Ma Méthode/Critique sur la démonstration actuelle de la leçon

Maison Quantin (p. 11-73).

MA MÉTHODE


I

Critique sur la démonstration actuelle de la leçon.


Depuis la création de l’école de Joinville-le-Pont, où l’on fabrique des maîtres d’armes en moins de temps qu’il n’en fallait il y a trente ans pour former un prévôt, on ne voit plus guère que des professeurs sans jugement, sans expérience, sachant à peine démontrer, n’ayant pas de pratique et, en général, peu de bons principes, attendu qu’ils ont eu affaire à des instructeurs qui, n’en ayant pas reçu eux-mêmes, n’ont pas pu leur en donner. Car le nombre des bons professeurs dans cette école est vraiment trop restreint, pour qu’ils puissent s’occuper de tous les élèves. Ces derniers sont donc obligés de se donner la leçon entre eux et de se former mutuellement ; et cette leçon n’étant pas pratique, attendu que les mouvements comme attaques et comme parades et ripostes sont trop compliqués ; et qu’en outre, la série de ces mouvements est mal suivie, il s’ensuit que cette trop grande complication fatigue leur intelligence en même temps que leurs membres, en les obligeant à rester en garde un temps infini durant l’énumération des mouvements à exécuter, et qu’ils arrivent à ne rien connaître de sérieux comme démonstration et comme tir. Quelques-uns, doués d’excellentes dispositions naturelles, parviennent, à force de travail et de persévérance, à un bon résultat ; mais c’est le petit nombre. Aujourd’hui, l’on veut courir avant de savoir marcher ; en quatre ou cinq ans l’on vous fait un maître d’armes, alors que dans le temps il fallait au moins dix ans ; et encore en travaillant beaucoup, pour parvenir à ce résultat, et qu’au lieu d’être démontré par des tireurs de fantaisie, on suivait les leçons de professeurs ayant de quinze à vingt ans de sallè, faisant des armes et démontrant d’une manière irréprochable.

Aussi, qu’arrive-t-il ? C’est que l’on délivre des brevets comme on distribuerait des prospectus, et cela à des gens qui n’ont jamais su former un prévôt. On ne les donnait pas à si bon compte il y a trente ans, car il fallait avoir fait ses preuves. On travaillait alors d’une façon classique et brillante ; on était toujours correct dans la tenue et dans la position de la garde ; élégant sur la planche ; et on ne cherchait pas, comme aujourd’hui, à dévier des bons principes pour éviter « un coup de bouton ». On partait de pied ferme et à fond, on revenait en garde en parant ; jamais il ne serait venu à l’idée d’un tireur sérieux de rester fendu après l’attaque ; on parait et ripostait sur place en suivant les feintes de son adversaire ; on n’aurait pas allongé le bras sur une attaque portée ; mouvement excessivement dangereux dont je parlerai plus loin, car, si l’on remarquait un coup double dans un assaut, tout le monde haussait les épaules et on passait pour ne rien savoir. On cherchait, au contraire, à parer toutes les attaques de son adversaire ; car, à cette époque, il n’y avait aucun avantage à vouloir arrêter, à moins d’arrêter avec opposition, vu que la ligne était toujours observée et que l’on croisait toujours le fer étant en garde.

En un mot, l’on cherchait à bien faire ; on ne connaissait pas cette fierté ridicule, cet orgueil démesuré, qui font qu’aujourd’hui un fort se croirait humilié de croiser le fer avec un faible ; l’on faisait des armes loyalement et en bons camarades. Celui des deux adversaires qui était le plus fort se faisait un devoir de reprendre le plus faible qui l’écoutait avec déférence et attention et mettait de suite en pratique les bons conseils qu’il venait de recevoir. Et c’est ainsi, que l’on faisait des tireurs solides et brillants. Aujourd’hui, que professeurs et amateurs se croient tous plus forts les uns que les autres, les choses se passent différemment.

Aussi, le résultat est loin d’être le même ; et, pour s’en convaincre, il suffit de prendre les anciens professeurs du temps dont je parle et de les faire tirer avec les nouveaux ; l’on sera fixé immédiatement. Au lieu de chercher à parer, vous verrez tous ces escrimeurs de la nouvelle école essayer d’éviter le coup de bouton en se tournant, en se couchant, en se sauvant sur l’attaque, enfin par tous les moyens possibles ; ils se soucient fort peu de faire des armes par principes. Ils n’ont qu’une ambition, qu’un but, c’est de toucher leur adversaire, que ce soit en ferraillant ou autrement, cela ne fait rien ; pourvu qu’ils touchent c’est suffisant, et en suivant cette jolie méthode, l’on en arrive, dans les assauts publics, à des discussions ineptes, qui n’ont d’autres résultats que de scandaliser la galerie et d’attirer aux tireurs la réputation de mauvais joueurs.

Du reste, le jeu actuel n’est plus guère qu’un jeu de surprise. Vous dites à votre élève dans la leçon, lorsqu’il est en garde : « Engagez l’épée », et vous, professeur, vous ne l’engagez pas quand vous faites assaut ; vous lui dites encore, quand vous voulez lui faire porter une attaque : « Allongez le bras », et vous partez le bras à demi tendu ; vous lui commandez de développer et vous n’attaquez jamais de 16 pied ferme et à fond ; vous n’attaquez qu’en courant et sans engagement avant le départ ; comment voulez-vous faire des armes dans de pareilles conditions ? C’est complètement impossible, n’est-ce pas ? Si vous n’engagez pas le fer, vous ignorez si votre adversaire parera votre attaque, ou s’il vous arrêtera, vu que vous ne vous rendez pas maître de son fer au départ, et que vous faites l’éventail avec la pointe de votre épée en dehors de la ligne ; bien souvent encore, vous ne vous couvrez pas, aussi qu’arrive-t-il ? C’est que vous faites coup double chaque fois que vous attaquez. En inculquant de pareils principes à vos élèves, vous en faites de véritables nullités. Ils se figurent savoir quelque chose et ils ne connaissent rien, et cette confiance qu’ils ont en une force qu’ils ne possèdent pas fait que, s’ils ont plus tard une affaire d’honneur à régler, ils se trouvent blessés ou tués par des gens qui n’ont jamais mis une épée à la main, attendu qu’ils partent aussi bien sur la pointe qu’à côté et qu’ils s’enferrent euxmêmes ; car j’ai toujours remarqué, dans les nombreux duels que j’ai dirigés, que celui qui ne savait rien faire allongeait le bras instinctivement, car, ne sachant ni attaquer ni parer, il faisait ainsi le mouvement le plus naturel.

