Ma tante Geneviève, ou Je l’ai échappé belle/18

Partie 2, chapitre XVIII.




CHAPITRE XVIII.


Suite des aventures de ma tante. Elle
apprend la coiffure, ensuite la cuisine.
Beaux succès de ces deux apprentissages.


La prison de ma tante m’avait fait pleurer. Elle s’en aperçut, et me dit : « Tu es sensible, mon enfant, c’est preuve d’un bon cœur !… Hélas ! si tous ceux qui font du mal aux autres, avaient versé des larmes eux-mêmes dans leur jeunesse au récit des malheurs de leurs semblables, ils n’en auraient pas tant fait répandre après… Mais pour te distraire un peu à présent, nous allons souper ; et comme il faut que tu veilles une partie de la nuit pour avancer ton ouvrage, je te raconterai encore quelque chose ». Nous soupâmes donc d’une petite salade, avec des œufs à la tripe, car, dit ma tante, « puisque nous voyons l’espérance de gagner un peu notre vie, il ne faut pas nous la reprocher, et j’ai mis ce soir deux plats pour un. Vois-tu, ma nièce, il faut savoir se proportionner aux temps. Quand on a de quoi, il ne faut pas être traître à son corps ; de même quand on n’a rien, il ne faut pas être gourmand, mais se passer avec la moindre chose. Buvons donc et mangeons, et Dieu bénira ton travail ».

Nous dîmes notre Benedicite… et malgré nos deux plats, nous ne tardâmes pas à dire aussi nos Grâces. Le couvert ôté, nous reprîmes nos places auprès de la lampe ; moi, ma chaise et un tabouret pour mettre mes pieds et soutenir la robe que je cousais, et ma bonne tante son petit fauteuil de paille, mais ressanglé de tapisserie.

Eh bien ! ma tante, lui dis-je, nous en sommes restées à votre départ de la prison dans le beau carrosse de cette généreuse dame. — Oui, ma nièce, je reprends de là.

Il nous roula grand train, et nous arrivâmes à son hôtel. Elle fit appeler sa première femme de chambre, qui était déjà d’un certain âge, et depuis longtemps attachée à elle.

« Mademoiselle Brigitte, lui dit-elle, pour diminuer la fatigue que vous avez ici, voilà une jeune fille que je veux vous adjoindre pour seconde auprès de moi. Ayez-en soin, mettez-là au fait du service, et sur-tout apprenez-lui à coiffer, car vous commencez à avoir la main un peu lourde ».

Mademoiselle Brigitte, un peu piquée de cette dernière remarque, dit qu’elle obéirait à madame, et m’emmena en me toisant d’un air rechigné ; car dans les petits états comme dans les grands, on a la nuisible habitude de regarder toujours de mauvais œil les subalternes qui arrivent aux maîtres ou aux chefs sans avoir fait des courbettes devant les intermédiaires. Je m’en aperçus bientôt par la conduite de cette première femme de chambre envers moi.

Elle me grondait à tout propos sans sujet, elle trouvait mal ce que je faisais et ce que je ne faisais pas. Si je mangeais, j’étais gourmande ; si je ne mangeais pas, j’étais boudeuse ; si je parlais, j’étais babillarde ; si je ne parlais pas, j’étais sournoise ; si je ne lui demandais pas de conseil, j’étais une présomptueuse qui croyais tout savoir, et si je lui en demandais, j’étais une imbécille qui ne savais rien… enfin il aurait fallu être sorcière pour la contenter, ou seulement pour avoir la paix avec elle.

J’endurais cependant tout avec patience dans l’intention de me rendre digne des bontés de la brave dame qui avait daigné s’intéresser à moi… mais c’était dans les leçons de coiffure que me donnait la demoiselle Brigitte, qu’elle s’efforçait, je crois, de me pousser à bout. Quelquefois elle papillotait une perruque et la frisait devant moi, puis me faisait refaire après elle, et alors, pour ne pas se fatiguer la langue à me reprendre quand je ne faisais pas à son goût, ce qui était presque toujours, elle me tapait de grands coups de peigne et me meurtrissait et me piquait tous les doigts. D’autre fois elle me crêpait moi-même et me retapait devant une glace, et quand je m’endormais de fatigue et d’ennui, elle me réveillait en me tignonnant et me tirant les cheveux à outrance, ou en m’appliquant des soufflets, et me cognant le nez avec son bâton de pommade ; de sorte que toutes les heures de mes leçons étaient autant de momens de douleur et de supplice pour moi.

