lui fît rien perdre de sa gaieté. Cette entrevue originale l’amusait. Il n’en sentait nullement le côté cruel et grossier.
— Sais-tu, reprit-il, que j’ai failli rester là-bas, couché proprement au fond de la mer. Mais les poissons n’ont pas voulu de moi… Je reviens vivre à Paris. Oh ! je t’y rencontrerai bien, et je suis sûr que tu ne me feras pas cette mine épouvantée… Et toi, que deviens-tu ? que fais-tu ?
— Rien, répondit Madeleine.
Elle était sans force l’écoutant, et répondant machinalement. Elle se disait qu’il allait s’en aller et qu’elle réfléchirait ensuite. Dans son effarement, la pensée que son mari pouvait remonter d’un moment à l’autre, ne lui venait même plus à l’esprit.
— Ah ! dit-il un peu décontenancé, tu ne fais rien. Mon Dieu ! que tu es froide ! Moi qui croyais que tu allais me sauter au cou… Tu l’aimes donc ?
— Oui.
— Tant mieux ! Je déteste les gens qui ont le cœur vide… Et il y a longtemps que tu es avec lui ?
— Cinq ans.
— Diable ! voilà un amour sérieux… Ce n’est pas le gros Raoul bien sûr ?… Georges alors ? Non ?… Ah ! peut-être le petit blond Julien Durand ? Pas davantage ?… C’est donc quelqu’un que je ne connais pas ?
Elle pâlit encore, elle eut un frémissement qui fit passer sur sa face une expression d’indicible souffrance. Jacques pensa qu’elle croyait entendre les pas de son amant.
— Eh ! ne frissonne pas ainsi, reprit-il, je t’ai promis de me sauver dès qu’il reviendrait. Cela me fait plaisir de causer un peu avec toi… Alors tu ne vois plus du tout les garçons que je viens de nommer ?
— Non.
— C’étaient de bons enfants, des camarades d’un jour auxquels j’ai parfois songé, loin de la France… Te rappelles-tu les joyeuses journées que nous avons passées avec eux ? Nous partions le matin pour le bois de Verrières, nous en revenions le soir, chargés de branches de lilas. Je me souviens encore des énormes saladiers de fraises que nous mangions, surtout de la petite chambre où nous avons couché si souvent : dès cinq heures, j’ouvrais les volets et le soleil t’éveillait en te frappant sur les yeux… J’avais toujours pensé qu’un de mes excellents amis devait avoir pris ma place dans ton cœur.
Madeleine fit un geste suppliant. Mais Jacques finissait par être un peu piqué de son attitude froide ; il continua brutalement :
— Va, tu peux m’avouer la vérité, je ne m’en fâcherai pas… Cela a dû être, ne dis pas non… Eh ! c’est la vie : on se prend, on se quitte, on se retrouve. Il n’y a pas de semaine où je ne rencontre quelque ancienne… Tu as tort de prendre la chose au tragique et de me traiter en ennemi… Tu étais si gaie, si insouciante !
Il la contemplait, il s’émerveillait de la revoir grasse et bien portante, dans l’épanouissement large de sa beauté.
— Tu as beau me faire la moue, dit-il en plaisantant, je te trouve embellie. Tu es devenue femme, Madeleine, et tu as dû être heureuse… Là, regarde-moi un peu : ah ! mes beaux cheveux roux, ma douce peau nacrée !
Il s’était rapproché, une lueur de désir passa dans ses yeux.
— Voyons, tu ne veux pas m’embrasser avant que je ne m’en aille ?
Madeleine se renversa pour échapper à ses mains qui se tendaient vers elle.
— Non, laissez-moi, je vous en prie, balbutia-t-elle d’une voix mourante.
Jacques fut frappé du désespoir qu’il y avait dans son accent. Il devint subitement sérieux ; le fond bon enfant de son caractère s’émut, il eut vaguement conscience qu’il venait d’être sans le vouloir brutal et cruel. Il fit en silence quelques pas vers la porte. Puis s’arrêtant et se retournant :
— Tu as raison, Madeleine, dit-il. Je suis un sot, j’ai eu tort de venir ici… Pardonne-moi mes rires comme je te pardonne ta froideur. Mais j’ai bien peur que tu n’aies ni cœur ni mémoire. Si tu aimes réellement cet homme, ne reste pas avec lui dans cette chambre.
Il parlait d’une voix grave, et elle retint des sanglots quand il lui montra les murs de la pièce d’un geste énergique.
— Je suis un farceur, moi, continua-t-il, j’aime un peu partout, sans grande délicatesse. Et cependant j’entends encore ce lit, ces meubles, cette chambre entière me parler de toi… Souviens-toi, Madeleine.
Les pensées qu’il évoquait, firent de nouveau luire un désir dans ses regards.
— Voyons, dit-il en se rapprochant, une seule poignée de main, et je m’en vais.
— Non, non, répéta la jeune femme affolée.
Il la tint quelques secondes frissonnante devant lui, haussa les épaules et sortit. Il s’en alla en la traitant de sotte. Son court regret d’être venu et de s’être montré peut-être un peu brutal, s’était noyé dans une sourde irritation contre cette ancienne maîtresse qui refusait même de lui serrer la main. S’il avait eu un éclair de sensiblerie, en montrant la chambre, cette émotion tendre venait d’une jalousie vague qu’il eût rougi d’avouer franchement.
