Madame de Pompadour, Bernis et la Guerre de Sept ans/03

Madame de Pompadour, Bernis et la Guerre de Sept ans
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MADAME DE POMPADOUR
BERNIS ET LA GUERRE DE SEPT ANS

Fin.

XI

Arrivé le 14 février à Hanovre, d’où Richelieu était parti sans l’attendre, le Comte de Clermont marquait sa prise de commandement en apportant aux Officiers un supplément de solde et aux soldats une augmentation des rations de pain et de viande. Sa première pensée, après s’être fait présenter l’état de l’armée, fut d’aller visiter les hôpitaux, où, pour l’infanterie seulement, le nombre des malades formait près du cinquième de l’effectif. Mais en dehors de l’hôpital de Hanovre, d’où il sortit ému et indigné des souffrances et du désordre dont il avait été témoin, l’ennemi ne lui laissa pas le temps de poursuivre son enquête dans les autres villes de l’Électorat. Partout, après quelques semaines d’un repos apparent, du confluent de l’Aller aux sources de l’Ocker, de Brême à Wolfenbutell, nos cantonnements étaient subitement assaillis, à l’extrême gauche par le Prince héréditaire de Brunswick, au centre par le Prince Ferdinand, à droite par le Prince Henri. Dispersée sur une étendue dont le front de l’Ost-Frise à la Hesse n’avait pas moins de quatre-vingt lieues, sur une profondeur de cinquante en moyenne, pouvait-il être donné à l’Armée Royale d’assurer la garde du Weser contre un ennemi qui se présentait en force sur tant de points à la fois ! Le 21 février, l’ennemi entrait à Werden ; le 23, Hoya, place importante sur le Weser, entre Brême et Hanovre, formant la liaison entre l’extrême gauche et le centre de l’armée, et, comme Werden, absolument dépourvue de défenses sérieuses, capitulait après une brillante résistance. Déjà même les courriers n’arrivaient plus, et sans nouvelles du Comte de Saint-Germain qui, de Brême, s’était replié sur Osnabrück, menacé à son tour par la prise de Neustadt qui rendait sa position intenable à Hanovre, le Comte de Clermont se déterminait, le 28 février, à porter son quartier général sur la rive gauche du Weser, à Hameln, en rappelant à lui les corps cantonnés à Celle et à Brunswick. C’était la retraite : aussitôt connue à Vienne et à Versailles, elle jeta les deux Cours dans une consternation d’autant plus grande qu’elle ébranlait le système politique sur lequel reposait leur alliance. Avec l’abandon du Hanovre qui, à l’entendre, allait précipiter sur ses États toutes les forces du Roi de Prusse, l’Impératrice éperdue voyait déjà les Anglais débarquer dans l’Ost-Frise et se joindre aux Hanovriens et aux Hollandais pour s’emparer d’Anvers, de Rœremonde et de toute la Flandre Autrichienne. Afin de la rassurer contre toute descente des Anglais dans l’Ost-Frise insuffisamment gardée, le Maréchal de Belle-Isle s’empressa d’expédier un courrier au Général-Major Autrichien commandant les forces alliées dans cette région, pour s’informer des besoins qu’exigeait la défense de la place et du port d’Emden et y pourvoir sans délai, conformément aux ordre du Roi. Mais, dans l’intervalle, la situation du Comte de Clermont avait empiré ; le 14 mars, la capitulation de Minden, investie depuis le 5, l’obligeait à reculer le 16 à Paderborn et le 26 à Lipstadt, en lui enlevant la dernière possibilité de se maintenir sur le Weser. Le 28, sous la poussée de l’ennemi, l’armée reprenait son mouvement de retraite pour ne plus s’arrêter qu’au Rhin, à Wesel, but assigné au rassemblement des colonnes qui, des régions les plus distantes, se pressaient en désordre sur toutes les routes. Enfin, le Duc de Broglie, qui commandait à Cassel, recevait l’ordre de se rabattre sur Dusseldorf, et les garnisons de l’Ost-Frise en danger d’être coupées étaient rappelées sur le Rhin.

À la Cour, si grande que fût l’émotion provoquée par cette série d’étapes en arrière, on savait gré au Comte de Clermont d’avoir préféré la conservation de l’armée à la recherche d’un succès personnel en l’exposant à être détruite en détail. Restait donc l’impérieuse nécessité de l’établir fortement sur le Rhin, afin de permettre à ses unités, si éprouvées au physique et au moral, de vaquer en toute tranquillité à leurs réparations et de reprendre l’offensive au printemps. C’est pourquoi, envisageant la situation au double point de vue militaire et politique, le Maréchal de Belle-Isle et l’Abbé de Bernis insistaient dans le Conseil pour qu’on distribuât les troupes au bas Rhin, sur la Roër et la basse Lippe, de manière à faciliter la communication entre Dusseldorf, Cologne et Coblence, et dans le haut Rhin, sur la Lahn et à la gauche du Main, afin de couvrir une partie des Princes de l’Empire, inquiétés par notre retraite, et de se mettre à portée de fournir à la Cour Impériale les secours stipulés par notre alliance. Mais où les prendre ? Les forces du Royaume étaient employées en Allemagne, en Flandre et sur nos côtes. Par un procédé auquel recourait trop facilement le Cabinet de Versailles dans les circonstances embarrassantes, on n’hésita pas à retirer au Comte de Clermont 25 bataillons et 12 escadrons pour les faire passer dans le haut Rhin et les joindre aux contingents échappés au désastre de Rosbach et occupés à leurs réparations sur la rive droite de la Moselle. En échange, on envoyait au Prince 13, 000 hommes de milice, et, avec le retour des 15 bataillons les plus éprouvés par la campagne qu’on avait rappelés dans les provinces limitrophes du Royaume, on lui garantissait un effectif combattant de 60, 000 hommes de pied et de 20, 000 chevaux, auquel il aurait la faculté d’ajouter les 4, 000 Palatins déjà incorporés et les 20, 000 Saxons qu’on attendait à bref délai.