A force pourtant de bonne volonté et d’application de ma part, tant pour pouvoir me rendre utile à madame, que pour me délivrer de ce cruel apprentissage, je parvins à être jugée digne de faire mon début sur la tête de notre maîtresse, du moins pour la mettre en papillotes, et je fus appelée à sa toilette.

Un petit abbé fringant y était déjà, qui amusait madame et lui lisait des journaux et des pamphlets nouveaux. Il entremêlait cette lecture de réflexions piquantes et de commentaires satiriques dont il riait le premier et madame après, par écho.

Je me mis donc à papilloter les cheveux véritables de ma maîtresse, car la sublime mode de les remplacer par des postiches n’était pas encore en usage, du moins pour celles qui en avaient de naturels. Je m’en tirai passablement, apparemment, car madame, plus complaisante, ou plus facile à contenter que ma revêche institutrice, ne me fit pas la moindre plainte ; elle porta même la bonté jusqu’à me dire que j’avais la main plus légère que sa femme de chambre en titre.

Effectivement, dit l’abbé en me lorgnant, mademoiselle l’a jolie et délicate… et il étalait en même temps les siennes pour faire voir qu’il les avait belles aussi.

Ces complimens me causèrent un petit mouvement de vanité dont je ne tardai pas à être punie… O combien la chute qui nous confond est souvent près d’un succès qui nous enorgueillit !… Cette première partie de ma besogne achevée, il me restait à passer les papillotes. Deux fers chauffaient sur un réchaud. J’en prends un, et je passe habilement et lestement tout le devant de la tête ; je reprends le second fer, et déjà j’avais presque terminé aussi heureusement et aussi adroitement que j’avais commencé ; j’étais à la dernière papillote, et le triomphe allait couronner ma première épreuve… Le maudit abbé faisait dans ce moment une remarque critique sur une comédie nouvelle qu’il avait vu jouer la veille, et en parodiant une actrice, il imitait si burlesquement ses faux gestes, que madame riait beaucoup. Moi qui suivais aussi des yeux tous les mouvemens du conteur, ayant manqué la tête de ma maîtresse, au lieu de rattraper la papillote, je lui saisis l’oreille, que je serrai et brûlai fortement. Cela changea la scène, qui de comique devint tragique. Les hauts cris succédèrent aux éclats de rire ; perdant la tête moi-même, je lâchai le fer, qui tomba justement sur la main potelée de l’abbé et la brûla de même. Celui-ci secoua et rejeta vivement l’instrument brûleur, qui, allant cogner au milieu du miroir de toilette, le brisa en cent pièces… Les deux brûlés se levèrent en me maudissant ; je tombai à genoux pour leur demander pardon, et en me précipitant je renversai avec mes pieds la petite table où était le déjeûner de madame, qui fut perdu, et les porcelaines qui le contenaient, brisées comme le miroir.

Que de dégât pour une papillote manquée !… Ainsi va le monde. On voit souvent, m’a-t-on dit, des empires bouleversés pour des objets aussi peu importans !

Madame, dans sa colore, excitée encore par les exclamations de l’abbé sur les cloches qui défiguraient sa jolie main, déclara qu’elle ne voulait plus me voir, et que j’eusse à sortir de sa présence et à m’en retourner chez ma mère. (Voilà les grands du monde ! un rien vous donne leur faveur, un rien vous la retire et vous vaut leur indignation).

« Hélas ! ma chère maîtresse, lui dis-je, pardonnez-moi cette première faute-là, je ferai mieux une autre fois.