Madeleine, restée seule, se mit à tourner dans la pièce, machinalement, changeant les paquets de place, sans trop savoir ce qu’elle faisait. Il y avait en elle une sorte de clameur assourdissante qui lui empêchait d’entendre ses pensées. Elle eut un instant l’idée de courir après Jacques pour lui conter son mariage avec Guillaume ; elle croyait, maintenant qu’elle ne le voyait plus devant elle, se sentir la force d’un pareil aveu. D’ailleurs, elle n’était pas poussée à cet acte de courage par la pensée de venir en aide à son mari, de lui assurer un avenir paisible ; elle ne songeait qu’à elle, elle se révoltait à la fin sous le mépris familier et rieur de son premier amant, elle voulait lui montrer qu’elle vivait en honnête femme et qu’on devait la respecter. Cette rébellion de son orgueil lui cachait la situation vraie ; elle ne se demandait plus ce qu’elle allait dire à Guillaume quand il remonterait. Exaspérée par l’acharnement des faits à la frapper, elle trouvait simplement en elle de la colère, un besoin égoïste de se soulager d’une façon immédiate et violente.
Comme elle allait et venait avec des gestes brusques, elle entendit derrière elle crier la porte que Jacques avait laissée entrebâillée. Elle se retourna, croyant que c’était son mari qui rentrait. Alors elle aperçut sur le seuil la mendiante de la route, la femme en haillons qui avait suivi le cabriolet jusqu’au Grand-Cerf.
Cette femme s’approcha d’elle, la regardant avec attention.
— Je ne m’étais pas trompée, dit-elle. Je t’avais reconnue, Madeleine, bien que ton visage fût dans l’ombre. Me reconnais-tu, toi ? »
Madeleine avait eu un mouvement de vive surprise en apercevant en pleine lumière la figure de la pauvresse. Elle se roidit encore, se fit implacable.
— Oui, je vous reconnais, Louise, répondit-elle, d’une voix où grondaient toutes les colères, toutes les révoltes de son être.
Il ne lui manquait plus que l’apparition de cette femme pour la rendre folle. Louise était cette ancienne camarade qui l’avait emmenée voir sa fille, à quelques lieues de Paris, la veille du départ de Jacques. On la connaissait dans le quartier Latin sous le surnom de Vert-de-Gris, que lui avaient fait donner ses soûleries d’absinthe et les teintes verdâtres de ses joues devenues molles et malsaines. On se montrait alors Vert-de-Gris comme une célébrité dont les échappés de collège se disputaient les faveurs. Effarée, frappée d’hystérie par la boisson, elle se pendait, dans les bals publics, au cou de tous les hommes ; c’était la débauche ivre, avachie, n’ayant plus même conscience des puanteurs du ruisseau au milieu duquel elle se vautrait. Un instant, lorsqu’elle eut une fille, elle parut se dessoûler un peu. Jacques, qui aimait son esprit poissard, ne se fit aucun scrupule de la donner pour compagne à Madeleine, d’autant plus qu’elle était à ce moment-là la maîtresse d’un de ses amis ; elle voulait se ranger, disait-elle, vivre avec un seul homme. Puis elle avait roulé de nouveau dans la boue, ne pouvant prendre longtemps sa maternité au sérieux, se plaisantant elle-même d’avoir cru à ces bêtises-là pendant quelques mois. Madeleine, lorsqu’elle logeait rue de l’Est, l’avait vue une nuit se traîner sur un trottoir, ivre morte, entre deux étudiants qui la battaient, et cette créature sale était demeurée dans sa mémoire comme le souvenir le plus écœurant de sa vie d’autrefois.
Aujourd’hui, Vert-de-Gris paraissait tombée aux dernières hontes. Elle devait avoir trente et quelques années, mais on lui en eût donné aisément cinquante. Elle portait une misérable robe en lambeaux, dont la jupe déchiquetée et trop courte, montrait ses pieds chaussés de vieux souliers d’homme ; un châle de tartan était noué autour de son corps, et ses bras sortaient de ce châle, demi-nus, violets de froid. Son visage, entouré d’un mouchoir attaché sous le menton, avait une expression d’ignoble hébétement ; la boisson en avait fait un masque crapuleux, aux lèvres décolorées et pendantes, aux yeux clignotants et rougis. Elle balbutiait d’une voix rauque, avec des hoquets, accompagnant ses paroles de gestes vagues qui gardaient un reste des grâces ordurières de ses anciennes danses échevelées. Mais ce qui rendait surtout lamentable et immonde cette créature dissoute par la débauche, c’était son air d’égarement, le frisson continuel qui la secouait ; l’absinthe avait rongé sa chair et son esprit, elle agissait et parlait dans une sorte de stupeur que traversaient des ricanements nerveux, des exaltations soudaines. Madeleine se rappela ce que lui avait dit son mari sur cette femme qui courait les routes comme une échappée de Charenton. Elle la crut tout à fait folle, elle n’en fut que plus dégoûtée.
— Oui, je vous reconnais, répéta-t-elle d’un ton rude. Que me voulez-vous ?
Louise la regardait toujours de ses yeux troubles. Elle eut un rire idiot.
— Tu ne me tutoies plus, tu fais la fière… Est-ce parce que je n’ai pas une robe de soie comme toi ?… Mais tu sais bien, ma fille, qu’il y a des hauts et des bas dans la vie. Demain tu peux être aussi misérable que je le suis aujourd’hui.
Chacune de ces paroles blessait Madeleine, l’irritait davantage. Tout son passé se dressait devant elle, elle se disait que cette femme avait raison, qu’elle aurait pu tomber à ce degré d’infamie.
— Vous vous trompez, reprit-elle violemment. Je suis mariée… Laissez-moi.
Mais la folle continuait à s’exclamer :
— Tu as une vraie chance. Ce n’est pas à moi que ces choses-là arrivent… Quand je t’ai vue en voiture avec un homme, j’ai cru que tu avais mis la main sur un millionnaire… Alors c’est ton mari, ce monsieur qui m’a jeté une pièce de cent sous ?
Madeleine ne répondit pas ; elle souffrait horriblement. Cependant Vert-de-Gris faisait des efforts pour réfléchir et discuter un scrupule qui venait de la prendre. Elle fouilla enfin dans une de ses poches.