Ne compliquez donc pas la leçon ; car vous fatiguez ainsi l’intelligence de votre élève, et vous le dégoûtez bientôt de l’escrime. Enseignez-lui plutôt des mouvements simples qu’il saisisse facilement, et qu’il puisse faire avec tous les tireurs, et, de votre côté, travaillez d’arrache-pied de façon à vous perfectionner dans cet art si difficile. L’escrime ne s’improvise pas ; on ne devient pas fort du jour au lendemain ; on apprend tous les jours quelque chose ; c’est malheureusement cette vérité qui pourrait à bon droit passer pour un axiome que beaucoup de professeurs ne veulent pas admettre. Dès qu’ils ont leur brevet de maître, ils se croient des phénix et ne veulent plus travailler, ni chez eux, ni en public, car ils ont peur de perdre une réputation qui, comme l’épée de Damoclès, ne tient qu’à un fil, et qui est plutôt due à un heureux hasard qu’à une connaissance approfondie de leur métier. Et c’est ainsi que la plupart des escrimeurs d’aujourd’hui, dressés par de tels maîtres, font des assauts sans jugement, sans vitesse, remplis de coups doubles qui, selon eux, ne comptent pas.

Demandez-leur donc s’ils étaient sur le terrain avec de bonnes épées bien pointues s’il serait nul, le coup ? Je serais curieux de connaître leur réponse. Et voilà les mouvements passés à la mode ! Eh bien, mon avis est que, dans la leçon actuelle, on s’écarte trop des véritables principes de l’escrime, et que l’on doit quitter au plus tôt cette mauvaise voie sous peine de ne plus avoir dans quelques années que des ferrailleurs pour qui l’escrime sérieuse sera certainement lettre morte.


De la manière dont on tient un fleuret.


Pour bien tenir soit un fleuret, soit une épée ou un sabre, on doit le tenir à pleine main. C’est ce qu’un grand nombre de tireurs ne font pas ; car n’ayant pas de confiance dans leur attaque, ils font glisser au moment du départ la poignée de leur arme jusqu’à l’extrémité des doigts pour gagner de la distance. Ces tireurs ne se rendent certainement pas compte du danger auquel ils s’exposent en faisant ce mouvement ; car, s’ils ont affaire à un adversaire de jugement, ils risquent fort de se faire désarmer au départ chaque fois qu’ils porteront une attaque et de recevoir la riposte en pleine poitrine. Beaucoup de ces gens-là, s’ils se trouvent désarmés et s’ils sont touchés à la riposte, vous feront observer que vous n’aviez pas le droit de riposter, puisqu’ils ne tiraient plus leur arme.

Ce raisonnement est d’une naïveté vraiment plaisante. Supposez, en effet, qu’un tireur de cette sorte ne soit pas désarmé et qu’il touche son adversaire, comme c’est son but, attendu qu’il essaye de le surprendre par la distance qu’il gagne sans déplacer le corps ; le coup serait bon, n’est-ce pas ? Eh bien, la riposte est également bonne et loyale ; car chaque fois qu’après une parade, l’homme se trouve désarmé en faisant de fausses attaques ou en tenant mal son arme, et qu’il n’y a pas de temps d’arrêt entre la parade et la riposte, le coup est loyal et dans toutes les règles, vu que la riposte est donnée, quand la parade est bien faite, avant que le pied de celui qui attaque soit posé à terre. Le désarmement est donc impossible à prévoir.

Vous en trouvez aussi qui, manquant de vitesse, sont presque certains, en vous portant une attaque, de ne pas vous toucher et qui, pour éviter la riposte, se laissent désarmer et vous disent ensuite que vous ne deviez pas riposter.

Ce sont des farceurs qui voudraient endormir leur monde sans chloroforme, mais qui, heureusement, n’y réussissent pas toujours. La riposte est bonne comme je l’ai dit, à condition qu’elle suive immédiatement la parade ; dans le cas contraire et s’il y a un temps d’arrêt marqué entre ces deux mouvements, il est évident que c’est alors un coup déloyal, indigne d’un honnête homme. On s’expose donc en tenant mal son arme aux plus grands des malheurs. Il est impossible aussi, en ayant l’arme au bout des doigts, de parer par contres rapidement, on ne peut donc parer que par opposition. Si l’on ne rencontre pas le fer de son adversaire, on se trouve infailliblement en dehors de la ligne, et l’on a ainsi le corps complètement à découvert. Si l’élève est d’aplomb et bien en garde, il n’a pas besoin de faire glisser son arme pour gagner de la distance ; s’il est placé trop loin pour atteindre son adversaire, il marche à petits pas, tout en se tenant prêt à parer s’il venait à être attaqué à sa marche, et prêt aussi à attaquer, si l’occasion s’en présente. De cette façon, il ne s’expose pas et peut parer et riposter sans ébranler le corps et sans s’écarter de la ligne. Voilà ce qu’on ne saurait trop enseigner aux élèves en les faisant marcher, rompre et développer jusqu’au moment où ils sont bien d’aplomb et reviennent en garde sans ébranler le corps (car tout part de la bonne position de la garde) ; en leur faisant tendre le bras droit sans secousse et sans faire monter l’épaule, et en leur faisant aussi observer entre l’épaule et le menton une distance telle, que l’on puisse, l’homme étant fendu, y passer le poing fermé. Si cette distance n’est pas observée, l’élève fera ses feintes de l’épaule, ou bien il baissera la tête, ce qui le forcera à porter le haut du corps en avant. Dans cette position, il lui sera très difficile de se relever, ses feintes ne seront pas justes, car, pour bien les faire, il faut qu’elles soient faites sans secousse et en gagnant insensiblement sur le fer de son adversaire, de façon à forcer ce dernier à y répondre. Bien peu de tireurs réussissent leurs feintes d’une manière irréprochable. Ils font presque tous sauter la pointe ; ce qui d’abord leur fait perdre du temps vu qu’ils restent sur place au lieu d’avancer, et, ensuite, nuit à la justesse de leur attaque. Pour éviter de faire sauter la pointe, il ne faut serrer que le pouce et l’index, et maintenir le poids de la lame avec les trois derniers doigts, sans abandonner la poignée. Il n’en est pas de même pour la parade. L’on doit toujours parer avec tout le nerf que l’on possède : plus l’on serre les doigts et moins l’on s’écarte de la ligne, et la riposte est d’autant plus directe. En ne déviant pas de la ligne et en faisant la parade sèche et sur place, l’on peut riposter du tac au tac.


Du danger que l’on court n’étant pas bien en garde.


