Madame de Custine/02
Le 9 thermidor arrive enfin. Mme de Beauharnais, liée avec Mme Tallien, sort de prison en triomphe. Mme d’Aiguillon et de Lameth sont aussi promptement délivrées. Les parens, les amis de Mme de Custine étaient dispersés ; Gérôme, ancien jacobin dévoué à Robespierre, avait peu d’action, « Deux mortels mois se passèrent dans un abandon plus désolant peut-être que le péril. » Chaque jour, Delphine faisait demander son jeune enfant. C’est alors que Mme de Sabran, ne pouvant de l’émigration écrire à sa fille, lui fit parvenir, aux Carmes, ces vers qu’on chantait sous le Directoire, sur l’air : Je l’ai planté, Je l’ai eu maître :
Est bien à moi, car l’ai fait naître,
Ce beau rosier ; plaisirs trop courts !
Il a fallu fuir ; et peut-être
Plus ne le verrai, de mes jours.
……………
Beau l’Obier, cède à la tempête !
Faiblesse désarme fureurs ;
Sous les autans, courbe la tête.
Ou bien, c’en est fait de tes fleurs.
………………
Rosier, prends soin de ton feuillage,
Sois toujours beau, sois toujours vert,
Afin que voye, après l’orage.
Tes fleurs égayer mon hiver. »
Cette romance, quoique imprimée dans les œuvres complètes du chevalier de Boufflers, était bien de Mme de Sabran ; et sa fille avait gardé précieusement le manuscrit avec une fleur fanée. Ce souvenir touchant ne fit qu’aviver toutes ses plaies. La fidèle servante, Nanette Giblain, résolut de faire sortir sa maîtresse de prison. Elle alla chez Dyle, marchand de porcelaine, où travaillaient des ouvriers jadis employés à une manufacture fondée par le général de Custine, à Nidervillers, dans les Vosges. Cette fabrique avait été confisquée comme tous ses autres biens. Les ouvriers étaient venus chercher de l’ouvrage à Paris, chez Dyle. Parmi eux se trouvait le père de Nanette Giblain, Pierre Malriat.
Ils signèrent tous une pétition dans laquelle ils demandaient l’élargissement de Mme de Custine, et ils l’apportèrent à l’ancien boucher Legendre, président du bureau, chargé de statuer sur les pétitions[2]. Jetée dans le casier, elle eût été oubliée peut-être ; mais un soir les jeunes gens attachés au bureau comme secrétaires, et dont un s’appelait Rossigneux, l’ayant laissée tomber par hasard sur leur tablé, la furent et jurèrent de la présenter le soir même à Legendre pour sauver « la belle Custine, une seconde Roland. »
Legendre, un peu aviné, rentrait chez lui à une heure du matin. La demande de mise en liberté de la citoyenne Custine lui est présentée ; il la signe, et à trois heures du matin, les jeunes secrétaires frappent à la porte de la cellule de la prisonnière. Elle était seule ; elle ne voulut pas ouvrir à cette heure-là. Le lendemain 13 vendémiaire an III, l’arrêté d’élargissement lui était notifié. Il est ainsi conçu :
Comité de sûreté générale et de surveillance.
« Vu les pièces relatives à la citoyenne Custine, détenue aux Carmes, le comité arrête que ladite Custine sera mise en liberté et les scellés levés au vu du présent arrêté.
« Signé : Les représentans du peuple
« LEGENDRE, LESAGE, SENAULT, CLAUEL, MERLIN, COLLOMBEST, LOUIS (du Bas-Rhin).
« Pour copie conforme :
« DUMONT, greffier[3]. »
Et comme si, jusqu’à la sortie de prison, Gérôme devait se montrer dévoué, nous lisons au-dessous de l’arrêté :
« Nous, administrateurs de police régénérée, certifions les signatures ci-dessus sincères et véritables. À Paris, le 17 vendémiaire, troisième année républicaine.
« GERÔME ALBERT. »
Mme de Custine rentre seule dans sa maison dévastée, sans vêtemens, sans ressources ; elle y retrouve, pour se reprendre à vivre, son enfant de trois ans, d’une santé délicate. Que va-t-elle devenir ?
On faisait, après le 9 thermidor, une sorte de trafic des mises en liberté : une foule d’intrigans rançonnaient, api es leur élargissement, les malheureux prisonniers déjà ruinés par la révolution. Une grande dame, alliée d’assez près à Mme de Custine, n’eut pas honte de lui demander 30,000 francs, qu’elle avait dépensés en corruptions, disait-elle, pour obtenir sa sortie de prison. Delphine répondit en racontant l’histoire de Rossigneux, et elle ne revit jamais sa parente[4].
Une autre série de douleurs commença pour elle. Jusqu’alors, le souffle héroïque, la grandeur du sacrifice avaient soutenu son corps et sa volonté ; mais elle ne put résister aussi vaillamment à la solitude et à la pauvreté. La jaunisse se déclara le lendemain de son retour chez elle ; la maladie dura cinq mois, et il lui en resta une affection du foie dont elle souffrit toute sa vie. Au bout de l’année, elle recouvra quelque argent et se mit en quête d’appuis pour réunir les lambeaux de l’opulente fortune de la famille de Custine.
À la suite de la confiscation, la majeure partie des biens du général avait été vendue ; sa belle-fille commença alors ses démarches : des procès, qui durèrent de 1795 à 1801, usèrent les plus belles années de sa vie. Elle put rentrer dans les biens qui n’étaient pas encore aliénés. Deux hommes célèbres à des titres divers, Boissy d’Anglas et Fouché, lui prêtèrent, dans cette œuvre longue et difficile, leur protection et leur dévoûment. Tous les deux devinrent ses amis ; malgré des répugnances d’opinions et de sentimens qu’elle éprouvait vis-à-vis de l’un d’eux, elle n’oublia jamais les services rendus.
Boissy d’Anglas, qu’elle avait rencontré chez Mme de Staël, avait alors quarante-deux ans. Député à la Convention, il n’avait pas voté la mort du roi ; membre de la commission de constitution après la chute de Robespierre, il avait été le rapporteur clairvoyant et habile de la constitution de l’an III[5]. Vraie ou fausse, la légende avait fait de lui le héros de la journée de prairial, où, de l’avis de tous, son attitude avait été ferme et grave. Il venait d’être élu à Paris membre du conseil des Cinq-Cents (avril 1797), lorsqu’il connut Mme de Custine. Il subit, comme tant d’autres, le charme de sa beauté, de sa grâce et de sa voix. Il s’était donné tout entier à la surveillance de ses intérêts, lorsque, prévenu par Delphine qu’il était enveloppé dans le décret de proscription du 18 fructidor, il parvint à s’y soustraire en s’enfuyant en Angleterre ; il ne fut rappelé en France qu’après le 18 brumaire et devint président du tribunat. Une correspondance suivie et très affectueuse s’était établie entre Mme de Custine et lui ; nous en avons pour gage cet aimable et curieux billet, le seul qui ait été conservé, et que nous eussions voulu un peu plus simple[6] :
« Bougival, 16 fructidor an VIII.
« Me pardonnerez-vous, mon adorable amie, si je n’ai point l’honneur de vous voir le 18, comme je l’avais espéré ? Je craindrais de vous porter malheur ce jour-là, et je ne dois pas sortir. Si j’avais besoin de votre amitié pour être excusé par vous, je vous citerais les Romains, qui avaient le prudent usage de ne jamais se montrer les jours malheureux et qui s’en trouvaient fort bien ; je pourrais aussi vous dire qu’étant sorti à cheval le 13 vendémiaire qui suivit celui de la fatale journée qui en porte le nom, je fus violemment jeté sur le pavé et ne dus qu’à la miséricorde divine de n’être pas assommé sur place. Je sais bien que vous avez le bonheur de rendre heureux tous les jours qui ne le sont pas ; et que, si vous le vouliez, ce 18 fructidor que je redoute serait le plus heureux jour de ma vie ; mais comme je ne vous crois pas assez de bonté pour cela, permettez que je reste dans ma retraite, et que j’y emploie à penser à vous les momens que j’aurais pu consacrer à jouir de votre adorable présence.
« Je vous prie d’agréer les assurances de mon respect.
Certes, cette crainte des fâcheux anniversaires n’eût pas retenu chez lui le second personnage avec qui Mme de Custine entretenait, en 1814 et en 1815, un long commerce épistolaire. Fouché, en effet, commençait à oublier ce qu’il avait dit lors du procès du roi : « Je ne m’attendais pas à énoncer à cette tribune d’autre opinion sur le tyran que son arrêt de mort. Il semble que nous soyons effrayés du courage avec lequel nous avons aboli la royauté : nous chancelons devant l’ombre d’un roi. »
Les troubles civils, quand ils se prolongent, font vivre, à certains hommes politiques, plusieurs existences différentes. On eût déjà étonné Fouché si on lui eût raconté que la Convention l’avait envoyé avec Collot d’Herbois à Lyon pour mettre à exécution le décret de destruction prononcé contre cette malheureuse ville, et si on eût remis sous ses yeux sa lettre du 19 décembre 1793 : « Exerçons la justice à l’exemple de la nature ! Frappons comme la foudre, et que la cendre même de nos ennemis disparaisse du sol de la liberté ! » Lorsque les embarras suscités au Directoire par les jacobins firent sentir la nécessité d’opposer à leurs intrigues l’habileté d’un homme qui eût le secret de tous leurs moyens, Fouché fut choisi. Il avait accepté d’être ministre de la police générale le 20 juillet 1799, avec ce sentiment que, les variations de l’opinion publique étant plus brusques et plus fréquentes dans notre pays qu’ailleurs, il fallait le suivre dans ses métamorphoses successives pour le gouverner. Les contemporains assurent qu’en ces années de confusion il imprima à la police générale un caractère relatif de justice et de modération. « Aucune des mesures que la sûreté publique exige, disait-il, ne commande aujourd’hui l’inhumanité. »
Cependant Joséphine de Beauharnais, devenue la femme du général Bonaparte, ouvrait à son ancienne amie des Carmes la porte du Cabinet de Fouché. Le ministre de U police aida puissamment Mme de Custine à rentrer dans la portion de ses biens confisqués qui n’était pas vendue. Avec un peu de bien-être, elle reprit goût à la vie sociale et à la conversation. On sait ce qu’était le monde de Paris à la fin du Directoire : dans la masse à la fois lasse et affolée, les femmes et les jeunes gens précipitant la réaction, la bonne compagnie comme la mauvaise dansant aux bals par abonnement, l’agiotage, au lieu du travail, faisant sa proie du peuple, la délicatesse ayant disparu avec l’art de vivre et l’art de plaire.
De toute manière, que restait-il du XVIIIe siècle ? En dehors du salon de Mme de Staël, Delphine de Custine n’aurait su où causer. De la grande éducation du passé, elle avait gardé le tour d’esprit, la simplicité du langage, la noblesse des sentimens.
Aussi son premier soin fut-il de témoigner sa reconnaissance à l’homme obscur dont le dévoûment pour elle était inaltérable : alors que, sortie de prison, elle gisait dans son lit, abandonnée, vivant péniblement des ressources que lui procurait sa servante, Nanette Giblain, Gérôme, obligé de se cacher pour échapper à la réaction thermidorienne, envoyait de temps à autre, du fond de sa cachette, de l’argent à Nanette qui achetait du pain[7]. Mme de Custine eut le bonheur, en rendant à Gérôme les sommes qu’il lui avait prêtées, de lui sauver à son tour la vie. D’abord elle lui trouva un abri, puis l’aida par ses nouveaux amis à fuir en Amérique. Il y travailla, amassa une petite fortune et revint à Paris, où il fit d’heureuses spéculations de terrains. Devenu l’ami de la maison, Mme de Custine et sa famille le recevaient à toute heure.