» Non, non, ma bonne, j’ai assez de celle-ci, je ne veux plus vous confier ma tête. Allez, allez retrouver votre mère. Vous êtes meilleure pour être blanchisseuse et manier un fer à repasser le linge, qu’un fer à papillote. Il n’y a pas tant de danger à roussir une chemise qu’à brûler une oreille.

» Eh bien, ma chère dame, repris-je, toujours en embrassant ses genoux, vous avez raison. Coiffeuse de madame, c’est trop noble et trop relevé pour moi ; mais ne me renvoyez pas, je vous en supplie, et employez-moi à tout ce que vous voudrez. Je porterai du bois, de l’eau… j’aurai soin de la basse-cour, je balayerai… pas les appartemens, puisque madame a un frotteur, mais les cours, les escaliers, la cuisine…

» Ah ! la cuisine !… Eh bien, à la bonne heure, me dit-elle en s’adoucissant, (car vraiment elle avait un bon cœur, et si ce n’eût été qu’on tient à ses oreilles, elle ne m’en aurait pas voulu du tout) ; soit, je veux bien vous y essayer. Son aventure de la prison, ajouta-t-elle à l’abbé, qui était toujours plus fâché pour sa main qu’elle pour son oreille, m’intéresse à cette fille, et puisque je l’ai demandée à sa mère, je ne veux pas encore la lui renvoyer… Appelez ma cuisinière ». Car cette femme, raisonnable sur beaucoup d’articles, n’avait ni l’orgueil, ni la duperie de se faire ruiner par un maître-d’hôtel ou par un chef de cuisine.

La cuisinière vint. Madame lui ordonna de me prendre avec elle en aide, et de me montrer l’état de la casserole.

Cette cuisinière était une bonne grosse réjouie, bien plus avenante et plus accommodante que la femme de chambre, et elle me traita beaucoup mieux ; aussi je m’attachai à elle, et je fis dans la cuisine des progrès encore plus rapides que dans le peigne. Pour gagner ses bonnes grâces, dans les momens où je n’étais pas occupée à prendre des leçons aux fourneaux, j’allais promener trois petits enfans qu’elle avait, et que madame lui permettait d’élever dans la maison, où le mari était portier. Ce qui me faisait le double emploi de bonne d’enfans, et d’aide de cuisine ; mais avec un peu de peine et beaucoup de complaisance, je me tirais assez bien des deux offices.

Au bout de quelque temps, un jour que la cuisinière était indisposée, et qu’elle crut pouvoir se reposer sur moi du soin de mener seule sa cuisine, elle resta couchée et me chargea du repas. Fière d’une preuve si honorable de sa confiance et du talent qu’elle me reconnaissait, je me mis hardiment à la besogne, en l’assurant qu’elle pouvait être tranquille. J’apprêtai donc et je servis le dîner.

Il est bien vrai de dire qu’on a des jours malheureux, ou que des malins génies se plaisent quelquefois à nous contrarier !… Moi, qui avais déjà fait plusieurs excellens ragoûts, et régalé les domestiques de la maison, qui avaient toujours applaudi à mes differens essais… je me blousai dans cette occasion, la plus importante pour mon honneur ! Je ne sais comment tout s’arrangea, mais tout alla de travers, et l’on ne put rien manger de ce que j’avais servi.

La cuisinière appelée et bien grondée, s’excusa sur moi, et me fit venir pour avouer que j’avais tout apprêté. Ce qui me fit le plus mauvais jeu encore, c’est que l’abbé que j’avais brûlé avec le fer à papillote, était aussi à ce dîner-là. Il ne me pardonna pas plus le tour perfide que j’avais joué, disait-il, à son estomac friand, que le mal que j’avais fait à sa main délicate ; et ses premiers mots furent que je l’avais fait exprès.

« Comment, me dit madame, vous êtes donc aussi habile en cuisine qu’en coiffure ? Votre soupe est si âcre de sel, qu’on n’y peut pas toucher. Elle prend à la gorge, dit l’abbé, mais en revanche cette compote de pigeons est d’un fade à dégoûter.