Si vous voulez attaquer n’étant pas d’aplomb, vous ne partez pas de pied ferme, et vous portez votre attaque en courant, ce qui vous expose à vous faire arrêter au départ, attendu que votre coup est mal dirigé ; il est impossible de courir et d’ajuster ses feintes en même temps. Si, au contraire, vous êtes bien placé en garde, vous partez étant de pied ferme et vous tendez le jarret, ce qui vous donne de la vitesse, car la tension du jarret chasse le corps en avant et fait que vos attaques sont portées rapidement. Vous pouvez également revenir en garde promptement, car le pied gauche étant bien placé vous sert de point d’appui. De cette façon, vous ne restez pas à la merci de votre adversaire, ce qui arriverait inévitablement si votre position de garde était mauvaise. Étant mal placé, vous ne pouvez pas marcher à l’épée sans bouger le haut du corps et sans faire voir à votre adversaire le mouvement que vous voulez exécuter, ce qui lui permet de vous attaquer à votre marche. Si vous avez affaire à un tireur de jugement et de vitesse, vous êtes à peu près certain d’être touché, car il vous sera impossible de parer le pied levé.

Pour rompre, le danger est moins grand, vu que vous vous éloignez, quoique, si vous n’êtes pas d’aplomb, vous ne pouvez pas parer à moins de rompre à petits pas, ce qui vous fait perdre la riposte. Si votre bras n’est pas bien placé, vous laissez deux lignes à combattre, vu que l’avant-bras ne vous en coupe aucune. Dans une mauvaise position de garde, il vous est encore impossible de faire de fausses attaques sans vous exposer à recevoir l’attaque de votre adversaire, vu, que vous ne pouvez plus arriver à la parade, que vous livrez toutes les lignes et que vous ne pouvez pas faire vos feintes justes ; donc, en résumé, vous courez tous les risques de vous faire toucher.

Par conséquent, l’on ne saurait trop recommander aux professeurs de faire marcher, rompre et développer leurs élèves de pied ferme jusqu’à ce qu’ils aient acquis l’ensemble des deux mouvements du bras avec la jambe, chose indispensable pour devenir fort tireur.

Notre garde, du reste, lorsqu’elle est bien observée est la meilleure de toutes. Je puis l’affirmer en toute connaissance de cause, car j’ai fait des armes avec des tireurs de presque tous les pays d’Europe, et tous, dans leur position de garde, ont quelque chose de défectueux. Les Italiens ont constamment le bras tendu et le haut du corps en avant, ce qui est très regrettable, car ce sont généralement des tireurs de tempérament, doués d’excellentes dispositions, qui, s’ils possédaient notre garde, seraient certes aussi forts que nous. Ils reconnaissent d’ailleurs parfaitement l’infériorité de leur garde vis-à-vis de la nôtre, et ils tendent de plus en plus à se rapprocher de la garde française, notamment à Rome.

Les Belges ont aussi les mêmes défauts, à part un petit nombre. Ils ont généralement trop de garde, ce qui les oblige à porter le haut du corps en avant. Dans cette position, il leur est impossible d’attaquer à fond et de bien parer, vu qu’ils ne sont pas d’aplomb sur la partie gauche, alors ils allongent le bras et jouent quitte ou double. Mais un tireur de jugement peut facilement combattre leur jeu. Quant aux Allemands, ils sont complètement nuls en fait de pointe, et ne font que du sabre et encore d’une manière incomplète, vu qu’ils n’admettent que les coups de figure et jamais ceux qui sont portés au corps. Aussi, il arrive qu’avec les jeux français, il leur est impossible de combattre avec avantage ; car, ne connaissant ni les attaques, ni les parades des coups de banderole, de flanc ou de manchette, ils livrent constamment le corps à merci de leur adversaire. Du reste, les coups qu’ils admettent ne sont encore pas les meilleurs. On peut très bien par un coup de figure vous couper le nez ou une oreille ou bien encore la joue, sans pour cela vous tuer, tandis que les coups de banderole ou les coups de flanc, lorsqu’ils sont bien appliqués, sont généralement mortels. Leur méthode est donc mauvaise et ne doit pas être suivie.


De l’emploi de la main gauche.


Dans la position de la garde, la main gauche sert de balancier au bras droit, et permet au tireur de revenir plus facilement en garde, car, en la lançant fortement en arrière, elle oblige le poids du corps à se porter sur la partie gauche. Si elle est bien derrière et à hauteur du sommet de la tête, elle vous force également à effacer le côté gauche de la poitrine, ce qui fait que vous n’avez qu’une ligne à combattre au lieu de deux. Son emploi comme moyen de défense sur le terrain a été la cause de bien des malheurs. Qu’il me soit donc permis de donner mon avis à ce sujet. Je crois que la faute doit être attribuée, en grande partie, aux témoins (à part un petit nombre) par suite bien souvent de leur ignorance complète des choses de l’escrime. Ne connaissant rien, il leur est impossible de saisir le moment juste où il faut arrêter les combattants pour éviter les corps-à-corps, et, lorsque vous avez affaire à ces natures impressionnables qui ne se connaissent plus, lorsqu’elles voient l’épée devant elles, vous arrivez le plus souvent à un résultat désastreux.

Je n’admets pas l’emploi de la main gauche, pour chasser le fer de la face du corps ; mais je ne suis pas d’avis que l’on cherche à paralyser ses mouvements, car cela nuirait énormément à l’attaque et à l’aplomb de la garde. Je crois que le seul moyen d’éviter son emploi comme parade, est de simplifier les mouvements comme attaques et comme parades et ripostes. En n’ayant que des coups simples à exécuter, les combattants risqueront beaucoup moins, attendu que les corps-à-corps résultent du trop de complication des mouvements. Si celui qui dirige le duel, laisse arriver les tireurs l’un sur l’autre, ceux-ci, en se portant leurs coups, ne peuvent pas se couvrir, et risquent fort de se toucher tous les deux en même temps, chaque fois qu’ils resteront fendus. Ils combattent ainsi en dehors de toutes les règles de l’escrime, perdent vite la tête, et, instinctivement, se servent de leur main gauche pour écarter la lame de leur adversaire. Ils s’exposent encore bien mieux de cette façon à être tués, car, en faisant ce mouvement, ils livrent toute leur poitrine ; et s’ils ne sont pas tués, ils risquent fort de se faire percer la main. Mais la peur ne raisonne pas. Celui qui, perdant la tête, écarte ainsi la lame de la face du corps pour éviter d’être touché, doit s’en tenir là et cesser le combat sur-le-champ. Il y en a malheureusement qui maintiennent l’épée dans leur main et tirent sur leur adversaire qui se trouve alors sans défense. Cela constitue un véritable crime, qu’à mon avis, l’on ne saurait trop punir. Et voilà où peuvent conduire l’ignorance et l’incapacité d’un témoin. L’on devrait remédier à cet état de choses, et pour cela il suffirait de prendre des professeurs très forts et ayant une grande habitude des jeux de terrain, qui seraient capables de faire arrêter les combattants juste à temps, car, tant que les corps-à-corps existeront, nul ne pourra prévoir l’emploi de la main gauche.