Lorsqu’il rendait visite à sa protégée des jours de la Terreur, il lui disait avec une fierté qui ne se démentit jamais : « Je vous verrai quand vous serez seule. Lorsqu’il y aura du monde chez vous, je n’irai pas. Vos amis me regarderaient comme une bête curieuse ; vous me recevriez par bonté, car je connais votre cœur, mais je serais mal à mon aise chez vous, et je ne veux pas de cela. Je ne suis pas ne comme vous, je ne parle pas comme vous, nous n’avons pas eu la même éducation. Si j’ai fait quelque chose pour vous, vous avez fait tout autant pour moi ; nous sommes quittes. »
Personne n’a aimé Mme de Custine comme ce jacobin désintéressé et farouche ; et il ne lui a jamais avoué son amour, il le lui a prouvé. Sa conduite, son langage, ne cessèrent jamais d’être respectueux. Il avait conservé des drames terribles qu’il avait vus, et dont il avait été l’un des acteurs, je ne sais quoi d’étrange et de silencieux. Il ne parlait jamais de politique m de religion ; les événemens passaient au-dessous de lui, il ne s’en préoccupait plus. Ayant placé toute sa confiance dans le caractère et la discrétion de Mme de Custine, il l’avait prise pour confidente de ses chagrins domestiques. Gérôme mourut avant la vieillesse, dans les premières années de l’empire.
Il semble, quand on inspire de tels dévoûmens, qu’on ne puisse être malheureuse.
Elle eut bientôt aussi la consolation de voir sa mère. Depuis plusieurs années, la comtesse de Sabran était sans nouvelles directes de Delphine ; elle lui donna rendez-vous en Suisse. Elzéar vint de Coppet les rejoindre. Cette réunion leur fut bien douce, malgré les douleurs qu’elle renouvelait ; Mlle de Sabran avait cru sa fille perdue. Que de contrastes entre sa jeunesse si calme, les automnes idylliques passés à Anisy, les fêtes si naïves de son mariage et cette destinée si tragique ! Ce voyage en Suisse fit couler bien des larmes, mais Mme de Sabran, avec son amabilité voilée désormais de mélancolie, retrouva son esprit d’autrefois et fit renaître sa fille à la vie ; elle lui montra cette nature grandiose, si nouvelle pour des yeux habitués à d’autres spectacles. Comme elle était devenue, durant l’émigration, l’amie de Lavater, elle voulut lui présenter Delphine ; elles allèrent à Zurich rendre visite au célèbre créateur de la physiognomonie. Lavater, en apercevant Mme de Custine, se tourna vers Mme de Sabran et s’écria : « Votre fille est transparente ! On lit à travers son front ! Jamais je n’ai vu tant de sincérité ! »
Revenue en France, Delphine n’eut plus qu’une pensée, celle de rouvrir les portes de la patrie à sa mère, devenue la marquise de Boufflers, à son beau-père, à son frère Elzéar de Sabran. L’exil leur était de plus en plus amer. Mme de Custine retourna à La Malmaison prier Joséphine de disposer favorablement le maître. Un jour, en 1800, Duroc dit au premier consul : « Boufflers est sur la liste des émigrés, vous devriez ordonner qu’on le rayât. — Oui, sans doute, répondit Bonaparte, il nous fera des chansons. » Et Boufflers rentra. Ce n’était plus le brillant colonel, auteur Du cœur ; mais, malgré ses soixante ans et les tristesses de l’émigration, il avait gardé les qualités qui donnent à la vie commune le plus de charme : l’aménité et la bienveillance. Ducis pouvait lui adresser l’épître bien connue, dont les vers sans doute sont faibles, mais dont les sentimens honoreront toujours celui qui les exprimait. Boufflers était admis au moment de la réorganisation de l’Institut, en 1804, dans la classe de littérature, comme membre de l’ancienne Académie française. Sa vieille amie et lui ne possédaient même plus de débris de leur bien-être ; et le marquis de Boufflers était trop heureux d’accepter les modestes fonctions d’administrateur adjoint à la bibliothèque Mazarine.
Les survivans de cette incomparable société du XVIIIe siècle essayèrent de reprendre la conversation là où la révolution l’avait interrompue. Mme de Custine et sa mère voyaient souvent Mme de Staël, plus étincelante d’éloquence que jamais. Delphine lui avait plu si bien qu’elle lui avait emprunté son nom pour le donner à ce roman si plein d’elle-même, de ses idées comme de ses sentimens, vrai miroir de cette âme ardente, si noble jusque dans ses faiblesses et si supérieure à ceux qu’elle a aimés.
Mais, malgré le succès qu’elle rencontrait à chaque pas, malgré l’auréole que lui faisaient les vaillances de sa vie, Mme de Custine n’était plus une mondaine. Le monde, quand il ne l’intimidait pas, l’ennuyait ; EIzéar disait qu’elle avait plus peur d’un salon que de l’échafaud. Une précoce expérience lui avait donné cette philosophie que les livres n’apprennent pas. Comme elle avait pour la peinture un goût à qui ne manquaient que des études sérieuses et de bons maîtres, elle s’enfermait des heures entières dans son atelier. D’autre part, son amour pour son unique enfant l’empêchait de se remarier, et puis, suivant une belle parole d’elle : « Devenue veuve par le bourreau, » elle ne se sentait pas libre comme toute autre femme.
Tourmentée par le souci de ses affaires, en procès continuels pour reconquérir ce qui avait été soustrait à l’héritage de son mari, elle n’avait pas alors la sérénité d’esprit qui prépare le cœur aux longues tendresses. Le calme, dont elle avait le plus besoin, lui fit rechercher la campagne ; et, dès qu’elle put réunir des ressources suffisantes, elle acheta, le 27 octobre 1803, près de Lisieux, le château et le domaine de Fervaques, non loin du village qui l’avait abritée en 1791 et en 1792[8].
Il lui restait, au milieu de ses douleurs et de ses inquiétudes, une autre épreuve à subir, celle d’une grande passion vite méconnue et les tortures d’un cœur qui ne se donnait pas aisément.
En 1803, Mme de Custine, à trente-trois ans, était dans tout l’éclat de sa beauté.
Son fils s’est plu à nous la montrer au lendemain de ses détresses et de ses infortunes, avec la finesse de ses traits, avec sa physionomie à la fois passionnée et mélancolique, résignée et mutine, avec ses manières élégantes et une douceur, une netteté dans l’accent qui étaient un charme de plus. Son teint de blonde était resté frais comme du temps où Boufflers l’appelait la reine des roses. Nous avons dit qu’on la rencontrait rarement dans le monde ; sa sauvagerie ne s’adoucissait qu’auprès de Mme de Staël.
Ce ne fut pourtant pas dans le salon de Corinne, mais chez Mme de Rosambo, une de ses compagnes des Carmes, et alliée au frère aîné de Chateaubriand, que Mme de Custine vit celui-ci pour la première fois. Le succès prodigieux du Génie du christianisme, qui venait de paraître, avait ouvert à son auteur toutes les portes ; comme il l’écrivait à Guéneau de Mussy, il jouissait de tout le succès littéraire qu’un homme peut atteindre dans sa vie ; il semble que son cœur eût dû être plein de l’image de celle qui s’était enfermée six mois avec lui à Savigny, et qui lui avait donné les preuves les plus touchantes d’une tendresse sans limite et sans condition. Ce serait bien peu le connaître. Dès qu’il était aimé, il craignait qu’on ne l’abandonnât et l’idée de l’inconstance humaine venait empoisonner sa joie.
Tandis que Mme de Beaumont se préparait, dans cette année fatale de 1803, à demander aux eaux du Mont-Dore quelques jours de santé, pour aller lui dire une dernière fois qu’il était ce qu’elle avait de plus cher au monde, il écrivait, lui, à Mme de Custine : « l’idée de vous quitter me tue. » Il avait, en effet, accepté la place de secrétaire d’ambassade à Rome, que l’abbé Émery avait eu mission de lui proposer au nom du premier consul. Dans ses Mémoires d’outre-tombe, il dit qu’il aurait peut-être reculé si l’idée de Mme de Beaumont n’était venue mettre un terme à ses scrupules. « La fille de M. de Montmorin se mourait ; le climat de l’Italie lui serait, dit-on, favorable ; moi allant à Rome, elle se résoudrait à passer les Alpes ; je me sacrifiai à l’espoir de la sauver. »
Au contraire, dans une lettre datée de Rome, il écrit à Fontanes : « Voilà où m’ont conduit des chagrins domestiques. La crainte de me réunir à ma femme m’a jeté une seconde fois hors de ma patrie. Les plus courtes sottises sont les meilleures. Je compte sur votre amitié pour me tirer du bourbier. »
Il allait partir pour rejoindre son ambassadeur le cardinal Fesch, lorsque sa passion pour Delphine de Custine éclata. Très discret dans ses Mémoires ; il consacre à son souvenir à peine quelques lignes :
J’avais une foule de connaissances en dehors de ma société habituelle. J’étais appelé dans les châteaux qu’on rétablissait. Parmi les abeilles qui composaient leur ruche était la marquise de Custine, héritière des longs cheveux de Marguerite de Provence, femme de saint Louis, dont elle avait du sang. J’assistai à sa prise de possession de Fervaques, et j’eus l’honneur de coucher dans le lit du Béarnais. Ce n’était pas une petite affaire que ce voyage ! Il fallait embarquer dans la voiture Astolphe de Custine, enfant, Berstecher, le gouverneur, une vieille bonne alsacienne ne parlant qu’allemand, Jenny, la femme de chambre, et Trim, chien fameux qui mangeait les provisions de la route. J’ai vu celle qui affronta l’échafaud du plus grand courage, je l’ai vue plus blanche qu’une Parque, vêtue de noir, la taille amincie par la mort, la tête ornée de sa seule chevelure de soie, me sourire de ses lèvres pâles et de ses belles dents, lorsqu’elle quittait Sécherons, près Genève, pour expirer à Bex, à l’entrée du Valais.
« J’ai entendu son cercueil passer la nuit dans les rues solitaires de Lausanne, pour aller prendre sa place éternelle à Fervaques. »
C’est tout, et c’est bien peu pour dire la vie et la mort d’une femme qui l’a aimé pendant plus de vingt ans.
Chateaubriand, à la suite de la page que nous venons de citer, raconte qu’il avait lu sur un coin de la cheminée du château ces méchantes rimes attribuées à l’amant de Gabrielle :
La dame de Fervaques
Mérite de vives attaques.
Il semble que, par l’ardeur de son caprice, il eût voulu donner raison au Béarnais. Mais n’oublions pas quel était l’homme. Mme de Custine connaissait-elle cette nature de René, qui faisait une séduction même de ses ennuis et de son désespoir ? Savait-elle qu’il avait écrit : « Il y a dans le succès de l’amour un degré de félicité qui me faisait désirer la mort ? » Elle devait trop vite apprendre aux dépens de son repos ce que ses caresses d’accent, ses effusions brûlantes de conversation, cachaient de troubles et de tourmens.
Ses lettres et billets à Mme de Custine, conservés par elle, ne portent point de date. Elle les a classés sous le chiffre 1803, et chacune de ces reliques est numérotée de sa main. C’est en avril et mai, dans l’intervalle entre la nomination de Chateaubriand et son départ pour l’Italie, que cette correspondance amoureuse commence et prend fin. Nous la reproduisons dans l’ordre qui lui avait été assigné par celle qui l’avait religieusement gardée :
« N° I. — Je serai chez vous demain à deux heures ; n’oubliez pas votre promesse pour lundi. Comment haïrai-je l’avenir, puisqu’il me ramènera près de vous ?
« N° II. — Jugez de ma peine ; je ne pourrai pas vous recevoir aujourd’hui. Ne serez-vous pas trop fâchée de me voir chez vous à deux heures ? Je crains de vous importuner ; vous m’avez traité si mal que je suis tenté de vous appeler madame.
« Lundi matin.
« A Madame de Custine, rue Martel. »
« N° III. — Vous ne pouvez pas concevoir ce que je souffre depuis hier ; on voulait me faire partir aujourd’hui. J’ai obtenu par faveur spéciale qu’on m’accorderait au moins jusqu’à mercredi. Je suis, je vous assure, à moitié fou, et je crois que je finirai par donner ma démission. L’idée de vous quitter me tue. Je ne pourrai, pour comble de malheur, vous voir avant deux heures, cet après-midi.
« Au nom du ciel, ne partez pas ! Que je vous voie au moins encore une fois ! Êtes-vous malade ?
« Samedi matin.