» Ma chère dame ! c’est une distraction de ma part, et tout le monde peut en avoir, même monsieur l’abbé… J’avais, comme de raison, salé mon pot une première fois, et en voulant mettre du sel dans la compote, par erreur je l’ai mis dans la marmite, au lieu de le jeter dans la casserole. Ça fait que l’un a de trop ce que l’autre n’a pas assez, mais j’en ai bien mis pour tous les deux.

» Mais, ma fille, reprit la dame, ce n’est pas là une excuse, ce n’est au contraire qu’une double preuve de votre étourderie.

» Et votre rôti, dit encore l’abbé, qui est tout brûlé d’un côté, et qui n’est pas cuit de l’autre ?…

» Oh ! ça, monsieur l’abbé, ça se peut bien. Mais c’est que pendant que j’étais à lire un joli livre de calembourgs, que vous avez laissé l’autre jour ici, le poids du tourne-broche avait tombé, et la broche ne pouvait plus tourner. Eh, ma fille, reprit-il avec colère, il fallait la tourner vous-même, plutôt que de vous amuser à lire… Et votre fricassée de poulets, dont le diable ne tâterait pas, car la sauce est tournée et fait mal au cœur, est-ce encore un des fruits de votre lecture ?

» Oh ! ça n’est pas de ma faute, ça, par exemple ; c’est que l’œuf avec quoi j’ai fait la liaison, s’est trouvé gâté et couvé… Miséricorde ! miséricorde ! s’écria l’abbé, en se levant de table et faisant des simagrées pour vomir, cette fille-là, madame, est capable de nous empoisonner tous. Je crains même qu’il n’y ait du vert-de-gris dans ses casseroles…

» O ciel ! vous m’effrayez, dit la dame en se levant de même, et me regardant avec indignation… vous êtes une imbécille, une ahurie… une fille dangereuse, à qui on ne peut rien confier… bref, vous n’êtes bonne à rien qu’à retourner dans votre campagne pour y conduire des vaches ou des moutons. Je vais faire écrire à votre mère, qu’elle vienne vous rechercher bien vîte et vous remmener ».

Le méchant et rancuneux abbé rappela encore une remoulade où, par distraction toujours, j’avais mis trop de moutarde. Ça lui causait des picotemens, le faisait tousser, et ça l’empêcherait de chanter le soir des couplets nouveaux de sa composition, à un souper délicieux où il était invité… Enfin, tout le monde m’accusant, et personne ne me défendant, je fus condamnée tout d’une voix et dégradée de toutes mes fonctions.

« Par humanité, me dit la maîtresse, je consens à ce que vous restiez dans mon hôtel jusqu’à ce que votre mère soit arrivée ; mais que je ne vous voie plus, et sur-tout ne vous mêlez de rien ici ».

Me voilà donc doublement cassée aux gages, et comme coiffeuse, et comme cuisinière. Je me retirai en pleurant, sans trop savoir ce que j’allais devenir dans cet hôtel, où tous les domestiques me regardaient avec d’autant plus de mépris alors, que j’étais déchue, qu’ils avaient eu d’autant plus de jalousie contre moi dans les premiers momens où madame paraissait m’honorer de sa faveur. (Encore une leçon générale dont on peut tirer parti. C’est qu’en tout temps la conduite des inférieurs envers vous, est un thermomètre qui varie suivant le plus ou le moins d’égards que les supérieurs vous témoignent).

La cuisinière cependant me dit que je trouverais toujours mon dîner et mon souper à l’office, mais à condition que je continuerais à promener ses enfans ; ce qui me devint d’autant plus insipide, que n’ayant plus rien à faire à la cuisine, elle exigeait que je les eusse toute la journée sur les bras… et elle en avait trois !… et ils étaient méchans et mal-propres !… Ah ! la vilaine occupation, et que je rechignai de fois pendant trois jours que j’en fus chargée !…

L’après-midi de la troisième journée de ce déchet de mes premiers emplois, je promenais ces trois marmots, ou pour mieux dire, je les portais et les traînais dans la place royale, aux environs de laquelle était l’hôtel de ma madame, et je murmurais de tout mon cœur, et tout haut, contre ma destinée et contre ces enfans qui criaient, contrariaient, et me tourmentaient sans cesse, et dont un, que j’avais sur moi, venait de gâter mon jupon…, lorsque je fus accostée par une dame d’un certain âge, et fort bien mise, qui vint s’asseoir sur le banc où j’étais déjà seule avec ces trois petits êtres insupportables.