De cette façon, bien des malheurs seraient évités ; mais cet avis est, je le crains, trop bon pour être écouté et sera négligé, comme tout ce qui est du reste sérieux et pratique[1].


Faire travailler de la main gauche.


On néglige beaucoup aujourd’hui dans la démonstration de faire travailler l’élève de la main gauche, lorsqu’il est droitier, et des professeurs prétendent que cela nuit aux progrès que pourrait faire la main droite. Assurément, ceux qui tiennent un pareil raisonnement ne se sont jamais donné la peine de travailler pour s’assurer de la vérité, car alors, ils s’apercevraient bien vite qu’ils sont dans leur tort. En effet, en faisant des armes des deux mains, vous équilibrez le corps. Remarquez les tireurs qui ne font des armes d’une façon sérieuse que d’une seule main : ils ont tous la partie droite du corps beaucoup plus forte que la gauche, cela est même très visible chez quelques-uns.

Pour mon compte personnel, voici trente-cinq ans que je fais des armes des deux mains dans la leçon comme à l’assaut, et je m’en suis toujours très bien trouvé. Mes élèves tirent également de la main gauche et s’en trouvent aussi fort bien. Ils ont tous un aperçu du jeu de gaucher, et à l’occasion ne seraient pas embarrassés pour se défendre s’ils en rencontraient un. L’on ne saurait trop recommander aux professeurs de travailler des deux mains, car bien souvent, on ne peut prévoir ce qui peut arriver, et, en supposant qu’un jour ils ne puissent plus travailler de la main droite, ils pourraient toujours du moins enseigner de la gauche, et gagner leur vie de cette façon.

En travaillant des deux mains, il est certain que le développement est plus difficile à obtenir ; mais avec de la persévérance on y arrive. Je ferai remarquer également à ceux qui trouvent que ce travail est nuisible à la main droite, que presque tous les professeurs gauchers travaillent davantage de la main droite pour démontrer la lecon et pour faire tirer leurs élèves sur eux, et qu’en général aussi ils sont plus forts que les droitiers. Seulement, pour obtenir ce résultat, il faut beaucoup travailler. Voilà pourquoi ceux qui ne veulent pas se donner la peine d’apprendre, trouvent que c’est mauvais ; comme cela, ils ont tout de suite fini ; car enfin les natures sont les mêmes ; et, puisque le travail de la main droite ne nuit pas aux gauchers, il n’y a pas de raison à donner, pour que le travail de la main gauche nuise aux droitiers.

L’élève ne doit travailler de la main gauche, que lorsqu’il a bien saisi la position de la garde, et les parades et ripostes de la main droite. Cela lui fera comprendre plus facilement, ce qu’il a à faire, à la reprise de la main gauche. L’élève arrivera ainsi à connaître les engagements, les parades et les ripostes du jeu de gaucher.

Beaucoup de personnes prétendent que deux gauchers ne peuvent pas faire ensemble un jeu classique et brillant comme le feraient deux droitiers. C’est que, probablement, elles n’ont jamais vu combattre deux tireurs sérieux connaissant bien l’escrime. Il n’y a pas de raison pour que le jeu ne soit pas aussi brillant d’un côté que de l’autre, vu que l’engagement est le même des deux côtés. Tout bon professeur doit connaître les jeux des deux mains, et mon avis est que l’on fait toujours bien lorsque l’on sait travailler.


De l’emploi de l’épée à la Leçon.


Beaucoup de gens n’admettent pas que l’on remplace, pour une partie de la leçon, le fleuret par l’épée, sous prétexte que cela contracte les muscles et donne de la raideur à la main. Pour ma part, j’ai pris plus de leçons avec l’épée qu’avec le fleuret, et cela ne m’a jamais nui, au contraire. Je fais également travailler mes élèves avec l’épée, et ils s’en trouvent très bien aussi. Du reste, les petits inconvénients dont j’ai parlé plus haut, en admettant qu’ils existent, n’existent certainement pas pour tout le monde, et ils sont en outre grandement compensés par les avantages suivants :

Tout d’abord, l’épée vous donne le « doigté », qualité indispensable en escrime, vu que la lame est lourde, et qu’en parant rapidement, son poids vous oblige à serrer tous les doigts ; de plus, elle vous empêche, étant fendu, de porter le haut du corps en avant ; car la lame ne cède pas et vous oblige ainsi à rester le corps droit et d’aplomb sur les hanches. Cela vous habitue à ne pas vous coucher étant fendu : ce qui fait que, lorsque vous poussez une botte, si vous ne touchez pas votre adversaire en attaquant, vous revenez en garde plus facilement.

Le fleuret, au contraire, cède en touchant, le corps naturellement suit le mouvement de la lame, et vous restez fendu dans les jambes de votre adversaire, ne pouvant plus vous relever, et de là s’ensuit le corps-à-corps. D’un autre côté, étant familiarisé avec le maniement de l’épée, lorsqu’il s’agit de vous en servir sur le terrain, vous n’êtes pas dérouté. Néanmoins, l’on ne doit pas abuser de cet exercice, il faut, au contraire, l’arrêter dès qu’on se sent fatigué.

Autant que possible, l’élève ne doit pas prendre de leçon avec un fleuret dont la lame est flexible. En ayant le soin de prendre une lame droite, il sera forcé de tendre le bras et de lever la main étant fendu, ce qui l’obligera à rester le corps d’aplomb et, en ripostant, à allonger le bras. Il sera ainsi couvert pour éviter la remise, vu qu’il aura la main haute.

Tous ces mouvements seront d’autant plus faciles à exécuter, qu’après une reprise à l’épée, le fleuret lui paraîtra aussi léger qu’une plume. En employant l’épée dans la leçon, j’ai obtenu et j’obtiens tous les jours d’excellents résultats ; c’est pourquoi je me permets de donner mon avis, qui est du reste celui de beaucoup d’anciens et excellents professeurs.


Pour bien juger un tireur.