« A Madame de Custine, rue Martel. »
Mme de Custine devait aller à Fervaques ; après avoir lu ce billet, elle ne partit pas. Elle alla trouver Chateaubriand dans la chambre d’hôtel qu’il occupait. Le lendemain, dès l’aube, il lui écrit ; il n’a pu dormir. Ce n’est pas encore le Chateaubriand guindé, celui de Mme Récamier, c’est René jeune et amoureux.
« N° IV. — Si vous saviez comme je suis heureux et malheureux depuis hier, vous auriez pitié de moi. Il est cinq heures du matin. Je suis seul dans ma cellule. Ma fenêtre est ouverte sur les jardins qui sont si frais, et je vois l’or d’un beau soleil levant qui s’annonce au-dessus du quartier que vous habitez. Je pense que je ne vous verrai pas aujourd’hui et je suis bien triste. Tout cela ressemble à un roman, mais les romans n’ont-ils pas leurs charmes ? Et toute la vie n’est-elle pas un roman et souvent un triste roman ? Écrivez-moi ; que je voie au moins quelque chose qui vienne de vous ! Adieu, adieu jusqu’à demain !
« Rien de nouveau sur le maudit voyage.
« Dimanche matin.
« A Madame de Custine, rue Martel. »
Son imagination l’emporte, et il rêve d’être aimé à Fervaques, loin de Paris, dans la chambre d’Henri IV. Il rêve même de Rome avec Mme de Custine, pendant que Pauline de Beaumont, qui habite rue Neuve-du-Luxembourg, tout près de lui, attend sa visite. Qu’aurait-elle dit si elle eût connu la lettre suivante ?
« N° V. À Madame de Custine,
« Je ne vis plus que dans l’espérance de vous revoir. De grâce, un mot, un seul mot, pour m’aider à passer la journée ! j’ai erré hier le reste de l’après-midi dans toutes les rues de Paris sans savoir où, j’allais. Ah ! promettez-moi le château d’Henri IV ! Promettez-moi de venir à Rome !
« Il n’y a rien de déterminé pour le jour du départ.
« À demain ! »
« N° VI. — Encore un jour sans vous voir ! Vous allez le passer bien tranquillement. Vous allez peindre, caresser Trim et oublier qu’il y a dans le monde des personnes qui vous aiment. Comment êtes-vous, ce matin ? Ma cellule est bien triste : un vilain soleil sous le nuage, une bise froide, une chambre dépouillée de ses meubles et qui annonce déjà l’absence ! Il y a quelque temps, tout cela m’aurait été indifférent. Mais une sainte apparition qui m’a visité dans ma demeure[9] m’a rendu l’éloignement insupportable. Songez, je vous en prie, à ce château d’Henri IV, cela peut me consoler. Demain, je serai à onze heures chez vous. Il n’y a rien de nouveau pour le départ.
« Mille joies et plaisirs. »
Il n’était pas possible que l’heure de ce départ pour Rome ne sonnât pas. Les instans de bonheur étaient comptés, mais Chateaubriand ne songeait pas à donner sa démission : Rome l’attirait.
« N° VII. — Je me rendais chez vous. Je reçois l’ordre de passer chez M. de Talleyrand. Il faut obéir. Je serai chez vous, j’espère, à une heure, ou plutôt à deux. Vous ne sauriez croire combien je suis malheureux de ne pas vous voir ce matin !
« Mille souhaits de bonheur.
« A Madame de Custine, rue Martel première porte cochère à gauche en entrant par le bas de la rue. »
Chateaubriand, tiraillé par les sentimens les plus contradictoires, ne parlait pas à ses amis de cette affection qui brusquement avait envahi sa vie. Tout transparent qu’il était par nature, il était boutonné par système. La petite société, celle qui se réunissait chaque soir dans le salon « à peine éclairé » de Mme de Beaumont, Joubert, Molé, Fontanes, Pasquier, Guéneau de Mnssy, ne paraît pas avoir connu Mme de Custine. Aucune trace d’elle n’existe dans la correspondance de Joubert. S’il a su l’histoire de cette passion, il l’a cachée à Pauline, dont l’affection absolue prenait ombrage, on s’en souvient, de la prochaine rencontre de Chateaubriand avec sa femme et de leur rapprochement. Il est difficile de croire cependant que ce monde si intimement uni n’ait pas entendu le bruit que faisait à ce moment-là cette liaison ; et ne faudrait-il pas alors y trouver un des motifs du jugement sévère prononcé par Joubert dans sa lettre à M. Molé, du 31 octobre 1803 ? Avec quelle sagacité le grand moraliste parlait de ce fonds d’ennui qui semblait avoir chez Chateaubriand, pour réservoir, l’espace immense vacant entre lui-même et ses pensées, et qui exigeait perpétuellement des distractions qu’aucune occupation, aucune société ne pourraient jamais lui fournir ? Ne s’explique-t-on pas aussi, par ces pressentimens secrets qu’a toute femme sincèrement aimante, la mélancolie amère des dernières pages écrites par Pauline de Beaumont, et cette désespérance, s’ajoutant à l’avertissement silencieux donné par la souffrance, qu’il faudrait bientôt quitter la terre ?
Cependant Chateaubriand croyait pouvoir prolonger encore quelques semaines son séjour à Paris. Il écrit à Mme de Custine :
« N° VIII. — À minuit, on m’a apporté l’ordre de me rendre à Saint-Cloud ce matin. J’étais si heureux de l’espérance de vous voir aujourd’hui ! Demain, à onze heures, voudrez-vous me recevoir et me donner à déjeuner ? Une chose cependant me donne bien de la joie : l’époque de notre départ semble devenir chaque jour plus incertaine. Aimez-moi au moins comme M. B…
« Un petit mot de réponse. »
« Dimanche, 7 heures du matin. »
Quel est ce M. B… ? Est-ce Boissy d’Anglas, dont nous avons publié plus haut une lettre ? l’inquiétude et le doute ne se réveillent-ils pas déjà dans l’âme de Chateaubriand ? Il s’agit du jeune gouverneur d’Astolphe, M. Bersteeher. Mme de Custine l’avait connu à Bâle durant son voyage en Suisse, et l’avait choisi sur la recommandation de M. de Hardenberg. M. Bersteeher témoigna à la mère de son élève le plus absolu dévoûment, et consacra sa vie entière à ses intérêts. Il était considéré comme membre de la famille. Sans doute, cette respectueuse affection pour une jeune femme, belle, gracieuse, fit un peu jaser ; Chateaubriand osait faire allusion à ces médisances et se donnait des airs de jaloux.
La première partie de cette correspondance se termine par les deux billets suivans :
« N° IX. — Demain, je serai chez vous à onze heures ; mais je suis dans une grande inquiétude, j’attends une lettre du terrible cardinal[10]. Que contiendra-t-elle ?
« À demain. Je vous écris au milieu de deux hommes qui me persécutent et ne me laissent pas un moment pour songer à ce que je vous dis.
« À demain.
« A Madame de Custine. »
« N° X. — Je ne puis vous voir ce matin. Il faut que je cherche un logement. Je suis de l’humeur du chien Trim : j’ai envie de mordre tout le monde. Il est vrai que je suis fort malheureux.
« À demain matin.
M Jeudi. »
« P.-S. — Je ne pourrai être consolé que par la visite de Mme de Saint-Léon.
« A Madame de Custine, rue Martel, no 9, faubourg Poissonnière. »
Mlle de Saint-Léon était la dame de confiance qui portait les réponses. Un ordre brusque de départ vint mettre un terme à l’expansion de ces premières tendresses. Chateaubriand quitte Paris, et dans une longue lettre adressée collectivement à Chênedollé[11] et à Joubert, il raconte à la petite société les incidens et les impressions du voyage. Il avait fait le brave en partant, mais dès qu’il fut seul, il se prit à pleurer. Les larmes coulèrent jusqu’à Melun. En avançant, les distractions de la route emportèrent le chagrin. L’artiste se réveilla. Les beautés du paysage et du coucher de soleil le prirent tout entier. « Un petit bout du croissant de la lune était dans le ciel, tout justement pour m’empêcher de mentir, car je sens que si la lune n’avait pas été là réellement, je l’aurais toujours mise dans ma lettre ; c’eût été à vous de me convaincre de fausseté, l’almanach à la main. »
Il était déjà, on le voit, guéri de sa peine.
Il arrive à Rome le 25 juin 1803. Nous avons dit ailleurs[12] les tristesses et les soucis qu’il y éprouva, ses démêlés avec le cardinal Fesch, l’arrivée de Mme de Beaumont, la mort de cette amie incomparable, qui n’avait paru dans la vie que pour en souffrir tous les maux ; la conduite chevaleresque de Chateaubriand dans ces délicates circonstances, où l’homme d’honneur qu’il était finit par imposer à tous la considération et l’estime, enfin le retour affectueux du cardinal-ambassadeur, qui changea lui-même de manières à son égard.
Chateaubriand flottait entre mille partis à prendre, lorsqu’il reçut la nouvelle que le premier consul l’avait nommé ministre dans le Valais. Après un court séjour à Naples, il rentre à Paris précédé par cette belle lettre à Fontanes sur la campagne de Rome, oh. il égale, par l’éclat de son talent, la grandeur des ruines fameuses et la mélancolie des horizons de la Sabine. Il descend rue de Beaune, à l’hôtel de France, le 15 mars 1804. Il renouera pour quelque temps son roman avec Mme de Custine, mais le premier charme a disparu.
Mme de Chateaubriand l’attendait à Paris ; leur séparation, qui durait depuis plus de dix années, avait pris fin. La perte de presque toute la fortune de sa femme, perte encore aggravée par la ruine d’un oncle débiteur envers elle, était venue ajouter chez Chateaubriand un motif généreux au sentiment du devoir. Ils se préparaient à partir ensemble pour Sion.
Une amitié très vive unissait alors René à Chênedollé ; ils s’étaient connus il y avait trois ans : ils arrivaient l’un de Londres, l’autre de Suisse. Tous deux avaient émigré, ils avaient même âge, mêmes goûts ; pendant plus de deux années, pas un jour ne s’était passé sans qu’ils se vissent. Ce fut, pour ainsi dire, la période du Chateaubriand bon enfant, la période où il s’appropriait le mot de Joubert au comte Molé : « La vie est un ouvrage à faire, où il faut, le moins qu’on peut, raturer les affections tendres. » Mme de Beaumont régnait alors, et sa faiblesse touchante faisait subir son influence discrète et douce.
Chênedollé était un des plus assidus de la petite société ; nul n’y portait autant d’enthousiasme et d’ingénuité d’âme ; nul n’y révélait davantage ce caractère de noblesse morale que produit une sorte d’intelligence élevée. Nous renvoyons an surplus, pour le mieux connaître, à l’étude que Sainte-Beuve lui a consacrée[13]. Sa mélancolie native, augmentée par des peines de cœur, l’avait fait surnommer, dans le salon de la rue Neuve-du-Luxembourg, le Corbeau, tandis que la délicate souveraine du logis était appelée l’Hirondelle.
Une image douloureuse touchant à peine à la terre, celle de Lucile, avait passé dans le cœur de Chênedollé et l’avait à jamais troublé. Il n’avait pu oublier ces lignes d’elle : « Vous ne pouvez douter que je me ferais un honneur de porter votre nom, mais je suis tout à la fois désintéressée sur mon bonheur et votre amie ; en voilà assez pour vous faire concevoir ma conduite envers vous. Je vous le répète, l’engagement que j’ai pris envers vous de ne point me marier a pour moi du charme, parce que je le regarde comme un lien, comme une espèce de manière de vous appartenir. »
Chateaubriand n’en aimait que mieux cet ami plus poète dans ses sentimens que dans ses vers. Quand il alla occuper son poste de secrétaire à Rome, espérant un instant l’aider à entrer dans la carrière diplomatique, il lui écrivait de Lyon : « Je dis bonsoir à la société, et à toi, cher Chênedollé, que j’aime par-dessus tout, que j’attends en peu de temps, et à qui je n’ai autre chose à recommander. »
C’est à lui qu’il fit confidence de ses sentimens pour Mme de Custine.
Il avait repris avec elle ses habitudes d’intimité. Dès que le crieur public avait jeté dans la rue la nouvelle de l’exécution du duc d’Enghien, il s’était empressé de lire à Mme de Custine, avant de l’envoyer, sa démission de ministre plénipotentiaire dans le Valais. Sa conduite avait été chaudement approuvée. Ayant reconquis sa liberté, ses relations avec ses amis de l’ancienne petite société, et particulièrement avec Chênedollé, devinrent plus fréquentes ; elles devinrent aussi plus vives, ces sympathies qui déjà l’avaient accueilli dans les débris du monde aristocratique.