On a vu avec quelle irritation le Maréchal de Richelieu s’était séparé, au mois d’octobre précédent, d’un détachement de son armée. Pouvait-on s’attendre à plus de complaisance de la part du Comte de Clermont ? « Je sais — écrivit-il sur l’heure à Crémilles — ce que c’est que des armées ainsi combinées ; je ne veux pas faire le second tome de M. de Soubise. Le Roi m’a mis à la tête d’une armée française ; j’aime mieux les bataillons français à trois cents hommes que ceux qu’on veut me proposer à mille. » Madame de pompadour, Belle-Isle essuyent tour à tour les accès de sa colère : « Affaibli, sacrifié, dans quelles conditions le mettait-on pour défendre le Rhin ? Wesel ne pouvait pas tenir six jours ; Dusseldorf valait encore moins. Autant se décider tout de suite à reculer derrière la Moselle et la Meuse », leur mandait-il en substance[1]. À la Cour, où tout semble perdu, les interpellés de répondre aussitôt à ce vif et alarmant langage avec l’impétuosité de leurs sentiments et le souci de leurs intérêts personnels : « Je vois que les troupes qui vous ont été demandées pour l’Impératrice vous déterminent à une seconde retraite mille fois plus humiliante et plus dangereuse à tous égards que celle que vous venez de faire — lui écrit Madame de Pompadour, le 15 avril. Nos alliés accablés et la Hollande maîtresse de se déclarer sans courir de risque sont les moindres inconvénients qui en doivent résulter. D’un autre côté, si nous n’envoyons pas à l’Impératrice les secours promis, elle est en très grand danger d’être détrônée. Nous resterons donc seuls, ayant abandonné et laissé périr nos amis, — et où trouverons-nous jamais des Puissances assez dupes pour vouloir en être ? — déshonorés, perdus dans l’Europe entière, avec le Roi de Prusse, l’Angleterre et peut-être bien d’autres encore acharnés à notre destruction… Au reste, si vous ne croyez pas votre armée assez forte, il sera facile de vous faire passer des troupes de Flandre ou des autres Provinces[2]. » Le lendemain, Bernis intervient à son tour : écœuré de voir son œuvre se gâter chaque jour par les fautes de ceux qui ont charge de l’exécuter, il inspire au Roi les termes d’une lettre, où, s’arrachant à d’énervantes pensées qui lui montrent la paix avec l’Angleterre comme le seul moyen d’arrêter le cours de nos catastrophes[3], il restitue à l’honneur de la Couronne la place qui ne pouvait lui être déniée. « Mon armée s’est retirée aussi loin qu’il le fallait pour sa sûreté — y lisons-nous ; — elle couvre aujourd’hui par sa position une partie des États de mes alliés, mais je ne consentirais pas qu’elle abandonnât la défense du Rhin sans y être absolument forcée. Il serait trop honteux d’abandonner Dusseldorf et Wesel, et je veux que vous les défendiez. L’honneur est préférable à tout, et je ne sépare pas le vôtre du mien, ni de celui de toute la nation[4]. » Nul doute, concluait la lettre, que « l’Impératrice ne reçoive les 30, 000 hommes qu’on Lui a promis, car on veut et on doit Lui tenir parole ; mais l’Armée Royale ne manquera pas de troupes et on lui enverra au besoin de celles qui sont en Flandre. » À cette injonction, le Comte de Clermont répliqua qu’il n’avait eu d’autre dessein que de mettre sous les yeux du Roi ce qui pouvait arriver, et « j’espère vous rendre une armée digne de vous servir — ajoutait-il avec la dignité qui convenait à son rang et à son état. — Je commence à m’apercevoir que l’honneur et la discipline se rétablissent, et que je pourrai compter sur la solidité et la valeur de vos troupes quand je les mènerai contre vos ennemis[5]. » Somme toute, le Comte de Clermont faisait amende honorable, en citoyen qui entendait « garder l’intégrité de sa conscience », selon une maxime dont on abusait un peu au xviiie siècle, lorsqu’on se piquait comme lui « de sacrifier au Roi sa vie, son repos et sa philosophie, sauf à être rappelé et à reprendre sa tranquillité, le cœur satisfait, si l’on n’avait pas le bonheur de remplir Ses intentions »[6].