Pour bien se rendre compte si un tireur possède l’ensemble du bras droit et du jarret gauche, l’on doit remarquer si le coup qu’il porte en partant à fond, est arrivé sur la poitrine de son adversaire avant que le pied droit ne soit posé à terre en développant d’un seul temps. Ce mouvement est assez difficile à obtenir de l’élève ; bien des professeurs mêmes ne le possèdent pas. Il est cependant indispensable pour acquérir de la vitesse. Si, en effet, vous tendez le jarret et que vous ne tendiez le bras qu’après, le choc qui résulte de ce mouvement vous fait perdre toute la vitesse que la tension du jarret aurait pu vous donner ; il en est de même, si vous tendez le bras avant le jarret. Il n’y a que les coups simples qui puissent vous faire arriver à l’ensemble de ces mouvements. Si vous touchez votre adversaire une fois que le pied est posé à terre, c’est que votre bras n’était pas tendu au départ du pied. Vous risquiez donc de vous faire arrêter au moment où vous vous prépariez à partir. Tous ces mouvements faux que tant de tireurs possèdent sont dus, le plus souvent, à la négligence des professeurs. Ils ne veulent pas se donner la peine de faire répéter le mouvement au début, lorsqu’ils font faire à l’élève la leçon à la demiallonge, seul moyen pratique pour par- 42 venir à un bon résultat ; car l’on forme un élève comme position et comme développement dans trois mois, comme on le manque pour toute sa carrière. En escrime, le tout dépend de la manière dont on s’y prend.

L’on ne doit pas engager l’épée, avant d’avoir obtenu cet ensemble, sans lequel il n’y a pas de tireur classique et brillant. J’expliquerai du reste plus loin, dans ma leçon, la manière dont on doit s’y prendre pour faire développer par principes.


Des parades de contraction.


Bien des discussions ont été soulevées au sujet des parades de contraction, et les opinions sont très divisées parmi les tireurs. Certains prétendent que le tort vient de celui qui attaque ; d’autres, de celui qui pare. Beaucoup de tireurs ne se rendent pas compte de la différence qui existe entre cette parade et une parade régulière. La parade de contraction est très dangereuse pour celui qui la fait ; car, au lieu de parer où le fer se présente quand on lui porte l’attaque, l’homme prend la parade inverse. Il fait ainsi parcourir à la pointe de l’épée de son adversaire toutes les parties de la face du corps, ce qui peut le faire arrêter, et en outre, la riposte n’est pas directe.

Prenons un exemple : si votre adversaire vous attaque par un dégagement sur les armes, au lieu de parer soit par l’opposition de sixte, soit par le contre de quarte, vous le parez par le contre de sixte. Vous faites ainsi passer la pointe de votre adversaire devant tout le corps, tandis que, si vous aviez paré par l’opposition de sixte ou le contre de quarte, la riposte aurait été directe et vous ne vous seriez pas exposé à vous faire arrêter, attendu que la ligne était ouverte après la parade, tandis que, dans l’autre ligne, votre riposte se trouvait coupée par la parade de contraction, et était par conséquent perdue. À mon avis, c’est celui qui pare, s’il a affaire à un tireur de jugement, qui est dans son tort, ainsi que le prouve le raisonnement suivant :

Quand vous faites faire dans la leçon un coup droit à votre élève, vous le faites parer par une opposition sans changer de ligne ; quand vous lui faites faire un dégagement, vous le faites parer soit par une opposition, soit par un contre, dans la ligne où il vous a attaqué. Eh bien, en admettant que j’aie l’intention de faire « une-deux », s’il répond par une opposition à ma première feinte, je pars à fond au deuxième dégagement, et je suis dans les règles de l’escrime ; car j’ai trompé sa parade par mon deuxième dégagement, chose que je devais faire. Si, au lieu de parer mon attaque de une-deux dans les armes par sixte et contre, il la pare par sixte et contre de quarte, il fait donc la contraction. Je ne suis pas obligé de suivre ses parades indéfiniment, et je suis absolument dans mon droit en partant, après avoir fait parer ma première fausse attaque.

En ne répondant pas à mon attaque, et en ne faisant pas la parade qu’il doit exécuter d’après les règles, mon adversaire tire sans jugement ; car quand on emploie ces parades, c’est que l’on n’est pas sûr d’arriver assez vite par les moyens ordinaires pour éviter l’attaque, et que l’on cherche à contrarier le jeu de son adversaire de quelque façon que ce soit pour éviter le coup de bouton.

Le jeu de ces tireurs est d’ailleurs facile à combattre. Pour cela, il suffit de rester en ligne sans leur donner de fer, ce qui les force à parer dans le vide. Étant bien d’aplomb en garde, on saisit le moment où ils changent de ligne et l’on part à fond par un coup droit précédé d’un battement.

Si vous possédez une bonne vitesse, vous êtes certain de votre attaque, car votre adversaire est ébranlé par la complication de ces parades.

Pour faire ces sortes de parades avec quelques chances de succès, il faut être très fort tireur. On en rencontre malheureusement un grand nombre qui parent sans être attaqués et dans toutes les lignes. Cela n’est assurément pas le fait d’un bon tireur, car on doit toujours ménager ses attaques et ses parades, et ne les faire qu’à propos, afin d’arriver juste à temps à la riposte.

Des défauts naturels des Élèves.


On rencontre parfois certains élèves qui ne possèdent pas toutes les qualités physiques nécessaires pour devenir forts tireurs. Vous en avez, par exemple, qui sont faibles des reins. Dans ce cas, le professeur, en faisant développer son élève, doit bien faire attention qu’il ne porte pas le haut du corps en avant ; car alors, il ne pourrait plus revenir en garde et serait obligé de faire une retraite du haut du corps, ce qui lui fatiguerait les reins et le mettrait à la merci de son adversaire pour recevoir les ripostes.

D’autres, ne possèdent pas un bon jarret. Le professeur doit alors s’attacher à ne faire développer ces tireurs que le moins possible, car leurs moyens ne leur permettant pas de surprendre par la vitesse en portant leurs attaques, ils courent alors les risques de se faire arrêter au départ, ou de recevoir la riposte à la retraite.

Si l’élève ne possède pas beaucoup de jugement, on ne doit lui faire exécuter que des coups simples se comprenant facilement. Car, si on veut lui donner la même leçon qu’à un élève dont l’intelligence est très développée, on n’arrivera à aucun résultat, attendu qu’il est une chose bien certaine, c’est que l’on ne peut pas faire entrer dans la tête de quelqu’un ce que Dieu n’y a pas mis. En voulant apprendre une leçon trop compliquée à ces élèves d’une intelligence médiocre, on réussira tout simplement à les abrutir ; ils ne feront aucun progrès et finiront par prendre l’escrime en dégoût. Certains ont les hanches nouées, au point qu’étant en garde, si on les fait développer, ils ne peuvent pas gagner la longueur d’une semelle en avant.