Nulle femme, sans excepter Mme de Vintimille, l’amie de Joubert, n’avait été plus fière que Mme de Custine de cet acte courageux. Sa mère, son frère, étaient restés, comme elle, fidèles au culte des souvenirs royalistes. Chateaubriand avait rendu visite à Mme de Sabran, devenue marquise de Boufflers ; mais le vieux monde du XVIIIe siècle, qui était le sien par l’éducation et les sentimens, était bien au-dessous de lui par la culture de l’intelligence et par le tour de l’imagination. Elzéar ne lui avait pas plu du tout : « Il a trop d’esprit pour moi. » La mère, au contraire, quoique très abattue par l’exil et les privations, l’avait charmé par sa bonté et ses manières. Ce ne fut cependant jamais son milieu. Il y avait autant de désaccord entre eux qu’entre les petits vers de M. de Boufflers et les accens passionnés et éloquens de René.
Il avait assisté à la prise de possession de Fervaques ; la châtelaine déployait toutes ses grâces pour le fixer. Ces efforts n’étaient pas de trop. La seconde série de leur correspondance diffère en effet singulièrement, par le ton, des petits billets que nous avons donnés plus haut. Ce n’est plus lui, c’est elle qui supplie. Il s’est fait aimer, et il est déjà las de l’affection qu’il a inspirée. On en était à la période des services à demander, des susceptibilités sans cause et des indiscrétions commises.
Nous n’avons pas retrouvé une première lettre que Chateaubriand avait adressée à Mme de Custine depuis son retour. Elle est de juillet ; mais voici la seconde, datée du 1er août 1804 :
« Je vois qu’il est impossible que nous nous entendions jamais par lettre. Je ne me rappelais plus pour quel objet je vous avais demandé un service ; mais si c’est pour celui que vous faites entendre, jamais, je crois, preuve plus noble de l’idée que j’avais de votre caractère n’a été donnée ; et c’est une grande pitié que vous ayez pu la prendre dans un sens si opposé. ; je m’étais trompé.
« Au reste, pour finir tout cela, j’irai vous voir ; mais mon voyage se trouve nécessairement retardé. Je ne puis avoir fini mes affaires au plus tôt à Paris ; je partirai donc de Paris de lundi prochain en huit, je serai une autre huitaine à errer chez mes parens de Normandie, de sorte que j’arriverai à Fervaques du 20 au 30 août. Vous sentez que je vous donnerai des faits plus certains sur ma marche avant ce temps-là.
« Ce que nous avons recueilli de tout ceci, c’est que les langues de certaines gens sont détestables, qu’il ne faut pas s’y fier un moment, et que notre grand tort est d’avoir eu quelque confiance dans leur amitié. De ma vie, au reste, je n’aurais été pris au piège où vous vous êtes laissé prendre : car de ma vie je ne confierai à personne l’affaire d’un autre, et surtout quand il sera question de certains services ; mais ensevelissons tout cela dans un profond oubli, dénouons sans bruit avec les gens dont nous avons à nous plaindre, sans leur témoigner ni humeur ni soupçon. Heureusement que leurs mauvais propos sont arrivés dans un temps où l’opinion m’est très favorable, de sorte qu’ils sont morts en naissant. C’est à nous à ne pas les réveiller par nos imprudences. Je n’ai pas dit un mot. personne de ce que je vous avais écrit et j’espère que vous, de votre côté, vous avez gardé le silence.
« Adieu, j’ai encore bien de la peine à vous dire quelques mots aimables, mais ce n’est pas faute d’envie.
« Savez-vous que j’ai vu votre frère et votre mère ? Celui-ci a trop d’esprit pour moi. »
Le Chateaubriand quinteux, personnel, méfiant, est tout entier dans cette lettre. Sa mauvaise humeur s’adoucit dans un post-scriptum, au souvenir de Chênedollé, alors absent de Paris, à qui il voulait ouvrir la carrière diplomatique. Mme de Custine étant liée avec Fouché, il fallait inspirer à celui-ci de l’intérêt pour un ami si cher. Fouché, au reste, avait été son professeur à Juilly ; quand il s’était agi de le rayer de la liste des émigrés, Mme de Staël, toujours prête à faire une bonne action, l’avait conduit au ministère de la police, Fouché avait reconnu son ancien élève et lui avait tendu les bras.
La lettre brusque et presque dure que nous publions se termine par un appel à l’influence de Mme de Custine sur Fouché :
« Je vous conjure de pousser l’affaire de mon ami. Je ne sais où demeure le ministre, mais il est trop connu pour que ses lettres se soient égarées. Mais prenez garde à présent, il faut que vos lettres soient adressées particulièrement à F… (Fouché) et non pas au ministre, car alors vos lettres seraient simplement ouvertes par les commis de la police, comme une affaire de bureau.
« A Madame de Custine, au château de Fervaques, par Lisieux. »
Pas un mot de plus. Un voyage en Normandie était nécessaire pour effacer l’impression de ces sécheresses. Il écrit en route à Chênedollé, le 15 août 1804, de venir le rejoindre. Il le présentera à la dame de Fervaques[14] :
« Mantes.
« Je m’approche de vous et je sors enfin du silence, mon cher Chênedollé ; je n’ai osé vous écrire de peur de vous compromettre pendant tout ce qui m’est arrivé (sa démission après le meurtre du duc d’Enghien). Que j’ai de choses à vous dire ! Quel plaisir j’aurai à vous embrasser, si vous voulez ou si vous pouvez faire le petit voyage que je vous propose ! Je vais passer quelques jours chez Mme de Custine, au château de Fervaques, près de Lisieux, et vous voyez par la date de ma lettre que je suis déjà sur la route. J’y serai d’aujourd’hui en huit, c’est-à-dire le 22 août. La dame du logis vous recevra avec plaisir ou, si vous voulez ne pas aller chez elle, nous pourrons nous voir à Lisieux.
« Écrivez-moi donc au château de Fervaques, par Lisieux, département du Calvados. Vous ne devez pas être à plus de 15 ou 20 lieues.
« Tâchons de nous voir pour causer encore une fois, avant de mourir, de notre amitié et de nos chagrins. Je vous embrasse les larmes aux yeux. Joubert a été bien malade et n’a pu répondre à une lettre que vous lui écriviez. Tout ce qui reste de la petite société s’occupe sans cesse de vous. Mme de Caud est très mal. »
Chênedollé vint à Fervaques ; Mme de Custine mit toute son amabilité en œuvre pour adoucir la sauvagerie de l’ami de Chateaubriand. Elle finit, la charmante femme, par gagner sa confiance et lui rendre chères les heures passées près d’elle. Il assista aussi à toutes les angoisses de cette âme qui s’était attachée de plus en plus, et qui ne se sentait plus nécessaire. Chateaubriand, dans ses Mémoires, si on les rouvre à cette date, dit que peu à peu son intelligence fatiguée de repos vit se former de lointains fantômes : sa vie, après la mort de Mme de Beaumont, était demeurée vide. « Des formes aériennes, houris ou songes, sortant de cet abîme, me prenaient par la main et me ramenaient au temps de la sylphide… J’avais ce que les pères de la Thébaïde appelaient des ascensions de cœur. »
C’était le voyage à Grenade qui se préparait dans son imagination. Le séjour à Fervaques fut néanmoins agréable. Il semble même que René fut plus aimable et plus tendre. Une lettre de lui, que nous n’avons pas, rappelait, quelques jours après, à la châtelaine, les beautés du logis qui l’avaient ravi ; mais son énumération, il paraît, n’était pas complète, si nous en jugeons par la réponse fine et émue de Mme de Custine[15] :
« 1804. — J’ai reçu votre lettre ; j’ai été pénétrée, je vous laisse à penser de quels sentimens. Elle était digne du public de Fervaques, et cependant je me suis gardée d’en donner lecture. J’ai dû être surprise qu’au milieu de votre nombreuse énumération, il n’y ait pas eu le plus petit mot pour la grotte et pour le petit cabinet, orné de deux myrtes superbes. Il me semble que cela ne devait pas s’oublier si vite ; je n’ai rien oublié, pas même que vous n’aimez pas les longues lettres.
« Votre ami Chênedollé est encore ici, mais il part demain. J’en suis plus triste que je ne puis vous dire, je ne verrai plus rien de ce que vous aurez aimé. Il y a des endroits dans votre lettre qui m’ont fait bien mal. »
Chateaubriand était troublé par les affections, plutôt que possédé par elles. Avec sa sensibilité d’artiste, il était plus tourmenté du désir de séduire que du besoin de s’attacher. Son ami Chênedollé, plus tendre, plus simple, goûtait l’indulgence d’une femme aussi bonne que Mme de Custine. « Elle donnait un nouvel intérêt à sa vie, qu’il croyait condamnée à une tristesse sans appel et à des regrets sans espoir. »
L’automne arrive. Mme de Custine implorait de Chateaubriand une nouvelle visite à Fervaques. Il lui répond avant d’aller voir Joubert :
« Paris, samedi 15 septembre 1804.
« Je reçois votre lettre au moment même de mon départ pour la Bourgogne. Peut-être avancerai-je le moment de vous voir. Mais il faut que je sache l’époque la plus tardive que vous fixez pour votre retour à Paris. Je me dirigerai là-dessus. Écrivez-moi à Villeneuve-sur-Yonne, département de l’Yonne. Je n’ai que le temps de vous dire mille choses en montant en voiture.
« Souvenir à tous nos amis.
« Mme Berlin est un peu mieux.
« A Madame de Custine, au château de Fervaques par Lisieux (Calvados). »
Les Bertin étaient en effet du petit nombre d’amis qui se réunissaient autour de Mme de Custine. Ils rencontraient dans son salon sa belle-sœur, celle que, dans l’intimité, on nommait la Souris, Boissy d’Anglas, Fouché parfois. En dehors de Chênedollé, les anciens amis de Pauline de Beaumont furent éloignés par Chateaubriand de celle qui avait pris un instant la place demeurée vide dans son âme.
Le 10 octobre, il annonce de Villeneuve-sur-Yonne au « cher Corbeau » son départ pour Fervaques, et lui donne rendez-vous pour le 20. Il quitte en effet Joubert, lui laissant Mme de Chateaubriand.
Qu’avait-il dans la tête à ce moment-là ? Il fut à ce point maussade, durant son séjour, qu’un soir, en revenant d’une promenade en calèche, où il avait à peine ouvert la bouche, Mme de Custine, désespérée, croyant qu’elle était abandonnée, à la vue d’un fusil avec lequel il avait chassé le matin, fut saisie d’un mouvement de joie et de fureur, dit Chênedollé, et fut près de s’envoyer une balle en plein cœur.
Chateaubriand retournait quelques jours après en Bourgogne, où une douleur inattendue venait le saisir. Mme de Caud mourait dans l’isolement et la pauvreté, le 9 novembre, à Paris. Seul, le vieux Saint-Germain, le domestique de Pauline, avait suivi le cercueil de Lucile. Désormais René n’avait plus personne pour lui parler de sa jeunesse ; l’inspiratrice de son génie, celle avec qui il allait dans les bois de Combourg, pendant les nuits d’octobre, entendre le bruit du vent, l’enfant maladive et mélancolique, au toquet d’étoffe noire, au long cou soutenu par un collier de fer garni de velours brun, n’avait même pas un tombeau à elle[16]. Elle avait été jetée dans la fosse commune. Son frère ne fut pas seul à la pleurer. Chênedollé, pendant trois mois, passa des jours entiers à bêcher la terre. Ce n’était qu’en fatiguant son corps qu’il rendait un peu de repos à son imagination malade.