— Attends, balbutia-t-elle, je vais te rendre tes cent sous… L’argent d’un mari, c’est sacré… Je pensais que ce monsieur était ton amant, et il n’y avait pas de mal, n’est-ce pas ? à accepter cent sous de l’amant d’une ancienne amie.
La jeune femme fit un geste de refus.
— Gardez cet argent, dit-elle, c’est moi qui vous le donne… Que me voulez-vous encore ?
– Moi, rien, répondit Louise d’un air hébété.
Puis elle se souvint, elle se remit à ricaner.
— Ah ! si, cria-t-elle, je me rappelle maintenant… Mais, vraiment, tu n’es pas gentille, Madeleine. Je n’ai pas la tête forte, et tu me troubles avec tes grands airs. Je voulais causer, rire un peu, parler du bon temps… Cela m’a fait bien plaisir, lorsque je t’ai reconnue dans cette voiture. Je t’ai suivie, parce que je n’osais te serrer la main devant le monsieur qui était là. Et j’avais une envie d’être seule avec toi, tu penses ! Car, ici, je ne vois plus personne de notre ancien monde. Je suis contente de savoir que tu es heureuse.
Elle s’était assise, elle geignait de sa voix rauque, bavardant avec une familiarité qui froissait toutes les délicatesses de Madeleine. Elle avait des gestes mous, se tassait dans ses haillons, enveloppait son ancienne amie de regards ternes où passaient des attendrissements d’ivrogne. Son accent canaille, qu’elle cherchait à rendre caressant, l’attitude cordiale de son corps amolli, en faisaient un spectacle infâme, insoutenable.
— Tu vois, continua-t-elle, moi je n’ai pas eu de bonheur… Je suis tombée malade à Paris, j’avais trop bu d’absinthe, paraît-il : ma tête me semblait vide, tout mon corps tremblait comme une feuille. Regarde mes mains, elles tremblent toujours… À l’hôpital j’ai eu peur des carabins ; je les entendais dire autour de moi que c’était fini, que je n’en avais pas pour longtemps dans le ventre. Alors j’ai demandé à m’en aller, et l’on m’a laissée partir. Je voulais revenir à Forgues, un petit village qui est à une lieue d’ici, et où mon père était charron. Un de mes anciens amants m’a payé ma place au chemin de fer…
Elle reprit haleine, elle ne pouvait plus parler que par phrases courtes.
— Imagine-toi, poursuivit-elle, que mon père était mort. Il avait fait de mauvaises affaires. Je trouvai à sa place un autre charron qui me jeta à la porte. Voilà bientôt six mois de cela. J’aurais bien désiré retourner à Paris, mais je n’avais plus un sou, mes vêtements ne tenaient plus sur moi… J’étais finie, comme ils disaient à l’hôpital. Les hommes ne m’auraient pas ramassée avec des pincettes. Alors je suis restée dans le pays. Les paysans ne sont pas méchants, ils me donnent à manger… Quelquefois, sur les routes, les gamins me poursuivent à coups de pierre.
Sa voix était devenue sombre. Madeleine, glacée, l’écoutait n’ayant plus le courage de la chasser. Vert-de-Gris finit par secouer la tête d’un air d’insouciance ; elle retrouva le ricanement qui d’habitude découvrait ses dents jaunes.
— Bah ! dit-elle, j’ai eu mon temps, ma petite… Te rappelles-tu comme les hommes couraient après moi ? Nous avons fait de bonnes parties ensemble à Verrières. Je t’aimais beaucoup, parce que tu ne me disais jamais de sottises. Je me souviens pourtant d’un jour où je te boudai à la campagne : mon amant t’avait embrassée, et je faisais semblant d’être jalouse. Tu sais, je m’en moquais pas mal.
Madeleine pâlit affreusement. Les souvenirs évoqués par cette créature l’étouffaient.
— À propos, demanda l’autre tout à coup, et le tien d’amant, ce grand garçon, Pierre, Jacques, je ne sais plus, qu’en as-tu fait ? Voilà un homme qui était gai ! Il faut que je te dise une chose : il me faisait la cour, il me trouvait drôle. Maintenant ça ne peut plus te fâcher de savoir cela… Est-ce que tu le revois quelquefois ?
La jeune femme, à bout de forces, ne put supporter davantage l’angoisse que lui causait la présence de Vert-de-Gris. La colère lui remontait à la gorge, tout son être s’exaspérait.
— Je vous ai dit que j’étais mariée, répondit-elle. Allez-vous-en, allez-vous-en.
La folle eut peur. Elle se leva comme si elle eût entendu les clameurs des gamins qui la poursuivaient à coups de pierres dans les champs.
— Pourquoi me dis-tu de m’en aller ? balbutia-t-elle. Je ne t’ai jamais fait de mal ; j’ai été ton amie ; nous ne nous sommes pas quittées fâchées.
— Allez-vous-en, répétait toujours Madeleine. Je ne suis plus celle que vous avez connue. J’ai une petite fille.
— Moi aussi, j’avais une petite fille… Je ne sais plus… J’ai oublié de payer les mois de nourrice, et on me l’a prise… Tu n’es pas gentille, tu me reçois comme un chien. Je disais bien autrefois que tu étais une pimbêche, avec tes airs sucrés.
Et comme Madeleine en marchant vers elle la poussait lentement vers la porte, elle s’affola tout à fait, elle cria d’une voix aigre :
— Ce n’est pas parce que tu as eu de la chance qu’il faut mépriser les autres. Tu n’étais pas plus princesse que moi, entends-tu ? lorsque nous vivions toutes les deux au quartier. Si ton monsieur m’avait rencontrée, ce serait moi qui porterais tes robes de soie aujourd’hui, et toi qui courrais pieds nus les chemins… Dis-toi cela, ma fille.
