Calmann Lévy (p. 59-61).
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VII


Cette petite Chrysanthème… comme silhouette, tout le monde a vu cela partout. Quiconque a regardé une de ces peintures sur porcelaine ou sur soie, qui encombrent nos bazars à présent, sait par cœur cette jolie coiffure apprêtée, cette taille toujours penchée en avant pour esquisser quelque nouvelle révérence gracieuse, cette ceinture nouée derrière en un pouf énorme, ces manches larges et retombantes, cette robe collant un peu au bas des jambes avec petite traîne en biais formant queue de lézard.

Mais sa figure, non, tout le monde ne l’a pas vue ; c’est quelque chose d’assez à part.

D’ailleurs, ce type de femme que les Japonais peinent de préférence sur leurs potiches est presque exceptionnel dans leur pays. On ne trouve guère que dans la classe noble ces personnes à grand visage pâle peint en rose tendre, ayant un long cou bête et un air de cigogne. Ce type distingué (qu’avait mademoiselle Jasmin, je le reconnais) est rare, surtout à Nagasaki.

Dans la bourgeoisie et dans le peuple, on est d’une laideur plus gaie, qui va jusqu’à la gentillesse souvent. Toujours les mêmes yeux trop petits, pouvant à peine s’ouvrir, mais des figures plus rondes, plus brunes, plus vives ; chez les femmes, un certain vague dans les traits, quelque chose de l’enfance qui persiste jusqu’à la fin de la vie.

Et si rieuses, si joyeuses, toutes ces petites poupées nipponnes ! — D’une joie un peu voulue, il est vrai, un peu étudiée et sonnant faux quelquefois ; mais tout de même on s’y laisse prendre.

Chrysanthème est à part, parce qu’elle est triste. Qu’est-ce qui peut bien se passer dans cette petite tête ? Ce que je sais de son langage m’est encore insuffisant pour le découvrir. D’ailleurs, il y a cent à parier qu’il ne s’y passe rien du tout. — Et quand même, cela me serait si égal !…

Je l’ai prise pour me distraire, et j’aimerais mieux lui voir une de ces insignifiantes petites figures sans souci comme en ont les autres.