L’empire, cependant, venait d’être constitué. Eloigné du monde officiel, Chateaubriand s’était confiné dans un petit appartement, au second étage, rue de Miroménil. Sous le charme poétique de la conception des Martyrs, il ébauchait, dans son cerveau hanté de rêves, les images de Velléda et de Cymodocée ; mais le travail ne pouvait que difficilement dissiper les tristesses et calmer les inquiétudes vagues dont il était sans cesse tourmenté. Il allait et venait de Fervaques à Villeneuve. Dans les années 1804 et 1805, il passa de longues semaines chez Joubert ; il travaillait et s’apaisait sous l’influence bienfaisante de cette haute et délicate conscience. Joubert lui conseillait de donner au bien les plus beaux noms, et au mal lui-même les plus adoucis, toutes les fois qu’on voulait apprécier les traitemens que nous ont faits les hommes ; et il lui rappelait Fénelon disant des bâtards de Lacédémone : « nés de femmes qui avaient oublié leurs maris absens pendant la guerre de Troie. «
Rien ne pouvait agir plus puissamment sur l’imagination de Chateaubriand que la conversation intarissable de ce noble ami, qui voulait faire passer le sens exquis dans le sens commun, et dont les pensées et les paroles avaient des ailes !
Quand il le quittait, Chateaubriand retrouvait Mme de Custine. Pendant l’hiver de 1805, il la fréquenta assidûment. Elle l’appelle familièrement Colo, tandis que dans la société de Joubert on le nommait le Chat, et Mme de Chateaubriand, qui avait des griffes, la Chatte. Delphine confie à Chênedollé qu’à Paris René vient la voir tous les jours ; mais Chênedollé, absorbé dans sa douleur, ne répond plus aux lettres qu’elle lui envoie.
« Paris, 18 janvier 1805.
« Je ne reçois plus de vos nouvelles, je ne sais que penser de votre silence, je crains que vous ne soyez malade ; j’attends votre petite note pour vous obtenir la permission de venir ici. (Il s’agissait d’un passeport à demander à Fouché.) Colo vous a écrit. Il dit que sa lettre était charmante et que vous devez en être enchanté. Il vous attend, il vous aime, il parle de vous souvent. Je voudrais bien vous voir ici, ou du moins savoir pourquoi vous ne venez pas.
« Ce n’est pas bien à vous de prendre les mauvaises manières de votre ami ; je suis sérieusement fâchée, mais peut-être êtes-vous malade ? Alors je suis toute pitié, tout émoi, je pardonne tout et demande au moins un détail exact de vos souffrances et de vos projets.
« Adieu, mes amis partent souvent de vous et vous désirent.
« La Souris n’est pas encore à Paris. »
Mme de Custine ne savait pas la peine secrète qui rongeait le cœur de Chênedollé. Il n’avait osé confier à personne qu’à Guéneau de Mussy son désespoir silencieux et farouche. Mme de Custine n’avait pas connu Lucile ; elle ne devinait pas que Chênedollé, dans son deuil, avait rompu tout commerce épistolaire ; mais elle ne se décourageait pas de ses sauvageries.
« Mais, mon Dieu, que devenez-vous donc ? lui écrit-elle encore le 16 mars 1805 ; plus un mot de vous, plus un souvenir, pas même une jérémiade ; je préfère tout à votre silence. Oh ! si vous ne venez pas à Paris, promettez, jurez de venir à Fervaques longtemps cette année ! Jurez de me dédommager et de ce silence et de cette absence ! Mais que vous arrive-t-il donc ? Pourquoi singez-vous ainsi Colo ? Changez, croyez-moi, de manière d’être, si vous voulez lui ressembler en tout ; car, depuis que je suis ici, il est mieux. Je ne suis pas heureuse, mais je suis un peu moins malheureuse. Est-ce pour cela que vous ne me donnez pas signe de vie ? Je vous ai écrit une longue lettre qui est restée sans réponse ; comme je crains que celle-ci n’ait le même sort, je vais la faire très courte. Adieu, croyez à mon amitié, puisqu’elle résiste même à votre oubli. »
Dans cette plainte discrète et touchante : « Je ne suis pas heureuse, mais je suis un peu moins malheureuse, » que de révélations ! Pour que Chênedollé gardât un silence aussi obstiné, il fallait que sa douleur fût bien profonde ! Chateaubriand essaie aussi de la dissiper. Dans cet échange de paroles tristes, c’est Mme de Custine qui apporte dans sa mélancolie le plus de mesure et de résignation ; son caractère grandit en même temps que son cœur s’élève. Voici la lettre que René écrivait de son côté, le 12 janvier 1805, au cher Corbeau :
« J’ai votre portrait. Vous jugez s’il me fait plaisir. Les gens qu’on aime étant presque toujours éloignés de nous, au moins que leur image les fixe sous nos yeux, comme ils sont dans notre cœur… Je vous attends ; votre lit est prêt. Ma femme vous désire ; nous irons nous ébattre dans le bois, rêver au passé et gémir sur l’avenir. Si vous êtes triste, je vous préviens que je n’ai jamais été dans un moment plus noir. Nous serons comme deux cerbères aboyant contre le genre humain. Venez donc le plus tôt possible ! Mme de Custine doit vous avoir un passeport ; venez ! Le plaisir que j’aurai à vous embrasser me fera oublier toutes mes peines.
« Mille tendres amitiés,
« Rue de Miroménil, no 119. »
Chênedollé s’était relevé de son abattement, mais n’était pas venu à Paris. Il s’était décidé à confier sa peine à la femme aimable qui ne s’expliquait pas son mutisme. Elle reprend dès lors sa correspondance avec lui ; elle ne peut montrer qu’à lui le déchirement de son cœur. Elle aime plus que jamais ; et, plus que jamais, elle est délaissée.
« Ce 28 mars 1 ?05.
« Je suis vraiment bien touchée de vos chagrins. Je vous pardonne votre silence, je serai heureuse de vous revoir et de broyer du noir avec vous ; mais ce que j’ai peine à vous pardonner, c’est que vous ne me dites rien de Fervaques. Vous ne me promettez pas d’y venir, et longtemps. Notre ami dit qu’il y passera six semaines, mais je ne suis pas femme à prendre à ces choses-là. Je suis plus folle que jamais ; je l’aime plus que jamais, et je suis plus malheureuse que je ne peux dire.
« La Souris arrive dans quelques jours. Il semble réellement que vous vous donniez rendez-vous, mais arriverez-vous ? j’espère que je serai une des premières à apprendre cette bonne nouvelle. Le Génie (Chateaubriand) se réjouit de vous voir. Il prend part à vos douleurs, et, lorsqu’il parle de vous, on serait tenté de lui croire un bon cœur. »
Le trait de la fin restera.
Mme de Custine quitte Paris et retourne à Fervaques : il y a une accalmie dans ses souffrances morales. Il semble que Chateaubriand ait adouci son humeur. Delphine fait entendre un petit cri de joie à l’oreille de son confident habituel, qui ne sourit ni de sa peine ni de son bonheur d’un jour, et qui ne les raconte pas aux indifférens.
Chateaubriand devait la quitter pour un voyage en Suisse ; il y renonce, et elle bat des mains. Cette avant-dernière lettre est du 21 juillet 1805 :
« Je suis fière aujourd’hui, et si vous étiez ici, vous me trouveriez impertinente, comme vous dites quelquefois. À tout-cela, vous devriez deviner qu’il n’y a plus de voyage en Suisse ; et qu’au lieu de tout cela, Colo est ici depuis hier, qu’il vous désire, que nous serons tous charmés de vous voir ; que, comme à son ordinaire, il dit qu’il ne restera que quelques jours. Aussi, si vous voulez le trouver encore ici, aussitôt ma lettre reçue, mettez-vous en marche et arrivez le plus tôt que vous pourrez.
« La Souris doit venir ; mais elle n’arrive pas. Après le départ de Colo, j’irai sûrement à Cusson[17]. Il dit qu’il reviendra cet automne. Vous reviendrez aussi, n’est-ce pas ? Allons, venez ! Vous me dites que vous serez ici dès que je le voudrai ; ma volonté est bien entière. Aussi je compte sur votre arrivée ; Colo veut vous écrire à présent, et moi je veux pouvoir vous parler bientôt. »
Sur la même page. Chateaubriand écrit en post-scriptum :
« Vous savez peut-être, mon cher ami, que le voyage de Suisse est manqué, du moins pour moi ! Je suis à Fervaques, j’y suis pour quinze jours : vous seriez bien aimable d’y venir. Nous tâcherons de nous rappeler ces vers que vous me demandez. Venez donc, mon cher ami, nous parlerons de notre automne. Mais venez vite, car vous ne me trouverez plus,
« Je vous embrasse.
« Tout à vous. »
Ce fut la dernière fois qu’ils se rencontrèrent à Fervaques. Si le voyage de Suisse était manqué, un autre se préparait qui devait mettre fui à toutes les tendresses.
On sait de la bouche même de Chateaubriand ce qu’il allait chercher en Grèce et à Jérusalem. Ce n’étaient pas seulement des images, dont il avait besoin pour les Martyrs ; ce n’était pas non plus en croisé du moyen âge, avec les dispositions du repentir, qu’il allait s’agenouiller au tombeau du Christ. Une troisième et spirituelle enchanteresse devait l’attendre à son retour à l’Alhambra ; c’était de la gloire « pour se faire aimer » qu’il espérait trouver à Sparte, à Memphis, à Carthage, et apporter aux pieds de sa nouvelle idole.
Le 8 février 1806, il annonce son voyage à Chênedollé :
« Je partirai dans le courant d’avril pour l’Espagne (il fit le grand tour par l’Orient), où je resterai tout au plus deux mois. J’irai voir les antiquités mauresques ; jusque-là, je suis à votre service. Venez débarquer chez moi, vous ferez grand plaisir à Mme de Chateaubriand. Joubert est ici. Tout le monde sera charmé de vous voir. Le poème est-il fini ? Quand l’imprimons-nous ?
« Je parle tous les jours de vous à Mme de Custine. Venez donc, mon cher ami ! Vous savez combien les premiers jours du printemps sont beaux à Paris et combien nous vous aimons. »
Il s’agissait du Génie de l’homme qu’on ne lit plus, de ce poème qui, parmi les lettrés du temps, soulevait ce grave problème qui nous fait aujourd’hui sourire : Esménard est-il supérieur à Chênedollé.
L’œuvre de Chênedollé ne parut qu’en 1807, mais elle était achevée en 1806, et il donna lecture de deux chants chez Mme de Custine devant quelques amis. Avec sa délicatesse habituelle, il n’avait pas voulu être le premier à lui annoncer le long voyage de son ami. Elle l’apprit de la bouche même de Chateaubriand. Il était allé en juin lui dire adieu à Fervaques. C’est alors qu’elle écrit à Chênedollé cette dernière lettre qui clôt, avec leur correspondance, tout un passé affectueux.
« Fervaques, ce 24 juin 1800.
« Enfin, je reçois de vos nouvelles ; j’y avais réellement renoncé. C’était si bien fini, que vous n’avez rien su et que vous ne savez rien de rien. Le Génie est ici depuis quinze jours ; il part dans deux, et ce n’est pas un départ ordinaire, ce n’est pas pour un voyage ordinaire non plus. Cette chimère de Grèce est enfin réalisée. Il part pour remplir tous ses vœux et pour détruire tous les miens. Il va enfin accomplir ce qu’il désire depuis si longtemps. Il sera de retour au mois de novembre, à ce qu’il assure. Je ne puis le croire. Vous savez si j’étais triste, l’année dernière ; jugez donc de ce que je serai cette année. J’ai pourtant pour moi l’assurance d’être mieux aimée ; la preuve n’en est guère frappante : il part d’ici dans deux jours, et, le 1er juillet, pour un grand voyage. Je ne vous engage donc pas à venir à présent, mais si dans le courant de l’été, vous vous en sentez le courage, vous me ferez plaisir ; et d’après ce que vous venez d’apprendre, vous serez, je pense, rassuré sur l’effet que pourrait faire votre tristesse. Je vous quitte, car vous savez dans quelles angoisses je dois être ; je ne puis causer plus longtemps.
« La chère Souris est ici aussi.
« Tout a été parfait depuis quinze jours, mais aussi tout est fini. »
Son instinct de femme ne la trompait pas. Elle avait appris à connaître dans Chateaubriand ce quelque chose d’inquiet et de vague qui le portait incessamment aux chimères, et ce désaccord entre les buts avoués et les buts secrets. Tout était bien fini, en effet, et si elle eût espéré dans les heures où elle rêvait, le ramener au temps où il attendait fiévreusement les billets apportés par Mlle de Saint-Léon, les faits devaient brutalement faire évanouir ces illusions.
