Calmann Lévy (p. 106-107).
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En continuant de suivre le chemin qui monte et passe devant chez nous, on trouve une dizaine de vieilles maisonnettes encore, quelques murs de jardins, — puis, plus rien que la montagne solitaire, les petits sentiers qui s’en vont vers les cimes à travers les plantations de thé, les buissons de camélias, les broussailles et les roches. Et ces montagnes tout autour de Nagasaki sont pleines de cimetières ; depuis des siècles et des siècles, on monte là des morts.

Mais ces sépultures japonaises n’ont pas de tristesse, pas d’horreur ; il semble que, chez ce peuple enfantin et léger, la mort même ne se prenne pas sérieusement. Les tombes sont des Bouddhas de granit, assis dans des lotus, ou des bornes funéraires avec des inscriptions d’or ; elles se tiennent groupées dans de petits enclos au milieu des bois, ou sur des terrasses naturelles agréablement situées ; on y arrive généralement par de longs escaliers de pierre tapissés de mousse, en passant de temps en temps sous quelqu’un de ces portiques sacrés dont la forme, toujours la même, est rude et simple, et qui sont une réduction de ceux des temples.

Au-dessus de chez nous, les tombes de la montagne sont si antiques qu’elles n’effraient pas, même la nuit. C’est une région de cimetières abandonnés. Les morts qu’on avait cachés là-dessous se sont fondus dans la terre. Ces milliers de petites bornes grises, ces multitudes de vieux petits bouddhas rongés par le lichen, semblent ne plus être que l’attestation de séries d’existences antérieures aux nôtres et tout à fait perdues dans le recul mystérieux des temps.