Calmann Lévy (p. 209-210).
◄  XL
XLII  ►

XLI


3 septembre.

Chrysanthème est venue aujourd’hui pour la première fois me voir à bord, chaperonnée par madame Prune et suivie de ma plus jeune belle-sœur, mademoiselle La Neige. Ces dames avaient l’air très posé, très comme il faut.

Dans ma chambre, il y a un grand Bouddha sur son trône, et devant lui un plateau de laque où mon matelot fidèle rassemble les menues pièces d’argent qu’il trouve errantes dans mes habits. Madame Prune, qui a l’esprit tourné au mysticisme, s’est crue là devant un autel véritable ; le plus gravement du monde, elle a adressé au dieu une courte prière ; puis, tirant son porte-monnaie (qui était, suivant l’usage, derrière son dos, attaché à sa ceinture bouffante avec sa blague et sa petite pipe), elle a déposé dans le plateau une pieuse offrande, en faisant la révérence.

Maintien très digne durant toute la visite. Mais au moment du départ, Chrysanthème, qui ne voulait pas s’en aller sans avoir vu Yves, l’a demandé avec une persistance déguisée très particulière. Et Yves, que j’ai fait venir, s’est montré bien doux pour elle, — tellement que j’en ai conçu cette fois un peu de sérieux ennui ; je me suis demandé si ce dénouement assez pitoyable, vaguement redouté jusqu’ici, n’allait pas bientôt se produire…