Chateaubriand quittait la France le 13 juillet 1806, impatient « d’aller mêler ses délaissemens aux ruines d’Athènes, ses pleurs aux larmes de Madeleine, » impatient surtout de rejoindre celle dont il était alors passionnément épris, et qui réunissait aussi, au dire de la duchesse de Duras[18], tout ce que la beauté, la grâce, l’esprit, l’élégance des manières pouvaient inspirer d’admiration.
Mme de Custine ne se consola jamais : elle ne cessa pas d’aimer celui qui l’avait rendue si malheureuse. Elle resta son amie fidèle, lui parlant avec une sincérité qu’il ne rencontrait pas à un même degré dans ses autres affections, ne lui ménageant ni ses critiques, ni ses conseils.
Son amitié pour Chênedollé fut non pas refroidie, mais de plus en plus silencieuse. Nommé, par Fontanes, professeur de littérature à Rouen, puis, deux ans après, fixé dans son pays natal, comme inspecteur de l’académie de Caen, Chênedollé, épousa, en 1810, Mlle de Banville. Il venait rarement à Paris et plus du tout à Fervaques. L’amour des champs, la paix domestique, le culte des souvenirs, lui avaient fait peu à peu oublier ses tristesses[19].
Delphine croyait avoir connu successivement toutes les douleurs humaines, et pourtant d’autres encore lui étaient réservées.
Elle touchait à cet âge de trente-sept ans qu’une belle dame du XVIIIe siècle considérait comme la limite des folies du cœur. Son intimité avec sa mère, ses visites à sa belle-sœur, la campagne et surtout son goût développé pour la peinture, occupent désormais sa vie. Elle copiait les grands maîtres ; elle en imitait si bien le coloris et la vigueur, qu’entrant un jour dans son atelier, Mme Vigée-Lebrun prit la copie pour l’original.
Son fils nous apprend qu’elle s’enfermait chaque jour de midi à cinq heures et qu’elle n’aimait plus le monde. « Il l’intimidait, l’ennuyait et la dégoûtait. Elle en avait vu le fond trop vite. Son expérience précoce lui avait donné la philosophie du malheur[20]. » Elle était, du reste, du cercle restreint d’opposans à la fortune de Bonaparte ; son royalisme ne se dissimulait pas. Depuis la mort du duc d’Enghien, elle n’avait plus mis le pied à La Malmaison, elle ne voulait plus revoir Joséphine devenue impératrice. Tant que Fouché dirigea la police, elle n’eut à subir aucun tracas. Il ne devait plus en être de même avec Savary : n’était-elle pas, au reste, ouvertement l’amie de Mlle de Staël ? Son frère, EIzéar de Sabran, n’était-il pas un des fidèles de Coppet ? Il n’en fallait pas tant pour porter ombrage au duc de Rovigo.
Pendant l’absence de Chateaubriand, elle s’inquiète de ses nouvelles ; il ne lui écrivait pas. Elle savait que Mme de Chateaubriand le pleurait déjà comme mort. Elle se rend chez elle en suppliante ; et dans une lettre à Joubert, du 14 août 1806, la Chatte maligne se plaint des assiduités de Mme de Custine[21].
Le voyageur revient en mai 1807. Il avait passé trois mois en Espagne avec la spirituelle Mme de Mouchy. « Que de malheurs ont suivi ces jours mystérieux ! Le soleil les éclaire encore. » Ainsi parlent les Mémoires d’outre-tombe ; et, en 1828, alors qu’il était ambassadeur à Rome, il écrit à Mme Récamier : « Nous avons eu un petit ricevimento ; l’ambassadrice d’Autriche est charmante et chante aussi. Elle ressemble à la pauvre Mme de Mouchy ; aussi ne puis-je la regarder sans une vraie peine. » La fierté blessée, le malaise d’un cœur mal avec lui-même et cependant trop haut pour rien exiger, suivant l’expression de Mme de Duras, devaient égarer sa raison. Il semble que la fatalité antique poursuive toutes les adorables victimes de René.
À peine de retour, il s’était rendu à Villeneuve-sur-Yonne et avait repris le travail avec ardeur. Il rapportait une riche collection d’images et de métaphores pour achever les Martyrs.
Il lut, chapitre par chapitre, à ses amis, sa nouvelle œuvre, celle qu’il préférait. Au nombre de ses auditeurs habituels, nous ne voyons pas Mme de Custine ; une seule femme était de toutes les réunions et appartenait à la petite société, c’était l’ancienne amie de Pauline de Beaumont, Mme de Vintimille.
On se rappelle que Joubert avait reporté sur elle ses tendresses exquises. Même quand il fut mort au monde, indifférent à presque tout ce qu’il voyait, ne comprenant, presque plus rien aux choses ni aux hommes, le souvenir de Mme de Vintimille le ranimait. On sait qu’il n’oublia jamais le jour de Sainte-Madeleine. Sa chambre, ce jour-là, était parée de tubéreuses, les fleurs préférées de son amie. Il lui envoyait, chaque année, pour étrennes, un livre coquettement relié qu’il mettait de longs mois à chercher ; et, comme tout est délicat avec une âme aussi pure que celle de Joubert, on ne peut pas, en parlant de Mme de Vintimille. oublier le cadeau de ce petit Pétrarque dont la reliure était couleur de bois d’oranger, les signets des rubans du plus beau blond, et les dorures un peu passées. « Enfin, lui écrivait-il, tout annoncée que, dans son origine, ce livre fut destiné à la plus piquante des blondes. J’ai dans la tête qu’on le relia pour vous, qu’il vous a appartenu, qu’il vous fut volé ou que vous le perdîtes et que je vous le rends. Je me suis dit dans mes conjectures qu’il vous fut donné il y a longtemps ; que, par conséquent, celui qui vous le donna put vous aimer dès sa jeunesse ; et c’est un bonheur que je lui envie. Je me dis que, s’il vit encore, il vous aime toujours. »
Que n’eût pas donné Mme de Custine pour recevoir de Chateaubriand une lettre pareille ! Elle n’était pas davantage des soirées de Méréville. Mme de Laborde, sœur de Mme de Vintimille, accueillait dans cette superbe demeure Chateaubriand pendant les étés de 1807 et de 1808, où il était tout enfiévré par la création des Martyrs. Ce fut dans le petit enclos qu’il venait d’acheter, — La Vallée aux loups, — que Chateaubriand lut d’abord à la petite société son poème nouveau. Très docile à la critique de ses amis, il supprimait ou modifiait des pages entières, suivant leurs conseils. Il avait renouvelé sous les ombrages de Méréville, pour plaire à Mme de Laborde, ces lectures devant un cercle de femmes choisies, Mme de Pastoret, Mme de Lévis. La timidité de Mme de Custine l’eût écartée de ces réunions mondaines.
Chateaubriand, très gâté dans les cercles aristocratiques, voulut s’acquitter vis-à-vis de Mme de Laborde d’une dette d’amabilité.
Il faillit, qui ne le sait ? payer de sa liberté l’article publié, le 4 juillet, dans le Mercure, sur le voyage pittoresque de M. de Laborde en Espagne. Sa course récente en Grèce et en Orient avait éveillé en lui certains accens généreux. Il ne put, malgré l’avis de Joubert, les étouffer ; et quelques phrases comme celle-ci : « c’est en vain que Néron prospère. Tacite est déjà né dans l’empire, » irritèrent violemment Napoléon.
La lettre de Joubert, du 1er septembre 1807, rend un compte fidèle de cet incident :
« Le pauvre garçon a eu pour sa part d’assez grièves tribulations. L’article qui m’avait mis tant en colère est resté quelque temps suspendu sur sa tête, mais à la fin le tonnerre a grondé, le nuage a crevé et la foudre en propre personne a dit à Fontanes que si son ami recommençait, il serait frappé. Tout cela a été vif, même violent, mais court. Aujourd’hui tout est apaisé, mais on a grêlé sur le Mercure. »
Ce journal, dont Chateaubriand s’était rendu acquéreur, fut supprimé.
Nous n’aurions pas rappelé cet événement, si Mme de Custine, dont l’affection restait toujours vigilante, n’avait pas été aussi pour quelque chose dans cette modération relative. Elle alla voir Fouché, qui n’avait pas cessé d’être son ami personnel. Grâce à lui, grâce aussi à Fontanes, le coup que l’empereur voulait porter à Chateaubriand fut atténué.
Pendant tout le temps que le manuscrit des Martyrs passa aux mains de la censure, le dévoûment de Mme de Custine se fit toujours sentir ; mais ces corrections, ces suppressions, quoique faites à l’amiable, irritaient, non sans raison, Chateaubriand. Au mois de novembre 1808, il lui écrit :
« Ah ! bon Dieu ! Pardon ! Je viens d’achever les affaires de l’imprimeur. J’ai été pour vous voir jusqu’aux Champs-Elysées. Cinq heures étaient passées, et je suis revenu recevoir d’autres billets que j’attendais. Demain matin à déjeuner je serai chez vous.
« Je vous écris à table. Ne vous plaignez pas. Vous n’avez pas de raison de vous plaindre.
« Encore une fois, mes tristes affaires me désolent[22]. »
Le surlendemain, son humeur change.
Un billet à Mme de Custine lui annonce que la publication des Martyrs aura lieu sans encombre, grâce « au grand ami. »
« C’est pour le livre succès complet ; point de censure, grandes louanges, honneurs, flatteries, tout à merveille. Le grand ami, un homme divin !
« À demain, chère. »
Ce grand ami est bien Fouché, encore ministre de la police, et qui ne fut disgracié qu’en 1810. Un autre lettre de Chateaubriand ne laissera aucun doute sur cet épisode de sa vie littéraire.
Si les Martyrs purent paraître en mars 1809, il ne fut pas moins prescrit à la presse d’attaquer à fond l’ouvrage. L’ordre était d’autant plus facile à exécuter, que, par-dessus la censure, un décret impérial avait confisqué la propriété des journaux, détruit toute liberté d’appréciation littéraire, et même assigné, sur le produit des abonnemens, des pensions distribuées à des hommes de lettres ou à des fonctionnaires de la police, suivant le degré de la faveur dont ils jouissaient à la cour. Le Journal des Débats, fondé par les Bertin, qui avaient salué avec tant de sympathie le début glorieux de Chateaubriand, était ainsi devenu un fief héréditaire.
Les rancunes impériales trouvèrent dans Hoffmann, le spirituel auteur des Rendez-vous bourgeois, un interprète mordant, n’ayant d’aucune manière le sentiment poétique des beautés des Martyrs. Il mit en pièces les parties faibles ou bizarres de la composition et des caractères. Pour apprécier le ton de ses deux articles, il suffira de citer quelques lignes[23] :
« Je ne reconnais pas souvent dans les Martyrs l’auteur qui a comparé une croix posée sur la tombe d’une jeune vierge au mât d’un vaisseau naufragé, mais celui qui s’est étonné de la quantité de larmes que contiennent les yeux des rois et qui s’est écrié : « Orage du cœur, est-ce une goutte de votre pluie ?.. » C’est dans l’Armorique qu’il arrive à notre héros une aventure bien romanesque, et où il succombe à une tentation si attrayante et si naturelle que je ne me sens pas le courage de le gronder. Qui de nous serait assez barbare pour repousser une jeune vierge, belle comme l’Amour, et de plus druidesse, prophétesse, prêtresse et se croyant sorcière ?..
« Ce prétendu poème est le mauvais ouvrage d’un homme qui a un grand talent. »
Chateaubriand répond à Mme de Custine, plus affligée que lui des articles d’Hoffmann :
« Je n’ai pu aller chez vous, parce que j’ai couru pour affaires. Le grand ami (Fouché) s’est joué de nous. L’ordre d’attaquer vient de lui, vous pouvez en être sûre.
« Eh bien ! il n’y a pas grand mal, l’article est bête et ridicule, et il y a tant de louanges d’ailleurs que je souhaite n’avoir jamais pire ennemi. Je vous verrai demain à déjeuner.