Il m’est arrivé d’en rencontrer qui restaient dans cet état pendant une assez longue période de temps ; mais, malgré tout, en y mettant de la persévérance, ils parvenaient à développer d’un seul temps à la distance de quatre semelles d’un talon à l’autre, et à revenir en garde d’un seul temps. Plusieurs même sont arrivés à dépasser la moyenne des tireurs.

En un mot, si le professeur connaît son affaire, il doit s’apercevoir de suite des défauts comme des qualités de ses élèves et régler la leçon selon leur plus ou moins de dispositions, en leur faisant exécuter les mouvements auxquels ils se prêtent le mieux, sans toutefois négliger l’ensemble.

C’est ce que beaucoup de maîtres ne font pas dans le civil, et ce qu’on ne fait pas du tout dans l’armée, où la leçon est la même pour tout le monde. Que vous compreniez ou que vous ne compreniez pas, cela laisse les instructeurs parfaitement indifférents ; aussi, en suivant ces principes, on en arrive aux pitoyables résultats que l’on est à même de constater aujourd’hui.


Des pressions d’épée.


Si, dans la leçon, le professeur fait précéder les attaques d’une pression, il doit faire comprendre à l’élève que, pour que la pression soit bien faite, il faut que le bras soit demi-tendu et que la pression soit faite assez fortement sur la pointe de la lame de l’adversaire, en serrant tous les doigts sans s’écarter de la ligne, de façon à faire répondre l’adversaire, pour atteindre le but que l’on cherche.

Des Feintes.


Les feintes consistent à menacer l’adversaire dans une ligne pour tirer dans une autre. Elles ont donc pour but de tromper l’adversaire en attirant son épée dans une ligne autre que celle où l’on veut porter le coup.

Elles doivent se faire au moyen des doigts, en allongeant le bras de toute sa longueur, en passant les feintes à un centimètre de chaque côté de la garde, et en les faisant un peu plus haut que la garde, en évitant la lame de l’adversaire, la main à hauteur du menton de façon à être couvert au départ. Il ne faut jamais marquer de temps d’arrêt, lorsque vous avez le bras tendu, car alors vous vous exposez à vous faire toucher, attendu que, dans cette position, vous êtes complètement à découvert.

Beaucoup de tireurs prétendent qu’il faut baisser la main en marquant les feintes dans la ligne basse ; à mon avis, c’est une grande erreur. La main doit toujours rester à la hauteur du menton, et c’est par un mouvement de doigté que vous devez faire baisser votre pointe de façon à exécuter vos feintes.

En laissant votre main à hauteur du menton, il arrivera que, lorsque vous serez fendu, la main se trouvera sans faire de mouvement à hauteur du sommet de la tête et la pointe de l’épée plus basse que la main, ce qui est la véritable position pour être couvert étant fendu, et ce qui permet de porter le coup de bouton en pointant, au lieu de le plaquer comme cela arriverait, si vous portiez votre attaque en baissant la main. En partant la main basse, vous ne gagnez d’abord pas de distance et vous vous exposez à être arrêté au départ, vu que la poitrine est complètement découverte ; vous arriverez en outre fatalement au coup double, si l’adversaire ne pare pas vos attaques. Vous jouez donc votre vie sans la garantir. Il est de toute nécessité de supprimer ces mouvements qui sont complètement faux et en dehors de tous les bons principes et d’engager l’épée, au contraire étant en garde, vu que vous ne pouvez pas prévoir si votre adversaire parera ou s’il vous arrêtera, lorsque vous n’êtes pas maître de son fer.


Des Contres.


L’exercice des contres est certainement celui qui fait faire le plus de progrès à l’homme qui a déjà acquis une certaine force. Il assouplit l’articulation du poignet, donne de la fixité au bras et de la promptitude dans le coup d’œil. Il est beaucoup trop négligé aujourd’hui, et c’est un tort ; car d’abord il établit une transition naturelle et facile entre la leçon et l’assaut, et ensuite il forme des tireurs de vitesse et de jugement, d’un jeu correct et élégant. Cet excellent exercice a surtout pour but, de rectifier ce que les mouvements et la position du tireur peuvent avoir de défectueux. L’on ne saurait trop recommander aux professeurs et aux élèves de pratiquer constamment cette leçon. L’on doit tirer de pied ferme sans jamais déplacer le pied gauche, parer et riposter également de pied ferme, sans jamais bouger le haut du corps. L’on doit porter ses attaques à fond et le plus rapidement possible. Cela forme le jarret. L’on doit aussi partir le bras complètement déployé avant le départ du pied et marquer un léger temps d’arrêt après chaque attaque et après chaque riposte, de façon qu’on ait bien le temps de tendre le jarret, avant de revenir en garde. De cette façon aussi, l’adversaire a le temps de bien calculer sa riposte.

Il ne faut pas se surprendre dans les attaques.

Pour cela, il faut avoir le soin de bien engager l’épée avant de partir ; il faut aussi donner le temps à l’adversaire de bien revenir en garde et ne jamais chercher à l’ébranler par de fausses attaques. Tous les coups doivent être portés franchement. C’est l’exercice qui peut vous faire arriver le plus rapidement à la vitesse, qualité indispensable en escrime ; car, pour toucher, il faut surprendre, et le seul moyen de surprendre, c’est d’aller vite. En parant par contres, si l’adversaire tire en ligne, vous êtes certain de rencontrer son fer dans toutes les lignes, et vous conservez toujours la main devant la face du corps. Les parades par contres sont de beaucoup préférables aux parades par oppositions. Ces dernières en effet, ne coupent qu’une ligne, et vous forcent à vous découvrir si vous ne rencontrez pas le fer de votre adversaire. En parant par contres, vous avez encore l’avantage de parer plusieurs feintes par un seul contre. Si vous avez affaire à un tireur qui vous fasse des feintes sur la pointe sans vous donner le temps de parer, ou s’il vous attaque le bras demitendu, pour parer avec jugement, il faut le faire, au moment où il lève le pied pour partir à fond. Un fort tireur laissera toujours faire les feintes à son adversaire et parera juste au dernier moment. En agissant ainsi, il aura tout le temps de préparer sa parade sans se fatiguer, et la riposte sera directe.

