Calmann Lévy (p. 62-64).
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VIII


Quand vient la nuit, nous allumons deux lampes suspendues, d’une forme religieuse, qui brûlent jusqu’au matin devant notre idole dorée.

Nous dormons par terre, sur un mince matelas de coton que l’on déploie et que l’on étend chaque soir par-dessus nos nattes blanches. L’oreiller de Chrysanthème est un petit chevalet d’acajou emboîtant bien la nuque, de façon à ne pas déranger la volumineuse coiffure qui ne doit jamais être défaite, les jolis cheveux noirs que je ne verrai sans doute jamais dénoués. Le mien, de mode chinoise, est une sorte de petit tambour carré que recouvre une peau de serpent.

Nous dormons sous un vélum de gaze d’un bleu vert très sombre, d’une couleur de nuit, tendu sur des rubans d’un jaune orange. (Ce sont des nuances consacrées, et tous les ménages comme il faut, à Nagasaki, ont un vélum pareil.) Il nous enveloppe comme une tente ; les moustiques et les phalènes viennent danser autour.

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Tout cela est presque joli à dire ; écrit, tout cela fait presque bien. — En réalité, pourtant, non ; il y manque je ne sais quoi, et c’est assez pitoyable.

Dans d’autres pays de la terre, en Océanie dans l’île délicieuse, à Stamboul dans les vieux quartiers morts, il me semblait que les mots ne disaient jamais autant que j’aurais voulu dire, je me débattais contre mon impuissance à rendre dans une langue humaine le charme pénétrant des choses.

Ici, au contraire, les mots, justes cependant, sont trop grands, trop vibrants toujours ; les mots embellissent. Je me fais l’effet de jouer pour moi-même quelque comédie bien piètre, bien banale, et, quand j’essaie de prendre au sérieux mon ménage, je vois se dresser en dérision devant moi la figure de M. Kangourou, agent matrimonial, à qui je dois mon bonheur.