Calmann Lévy (p. 190-192).
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XXXVII


D’abord c’était la guitare de Chrysanthème que j’écoutais volontiers ; à présent, c’est son chant que je commence à aimer aussi.

Rien de la manière théâtrale ni de la grosse voix contrefaite des virtuoses ; au contraire, ses notes, toujours très hautes, sont douces, frêles et plaintives.

Souvent elle enseigne à Oyouki quelque lente et vague romance qu’elle a composée ou qui lui revient en tête. Alors elles m’étonnent toutes deux, cherchant sur leurs guitares accordées des accompagnements en parties et se reprenant chaque fois qu’un son n’est pas rigoureusement juste à leur oreille, sans s’embrouiller jamais dans ces harmonies dissonantes, étranges, toujours tristes.

Moi, le plus souvent, tandis que se fait leur musique, j’écris, sous la véranda, devant le panorama superbe. J’écris par terre, assis sur une natte et m’appuyant sur un petit pupitre japonais orné de sauterelles en relief ; mon encre est chinoise ; mon encrier, pareil à celui de mon propriétaire, est en jade, avec des crapauds mignons et des crapoussins sculptés sur le rebord. Et j’écris mes mémoires, en somme, — tout à fait comme en bas M. Sucre !… Par moments je me figure que je lui ressemble, et cela m’est bien désagréable…

Mes mémoires… qui ne se composent que de détails saugrenus ; de minutieuses notations de couleurs, de formes, de senteurs, de bruits.

Il est vrai, tout un imbroglio de roman semble poindre à mon horizon monotone ; toute une intrigue parait vouloir se nouer au milieu de ce petit monde de mousmés et de cigales : Chrysanthème amoureuse d’Yves ; Yves de Chrysanthème ; Oyouki, de moi ; moi, de personne… Il y aurait même là matière à un gros drame fratricide, si nous étions dans un autre pays que celui-ci ; mais nous sommes au Japon et, vu l’influence de ce milieu qui atténue, rapetisse, drolatise, il n’en résultera rien du tout.