Ma vie (Cardan)/Chapitre II

Traduction par Jean Dayre.
Texte établi par Jean DayreHonoré Champion (p. 4-5).

II

MA NAISSANCE

(7) Après qu’on eut essayé inutilement, à ce que j’ai entendu dire, des médicaments abortifs, je naquis le 24 septembre 1501[1], vers la fin de la première heure de la nuit, un peu après la demie, mais avant les deux tiers de l’heure. Les principales situations de la figure étaient telles que je les ai décrites dans le huitième horoscope, à la suite de mon commentaire du quadripartite de Ptolémée[2]. J’ai donc considéré que les deux luminaires tombaient sous les angles, et aussi aucun d’eux ne regardait l’ascendant, car ils étaient dans les sixième et douzième maisons et pouvaient sous cette condition être aussi dans la huitième. Celle-ci, en effet, parce qu’elle descend, sans être un angle, on peut dire qu’elle tombe de l’angle, et, bien que les maléfiques ne fussent pas dans les angles, Mars cependant condamnait ces deux luminaires à cause de l’opposition des lieux et de la quadrature avec la Lune ; aussi pouvais-je être monstrueux ; mais comme le lieu de la précédente conjonction fut (8) le vingt-neuvième de la Vierge auquel préside Mercure, qu’il n’est pas le même que le lieu de la Lune ni que celui de l’ascendant, qu’il ne regarde pas l’avant-dernière région de la Vierge, j’aurais dû être monstrueux ; bien mieux, il pouvait se faire que je ne sortisse qu’en morceaux du sein maternel, ce qui manqua de peu. Je naquis donc, ou mieux je fus tiré au jour comme mort, avec des cheveux noirs et frisés, et ranimé par un bain de vin chaud qui aurait pu être funeste à un autre. Ma mère souffrit trois jours entiers en travail. Je survécus pourtant.

Mais je reviens à mon sujet : le Soleil et les deux maléfiques ainsi que Vénus et Mercure étant dans les signes humains, je ne déclinai pas de la forme humaine. Mais, parce que Jupiter était dans l’ascendant et que Vénus dominait toute la figure, je n’eus aucune lésion sauf dans les parties sexuelles : cela fit que, de vingt-et-un à trente-et-un ans, je ne pus avoir commerce avec les femmes ; et je déplorai souvent ma destinée, enviant celle de tout autre. Vénus dominant, comme je l’ai dit, toute la figure et Jupiter étant dans l’ascendant, mon sort fut humble, avec un léger bégaiement et un tempérament entre le frigide et l’harpocratique, (9) comme dit Ptolémée, c’est-à-dire irrésistiblement enclin à présager sans réflexion ; dans cet art, qu’on appelle, d’un mot plus distingué, pressentiment, j’ai fait mes preuves non sans éclat, de même que dans d’autres genres de divination. Et parce que Vénus et Mercure étaient sous les rayons du Soleil, auquel ils abandonnaient toute leur force, je pouvais ainsi devenir quelqu’un, bien qu’avec une genèse (suivant l’expression de Ptolémée) misérable et infortunée, si le Soleil ne s’était pas trouvé tout à fait bas, tombant au sixième lieu, de sa hauteur. Il ne me resta donc qu’une certaine finesse d’esprit et une âme fort peu exempte de passions mais pleine de desseins téméraires et impossibles. En un mot, dépourvu de forces physiques, ayant peu d’amis, une mince fortune, beaucoup d’ennemis dont la plupart me sont inconnus de nom et de visage, sans aucune science humaine, avec une mémoire mal assurée, je n’avais de supériorité que pour la prévoyance. Aussi ne puis-je savoir pourquoi ma condition, qui paraît misérable eu égard à ma famille et à mes ancêtres, est jugée glorieuse et digne d’envie.

Ce même jour naquit autrefois Auguste ; une nouvelle indiction (10) commença pour tout l’empire romain ; Fernand, le magnanime roi d’Espagne, et son épouse Élisabeth[3] envoyèrent pour la première fois la flotte qui leur acquit tout l’Occident.


  1. Le texte donné par Naudé a provoqué de longues discussions sur cette date, bien inutilement puisque Cardan l’avait indiquée ailleurs et à plusieurs reprises avec précision : 1501 die 24 septembris ho. 6 min. 40 a meridie. (V, 468, 517 ; cf. V, 53.)
  2. In Cl. Ptolemaei Pelusiensis IIII de Astrorum indiciis, aut, ut vulgo vocant, quadripartitae constructionis libros commentaria… Practerea… Geniturarum… XII exempla…, Bâle, 1554, in-fol. et plusieurs rééditions.

    (1) Thème astrologique de Cardan d’après le Liber de Exemplis C Geniturarum. (Opera omnia, Lyon, 1668, V, 517).
  3. Isabelle.