« C’est un état bien pénible et bien ennuyeux pour une jeune demoiselle, me dit-elle avec douceur, que de soigner les enfans ! Oh ! oui. madame, répondis-je tout de suite, et bien mal-propre, encore ! — Il est vrai. Cela périt toutes vos hardes, et c’est encore un surcroît de fatigue pour vous de les laver !… Sont-ce vos petits frères et sœurs ? — Oh, mon dieu non, madame ! ils ne me sont rien du tout. Ce sont les enfans d’une cuisinière d’une maison d’où je vais sortir. — Ah ! je vous le conseille bien. Vous n’êtes pas faite pour vous borner à une condition si désagréable, et si vous voulez, je vous en procurerai une bien plus douce. Au lieu de promener, et de porter, et de bercer, et de nettoyer ainsi des enfans, vous vous promènerez vous-même toute seule avec moi, et mieux mise que vous n’êtes là !… Vous êtes servante, à ce qu’il paraît, et chez moi vous seriez demoiselle de compagnie.

» Ah ! ciel, ma chère dame, je ne suis pas assez heureuse pour qu’un bonheur comme celui-là m’arrive !… — Pourquoi donc pas ? Il ne faut jamais se défier de son étoile, le bonheur vient quelquefois au moment qu’on y pense le moins, et il ne tiens qu’à vous que ce moment soit le vôtre. Demeurez-vous loin ? — Non, madame. Voilà l’hôtel de ma maîtresse au bout de cette place. — Eh bien, puisque vous dites que vous voulez en sortir, reportez-y vîte ces enfans ; faites-vous faire votre compte, et revenez me trouver à ce même endroit. Votre figure me revient, je m’intéresse à vous, et sans autre recommandation, je vous emmènerai et je vous rendrai heureuse ».

J’eus peine à revenir de l’extase où me jeta une offre si flatteuse ; et sans la vue de tout le monde qui se promenait sous les arbres qui bordaient la place, je me serais jetée aux pieds de cette bienfaisante dame pour la remercier.

J’étais désolée avant, en pensant à l’humeur que ma mère aurait contre moi, pour m’être fait renvoyer par ma première protectrice, et je pensais alors avec ravissement combien elle serait flattée, en me voyant en même temps rentrée dans une bien meilleure condition. J’acceptai donc avec empressement la proposition de ma nouvelle bienfaitrice, et remenai les enfans, en l’assurant que j’allais la rejoindre au plutôt. En effet, je n’avais aucun compte à régler à l’hôtel, n’ayant fait aucun arrangement avec la maîtresse. Je ne parlai donc qu’à la cuisinière, à qui je dis d’un air assez fier (parce qu’elle me demandait elle-même d’un ton de supériorité et de reproche, pourquoi je m’avisais de ramener ses enfans une heure plutôt qu’elle ne m’avait dit), que je me trouvais fatiguée de les porter et de les essuyer ; qu’elle ne me donnait pas de gages pour cela ; que dorénavant elle pouvait faire cette besogne-là elle-même, ou chercher d’autre promeneuse que moi… et enfin, qu’il y avait d’autre hôtel dans Paris que celui de sa maîtresse, et que puisque madame ne voulait plus m’y garder, j’en savais où l’on me trouverait bonne à quelque chose, et où je ne serais pas réduite à porter les enfans d’une cuisinière ».

Cette réplique cavalière la mit dans une colère furieuse… Je la laissai pester après moi, et je m’en fus retrouver la bonne dame qui m’attendait sur le même banc où je l’avais quittée. Nous partîmes ensemble ; elle prit un fiacre au bout de la place, et nous arrivâmes chez elle.

Mais, ma nièce, notre lampe va finir, ta robe avance, et tu l’achèveras demain pendant que je te continuerai mon histoire. Couchons-nous.

Nous nous couchâmes donc, et bonne nuit au lecteur.