À ce moment, Madeleine entendit dans le couloir les pas de Guillaume qui revenait. Une rage la prit. Elle saisit Louise par un poignet et la ramena violemment au milieu de la chambre en lui criant :
— Tenez, vous avez raison. Voici mon mari qui monte. Restez pour lui dire que je suis infâme.
— Eh ! non, répondit l’autre en se dégageant. C’est qu’à la fin tu m’as mise en colère. Tu es trop fière, vois-tu… Je m’en vais. Je ne veux pas te faire arriver du mal.
Mais comme elle allait sortir, Guillaume entra. Il s’arrêta surpris devant la mendiante, il adressa un regard d’interrogation à sa femme. Celle-ci s’était appuyée contre la grande armoire. L’exaspération la raidissait ; elle n’avait pas une rougeur au front, pas un trouble de honte dans le regard ; froide, résolue, le visage crispé par une énergie mauvaise, elle semblait s’apprêter à une lutte.
— C’est une de mes anciennes amies, Guillaume, dit-elle d’une voix brève. Elle est montée pour causer avec moi… Invite-la donc à venir nous voir à la Noiraude.
Ces paroles frappèrent douloureusement le jeune homme. Il devina, au son de la voix de Madeleine, que leur paix était morte de nouveau. Sa figure douce exprima une angoisse muette. S’avançant vers Louise, il lui demanda d’un ton bas et ému :
— Vous avez connu Madeleine ?
— Oui, monsieur, répondit la malheureuse… Mais ne l’écoutez pas. Si j’avais su, je ne serais pas montée.
— Voulez-vous de l’argent ?
Elle eut un geste superbe de refus.
— Non, merci. Si vous étiez mon amant, je ne dis pas… Je m’en vais, bonsoir.
Quand elle eut refermé la porte, les époux se regardèrent un instant en silence. Ils sentaient qu’un choc inévitable devait les heurter, qu’ils ne sauraient ouvrir les lèvres sans se blesser fatalement ; ils auraient voulu ne point parler, et, malgré eux, ils étaient poussés à aller au-devant des nouvelles souffrances qui les menaçaient. Ce fut une minute cruelle de méfiance et d’anxiété. Guillaume, dans la surprise désespérée que lui causait cette attaque imprévue du malheur, attendait avec une résignation pleine d’effroi. Il avait laissé Madeleine paisible, souriante, rêvant un avenir de tendresse, et il la revoyait frémissante, irritée, les yeux fixés sur lui d’un air dur et implacable ; la difficulté qu’il éprouvait à s’expliquer ce brusque changement, redoublait ses inquiétudes, lui laissait entrevoir quelque terrible secousse dont il allait forcément recevoir le contre-coup. Il s’était approché de sa femme, tâchant de la détendre, mettant dans ses regards toute la douceur miséricordieuse qu’il avait encore en lui. Mais elle restait exaspérée par les deux scènes rapides qui venaient coup sur coup de l’écraser ; dix minutes avaient suffi pour lui faire revivre tout son passé ; maintenant elle gardait en elle l’épouvante et le froid des apparitions de Jacques et de Vert-de-Gris. Depuis la sortie de son ancien amant, elle ne s’inquiétait plus des maux que son mari endurerait, elle cherchait simplement une issue aux révoltes de son être entier. La venue de Louise avait achevé de lui donner l’égoïsme féroce de la souffrance. Une seule pensée battait dans le tumulte de sa colère : « Puisque je suis infâme, puisqu’il n’y a pas de pardon pour moi, que tout m’écrase, je serai ce que le ciel veut que je sois. »
Ce fut elle qui parla la première.
— Nous avons été lâches, dit-elle brusquement à Guillaume.
— Pourquoi me dis-tu cela ? demanda celui-ci.
Elle secoua la tête d’un air méprisant.
— Il ne fallait pas fuir comme des coupables. Nous aurions été forts de notre droit, de nos cinq années d’affection… Maintenant il n’est plus temps de lutter, nous sommes vaincus, notre paix est morte.
Guillaume voulut tout savoir. Il reprit :
— Que s’est-il donc passé, Madeleine ?
— Ne le devines-tu pas ? s’écria la jeune femme ; n’as-tu pas vu cette malheureuse ? Elle m’a rappelé ce passé qui m’étouffe et que je cherche vainement à oublier.
— Eh bien ! elle est partie, calme-toi. Il n’y a rien de commun entre toi et cette créature. Je t’aime.
Madeleine eut un rire bref. Elle haussa les épaules en répondant :
— Rien de commun ! J’aurais voulu que tu fusses là. Elle t’aurait dit que je me traînerais à cette heure sur le pavé de Paris, si tu ne m’y avais pas ramassée.
— Tais-toi, Madeleine, ne parle pas ainsi. Tu es mauvaise ; tu ne dois pas salir nos tendresses.
Mais la jeune femme s’excitait elle-même par les mots grossiers qu’elle sentait monter à ses lèvres. Elle s’irritait de voir son mari défendre leurs amours, elle cherchait avec colère des preuves accablantes de son infamie, pour les lui jeter à la face et l’empêcher d’essayer encore de la calmer. Elle ne trouva qu’un mot.
— J’ai vu Jacques, dit-elle.
Guillaume ne comprit pas. Il la regarda d’un air hébété.
— Il était là tout à l’heure, continua-t-elle ; il m’a tutoyée ; il a voulu m’embrasser.
Et elle fixait un regard droit sur son mari qui pâlissait. Il s’assit sur la table. Il balbutia :
— Jacques était parti.
— Eh ! non, il dort dans une chambre voisine. Je l’ai vu.
— Cet homme est donc partout ? dit alors Guillaume dans un élan de colère et d’épouvante.