Ainsi délivrée de la crainte de le voir abandonner le Rhin, Madame de Pompadour s’était mise en peine, dans les lettres qu’elle lui adressait journellement, de le décider à arrêter promptement le plan de ses opérations et à reprendre la marche en avant. À ce propos, — convient-il d’observer ici, — le Comte de Clermont avait vivement insisté à sa prise de commandement pour qu’on lui adjoignit Crémilles ou Chevert comme conseil : le premier était resté auprès du Maréchal de Belle-Isle, en qualité de directeur des bureaux de la Guerre, — avons-nous dit, — et le second, qui avait quitté l’armée après Hastenbeck, malade et mécontent à la fois, avait montré peu d’empressement à se rendre à l’appel. À leur place, on lui avait envoyé le Lieutenant Général Comte de Mortaigne, dont le Maréchal de Belle-Isle appréciait les principes sur l’ordre, la discipline et les qualités morales d’une armée, pour l’avoir vu à l’œuvre durant la campagne de 1746 en Provence, mais à qui le ressentiment d’une ambition déçue enlevait à cette heure critique la vision de l’unique objet qui devait occuper sa pensée. Insupportable au Prince et à l’État-Major Général par ses prétentions inouïes, ce n’était pas l’homme heureusement choisi pour tirer le commandant en chef de l’état d’irrésolution où l’avaient jeté son conflit avec la Cour et les difficultés de toute nature que chaque jour lui apportait[7]. Tout concourait donc à imposer au Comte de Clermont l’obligation d’en venir aux mains avec le Prince Ferdinand, sans plan ferme et réfléchi, et à le mener infailliblement à la défaite.

Crefeld ! Voilà un nom qui s’accole tristement à celui de Rosbach pour former « le second tome de la série » que le Comte de Clermont se voyait condamné à achever, ainsi qu’il s’en était plaint à Crémilles quelques semaines auparavant. Ce n’était certes pas la vaillance qui manquait au Comte de Clermont, mais bien la fermeté de commandement et l’inspiration hardie avec lesquelles, au siècle précédent, un Guébriant avait attaqué sur ces mêmes bruyères les Impériaux, les avait complètement battus et avait capturé leur général[8]. Après une vigoureuse résistance de notre infanterie qui réussit à contenir l’ennemi dans l’intérieur des bois d’où il la mitraillait à son aise, jusqu’à ce qu’elle eût été refoulée dans la plaine par le flot croissant des troupes assaillantes : après une charge violente d’une partie de notre cavalerie contre ces mêmes troupes, « bientôt percées sur deux lignes, puis, la carrière fournie, prise à revers et renversées à nouveau »[9], une retraite à peine troublée par quelques salves irrégulières de l’artillerie adverse, sans prisonniers, sans traînards, sans perte de matériel, voilà qui témoigne de ce qu’on peut attendre en tous temps de la valeur d’une armée française !

