Ma tante Geneviève, ou Je l’ai échappé belle/07

Partie 1, chapitre VII.




CHAPITRE VII.


Suite de l’affaire du lavement.


D’après la reconnaissance du saint uniforme, le curé s’était cru obligé de reconduire le prieur à son couvent, et sa petite escorte s’était grossie en chemin de tous ceux que la dévotion, la curiosité et l’extraordinaire du cas avaient amenés sur son passage et entraînés à sa suite…… et vraiment il y avait du miraculeux dans cette affaire, même pour ceux qui, n’étant pas instruits du voyage aérien que ce corps avait déjà fait, n’en considéraient que l’énorme volume. Effectivement, pour en avoir une idée, vu l’extension que la force de l’air inflammable avait donnée à toutes ses parties, on doit au moins se figurer le colosse du ci-devant saint Christophe à Notre-Dame, la métropole de Paris.

Aussi chacun, émerveillé du coup d’œil, ne voyait cela que comme un véritable prodige. Les hommes admiraient en masse ; les femmes, plus curieuses, entrant dans les détails et s’extasiant sur de certaines proportions (car malgré la modestie, les vêtemens n’ayant pas subi la même augmentation, ne pouvaient plus se refermer), s’écriaient : « Ah ! c’est miraculeux » ! Jusqu’à une vieille bonne femme qui, arrêtée pour voir passer le cortége, faisait faire des remarques à sa voisine, en lui répétant : « Voyez donc, mais voyez donc, ma commère, voilà pourtant la preuve que c’est bien vrai ce qu’on nous a dit des Carmes » ! Et cette observation, qui ne tomba pas à terre, comme l’on dit communément, servit encore par la suite à propager la réputation des pères de cet ordre.

Le gigantesque prieur était enfin arrivé dans le couvent, et le peuple s’était écoulé petit à petit ; mais des flots de curieux arrivant de nouveau, remplaçaient à mesure les partans. Le révérend, déposé sur un fauteuil, cédait encore momentanément aux impulsions du reste de l’air inflammable qui, malgré l’évaporation, garnissait encore son intérieur, et se serait enlevé derechef ; car deux moines des plus robustes ayant essayé de le contenir, furent soulevés avec lui à quelques pieds ; deux autres qui se pendirent après les jambes de ces premiers, perdaient encore terre, et l’on risquait de voir une enfilade de carmes s’envoler ainsi, accrochés les uns aux autres, si l’on ne s’était enfin avisé, en les redescendant, d’attacher le fauteuil du prieur et lui dessus, avec de fortes cordes, après deux colonnes de pierre qui décoraient sa chambre.

La connaissance ne lui revenait toujours pas, et ce qui avait paru d’abord pouvoir se faire supposer comme un miracle, risquait de finir par être scandaleux. Les plus prudens des moines, voyant le besoin d’assoupir dès l’origine cette histoire équivoque sauf à en tirer parti par la suite, opinèrent donc à commander à ma tante d’aller chercher l’apothicaire chez qui elle avait pris les lavemens…

Il vint au couvent, avoua la cause de l’accident, donna des secours au prieur ballonné, vint à bout de réduire son corps à son état naturel et à la santé, et il ne resta plus du prétendu miracle, l’enflure du moine détruite, que l’enflure de l’imagination du peuple, qui contribua encore quelque temps à enfler aussi les revenant-bons du couvent.

Le secret fut recommandé à l’apothicaire et à ma tante, sous peine de poursuite judiciaire, voire même d’excommunication et de damnation éternelle. Le couvent se referma, le peuple se retira, le pharmacien regagna son laboratoire, et ma tante son grenier ; lui, en promettant de renoncer à la physique, puisqu’elle faisait envoler les prieurs de couvent ; et elle, en jurant de ne plus seringuer d’ecclésiastiques ou de moines, puisqu’on y risquait sa liberté dans ce monde et son salut dans l’autre.