— Parbleu ! répondit Madeleine avec un geste superbe de certitude… Est-ce que tu espères tuer le passé ? Ah ! vraiment, cette chambre te semblait un coin perdu, une solitude reculée où personne ne pouvait venir se dresser entre nous ; tu me disais que nous étions seuls, hors du monde, plus haut et plus loin, et que nous allions passer ici une nuit d’amour paisible. Eh bien ! l’ombre et le silence de cette chambre étaient menteurs, l’angoisse nous attendait dans ce logis inconnu où nous ne devions rester que quelques heures.
Son mari l’écoutait, abattu, les yeux à terre, désespérant d’arrêter le flot furieux de ses paroles.
— Et moi, continua-t-elle, j’étais assez niaise pour croire qu’il y a des lieux où l’on oublie. Je me berçais de tes rêves… Vois-tu, Guillaume, il n’y a plus de lieux où nous puissions être seuls. Nous aurions beau fuir, nous cacher au fond des retraites les plus closes, le destin saurait nous y atteindre, nous y trouverions ma honte qui nous affolerait. C’est que je porte la souffrance en moi : il suffira maintenant d’un souffle d’air pour aviver mes plaies. Dis-toi que nous sommes traqués comme des bêtes blessées qui cherchent vainement un abri de buisson en buisson, et qui finissent par mourir dans quelque fossé.
Elle s’arrêta un instant, puis elle reprit d’un ton plus irrité :
— C’est notre faute, je le répète. Nous ne devions pas avoir la lâcheté de fuir. En quittant la Noiraude, le soir où cet homme est venu, souviens-toi, je te disais que les souvenirs étaient lâchés et qu’ils me poursuivaient. C’est là, la meute hurlante qui nous traque. Je les entendais courir furieusement derrière moi, je les sens à cette heure me mordre, entrer leurs ongles dans ma chair. Ah ! que je souffre ! mes souvenirs me déchirent.
En poussant ce cri, elle porta les mains à sa poitrine, comme si elle eût réellement senti des dents de chien s’y enfoncer. Guillaume était las de souffrir ; les paroles cruelles de sa femme commençaient à lui causer une sorte d’impatience nerveuse. La volupté âpre qu’elle prenait à se révolter, blessait ses faiblesses, ses besoins de tranquillité. Il s’irritait lui-même. Il aurait voulu lui imposer silence. Il crut cependant devoir tenter une fois encore de la calmer ; mais il le fit mollement.
— Nous oublierons, dit-il, nous irons chercher le bonheur plus loin.
Madeleine se mit à rire. Elle nouait ses mains, elle avançait sa face pâle.
— Ah ! tu crois, cria-t-elle, que je vais pouvoir me heurter à chaque pas et conserver ma tête calme et saine. Je ne me sens pas cette force. Il me faut de la paix ou je ne réponds plus de ma raison.
— Voyons, ne te débats pas ainsi, reprit son mari, qui vint à elle et chercha à lui prendre les mains. Tu vois combien je souffre. Épargne-moi. Cessons cette scène cruelle… Demain, quand nous serons apaisés, nous trouverons peut-être une guérison… Il est tard, couchons-nous.
Il n’espérait plus, il voulait simplement s’isoler dans le noir et le silence de la nuit ; il lui semblait qu’il souffrirait moins, lorsqu’il serait étendu entre les draps et que, la bougie éteinte, il n’entendrait plus la voix brève de Madeleine. Il s’approcha du lit, écarta les rideaux, rejeta un coin des couvertures. La jeune femme, toujours adossée contre la grande armoire, le regardait faire d’un air étrange. Quand la couche fut découverte et qu’elle aperçut la blancheur éblouissante de la toile :
— Je ne me coucherai pas, dit-elle… Jamais je ne me mettrai avec toi dans ce lit.
Il se retourna, surpris, ne comprenant pas la raison de cette nouvelle révolte.
— Je ne t’ai pas dit, continua-t-elle, j’ai déjà habité cette chambre avec Jacques… J’ai dormi là, dans ses bras.
Et elle montrait le lit d’un geste significatif. Guillaume recula, revint s’asseoir sur la table. Il y garda le silence, anéanti. Cette fois, il s’abandonnait au bon plaisir du destin : tout l’accablait d’une façon par trop cruelle.
— Il ne faut pas m’en vouloir si je te dis la vérité, reprit âprement Madeleine. Je t’évite une honte. Tu refuses, n’est-ce pas ? de m’étreindre dans le lit où Jacques m’a déjà possédée… Nous y ferions d’horribles rêves, et j’y mourrais peut-être d’écœurement.
Le nom de son premier amant, qu’elle venait de prononcer pour la seconde fois, ramena ses idées sur l’entrevue récente. Sa tête s’égarait ; elle ne pensait plus que par sauts brusques.
— Il était devant moi tout à l’heure, dit-elle. Il raillait, il m’insultait. Je suis une pauvre fille pour lui, une fille qu’il a le droit d’injurier. Il ignore qu’on me respecte maintenant, il ne m’a jamais vue à ton bras… Un instant, j’ai voulu lui avouer la vérité. Et je n’ai pas pu… Veux-tu savoir pourquoi je n’ai pas pu, pourquoi je l’ai laissé rire et me tutoyer ? Non, je ne puis te dire cela… Eh ! qu’ai-je besoin de le cacher ! Tu dois tout savoir, tu ne me parleras plus de guérison… Cet homme m’a soupçonnée d’avoir traîné un nouvel amant dans cette chambre, pour y goûter un sale plaisir à évoquer le passé.