XII

Notre but, en nous étendant quelque peu sur les opérations militaires accomplies durant cette première période de la guerre de Sept Ans, a été de rechercher les raisons pour lesquelles le sort de nos armes a constamment tourné à l’encontre des espérances qu’avaient fondées sur les conséquences de notre alliance avec l’Impératrice-Reine les auteurs des deux traités de Versailles. De l’examen auquel nous nous sommes livré, la défaite de Crefeld autorise à attribuer — croyons-nous — l’échec de notre diplomatie à l’action dissolvante des intrigues qui s’agitent autour du trône, depuis le début des hostilités, sur la conduite des opérations militaires, ainsi qu’à l’effroyable débordement d’abus et de faveurs sous lequel nous voyons fléchir l’autorité et le prestige du haut commandement. Nous avons montré à quel point l’abandon du Hanovre, entraînant le recul de notre armée jusqu’au Rhin, avait ébranlé le système politique sur lequel reposait notre accord avec la Cour de Vienne. Qu’allait-il en rester après Crefeld ? Il ne pouvait plus être question de laisser le Prince de Soubise, arrivé le 11 juin à Hanau, s’acheminer vers la Bohême avec les 30, 000 hommes qu’il devait amener à l’Impératrice, selon la volonté du Roi. Ordre lui est aussitôt transmis de se porter sur la Hesse pour appuyer, en menaçant les communications du Prince Ferdinand avec le Weser, les mouvements prescrits au Maréchal de Contades, qui vient de recevoir le commandement de l’armée principale, en vue de forcer son adversaire à repasser le Rhin. Est-ce à dire que nous renoncions à tout concert avec notre alliée ? Loin de là : le Maréchal de Belle-Isle s’emploie avec un zèle ardent à remettre l’Armée Royale en état, malgré sa retraite sur le Rhin, d’assurer le maintien du système en reprenant l’offensive au plus vite. Dans l’ordre diplomatique, Bernis poursuit un effort semblable, mais combien lourde et angoissante se présente la tâche ! Assujetti d’honneur aux engagements contractés avec l’Impératrice-Reine et hypnotisé — on peut dire — devant le gouffre de nos charges financières, ce n’est certes pas la récente et indécise bataille de Zorndorf[10], où les Prussiens auraient pu être anéantis par les forces réunies des Russes et des Autrichiens si Frédéric n’avait pas réussi, par la rapidité de sa marche, à empêcher ces derniers d’opérer leur jonction, qui lui rendra la confiance dans la fortune militaire des Cours alliées ! Il assiste impuissant à l’effondrement de son œuvre, et après la prise de Louisbourg[11] et la perte de notre colonie du Cap-Breton, la paix avec l’Angleterre lui apparaît plus que jamais comme l’unique voie par laquelle on puisse arriver à endiguer sur l’un et l’autre continent le cours des malheurs communs. Trop engagé par sa politique antérieure pour en soutenir hardiment l’idée dans le Conseil, il pense à résilier sa charge entre les mains de Stainville, qu’il regarde comme seul en état « de dénouer un système auquel rien ne le lie, puisqu’il n’a pas fait les traités » [12], ou de continuer la guerre avec moins d’entraves et plus de bonheur qu’il n’en a eus. De là, entre lui, Stainville et Madame de Pompadour, une longue correspondance qui dure tout l’été de 1758, où il s’efforce d’amener l’Ambassadeur et la Marquise, « pour le bien de la chose et dans l’intérêt de l’amitié », — car sa santé ébranlée lui rend le travail fort pénible, — à adhérer à ses vues[13]. Comme toujours lorsqu’on a recours à lui, Stainville, ou le Duc de Choiseul, ainsi qu’il faut l’appeler dorénavant, — le Roi venant d’ériger son fief Lorrain en Duché-Pairie héréditaire sous ce titre[14], — fait la sourde oreille, pose des conditions, tout en paraissant résigné à accepter la succession si le Roi le désire véritablement, et consent à lui rendre sa liberté dès que la paix sera conclue, et surtout « si les fonds destinés aux subsides sont établis de manière à lui enlever toute crainte de manquer à sa parole ». À l’heure présente, l’important pour Bernis consiste moins à régler à la hâte avec son interlocuteur les modalités de la combinaison qu’il lui soumet, qu’à le décider promptement à s’y ranger. Il est des difficultés — pense-t-il — qui s’aplanissent lorsqu’on s’est déterminé à les affronter, et l’éventualité d’une entente entre le Duc et la Marquise, dans le but de repousser ses ouvertures, le préoccupe bien davantage. Afin d’y parer et de s’accorder directement avec Choiseul, il reprend aussitôt la plume et, dans un chaleureux appel à l’intérêt de leur commune amie, « qui n’a pas suffisamment réfléchi à la bonté du projet », il lui fait — dirons-nous en substance — l’aveu ému du secours qu’il attend de ses lumières, « puisqu’on n’a pas voulu lui laisser assez d’autorité pour empêcher de bonne heure tout ce qui aujourd’hui ruine nos affaires de fond en comble ». Évoquant, en conséquence, la nécessité d’une collaboration intime à la conduite de la politique du Royaume : « Votre séjour à Vienne, poursuit-il, doit être employé à retourner les esprits vers la paix pour cet hiver ; votre retour ici doit être marqué ou pour conclure cette paix, ou pour nous aider à soutenir une guerre malheureuse… Nous agirons dans le plus grand concert et, Dieu merci, sans jalousie de métier… Préparez votre retour ici sans donner d’alarmes où vous êtes. Quand il faudra fondre la cloche, la Cour de Vienne doit voir dans cet arrangement la sûreté de l’alliance. C’est le seul moyen de la rendre inébranlable[15]. » Comment résister à cette franche supplique ? La situation éclaircie de la sorte, Choiseul incline d’autant plus à penser comme Bernis sur le besoin de travailler à la paix, qu’il aperçoit chez Kaunitz une tendance moins vive à en rejeter l’idée ; l’Impératrice se montre, à la vérité, plus récalcitrante ; mais il ne croit pas son opposition irréductible s’il peut compter sur la collaboration de l’Abbé à ses négociations avec les Ambassadeurs Étrangers, et si l’on fixe un fond pour les subsides, parce qu’alors cette Princesse n’aura rien à craindre du changement de Ministre et reconnaîtra la fidélité du Roi à ses engagements.

Il ne tenait donc qu’à Madame de Pompadour de faire Choiseul Ministre des Affaires Étrangères. Ici, l’attaque revêt un caractère d’aigreur toute personnelle. Depuis longtemps, Bernis la poursuit de ses plaintes sur l’état de nos finances, de notre armée, de l’impossibilité où nous sommes, à l’entendre, de soutenir l’Impératrice sans nous mettre complètement à mal. Jusqu’à présent, elle s’est évertuée à le convaincre « qu’il est mieux placé que personnes aux Affaires Étrangères, que Choiseul est bien utile à Vienne ». Peine perdue ! Elle n’a pu calmer ses humeurs et, devant son obstination à se défaire de sa charge, elle finit par consentir à remettre au Roi un mémoire où il exposera à Sa Majesté les raisons qui le poussent à prendre cette décision. Au fond, Madame de Pompadour souffrait cruellement : honnie de la nation, accusée de tous les maux qui l’accablaient, elle se voyait livrée à un sort affreux par celui-là même qu’elle avait élevé si haut et qui ne craignait pas de lui offrir Choiseul comme prix de son abandon, Choiseul qu’elle connaissait assez pour redouter la main qui l’éloignerait insensiblement du pouvoir en lui laissant le souvenir poignant de sa grandeur passée. Nonobstant la nervosité de Madame de Pompadour, Bernis persévère dans son projet et lui adresse, le 4 octobre, un « mémoire pour le Roi », dans lequel, après une minutieuse exposition des causes multiples qui l’obligent à se démettre de sa charge et qui nous sont dès à présent suffisamment connues, il supplie Sa Majesté d’en disposer en faveur du Duc de Choiseul, « le seul de ses Ministres qui puisse, en dérogeant aux traités, conserver l’alliance avec la Cour de Vienne sans laisser aux Puissances Étrangères l’impression que le Roi abandonne son système politique….. Si le Roi adopte cet arrangement, — conclut-il hardiment, — il ne deviendra pas pour cela inutile à son service. Le Clergé commence à prendre confiance en lui, il finira la guerre avec les Parlements, et peut-être rendra-t-il à Sa Majesté d’importants services pour la tranquillité de Son Royaume et la suite de Son Règne[16]. »