Les parades d’opposition n’empêchent pas votre adversaire de gagner de la distance, si vous suivez ses feintes, et de cette façon il arrivera à vous toucher malgré vos parades, ou à faire coup double, si vous ne possédez pas un grand jugement.

Dans cet exercice des contres, on peut également juger de la force de deux tireurs ; car, si les attaques sont portées à fond ou de pied ferme à distance juste, celui qui n’arrive pas à parer à temps et qui par conséquent est touché, est le moins fort.

Le professeur doit s’attacher autant que possible à faire repasser toute la leçon en faisant cet exercice.


De la Démonstration dans l’Armée.


À part les anciens professeurs élevés à bonne école, qui savent ce qu’il faut faire pour former de bons élèves et quelques nouveaux qui ont reçu de bons principes, on ne voit plus guère dans l’armée que des instructeurs fabriqués, pour ainsi dire, à la vapeur, et qui, chose malheureusement trop vraie, et qu’il est regrettable de constater, ne brillent pas précisément par l’intelligence.

La leçon, qui est réglementaire aujourd’hui dans tous les corps, n’est pas pratique, attendu qu’elle est trop compliquée et renferme un grand nombre de mouvements dont l’utilité est très discutable. Les hommes ne peuvent arriver à aucun résultat sérieux d’abord le temps leur manque ; car il est prouvé, qu’en tenant compte des maladies, des manœuvres, des services de garde et de police, des changements de garnison, des permissions, etc., un homme ne peut guère prendre plus de cent leçons dans le cours de son service militaire ; en outre, la plupart ne viennent à la salle d’armes que pour éviter une punition ; ils ne mettent donc aucun goût à apprendre la leçon qui leur est démontrée, par des prévôts qui, généralement, ne connaissent pas grand’chose et qui, n’étant pas rétribués d’une façon satisfaisante, ne sont pas précisément dévoués pour le service et naturellement suivent le mouvement de la troupe.

Eh bien, en simplifiant la leçon, vu le peu de temps donné aux hommes et le peu de leçons qu’ils ont à prendre, on arriverait, sinon à en faire de bons tireurs, du moins à leur apprendre quelque chose.

Du reste, pour la cavalerie, ils n’ont besoin que de savoir porter un coup de pointe et un coup de sabre à droite et à gauche, et ils n’ont que deux parades à faire, qui sont « quarte » à gauche et « tierce » à droite. À mon avis, la parade de « prime » devrait être supprimée. Elle est complètement inutile étant à cheval et en même temps très dangereuse ; car l’on peut vous désarmer facilement, vu que votre main est dans la position de « tierce ».

Si vous faites cette parade en levant la pointe, vous risquez fort de recevoir un coup de sabre en pleine poitrine ; car si votre adversaire vous porte la pointe du coup de tête et que vous alliez à la parade en formant la prime la pointe haute, il n’a qu’à vous tromper cette parade par un coup de banderole, et il peut vous blesser très grièvement et même vous tuer. Étant à cheval, vous n’avez que deux parades à faire, vu que vous vous trouvez garanti par le paquetage, et qu’étant au galop, vous portez le haut du corps en avant. Il faut, en parant quarte ou tierce, laisser la pointe de votre sabre à hauteur du sommet de la tête. De cette façon, si votre adversaire vous porte un coup de tête, vous vous trouvez, sans faire de mouvement, en position de recevoir sa lame qui viendra mourir sur le fort de la vôtre. En opposant sans vous écarter de la ligne du côté où il vous portera le coup, vous serez garanti et votre riposte sera directe. Pour la ligne de tierce en dehors, mêmes principes, moyens inverses, vu que les coups ne peuvent pas être compliqués, puisque vous passez à la charge l’un à côté de l’autre et que vous ne portez qu’un seul coup, soit comme attaque, soit comme riposte.

Les coups compliqués sont donc inutiles, comme je le disais plus haut ; et l’on ne devrait faire que des coups droits et des dégagements en ligne haute et en ligne basse, avec les parades de ces attaques-là. Même dans une salle d’armes, lorsqu’un cavalier saura se mettre en garde et développer à fond avec ces principes, il saura faire des armes.

Il ne faut pas négliger d’apprendre aux hommes à bien porter leurs coups de pointe à fond, en déployant le bras de toute sa longueur d’un seul temps, et en tenant la poignée du fleuret ou du sabre à pleine main. Il faut aussi les faire riposter aussitôt qu’ils auront rencontré le fer en parant ; c’est le seul moyen d’éviter les remises. Il ne faut pas abuser des coups de sabre, vu qu’il est impossible d’en porter un à son adversaire sans se découvrir complètement la face du corps en prenant l’élan du coup. Du reste, ces coups ne sont pas toujours mortels ; car, dans les régiments de grosse cavalerie, où les hommes sont guindés dans leur armure, il leur est impossible de porter des coups de sabre sérieux ; à part le coup en avant ou à droite, tout le reste est insignifiant.

Ils ne peuvent faire également que deux parades, quarte et tierce, qui leur permettent de se rendre maîtres du fer de l’adversaire, de rester en ligne et de jouir de l’avantage de la riposte.

D’ailleurs, j’en parle d’autant plus savamment, que j’ai porté la cuirasse pendant sept ans aux carabiniers.

Faites donc faire des coups simples, ne demandant pas beaucoup d’intelligence et de jugement de la part de l’homme. Au moins, quand le moment sera venu de mettre en pratique ce qu’il aura appris, le soldat pourra le faire sans difficulté et avec succès.

Le sort d’une bataille dépend parfois d’une charge bien menée ; eh bien, le cavalier qui connaîtra à fond les mouvements dont je parle, pourra certainement combattre avec avantage et assurer ainsi le succès de la bataille ; car les coups simples se font avec tous les tireurs. Moimême, dans le cours de ma carrière, lorsqu’il m’est arrivé parfois de toucher mon adversaire, je n’y suis jamais parvenu que par un coup droit, un dégagement ou un une-deux, précédés d’un battement ; car il y a beaucoup de tireurs qui étant en garde. ne se couvrent pas complètement dans la ligne où ils sont engagés ; vous avez alors la ligne ouverte, et avec vos coups simples, vous ne bougez pas le haut du corps comme en faisant des fausses attaques ou des coups compliqués, et vous êtes en possession de tous vos moyens comme vitesse et comme jugement. Il est donc inutile, encore une fois, de compliquer les mouvements ; d’abord, si votre adversaire répond à vos feintes, si vous en faites plusieurs, c’est qu’il est plus fort que vous ; sans cela, il ne vous laisserait pas aller comme cela indéfiniment ; il vous couperait la ligne, en faisant une parade inverse à celle que vous demandez ; si d’un autre côté, vous continuez le mouvement bien qu’il ne réponde pas à vos feintes, vous tomberez naturellement sur sa pointe, car vous ne serez plus maître de son fer au départ ; donc, vous ne pouvez pas compliquer vos attaques si votre adversaire ne s’y prête pas ; c’est donc celui qui pare, qui règle l’attaque pour les coups compliqués. Si vous n’attendez pas les parades qui doivent répondre à vos feintes, vous êtes obligé de les faire le bras raccourci, ou bien sur la pointe de l’épée de votre adversaire, sans vous être fait livrer de place pour toucher, ce qui vous force à faire toutes ces fausses attaques très larges et en dehors de la ligne.