« Vous êtes bonne et aimable, tranquillisez-vous ! Je ne fais que rire de cela. Cela m’amuse d’être attaqué littérairement par ordre et par un mouchard. »
On ne peut s’empêcher de jeter un regard en arrière et de se rappeler les articles de l’abbé Morellet sur Atala, et surtout ceux de Ginguené, lorsque parut le Génie du christianisme. Mme de Beaumont en était malade ; ses amis étaient obligés de les lui cacher. Quand on a eu le bonheur, pendant toute sa vie, d’inspirer de telles affections, a-t-on bien le droit d’étaler avec tant d’affectation le vide de son âme ?
Les critiques d’Hoffmann, auxquelles Mme de Custine était si sensible, et que Chateaubriand, au risque de réveiller les haines assoupies, prenait la peine de réfuter, dans les notes accompagnant la seconde édition de son livre, eurent, au milieu du silence de l’empire, un grand retentissement. Les stances célèbres de Fontanes nous disent bien le découragement dans lequel René était plongé. Autour de lui ses amis avaient espéré que le succès des Martyrs serait plus complet. L’enthousiasme était sincère parmi eux ; et il y en avait, comme Ballanche, dont l’imagination avait été tellement émue par la douceur de certaines phrases, par exemple, par ce chant mélodieux : u Légers vaisseaux de l’Ausonie, fendez la mer calme et brillante, » qu’ils ne pouvaient prononcer le nom de Cymodocée sans que leurs yeux se remplissent de larmes. Chênedollé, au contraire, avait dit judicieusement à Mme de Custine : « Chateaubriand ne peut se flatter de faire, avec ses Martyrs le même bruit, d’exciter le même délire qu’avec le Génie du christianisme. Il ne peut que confirmer sa réputation et non l’augmenter. Il ne peut espérer que de conquérir définitivement l’estime des gens de goût, de leur arracher cet aveu : nous avions raison. Au moment où le Génie du christianisme parut, l’envie n’avait pas encore eu le temps de prendre ses mesures ; on aime à caresser le talent à son aurore ; plus tard, on se venge sur une réputation faite de l’enthousiasme et de l’admiration qu’on a employés à la faire. »
Quelque profondes que fussent ses blessures d’amour-propre, une douleur plus vive vint en ce temps-là inopinément le saisir. Son parent, du même nom que lui, Armand de Chateaubriand, demeuré hors de France, s’était imprudemment engagé comme correspondant des princes, à débarquer sur les côtes de Normandie. Depuis treize jours, il était au secret. Chateaubriand en fut instruit. Il supplia Mme de Custine de l’accompagner chez Fouché. Elle ne s’y refusa pas. Fouché nia qu’Armand eût été arrêté. Plus tard, quand il fut obligé d’en convenir, il dit qu’il avait voulu cacher son arrestation[24].
Le vendredi-saint de l’année 1809, Armand de Chateaubriand et ses deux coaccusés, le comte de Goyon et un domestique nommé Quintal, furent conduits à la place de Grenelle pour être exécutés.
Averti au dernier moment, René voulut accompagner son camarade, son parent, sur son dernier champ de bataille. Il ne trouva pas de voiture et courut à pied à la plaine de Grenelle. Il arriva tout en sueur, une seconde trop tard. Armand gisait contre le mur d’enceinte de Paris, la tête fracassée. Un chien de boucher léchait son sang et sa cervelle[25]. René suivit la charrette qui conduisit le corps d’Armand au cimetière de Vaugirard.
À son retour, il laissa, en passant chez Mme de Custine, ce billet plus éloquent dans sa brièveté qu’une oraison funèbre :
« J’arrive de la plaine de Grenelle. Tout est fini. Je vous verrai dans un moment. »
Astolphe de Custine assure qu’il apportait à sa mère un mouchoir trempé dans le sang du malheureux Armand.
La vie de Mme de Custine dans ces premières années de l’empire est tellement mêlée à la vie de Chateaubriand, qu’il est impossible aussi de passer sous silence le succès de l’Itinéraire.
Si les Martyrs avaient été moins bien reçus du public, le récit du voyage de Chateaubriand en Grèce et en Orient n’eut que des admirateurs, et Napoléon, se promenant dans la galerie du Louvre, dit autour de lui : « Pourquoi Chateaubriand n’est-il pas de l’Institut ? » Il était nommé quelque temps après à l’Académie française, en remplacement de Marie-Joseph Chénier.
L’orage qui sortit du discours de réception a été raconté partout ; les amis de Chateaubriand se communiquèrent des copies. Mme de Custine en avait une : elle la prêta à sa mère, à sa belle-sœur, et l’envoya à son frère, à Coppet, pour Mme de Staël. Cette copie figure dans les documens que Mme de Custine avait précieusement conservés ; nous l’avons tenue entre les mains, avec une feuille de laurier rose cueillie sur le tombeau de Virgile par René.
Ce fut l’époque où le talent de Chateaubriand atteignit son apogée. À l’aisance avec laquelle il portait alors tant de dons brillans, on reconnaissait aisément qu’il était de « ces hommes divins qui chantent les dieux sur la lyre. » Les passions-de la politique n’avaient pas encore altéré certaines qualités de bonhomie qui faisaient de lui, quand il le voulait, l’imagination la plus souverainement aimable de son temps ; néanmoins, les dernières années de l’empire étaient tellement lourdes, qu’une crise se préparait dans son esprit. Il était prêt à écrire contre le colosse qui s’écroulait le redoutable pamphlet Bonaparte et les Bourbons.
Mme de Custine partageait de plus en plus ses sentimens d’opposition. Fouché n’était plus à la police pour la protéger ; voulant se soustraire aux menaces de Savary, elle fit avec son fils, en 1811, un voyage en Suisse et en Italie ; elle désirait surtout connaître Rome. Tout ce que lui avait dit Chateaubriand de la ville éternellement triste et de la campagne romaine lui montait au cœur. On ne l’a point vue, lui répétait-il, quand on n’a pas parcouru les rues de ses faubourgs mêlées d’espaces vides, de jardins pleins de ruines, d’enclos plantés d’arbres et de vignes, de cloîtres où s’élèvent des cyprès et des palmiers. Il n’y avait pas de petit chemin entre deux haies qu’il ne connût mieux que les sentiers de Combourg.
Arrivée à Rome, Mme de Custine y passa l’hiver et s’y forma bien vite une société charmante.
Rome était encore la patrie de toutes les âmes en deuil, la seule ville qu’on ne voulût point quitter. Mme de Custine vit tous les lieux que la voix de René lui avait décrits, jusqu’au petit chemin derrière Saint-Jean-de-Latran. « La vieille reine, superbe sous ses ruines, » enchaînait le cœur de Delphine rien qu’avec quelques pans de murs, une plaine que hantait la fièvre et des fondrières où trébuchaient les chevaux. Elle se promena, elle aussi, sur la Voie Appienne, jusqu’au mausolée de Cœcilia Metella. Qui sait si elle n’alla pas à Saint-Louis, s’agenouiller sur la tombe de Pauline de Beaumont ?
Bien qu’elle eût quarante ans et que toutes les mélancolies de la vie se fussent gravées sur son front, la pureté de ses traits, l’élégance de sa personne, avaient frappé Canova. Il aimait en elle le sens artistique, si rare alors chez les femmes françaises, et que l’école romantique allait développer. Mme de Custine était attirée par la naïveté d’esprit du grand sculpteur. Ses récits vénitiens la charmaient[26].
Un jour, son fils lui dit : « Savez-vous, avec votre imagination romanesque, que vous seriez capable d’épouser Canova ! — Ne m’en défie pas, répondit-elle ; s’il n’était pas devenu marquis d’Ischia, j’en serais tentée. »
Il ne faut voir là qu’un propos sans importance, qui ne répondait chez Mme de Custine ni à un sentiment durable, ni à un désir sérieux de changer de nom.
Quand elle rentra en France et qu’elle revit Chateaubriand, Mme de Custine ne pouvait même plus espérer qu’elle serait, comme avant, la confidente de ses projets et de ses peines, la conseillère de tous les jours.
À la fin de l’été de 1809, il avait loué un appartement rue Saint-Honoré, au coin de la rue Saint-Florentin. Ce fut dans cette maison, chez M. de Las Cases, qu’il fit plus tard la connaissance de la duchesse de Duras ; et son salon devint le sien, jusqu’au jour où Mme Récamier ouvrit à l’idole le temple de l’Abbaye-aux-Bois[27].
Mme de Custine essaya vainement de lutter par son intelligence, par son esprit ; elle ne put contre-balancer l’influence souveraine de l’auteur d’Ourika.
La duchesse de Duras avait quelques années de moins que Delphine de Custine. Son père, le comte de Kersaint, avait été un de nos plus vaillans hommes de mer, en attendant qu’il devînt, sous la révolution, un intrépide citoyen. Député à la Convention, il avait, dans le procès du roi, voté pour l’appel au peuple et contre la mort. Quand Louis XVI fut condamné, le 18 janvier, Kersaint demanda courageusement la parole, et rappelant son vote au milieu des murmures : « Je veux, ajouta-t-il, épargner un crime aux assassins, en me dépouillant moi-même de mon inviolabilité ; je donne ma démission et je dépose une lettre contenant les motifs de cette résolution entre les mains du président. »
Sa lettre disait nettement qu’il lui était impossible de « supporter la honte de s’asseoir dans l’enceinte de la Convention avec des hommes de sang, alors que leur avis, précédé de la Terreur, l’emportait sur celui des gens de bien. » Il avait été mandé à la barre le 22 janvier. La Convention avait passé à l’ordre du jour sur sa démission. Arrêté le 25 septembre 1793, à Ville-d’Avray, Kersaint avait reconnu hautement, dans son interrogatoire, qu’il ne pouvait plus délibérer avec des hommes qui avaient voté la mort de Louis XVI. Il n’en fallait pas tant pour le faire envoyer à l’échafaud. Il y était monté résolument, le 5 décembre.
Sa fille avait reçu de lui une âme ardente, capable de sentimens énergiques et d’indignations généreuses. Elle devait garder, même sous la restauration, alors que son salon était dans tout son éclat, une attitude libérale. Bien qu’elle eût épousé à Londres, pendant l’émigration, l’un des représentans les plus attitrés de l’aristocratie française, le monde royaliste ne lui pardonnait pas d’être la fille d’un girondin ; sa situation dans son milieu était souvent difficile, quand elle n’était pas fausse. Elle ressemblait à Mme de Staël de taille et de figure, et ne négligeait, dit-on, aucun effort pour rendre cette ressemblance plus frappante[28].
Elle vivait sous l’empire, retirée dans son château d’Ussé, se consacrant entièrement à ses deux filles dignes d’elle ; pour compléter leur éducation, la duchesse de Duras se décida, vers la fin de 1811, à rentrer à Paris. Chateaubriand avait fort envie de la connaître ; il avait entendu parler d’elle chez Mme de Laborde, à Méréville. Dans ses jours de misère, il avait passé près d’elle à Londres sans l’avoir rencontrée. Il savait qu’elle était une de ses admiratrices passionnées. M. le duc Victor de Broglie, qui a tracé de cette femme à l’esprit délicat et distingué un portrait dans lequel il nous la montre douée d’un cœur sensible et « vivant dans une méfiance, par malheur trop bien fondée, de ses agrémens personnels, » raconte qu’en plein régime impérial, ayant eu l’honneur de passer deux jours au château d’Ussé, où Mme de Duras résidait avec son mari et ses enfans, elle lui lut, avec un enthousiasme qu’il partageait sincèrement, le fameux article du Mercure qui pensa faire arrêter son auteur.
On juge, dès lors, combien des rapports d’intimité s’établirent facilement entre elle et Chateaubriand. Dans la société de Mme de Duras, il prit vite le premier rang. Elle lui permit de l’appeler sa sœur, et elle lui servit plus d’une fois de secrétaire pour écrire sous sa dictée. Ce ne fut plus désormais à Fervaques que René alla passer ses automnes, Villeneuve-sur-Yonne fut aussi négligé ; mais Joubert était un philosophe à qui il semblait, en pensant à un ami, que le monde est plein d’aimans qui se tournent leurs pôles et d’antipathies qui se donnent la main. Mme de Custine ne prit pas aussi facilement son parti. Elle ne pouvait pas rivaliser avec la fastueuse existence de Mme de Duras, avec l’influence politique de son salon ; elle resta l’amie désintéressée, ayant le cœur blessé et ne se plaignant plus.
