Calmann Lévy (p. 146-148).
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XXXI


23 août.

Le séjour de la Triomphante dans le bassin, l’éloignement où nous sommes de la ville, me servent de prétexte depuis deux ou trois jours pour ne plus aller à Diou-djen-dji voir Chrysanthème.

On s’ennuie pourtant beaucoup, dans ce bassin. Dès l’aube, une légion de petits ouvriers japonais nous envahissent, apportant leur dîner dans des paniers et des gourdes, comme les ouvriers de nos arsenaux français ; mais ayant quelque chose de besogneux et de minable, de fureteur et d’empressé qui fait songer à des rats. Ils se faufilent d’abord sans bruit, s’insinuent, et bientôt on en trouve partout, sous la quille, à fond de cale, dans les trous, qui scient, tapotent, réparent.

Il fait une chaleur intense, dans ce lieu surplombé par des rochers et des fouillis de verdure.

Au grand soleil de deux heures, c’est une invasion plus étrange et plus jolie qui nous arrive : celle des scarabées et des papillons.

Des papillons extravagants, comme sur les éventails. Il y en a de tous noirs, qui se jettent contre nous par étourderie, si légers qu’on dirait de grandes ailes tremblotantes, attachées ensemble, sans corps.

Yves les regarde, étonné :

— Oh ! dit-il en prenant son air enfant, j’en ai vu un si grand tout à l’heure, un si grand… qu’il m’a épouvanté ; j’ai cru que c’était… une chauvesouris qui avait affaire à moi.

Un timonier, qui en a attrapé un très singulier, l’emporte, précieusement, pour le mettre à sécher dans son livre de signaux, comme on fait pour les fleurs.

Un autre matelot qui passe, portant son maigre rôti au four dans une gamelle, le regarde d’un œil drôle :

— Tu ferais pas mal de me le donner, tiens… Je le ferais cuire !