Vous tirez ainsi sans jugement, sans savoir où vous allez, vous exposant à tout moment à vous faire blesser ou tuer d’une façon véritablement ridicule. Laissez donc la complication pour les escrimeurs de pacotille, vous vous en trouverez beaucoup mieux.

De la démonstration dans les lycées et collèges


Dans la plupart des établissements universitaires, les élèves sont démontrés par des prévôts qui malheureusement, à part quelques exceptions, ne sont pas toujours à la hauteur du service qui leur est confié. Cela vient de ce que certains professeurs se croient trop grands seigneurs pour prendre le plastron, pour démontrer la leçon. Ils aiment mieux tirer leur fauxcol et leurs manchettes, et se faire remplacer par des incapables, que par économie ils préfèrent naturellement à un prévôt sérieux qu’il faudrait rétribuer en raison de ses capacités. Aussi, en agissant ainsi, on en arrive à un résultat tout à fait mauvais.

Les élèves mal démontrés, ne recevant pas de bons principes, contractent de mauvaises habitudes que l’on ne peut pour ainsi dire plus rectifier à leur sortie de pension, et infailliblement, ils vont grossir le nombre déjà si grand des escrimeurs pour rire. Cela est d’autant plus regrettable que l’on a affaire à des jeunes gens intelligents qui, s’ils étaient bien démontrés, deviendraient en peu de temps de bons tireurs. L’administration, à mon avis, dans l’intérêt des élèves et aussi dans celui des parents qui payent souvent fort cher pour faire faire des armes à leurs enfants, devrait exiger du professeur d’un lycée ou d’un collège qu’il vienne constater les progrès que peuvent avoir faits ses élèves, rectifier ce qu’il peut y avoir de mauvais dans la manière de tirer de chacun et donner leçon lui-même au besoin. Comme cela, aidés des conseils du maître, les élèves pourraient parvenir à un bon résultat, et ne seraient au moins pas empruntés le jour où ils arriveraient au régiment, ce qui est à considérer.


Des effets indispensables pour faire des armes.


Pour se garantir et éviter les accidents malheureusement si fréquents aujourd’hui dans les salles d’armes, faute de précautions, ensuite pour faire assaut avec sécurité, il faut :

1° Un masque renforcé à doubles ressorts avec bavette. On ne doit jamais prendre la leçon sans masque. De cette façon, on évite ce qui pourrait arriver de fâcheux, et en outre l’élève s’habitue vite à voir clair avec le masque, qui le gênerait certainement s’il ne le mettait que par hasard.

2° Deux gants avec crispin bourré.

3° Une paire de sandales avec semelles en buffle, pour éviter de glisser.

4° Une ceinture en cuir avec de l’élastique sur les hanches pour maintenir les reins et vous garantir d’une hernie, si parfois vous veniez à développer trop loin involontairement.

5° Un gilet en peau et un cuissard pour vous garantir la ligne basse ; enfin une paire de fleurets.

L’on ne doit jamais faire d’armes dans une salle en souliers ou avec des bottes, car cela peut occasionner les accidents les plus graves. Le fleuret doit toujours être garni d’une fausse garde, en cuir généralement, qui est destinée à garantir l’ongle du pouce, car sans cela, la pointe de votre adversaire peut rentrer dans la garde et vous blesser. Le pantalon doit être assez large, de façon à ne pas vous gêner en développant et à vous laisser tous vos mouvements libres.

Tous ces effets sont indispensables pour faire des armes avec sécurité, et le professeur ne devrait pas prendre la responsabilité des accidents qui peuvent arriver à ses élèves, si ceux-ci ne sont pas garantis par la tenue que je viens d’indiquer.

La tenue blanche est, à mon avis, la seule véritablement correcte pour faire des armes. La tenue noire qui est portée par un certain nombre de tireurs, est en effet de pure fantaisie, et elle est souvent une cause de discussion, attendu que l’on ne voit pas quand on a touché. Vous apercevez d’ici ce qui en résulte, si celui qui la porte n’est pas loyal. Du reste, elle n’est pas admise dans les concours internationaux où l’on concourt pour des prix, et où l’on vous trace sur la poitrine la ligne partant de la hanche droite, prenant la moitié du corps et arrivant au défaut de l’épaule jusqu’au cou. En dehors de cette ligne, les coups de bouton comme attaques et comme ripostes ne comptent pas. Dans ces concours, l’on trempe le bouton du fleuret dans le bleu, de façon à bien voir si le coup a porté ; l’on fait arrêter les combattants après chaque passe d’armes, et l’on ne compte que les coups directs comme attaques et comme ripostes, ainsi que les coups de temps si l’on n’est pas touché et la remise si l’on ne riposte pas. Deux coups doubles dans un assaut, vous mettent hors de concours. C’est là le vrai moyen de faire des armes d’une manière classique et de juger de la force des combattants. Si l’on exigeait l’observation rigoureuse de ces principes, l’on finirait par faire attaquer de pied ferme et à fond et l’on parviendrait aussi à faire parer et riposter sur place. Beaucoup de tireurs qui se croient forts seraient bien embarrassés si on leur traçait la ligne ; c’est pourtant, à mon avis, ce que l’on devrait faire dans les assauts publics. L’on devrait aussi supprimer la tenue noire ; car si quelques tireurs sérieux et loyaux la portent, beaucoup en revanche ne s’habillent ainsi que pour attirer sur eux les regards de la galerie, et ils trouvent à cela double avantage : d’abord cette petite coquetterie flatte leur amour-propre et ensuite elle leur permet de carotter quelques coups de bouton à leur adversaire.



  1. Vous avez même des élèves qui, dans une salle, tout en étant très bien garantis et ne courant aucun risque, utilisent inconsciemment, pour ainsi dire, la main gauche comme moyen de parade. À plus forte raison, ils l’utiliseront sur le terrain.