Cependant, les événemens qui se précipitaient allaient, dans la période de transition, amener Mme de Custine à jouer un rôle qu’elle ne recherchait pas, celui d’être la confidente du principal acteur de la seconde restauration.
Dès 1812, le mécontentement, les inquiétudes se manifestaient, surtout parmi les fonctionnaires de l’empire. Placés plus près du pouvoir, ils voyaient mieux que le vulgaire la folie des projets de Napoléon et l’impossibilité du succès. « Il paraît bien fort ! disait, en août 1812, le ministre Decrès à M. Pasquier ; eh bien ! il est perdu. » Les excès du despotisme dépassaient toute mesure. Le pouvoir judiciaire lui-même n’était plus respecté. Par une série de mesures audacieuses, l’empereur avait mis ce pouvoir sous sa dépendance absolue. Un sénatus-consulte venait d’annuler une déclaration du jury d’Anvers et de renvoyer devant une autre cour, jugeant sans jury, non-seulement les accusés, mais encore les jurés qui les avaient acquittés.
Le frère de Mme de Custine, Elzéar de Sabran, fut un exemple de ces violations du droit si fréquentes alors. On sait qu’il n’avait pas cessé d’être l’ami de Mme de Staël ; une lettre qu’il lui écrivait fut interceptée et tomba entre les mains de la police impériale. Enfermé à Vincennes, sans jugement, par les ordres de Savary, Elzéar en sortit au bout de quelques mois, grâce aux démarches du maréchal Oudinot, ami de sa sœur, et fut exilé à 50 lieues de Paris.
On se rend aisément compte de la violence des antipathies que le régime impérial accumulait dans le cœur de Mme de Custine. Aussi quand, en janvier 1814, les armées étrangères, surmontant l’effroi que leur inspiraient nos vieilles frontières, eurent débordé dans nos provinces de l’Est, quand le cercle formé autour de Napoléon se resserra de plus en plus, Mme de Custine fut une des femmes du faubourg Saint-Germain qui accueillirent avec le plus d’ardeur la pensée d’une restauration de la maison de Bourbon. Elle avait au premier moment fui les périls de l’invasion et s’était réfugiée à Berne (février 1814) ; Astolphe l’avait quittée pour rejoindre le comte d’Artois et s’efforcer d’être attaché à sa personne. Il écrivait à sa mère, le 25 mai : « Reviens ! On se fait de toi une si grande idée que tu aurais beaucoup de crédit. La duchesse d’Angoulême a parlé de toi à plusieurs personne. » Delphine se décida à revenir à Paris et elle reprit son titre de marquise qu’elle avait négligé, se contentant sous l’empire d’être la comtesse de Custine. Son fils l’avait déterminée à cette résolution. Certes, elle était royaliste ; mais il n’y avait dans ses opinions rien de violent ni d’agressif. Elle n’approuva pas l’entrée que fit, la torche à la main, Chateaubriand dans la politique.
Son pamphlet Bonaparte et les Bourbons, publié dans les premiers jours d’avril et qui eut tant de retentissement, répondait aux passions du moment sans aucun doute ; mais, par ses imprécations outrées et ses apologies sans mesure, il n’avait pas la complète adhésion de Mme de Custine. Elle restait par son éducation, par son bon sens, par son expérience, très bonne royaliste constitutionnelle, en-deçà des haines de l’émigration, et elle pensait que Chateaubriand, par ses intempérances, amoindrissait en lui la raison et la dignité du publiciste. Il avait, en effet, dans les premiers temps des deux restaurations, le tort de partager les colères de ceux dont il ne partageait pas les préjugés ; mais par ses défauts mêmes, sa brochure éloquente donnait une voix à des sentimens longtemps réduits à se taire. « En général, elle réussit, écrivait Mme de Rémusat à son fils encore au lycée, parce qu’elle apparaît comme un cri d’indignation[29]. » Elle apprenait à Paris et à la France qu’elle était la famille qui, après plus de vingt ans, allait rentrer aux Tuileries.
Un autre personnage, depuis quelques années hors de France, Fouché, revenait à Paris. Nommé gouverneur des provinces illyriennes, il n’avait pu prendre possession de son poste ; n’ayant pas obtenu l’autorisation de revenir à son château de Ferrière, il avait reçu l’ordre de se rendre en Italie auprès de Murat. Ses intrigues commençaient à produire leur effet sur l’esprit versatile du roi de Naples, lorsqu’il apprit la déchéance prononcée par le sénat ; il était accouru à tire-d’aile, et il ne tarda pas à faire parler de lui.
Le 14 avril, Talleyrand avait réuni au pavillon Marsan une sorte de conseil intime auquel assistaient les membres du gouvernement provisoire, de plus M. Lainé, M. de Vitrolles et quelques autres personnes. Après une longue discussion, M. de Vitrolles demandait formellement que le gouvernement provisoire allât déposer son autorité aux pieds du comte d’Artois, et le priât « de prendre les rênes de l’état en sa qualité de lieutenant-général du royaume. » Talleyrand ne disait rien, lorsqu’une des personnes présentes à l’entretien et qui, jusque-là, n’y avait pris aucune part, se leva avec vivacité, et, s’adressant à M. de Vitrolles, lui dit brusquement : « Ce que vous proposez ne signifie rien. Il n’y a qu’une manière de lever toutes les difficultés, c’est que le sénat défère lui-même à M. le comte d’Artois la lieutenance-générale du royaume. »
C’était Fouché qui rentrait tout à coup en scène. « Au moins répondit Vitrolles, vous avancez quelque chose. Jusqu’à présent, on ne m’a présenté que des impossibilités. Nous sommes patiens, parce que nous connaissons notre force et que les moyens de conciliation nous paraissent les meilleurs. Je ne saurais préjuger l’opinion de Monsieur sur votre idée improvisée, mais s’il adoptait quelque chose de semblable, qui nous garantirait l’acceptation du sénat ?
« — Moi ! répliqua vivement Fouché, si M. le comte d’Artois consent à faire une déclaration de principes qui satisfasse les esprits. » Puis, sans perdre de temps, il se mit à écrire sur un guéridon un projet de déclaration et il en donna lecture[30].
Vitrolles s’en empara et courut le porter à Monsieur. Bien que le nom du duc d’Otrante lui fît froncer le sourcil, il approuva la déclaration après quelques corrections ; avec son esprit moins brillant, mais plus décidé que M. de Talleyrand, Fouché venait de trancher le nœud que d’autres, depuis deux jours, s’efforçaient en vain de défaire.
Installé à son château de Perrière avec ses enfans, il avait repris son commerce épistolaire avec Mme de Custine. Cette correspondance éclaire d’un jour nouveau son rôle si discuté durant la période encore imparfaitement étudiée qui s’étend du mois de septembre 1814 au mois d’octobre 1816, et embrasse ainsi sa vie politique la plus active jusqu’aux approches de sa mort. Les premières lettres écrites de septembre à novembre montrent Fouché observateur sagace des fautes qui se commettaient, et les signalant dans des pages destinées à être mises sous les yeux de Louis XVIII. Il ne joue pas encore un rôle dans la pièce, mais il le prépare.
La nation n’avait pas été hostile au retour des Bourbons, et il semblait cependant que l’on prît plaisir à élargir la brèche entre la famille royale et l’armée. On faisait tout pour encourager et fomenter une insurrection militaire. Par légèreté et imprévoyance, on réussissait à semer dans le pays les germes d’une méfiance funeste. Mais tout était réparable, puisque le livre auquel Napoléon avait mis « le signet, » comme on l’a dit, se rouvrait après quatorze ans, et que la France se retrouvait en présence d’une tribune libre.
Il nous reste à montrer le Fouché père de famille tout occupé de l’éducation de ses enfans. Une lettre suffira pour satisfaire sur ce point la curiosité :
« A Madame de Custine. — Ferrière.
« 9 septembre 1814.
« J’avais le projet d’aller à Paris, et je comptais avoir le plaisir de vous voir et de vous emmener dîner à Suresnes[31], mais des affaires particulières me retiennent à la campagne… Vous seriez bien aimable de venir y passer quelques jours avec votre fils. Mes enfans lui procureront des parties de chasse et de pêche. Il y a d’ailleurs ici une bonne bibliothèque, même des livres allemands, un maître de langue allemande. Je vous prie de croire que nous ne négligeons pas l’instruction ; nous savons qu’elle est nécessaire sous tous les gouvernemens et même dans les pays où l’on ne gouverne pas.
« Si vous avez le courage de faire le petit voyage de Ferrière, vous prendrez votre itinéraire chez mon concierge, à Paris. Vous me préviendrez. J’irai au-devant de vous. Adieu, je vous renouvelle tous mes anciens sentimens et toutes leurs expressions.
« Mille complimens et mille amitiés à votre fils, que j’adopterais volontiers pour le mien, toutefois avec la permission de la maman, car il faut être deux pour avoir un enfant.
« Je vous embrasse de tout mon cœur.
« DUC D’OTRANTE. »
Mme de Custine ne put aller à Ferrière, et elle donna pour excuse qu’elle achevait un tableau. Elle reçut bientôt une nouvelle invitation non moins pressante, non moins familière, non moins paternelle.
On ne reconnaît guère dans ces premières lettres le Fouché si activement mêlé, quelques mois après, à toutes les trames qui vont se nouer. Sa résignation passagère n’est que le sentiment de son impuissance momentanée.
BARDOUX.
- ↑ Voyez la Revue du 15 février.
- ↑ Voyez la Russie en 1839, par A. de Custine, lettre III.
- ↑ Voyez Archives nationales.
- ↑ Voyez la Russie en 1839, lettre III.
- ↑ Voyez Souvenirs du feu duc de Broglie, t. III. p. 62.
- ↑ Nous devons communication de cette lettre et des lettres et billets de Chateaubriand à la bienveillance de M. La Caille, ancien juge d’instruction au tribunal civil de la Seine.
- ↑ La Russie en 1839, lettre III.
- ↑ La terre de Fervaques appartenait au duc de Montmorency-Laval et à sa sœur la duchesse de Luynes, Mme de Custine l’acheta, en son nom et au nom de son fils, au prix de 418,761 livres et une rente de 8.691 livres.
- ↑ Ces mots sont soulignés dans l’original.
- ↑ Le cardinal Fesch.
- ↑ Voyez cette lettre publiée par M. de Raynal, les Correspondans de Joubert.
- ↑ Voyez la Revue du 15 novembre 1883.
- ↑ Voyez Sainte-Beuve, Chateaubriand et son groupe littéraire, t. II.
- ↑ Les lettres de Chateaubriand à Chênedollé ont été publiées par Sainte-Beuve.
- ↑ Cette lettre a été retrouvée dans les papiers de Chênedollé par Sainte-Beuve. Il a également public dans un appendice les lettres de Mme de Custine à l’auteur du Génie de l’homme.
- ↑ Voyez lettre à Guéneau de Mussy, janvier 1804.
- ↑ Maison de campagne de la belle-sœur de Mme de Custine.
- ↑ Voyez Correspondance de Mme de Swetchine, t. I, p. 124.
- ↑ Voyez l’étude de Sainte-Beuve sur Chênedollé dans la Revue du 1er et du 15 Juin 1849.
- ↑ Voyez la Russie en 1839, par A. de Custine, l. II, let. III.
- ↑ Voyez lettre à Mme Joubert (29 juillet 1806), et à Joubert (14 août).
- ↑ Ces lettres et billets de Chateaubriand font partie des précieux documens qu’a bien voulu nous communiquer M. La Caille.
- ↑ Annales littéraires de Dussault ; Hoffmann, Œuvres complètes, t. XVI.
- ↑ Mémoires de Mme de Chateaubriand.
- ↑ Mémoires d’outre-tombe.
- ↑ La Russie en 1839, A. de Custine, lettre III.
- ↑ Mémoires de Mme de Chateaubriand.
- ↑ Souvenirs du feu duc de Broglie et Mémoires d’outre-tombe.
- ↑ Correspondance de Mme de Rémusat, t. I, lettre d’août 1814.
- ↑ Voir Mémoires de Vitrolles t. II.
- ↑ Suresnes était la maison de campagne de la princesse de Vaudemont, amie de Mme de Custine et de Fouché.