On conçoit aisément quel émoi vint troubler l’intime causerie du Roi et de Madame de Pompadour à la lecture de cette mise en demeure. Il avait fallu le surcroît de dépenses occasionné par la retraite du Hanovre pour réduire de moitié jusqu’à l’hiver les subsides promis à l’Impératrice, la défaite de Crefeld pour arrêter l’envoi de l’armée de Soubis en Bohême ; aujourd’hui, le sort de l’Alliance menaçait de s’effondrer par le caprice de celui qui avait conduit les négociations dont elle était sortie. Imprégné, par naissance et par éducation, de la grandeur d’un passé que les plus graves revers n’étaient point parvenus à abattre, Louis xv riposte le 9 octobre, en des termes où, envisageant la situation au double point e vue des traités existants et des faits accomplis, il donne libre cours aux divergences qui le séparent de son ministre. « Personne — s’écrie-t-il — ne désire la paix plus que moi, mais je veux une paix solide et point déshonorante ; j’y sacrifie de bon cœur mes intérêts, mais non ceux de mes alliés. Travailler en conséquence de ce que je vous dis, mais ne précipitons rien. Voilà la campagne qui tire à sa fin ; attendons cette crise, peut-être nous présentera-t-elle des occasions plus heureuses pour ne pas achever de tout perdre en abandonnant nos alliés si vilainement. C’est à la paix qu’il faudra faire des retranchements sur toutes sortes de dépenses et principalement aux déprédations de la Marine et de la Guerre, ce qui est impossible au milieu d’une guerre comme celle-ci. Contentons-nous de diminuer les abus et d’empêcher les trop grandes dépenses, sans aller tout bouleverser comme cela sera indispensable à la paix. Je consens à regret que vous remettiez les Affaires Étrangères entre les mains du Duc de C…, que je pense être le seul en ce moment qui y soit propre, ne voulant absolument pas changer le système que j’ai adopté, ni même qu’on m’en parle. Écrivez-lui que j’ai accepté votre proposition, qu’il en prévienne l’Impératrice et qu’il voye avec cette Princesse la personne qui lui serait le plus agréable pour le remplacer soit dans le premier, soit dans le second ordre[17]… » Cette lettre donnait satisfaction au premier des vœux formés par Bernis ; sur un point, elle torturait son esprit, car, s’il comptait bien garder sa place au Conseil, alors que le Roi ne lui en touchait mot, rien ne le confirmait dans cet espoir. Par une singulière coïncidence, il avait reçu de Rome, le jour même où lui parvenait la réponse du Roi à son mémoire, l’avis de son élévation au cardinalat (ordre des diacres), après une longue délibération entre le Saint-Siège et les Cours Catholiques, dans laquelle l’Impératrice avait adhéré à sa présentation, sur les instances de Choiseul[17], moyennant la promesse qu’il continuerait, quoi qu’il arrivât, à remplir sa charge de Secrétaire d’État aux Affaires Étrangères. Or, les incidents auxquels nous assistons s’opposaient à tout retour en arrière, et Bernis se trouvait fort à l’aise à cet égard pour écrire à Choiseul, en lui transmettant les ordres du Roi : « Vous pouvez vous assurer LL. MM. II. que vous et moi serons au Conseil les plus fermes appuis de l’alliance, qui n’en a pas besoin auprès du Roi, mais qui ne sera efficacement protégée que par une meilleure direction dans les affaires[18]. » Bernis suivait loyalement l’élan de sa pensée, mais, en son for intérieur, il se sentait envahi d’un profond et douloureux malaise au silence du Roi à l’instruire de son sort futur, et certains propos que lui avait tenu Madame de Pompadour sur la stupéfaction qu’exciterait sa retraite du Ministère, « étant comblé des bontés du Roi », ajoutait à son angoisse. Méritait-il donc le reproche d’ingratitude envers le Roi pour s’être décidé à renoncer à une charge à laquelle il se jugeait désormais impropre, en établissant sur de plus solides fondements le service de son État ? « De deux choses l’une, pensera-t-on en Europe, ou que ma démission est un commencement de disgrâce ou un affaiblissement dans le système politique du Roi », lui réplique-t-il sur-le-champ. « La première opinion nuira à mon crédit et aux autres affaires dont le Roi peu me charger à l’avenir, mais elle sera aisée à détruire. La seconde mérite plus d’attention et pendant longtemps un grand concert entre M. de Choiseul et moi, sans quoi vous ne pouvez pas douter que plusieurs Cours de l’Europe ne sauront à quoi s’en tenir. Ni vous, ni le Roi ne m’avez dit si je resterai au Conseil ; si j’y reste, il faut ôter l’idée que j’ai perdu la confiance de mon Maître, sans quoi il vaudrait mieux que je me retirasse à Vic-sur-Aisne[19] ou dans ma famille. J’ai la confiance du Parlement et déjà celle de la moitié du Clergé. Je puis donc tenir le Royaume en paix ; mais si l’on veut me charger de cette besogne, il faut soutenir mon crédit et me mettre en état de vivre décemment à la Cour[20]. »