Guillaume n’eut pas un frisson ; il mollissait sous les coups. Après un court silence :
— Cette chambre, murmura Madeleine, je la connais bien, va…
Elle quitta enfin l’armoire où elle s’adossait depuis le commencement de la scène, elle vint au milieu de la pièce. Là, violente et muette, le cou gonflé du grondement qu’elle retenait, elle se mit à regarder autour d’elle, lentement, avec une terrible fixité. Guillaume, qui avait levé la tête en l’entendant marcher, fut épouvanté par l’expression de ses yeux ; il ne put s’empêcher de dire :
— Tu m’effraies, Madeleine… Ne regarde pas ainsi ces murs.
Elle secoua la tête. Elle continua à tourner sur elle-même, à examiner de loin chaque objet.
— Je les connais, je les connais, répéta-t-elle d’une voix basse et chantante. Ah ! ma pauvre tête éclate. Il faut me pardonner, vois-tu. Les paroles montent malgré moi à mes lèvres ; je voudrais les retenir, et je sens qu’elles vont m’échapper. Le passé m’emplit… C’est une effroyable chose que de se souvenir… Par pitié, tue, tue ma pensée !
Elle avait haussé la voix, elle criait maintenant :
— Je voudrais ne plus penser, être morte, ou vivre encore et être folle… Oh ! perdre la mémoire, exister comme une chose, ne plus écouter dans mon cerveau le bruit affreux des souvenirs !… Cela échappe à ma volonté ; mes pensées me tenaillent sans relâche, elles coulent en moi avec le sang de mes veines, et je les entends qui battent au bout de chacun de mes doigts… Pardonne-moi, Guillaume, je ne puis me taire.
Elle fit quelques pas d’un air si hagard que son mari crut qu’elle devenait réellement folle. Il tendit les mains l’appelant, essayant de l’arrêter.
— Madeleine, Madeleine, dit-il d’une voix suppliante.
Mais elle ne l’écouta pas. Elle était activée près du mur qui faisait face à la cheminée elle répétait toujours :
— Non, je voudrais ne plus penser, car ce que je pense est horrible, et je pense tout haut… Je reconnais tout ici.
Et elle levait les yeux, elle contemplait la muraille qu’elle avait devant elle. L’apparition de Jacques, de cet homme dont la vue la troublait d’une émotion si profonde avait déterminé en elle une crise de chair et d’esprit ; cette crise était allée en croissant ; maintenant elle l’exaltait, la poussait à une singulière hallucination. La jeune femme, oubliant la présence de son mari, emplie du passé, se croyait revenue aux jours d’autrefois ; une fièvre chaude détraquait son être calme d’ordinaire ; elle recevait des moindres objets qui l’entouraient, une sensation aiguë, intolérable, qui l’énervait au point de lui arracher en paroles et en cris chacune de ses impressions. Elle revivait les heures vécues avec Jacques dans ce lieu, et, ainsi qu’elle le disait, elle les revivait tout haut, malgré elle, comme si elle se fût trouvée seule.
Le feu qui flambait jetait sur les murs de larges clartés rougeâtres. L’ombre seule de Guillaume, toujours assis sur la table, montait jusqu’au plafond, noire, colossale ; le reste, les plus petits coins de la chambre se trouvaient vivement éclairés. Le lit, à demi découvert, blanchissait ; les meubles avaient sur leurs arêtes des filets de lumière, et des foyers en flammes dansaient dans leurs panneaux luisants ; les images prenaient des tons crus, les vêtements rouges et jaunes de Pyrame et de Thisbé tachaient le papier peint d’éclaboussures de sang et d’or ; la pendule de verre filé, le château frêle s’illuminaient des caves aux greniers, comme si les poupées couchées dans les appartements y eussent donné quelque gala.
Et Madeleine, dans cette clarté vive, égratignant aux meubles sa robe brune de voyage, la face d’une blancheur mate et les cheveux d’un roux ardent, allait d’un pas saccadé le long des murs de la chambre. Elle regardait un à un les tableaux qui racontaient les malheureuses amours de Pyrame et de Thisbé.
— Il doit y en avoir huit, dit-elle, je les ai comptés avec Jacques. Je montais sur une chaise, je lui lisais les récits qui accompagnent les images. Cette histoire lui semblait drôle, il riait des fautes de français, des tournures ridicules des phrases… Je me souviens que je me suis fâchée de ses rires. Je trouvais ces amours naïves, pleines d’une bêtise adorable… Ah ! voilà le mur qui séparait les amants et par une fente duquel ils se confiaient leurs tendresses. N’est-ce pas charmant, ce mur crevassé, cet obstacle qui ne peut arrêter deux cœurs !… Et puis le dénoûment est terrible. Voici la gravure où Thisbé trouve Pyrame baigné dans son sang ; le jeune homme a cru que son amante venait d’être dévorée par une lionne ; il s’est poignardé, et Thisbé, en le voyant sans vie, se tue à son tour, se jette sur son corps pour y mourir… Je voudrais mourir ainsi… Jacques se moquait. « Si tu me trouvais morte, lui demandai-je, que ferais-tu ? » Il est venu me prendre dans ses bras, il m’a donné un baiser en riant plus fort et en me répondant : « Je t’embrasserais comme cela, sur les lèvres, pour te ressusciter. »
Guillaume se leva, fiévreux, sourdement irrité. Les pensées, les spectacles que sa femme étalait, lui causaient une angoisse insupportable. Il aurait voulu la bâillonner. Il la prit par les poignets, la ramena au milieu de la pièce.
— Tais-toi, tais-toi ! lui cria-t-il. Tu oublies donc que je suis là ? Tu es trop cruelle, Madeleine.
Mais elle s’échappa, elle courut, vers la fenêtre.