XIII

En exposant à Madame de Pompadour ces vues raisonnables, à coup sûr, Bernis semble entraîné par le cours naturel de sa pensée à se poser en personnage indispensable à l’État. À la vérité, dans certains milieux philosophiques où se discutaient avec passion les problèmes politiques et sociaux qui agitaient cette ardente époque, dans la coterie des Nivernois et des Mirabeau, par exemple, où il fréquentait assidûment, on le regardait comme le seul des Ministre du Roi à qui il appartînt « d’accorder le Corps Ecclésiastique et le Corps Civil », dont les dissentiments troublaient depuis tant d’années la tranquilité du Royaume. Peut-être même avait-il fini par s’en convaincre, et n’était-ce point par ambition vulgaire ou vile cupidité, mais par la force d’une confiance raisonnée dans les services qu’il se croyait en mesure de rendre encore au Roi, que nous voyons Bernis solliciter — car, soit dit en passant, il perdait beaucoup à la résignation de sa charge[21] — les moyens honnêtes de continuer à lui être de quelque utilité dans le Conseil. Évocation, d’ailleurs, bien fragile à l’ancienne amitié de Madame de Pompadour. Depuis plusieurs semaines, la Marquise avait pris le parti d’abandonner Bernis à ses œuvres, en marquant dans ses conversations publiques une profonde indifférence pour le Cardinal, ou en lui déclarant, lorsqu’elle le rencontrait, ne rien savoir des projets du Roi. Bien plus, elle avait profité de la rentrée au Conseil du Marquis de Puysieulx, un de ses favoris des premiers temps, et du Maréchal d’Estrées, toujours cher au Roi, pour y pousser l’ancien Intendant de police, déjà membre du Conseil des Dépêches, Berryer, qui l’avait fidèlement servie dans ses luttes avec la Cour et dont l’inimitié notoire pour Bernis indiquait de sa part un calcul prémédité à faire passer l’influence en d’autres mains.

Aussi se détermine-t-il, constamment éconduit par Madame de Pompadour, à représenter à Louis xv, sur un ton dont il n’est plus le maître, le besoin où il se trouve, en raison de ses audiences aux Ambassadeurs étrangers, de connaître les intentions du Roi à son égard. « Je n’aurais jamais demandé à quitter le Département qui m’était confié — lui écrit-il le 30 octobre — si j’avais pu espérer d’en remplir les engagements ; mais V. M. doit aujourd’hui 21 millions d’arrérages de subsides, et le défaut d’argent m’obligera de manquer à ma parole toutes les semaines. Si je reste dans Son Conseil et que je travaille avecq M. le Duc de Choiseul (ainsi qu’il l’a demandé lui-même), je seroi bien aise d’ôter toute inquiétude aux Cours Étrangères qui ont quelque confiance en moi. Si, au contraire, l’intention du Roi est que je me retire tout à fait, il faut qu’Elle ait la bonté de me prescrire le langage que je dois tenir pour annoncer ma retraite, ainsi que la désignation de mon successeur. Je supplie V. M. de vouloir bien me donner Ses ordres[22]. » Mal lui en prit : les victoires de Lutterberg[23] et de Hochkirch[24], respectivement gagnées à quelques jours d’intervalle par Soubise sur les Généraux d’Oberg et d’Isenburg, et par le Maréchal Comte Daun sur le Roi de Prusse, n’avaient pas seulement raffermi pour un temps la situation militaire des Puissances alliées ; elles affaiblissaient encore les raisons sur lesquelles s’appuyait Bernis pour se démettre de sa charge, en rassérénant aux yeux satisfaits du Roi et de Madame de Pompadour un état de choses qu’il leur avait représenté en traits si alarmés.

Depuis la date du 9 octobre, où il avait offert au Roi la remise de son Département, et surtout depuis celle du 30 octobre, où il L’avait sommé de l’informer s’Il le conservait à son Conseil, la disgrâce de Bernis était irrévocablement décidée ; mais il fallait attendre l’arrivée du Duc de Choiseul, et diverses circonstances se jetaient momentanément à la traverse d’une exécution aussi rigoureuse. Un emprunt de 40 millions, destiné à fournir au Roi les moyens de continuer la guerre et de remplir ses obligations envers ses Alliés, avait été arrêté par le Contrôleur Général, et on comptait sur le grand crédit de Bernis auprès du Parlement pour en obtenir l’enregistrement, fortement combattu par une partie de la haute Assemblée. D’autre part, un Camérier de Sa Sainteté allait arriver, et pour ne pas surprendre trop brusquement la Cour de Rome par une décision dont Elle se montrerait froissée, pendant que les Puissances alliées en tireraient l’impression fâcheuse d’un changement dans le système politique du Roi, il importait d’entourer l’apposition de la barrette au nouveau Cardinal de l’éclat accoutumé et d’accorder à sa Sacrée Personne les marques d’une faveur ininterrompue[25]. Passé, depuis le 9 octobre, du rang de Secrétaire d’État à la fonction d’intérimaire au jour la journée, Bernis ne se laissa pas prendre à l’apparent retour des attentions Royales : sensible par-dessus tout à l’idée « d’être chassé du Gouvernement » [26], il attendait avec philosophie l’heure de sa disgrâce, dès longtemps prévue, lorsqu’il recevait le 13 décembre, des mains du Ministre de la Maison Royale, — à peine terminée à la satisfaction du Monarque l’affaire de l’emprunt, — l’ordre de se retirer dans une de ses abbayes, avec défense expresse d’en sortir. L’exil était prononcé et, le lendemain 14, il venait s’enfermer dans sa maison abbatiale de Vic-sur-Aisne, au Diocèse de Soissons[27].