— Je me souviens, dit-elle en écartant un des petits rideaux de mousseline, cette fenêtre donne sur la cour. Oh ! je reconnais tout, un rayon de lune me suffit… Voilà le pigeonnier de briques rouges ; le soir, je regardais avec Jacques rentrer les vols de pigeons qui s’arrêtaient un instant, sur les bords des toits, à se lustrer les plumes, avant de disparaître un à un par les étroites portes rondes ; ils avaient de petits cris plaintifs, ils se becquetaient… Et voilà la porte jaune de l’écurie qui restait grande ouverte ; nous entendions souffler les chevaux ; des bandes de poules arrivaient en caquetant, et grattaient la paille dont elles amenaient des brins au-dehors… Il me semble que c’était hier. J’avais dû garder le lit, les deux premiers jours ; je grelottais de fièvre. Puis, quand j’ai pu me lever, je suis venue à cette fenêtre. Je trouvais bien triste cet horizon de murs et de toits, mais j’adore les bêtes, je m’amusais des heures entières de la gloutonnerie des poules et des grâces amoureuses des pigeons… Jacques fumait, se promenant de long en large dans la chambre. Quand je l’appelais avec des éclats de rire pour voir un poussin qui se sauvait, un ver au bec, et que tous les autres poulets poursuivaient afin de partager la friandise, il venait, se penchait, me serrait à la taille… Il avait inventé de me baiser sur le cou, par petits baisers légers et rapides, de façon à produire avec ses lèvres, à peine posées sur ma peau, une sorte de caquètement continu, assez semblable à celui des poussins. « Je vais faire le petit poulet, » disait-il en plaisantant…
— Tais-toi, tais-toi, Madeleine ! cria violemment Guillaume.
Elle avait quitté la fenêtre. Elle se trouvait devant le lit qu’elle contemplait d’un air étrange.
— C’était en été, reprit-elle d’une voix plus basse. Les nuits étaient brûlantes. Les deux premiers jours, Jacques a couché à terre sur un matelas. Lorsque je n’ai plus eu la fièvre, nous avons ajouté ce matelas à ceux sur lesquels j’avais dormi. Le soir, en nous couchant, nous trouvions le lit plein de bosses. Jacques prétendait par moquerie, que nous mettrions vingt paillasses les unes sur les autres, sans parvenir à rendre notre couche plus molle… Nous laissions la fenêtre entr’ouverte, et, pour avoir un souffle d’air, nous écartions ces rideaux de cotonnade bleue. Ce sont toujours les mêmes, je vois là un accroc que j’ai fait avec une épingle à cheveux… J’étais déjà forte, Jacques n’était pas mince, et le lit nous semblait bien étroit…
Guillaume, exaspéré, vint se mettre entre le lit et Madeleine. Il la poussait vers la cheminée, il avait des envies terribles de la serrer à la gorge, de lui appuyer ses poings sur les lèvres, pour la réduire au silence.
— Elle devient folle, balbutia-t-il, je ne puis pourtant pas la battre.
La jeune femme arriva à reculons jusqu’à la table, en regardant le visage pâle de son mari d’un air hébété. Quand elle se fut heurtée, elle se tourna vivement et se mit à chercher ; elle promenait sur le bois graisseux la lueur de la bougie, interrogeant chaque tache qu’elle apercevait.
— Attends, attends, murmura-t-elle, je dois avoir écrit quelque chose là… C’était la veille de notre départ, Jacques lisait, et je m’ennuyais à penser toute seule. Alors j’ai trempé le bout de mon petit doigt dans un encrier qui était devant moi, j’ai écrit quelque chose sur le bois… Oh ! je vais trouver, c’était très bien marqué, ça n’a pu s’effacer…
Elle tournait, se ployait à demi pour mieux voir. Au bout de quelques secondes de recherches, elle poussa un cri de triomphe.
— Je le savais bien, dit-elle. Tiens, lis : J’aime Jacques.
Guillaume, pendant qu’elle cherchait, essayait de réfléchir au moyen le plus doux qu’il pourrait employer pour la faire taire. Ses fiertés, ses égoïsmes d’amour étaient si profondément blessés, qu’il sentait lui venir des besoins invincibles de brutalité. Ses poings se fermaient malgré lui, ses bras se levaient. S’il ne frappait pas, c’est qu’il n’avait pas encore complètement perdu la tête, et que le peu de raison qui lui restait, se révoltait à la pensée de battre une femme. Mais quand il entendit Madeleine lire : J’aime Jacques, et rendre à ces mots l’accent qu’elle avait dû leur donner autrefois, il se dressa derrière elle, les deux poings en l’air, comme pour l’assommer.
Ce fut un éclair. La jeune femme, vaguement avertie, se tourna brusquement.
— C’est cela, cria-t-elle, bats-moi… je veux que tu me battes.
Si elle ne s’était pas retournée, nul doute que Guillaume n’eût laissé retomber ses poings. Cet énorme chignon de cheveux roux, cette nuque impudique où il croyait retrouver les rougeurs des baisers de Jacques, l’irritaient, le rendaient impitoyable. Mais quand il vit devant lui le visage blanc et délicat de Madeleine, il eut une pitié soudaine, il recula en faisant un geste de suprême découragement.
— Pourquoi te retiens-tu ? lui dit sa femme, tu vois bien que je suis folle et que tu dois me traiter comme une bête.
Elle éclata en sanglots. Cette crise de larmes abattit subitement sa surexcitation. Depuis le commencement de cette étrange hallucination qui lui faisait revivre les jours d’autrefois, elle sentait sa gorge pleine d’un flot de pleurs.
Elle n’eût pas parlé, si elle avait pu pleurer à son aise. Maintenant que son angoisse et sa colère s’en allaient en larmes chaudes, elle revenait peu à peu à elle ; elle sentait son être se détendre, elle comprenait toute la cruauté de sa folie. Il lui semblait qu’elle sortait d’un cauchemar pendant lequel elle aurait raconté tout haut les spectacles affreux dont s’emplissait son cerveau détraqué. Et elle s’étonnait, elle s’accusait des paroles qui venaient de lui échapper. Jamais elle ne pourrait reprendre ces paroles, jamais son mari ne les oublierait. Désormais il y aurait, entre elle et lui, les souvenirs de cette chambre, la réalité vivante d’un épisode de ses amours avec Jacques.