XIV

Comme il ressort des divers extraits de lettres que nous avons reproduits ci-dessus, Bernis n’avait recherché la faveur du Roi qu’en vue d’être utilement employé à son service. Une légitime ambition n’était certainement pas étrangère à ce sentiment, ainsi que prête à le penser sa correspondance avec Madame de Pompadour, où perce, sous l’allure bonasse et sans apprêt dont il a le secret, l’empreinte de cette philosophie énonciatrice des principes suivants lesquels se sont peu à peu constitués les États modernes et vers laquelle semblent l’avoir porté, dans les rares loisirs de sa charge, les dispositions naturelles de son esprit. À l’exemple de son ami le Duc de Nivernois, qui proclame avec hardiesse dans un de ses écrits[28] « que tout serait plus facile dans un État où le Prince aurait un Conseil public, national, composé d’administrateurs avoués de la nation et responsables à elle de leur administration ». Bernis s’applique pour sa part à donner à cette doctrine un caractère moins spéculatif et plus accessible aux conceptions politiques de son temps. Dans cet ordre d’idées, avait-il proposé au Roi, en août 1758, — alors qu’il travaillait à la paix, — d’abandonner à son Conseil d’État, réuni à celui des Dépêches, la conduite générale des affaires du Royaume, d’en faire comme son premier Ministre, en se réservant, dans la plénitude de Son Pouvoir absolu, de réformer ou de repousser les décisions qu’il prendrait contrairement à Sa volonté.

Rien ne manquait à ce plan de Gouvernement, dont nous n’indiquons que la substance et qui marque d’un trait inattendu les six derniers mois du Ministère de Bernis, pour être favorablement accueilli par le Roi, ainsi qu’il en advint, mais tendrait sciemment ou non à écarter Madame de Pompadour des affaires de l’État en ne lui laissant que la disposition des places à la Cour. On a pu observer les débuts et suivre le développement de cette sourde lutte qui commence aussitôt entre elle et lui, et à laquelle s’immiscent les ennemis de Bernis pour l’accuser de viser à la situation d’un Cardinal-Ministre selon l’usage ancien, en s’arrogeant la présidence des Comités — disait-on alors — au sein desquels devaient se discuter, d’après son plan, les affaires publiques. Or, Bernis avait simplement exprimé l’idée que ces Comités se tinssent chez le Ministre d’État « le plus constitué en dignité », et l’accord s’était fait sur son nom entre les membres du Conseil ; le soupçon tombait donc à faux, et Bernis s’est chargé lui-même de découvrir le but de son ambition en écrivant à Madame de Pompadour, à la veille de sa disgrâce et sur le bruit de la suppression de ces Comités à l’arrivée du Duc de Choiseul : « Quoiqu’ils se tiennent chez moi, ce n’est pas une raison pour les conserver ; mais je crois qu’il est utile, indispensable même, que les Ministres se communiquent entre eux et que chacun ne fasse pas de son Département comme des choux de son jardin. Tout se tient dans un gouvernement ; il faut en lier toutes les parties. Voilà mon avis. On en fera après ce que l’on voudra. J’ai pris la résolution de dire toujours la vérité et de ne contrarier personne. Cela déplaît et ne sert à rien[29]. »

Pourquoi faut-il qu’à un sens très réel du bien et du fonctionnement de l’État se mêle chez Bernis une impuissance manifeste et vraiment décevante à faire prévaloir d’aussi justes idées que celles qui se révèlent dans ses lettres ? Faiblesse ou impéritie : inclinerait-on à penser, en considérant qu’à aucun moment, avant ou pendant son passage à la Secrétairerie d’État, il ne suit son propre mouvement et assiste sans force et sans autorité à la destruction de son ouvrage, soit qu’il subisse au début des influences qui altèrent son jugement, soit qu’il cède en pleine action à des suggestions qui le conduisent à sa perte. Sans doute, Bernis ne possédait pas — comme il est tout le premier à le reconnaître — les hautes et rares qualités par lesquelles un homme s’impose à son époque ; la droiture de l’esprit ne mène pas toujours à la domination, et, selon l’originale boutade du Marquis de Mirabeau, son parent et son ami, « il n’y a que les Anges qui puissent allier la vertu avec un caractère entièrement décidé » [30]. À parler en termes moins nébuleux, Bernis n’était, somme toute, qu’un terrien — si on peut employer cette expression — et infailliblement soumis comme tel aux remous des impulsions diverses de l’âme humaine ; c’est en passant alternativement de la confiance à l’abattement, de la désespérance à la plus tenace raison, qu’il accomplit confusément son effort pour retenir la France sur la pente où, trop impressionnable peut-être, il la voit marcher à l’abîme. Repoussé par le Roi, abandonné par Madame de Pompadour, barré à chaque pas en avant, l’honnête homme succombe finalement à la colère que lui inspire la méconnaissance de ses intentions et, las de porter plus longtemps la responsabilité d’une politique qu’il cherche vainement à redresser, en arrive à tenir à Louis xv le loyal langage qu’on vient d’entendre et dont l’âpre vérité devait fatalement amener sa disgrâce.

Le contraste qui se manifeste par bonds successifs entre les débuts de Bernis dans la diplomatie secrète et les six derniers mois de son Ministère déroute singulièrement l’observation, et devant l’imprécision des mobiles auxquels il cède ou des sentiments qui l’empoignent parfois, les contemporains eux-mêmes éprouvent de l’embarras à définir un caractère aussi complexe. « Ses intentions sont certainement bonnes pour le fond » — écrivait le Comte de Stahremberg au Comte de Kaunitz, en août 1758 ; — « il ne voit que ce qui lui paraît juste, honnête et conforme au véritable intérêt de sa Cour ; il est attaché à la nôtre ; il hait le Roi de Prusse et désire fort son abaissement ; il a de l’esprit, de la prévoyance, de la sagacité même ; malgré cela, il se conduit très souvent et même depuis un temps presque toujours absolument au contraire de tout ce que je viens de dire, et à n’examiner que quelques traits de sa conduite, on jugerait qu’il a tous les défauts opposés aux qualités que je viens de lui donner. » Surpris de cette disparité entre les actes et la pensée, l’Ambassadeur de Marie-Thérèse en atribue la source à un manque de fermeté si nécessaire à un homme employé dans un poste principal, à un peu d’ignorance en matière politique, à trop de confiance en ses propres lumières, et à la légèreté d’esprit ordinaire à sa propre nation, qui fait que l’on y prend aisément des opinions et les abandonne de même, que l’on se précipite presque toujours dans ses jugements et ses résolutions. « Au demeurant, — termine-t-il, — c’est un honnête homme, très bien intentionné, qui ne veut et ne désire que le bien, qui croit le faire en effet, et ne le fait pas toujours[31]. » Tracées sans parti pris par un témoin journalier des agitations qui bouleversaient si fort l’esprit de Bernis à la veille de sa disgrâce, ces lignes nous représentent ce Ministre en traits assez vraisemblables pour que nous arrêtions ici les trop nombreuses citations sur lesquelles nous avons étayé cette étude et dont il nous reste la satisfaction d’avoir rappelé divers ouvrages déjà anciens et d’une lecture toujours intéressante.

M       is de Persan.

  1. Clermont à Crémilles, 7 avril ; à Belle-Isle, 11, 12 et 13 avril ; à Madame de Pompadour, 12 avril 1758. Papiers Clermont, tome iii. — Camille Rousset.
  2. Papiers Clermont, 1758, tome ii.
  3. Ce projet resta à l’état d’ébauche. Bernis y voyait un moyen de mettre le Roi de Prusse à la raison.
  4. À Versailles, 16 avril. Papiers Clermont, 1758.
  5. 20 avril, 43e. Papiers Clermont.
  6. Clermont au Maréchal de Biron, le 29 avril. Papiers Clermont, 1758.
  7. Camille Rousset.
  8. Combat de Kempen, à trois lieues au nord-ouest de Crefeld, 27 janvier 1642.
  9. C’est à ce moment que le Comte de Gisors, qui commandait le corps des Carabiniers, à la tête duquel il avait été promu le 3 mai précédent, reçut presque à bout portant un coup de feu dans les reins dont il mourut à Neuss le 26 juin, à l’âge de vingt-six ans ; avec lui s’éteignit la famille des Foucquet.
  10. 25 août 1758.
  11. 27 juillet 1758.
  12. Mémoires de Bernis.
  13. Ibid.
  14. 25 août 1758.
  15. 26 août 1758. Mémoires de Bernis.
  16. Mémoires de Bernis.
  17. a et b Mémoires de Bernis.
  18. Important succès pour la France qui, étant assez faiblement représentée au Sacré Collège, n’y exerçait aucune influence. À ce propos, Bernis rapporte dans ses Mémoires que le Roi ni personne n’avait songé à lui faire obtenir cette dignité. L’initiative en revient à Benoît xiv qui, quelque temps avant sa mort (5 mai 1758), avait manifesté l’intention de la lui conférer en reconnaissance de l’appui qu’il avait porté au Saint-Siège, pendant son ambassade à Venise, dans un conflit avec la République et un des premiers actes de Clément xiii, élu le 6 juillet, avait été de satisfaire au vœu de son prédécesseur.
  19. Dépendance de l’abbaye de Saint-Médard de Soissons, dont il avait reçu la commande en 1756.
  20. Mémoires de Bernis.
  21. En renonçant à la charge de Secrétaire d’État, Bernis perdait 80, 000 livres de rentes et restait avec 300, 000 écus de dette, y compris son établissement, et sa calotte allait lui coûter 100, 000 livres « tant à Rome qu’à la Cour et pour le Camérier ». Comme, d’autre part, on ne touchait les revenus d’une abbaye qu’près dix-huit mois, il lui fallait attendre un an pour percevoir ceux de l’abbaye des Trois-Fontaines, au diocèse de Châlons-sur-Marne, dont il avait été pourvu en juin 1758.
  22. Mémoires de Bernis.
  23. 10 octobre 1758.
  24. 14 octobre 1758.
  25. La cérémonie eut lieu à Versailles, le 30 novembre. Mémoires de Bernis.
  26. L. de Loménie. La Comtesse de Rochefort et ses Amis. — Lettre du Marquis de Mirabeau, 14 décembre au matin.
  27. Mémoires de Bernis.
  28. Morceau de morale mondaine et pratique. — « Lettre et instruction paternelle sur l’état de courtisan », à l’adresse du Comte de Gisors qui allait devenir son gendre. 1752.
  29. 14 novembre 1758. Mémoires de Bernis.
  30. L. de Loménie. La Comtesse de Rochefort et ses Amis.
  31. Baron d’Arneth. Geschichte Maria-Thersia’s, et Mémoires de Bernis, appendice.