Désespérée, terrifiée par l’idée que c’était elle qui avait fatalement tout avoué, sans que Guillaume lui eût demandé sa confession, elle s’approcha de lui, les mains jointes, suppliante. Il venait de se laisser tomber sur une chaise, baissant la tête, se cachant la face dans ses mains ouvertes.
— Tu souffres, balbutia-t-elle. Je t’ai dit des choses qui te font saigner le cœur… Je ne sais pourquoi je t’ai conté tout cela. J’étais folle… Je ne suis pas méchante pourtant. Tu te rappelles nos bonnes soirées. J’avais oublié, je me croyais digne de toi. Ah ! comme je t’aimais, Guillaume !… Je t’aime encore. Je n’ose te jurer que je t’aime toujours, parce que je sens bien que tu ne me croirais pas. C’est la vérité cependant… Ici mes souvenirs m’ont repris à la gorge, et j’aurais étouffé si je n’avais parlé.
Il ne disait rien. Il restait abîmé dans un désespoir sans bornes.
— Allons, reprit Madeleine, je le vois, tout est bien fini entre nous. Je n’ai plus qu’à disparaître… La mort doit être douce.
Guillaume releva la tête.
— La mort, murmura-t-il, déjà la mort… Non, tout ne peut être fini.
Il regardait sa femme, ému par la pensée de la voir morte. Il n’espérait plus, il se sentait à jamais blessé, mais toutes ses faiblesses nerveuses s’effrayaient devant un dénouement immédiat et brutal. S’il voulait vivre encore, ce n’était pas qu’il rêvât de tenter de nouveau le bonheur ; c’était qu’il trouvait à son insu une sorte de volupté amère à souffrir de cet amour qui avait fait la joie de sa vie. Sous la terre, il ne sentirait même plus les coups de Madeleine.
— Eh ! sois franc, dit celle-ci en retrouvant sa voix rude. Ne crains pas d’être cruel. Est-ce que je t’ai épargné, moi ?… Il y a désormais un homme entre nous… Oserais-tu m’embrasser, Guillaume ?
Il y eut un silence.
— Tu vois, tu ne réponds pas, continua-t-elle… La fuite est impossible. Je ne veux plus m’exposer à rencontrer sur les routes des femmes en haillons qui me tutoient, je ne veux plus m’arrêter dans des auberges où je courrais le risque de ressusciter les jours morts… Il vaut mieux en finir tout de suite.
Elle marchait d’un pas saccadé, cherchant vaguement autour d’elle un moyen de suicide. Guillaume la suivait des yeux, ne trouvant rien à lui dire. Si elle s’était tuée en ce moment-là, il l’aurait laissé faire. Mais elle s’arrêta brusquement ; la pensée de sa fille venait de se présenter à son esprit ; elle ne voulut pas avouer à son mari ce qui l’arrêtait, elle dit simplement :
— Écoute, promets-moi de ne pas chercher à m’empêcher de mourir, le jour où notre vie sera devenue intolérable… Tu me le promets ?
Il promit d’un mouvement de tête. Puis il se leva, il mit son chapeau.
— Tu ne veux pas rester dans cette chambre jusqu’à demain ? demanda Madeleine.
— Non, répondit-il avec un léger frisson, nous allons partir.
Quand ils eurent pris leurs effets, ils jetèrent dans la chambre un dernier regard : le feu se mourait ; les draps du lit à demi découvert étaient tout roses ; les images des amours de Pyrame et de Thisbé ne faisaient plus sur les murs que des taches noires ; la pendule de verre filé bleuissait dans l’ombre. Et les époux se disaient qu’ils étaient entrés là l’espérance au cœur, et qu’ils en sortaient désespérés. Dès qu’ils se trouvèrent dans le couloir, ils étouffèrent malgré eux le bruit de leurs pas. Jacques pouvait les entendre se retirer. Madeleine tourna même la tête, regarda au fond du corridor, d’un mouvement instinctif.
Quand ils furent arrivés dans la cour, il leur fallut réveiller le garçon de service. Celui-ci se leva de fort mauvaise humeur. Il était deux heures du matin, ce brusque départ lui semblait des plus singuliers. Puis il s’imagina qu’il avait dû se passer quelque scène de jalousie entre les deux messieurs de madame Madeleine. Cela lui fit oublier sa mauvaise humeur. Quand les époux furent montés en cabriolet :
— Bon voyage, leur cria-t-il d’une voix goguenarde… Au revoir, madame Madeleine.
La jeune femme se mit à pleurer silencieusement. Guillaume laissa aller les guides sur le cou du cheval, qui reprit de lui-même le chemin de Véteuil. Ils ne songeaient plus qu’ils étaient partis pour se rendre à Paris, ils préféraient maintenant aller panser leurs blessures vives dans le calme et le silence de la Noiraude. Et ils refirent machinalement la route qu’ils avaient déjà faite, comme des bêtes frappées à mort se traînant jusqu’à leur terrier pour y mourir en paix. Ce retour fut navrant. La campagne s’étendait plus sinistre, sous les clartés obliques de la lune, qui allongeaient des ombres colossales le long de la route blanche de gelée. Guillaume jetait de temps à autre au cheval un léger claquement de langue, sans en avoir conscience. Madeleine s’était remise à regarder stupidement les lueurs jaunes des lanternes courir dans les fossés. Vers le matin, le froid devint si vif que ses mains eurent l’onglée sous la couverture de laine grise.