Mœurs financières de la France
Revue des Deux Mondes3e période, tome 69 (p. 100-122).
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MŒURS FINANCIÈRES DE LA FRANCE

LES CONTRATS D’ASSURANCES.

La révolution française a été inspirée par le désir de partager également entre les diverses classes de la société la propriété du sol et de donner à chacune d’elles des droits égaux à son exploitation. Aujourd’hui tous les mouvemens qui nous agitent, toutes les passions qui sont éveillées n’ont qu’un but : le partage du capital mobilier et la facilité de l’acquérir. La terre, avant la révolution, c’était le signe du pouvoir, du droit public, de l’existence assurée, de la vie des familles et des individus : le capital mobilier, c’est aujourd’hui l’instrument du travail nécessaire à tous, le fondement même du droit individuel et social.

Sans doute le partage du sol est permis à chacun, et la possession du capital mobilier n’est interdite à personne ; nul n’est exclu du banquet de la vie, mais l’accès s’offre-t-il aisément ? C’est l’éternel problème que les progrès de la civilisation tendent à résoudre. L’étude de nos mœurs financières nous a fait constater combien la mobilisation du capital, les progrès récens faits à cet égard, les procédés nouveaux employés pour en activer la production et le mettre à la portée des plus humbles avaient donné sous ce rapport d’heureux résultats.

Depuis longtemps déjà, les combinaisons qui ont pour objet la création de nouveaux capitaux mobiliers en même temps que la reconstitution de capitaux perdus, la garantie contre les pertes dans le présent et l’avenir, les assurances en un mot contre tous les risques auxquels l’homme est exposé sur ses biens, meubles et immeubles. sur sa vie, en prévision de l’oisiveté, de la maladie, de la vieillesse, de tous les maux enfin qui menacent l’individu ainsi que les membres de chaque famille, ont attiré l’attention de tous ceux qui pensent, parlent ou écrivent, et le recueil serait grand des ouvrages spéciaux consacrés à l’assurance sous toutes ses formes, non-seulement de l’assurance individuelle, mais encore de l’assurance collective étendue à des groupes plus ou moins nombreux : quelques-uns prétendent qu’elle devrait s’étendre à tous, et que c’est manquer au devoir social de l’état que de ne pas la fournir à l’universalité des citoyens. Le contrat d’assurance marque en tout cas un progrès considérable dans la constitution de la fortune publique et les procédés à l’aide desquels cette fortune a été mobilisée.

Ce n’est pas d’hier que les moyens de vulgariser le crédit : la substitution du papier à la monnaie, l’industrie des banques, ont pris naissance, et il faut remonter aussi très haut pour trouver les premiers règlemens des contrats d’assurance; mais c’est vraiment de nos jours que ces opérations ont pris le plus d’extension, ont pénétré le plus profondément dans toutes les couches sociales, à tel point que notre siècle en semble presque le créateur, et tout n’est pas dit sous ce rapport : les spécialistes ne manquent pas pour affirmer que, loin d’être épuisée, la matière n’est presque pas entamée, en France surtout, où, si les établissemens de crédit ont dépassé presque les limites nécessaires, l’assurance n’a pas été l’objet des mêmes entraînemens. Cela pouvait être vrai, il y a un certain nombre d’années ; nous-même, en 1859[1], à propos du crédit mutuel, et en 1867[2], au sujet des assurances sur la vie, nous constations, en le comparant avec l’Angleterre, l’état d’infériorité de notre pays ; nous l’expliquions par la différence de nos mœurs financières, nos habitudes de l’épargne, notre mode de placemens industriels et les avantages spéciaux que la création de nouvelles valeurs assurait à coup sûr à leurs possesseurs ; depuis lors, les circonstances n’ont-elles pas singulièrement changé? N’est-il pas opportun de le reconnaître et de constater les faits nouveaux? Nous le croyons d’autant plus que tout d’abord le progrès a commencé à se produire avec une grande rapidité, puis la mesure a été dépassée, et un brusque revirement a eu lieu. Le succès des compagnies d’assurances, presque trop grand, s’est changé plus tard en revers pour quelques-unes; mais pour les assurances comme pour les banques le temps de l’accalmie est revenu, la fièvre a cessé, et comme l’expérience est bonne à méditer, il nous paraît utile d’en exposer les leçons.

I.

Les années qui suivirent la révolution de 1848 virent naître une foule de projets, d’études, de discussions sur la constitution du capital mobilier, sur les méthodes les plus propres à développer le crédit, à le rendre accessible à tous, à procurer à chacun l’instrument du travail, s’il se pouvait même à en égaliser les fruits, distribuables par individu, non à titre de droit propre, la propriété devant être considérée comme un vol fait à la communauté, mais en vertu des besoins que chaque être est appelé à satisfaire dans leur mesure entière au moyen de son propre travail. Aujourd’hui encore, à lire les œuvres de la presse socialiste, à entendre les discours prononcés dans certaines réunions révolutionnaires, il semblerait que nous soyons revenus à trente-sept ans en arrière et même que nous en dépassions les excès, puisque dans les graves débats qui se poursuivaient alors c’était principalement aux doctrines, aux théories, à la persuasion qu’on s’efforçait d’avoir recours, tandis qu’aujourd’hui la violence est surtout préconisée et que le partage des biens de ce monde doit s’obtenir uniquement par la force. Dans cette première période, ceux qui lui survivent peuvent se rappeler combien de tentatives avaient été faites pour développer le crédit, multiplier la circulation du papier, créer des banques de toute nature, surtout à l’usage des classes les plus pauvres, et c’est alors que le crédit mutuel était adopté comme la base de nombreuses combinaisons financières autour de nous; en France, il n’était guère appliqué que dans une société d’assurances immobilières, mais l’on s’efforçait de l’étendre à des banques proprement dites. Puis la préoccupation publique, portée d’abord vers les banques, revint aux assurances, et nos mœurs financières nous parurent pouvoir s’en accommoder. Ce fut alors en 1869 que nous dûmes indiquer ce développement spécial de la richesse mobilière comme éminemment utile et noter notre infériorité vis-à-vis de nos voisins, de l’Angleterre particulièrement; mais c’était surtout en matière d’assurances sur la vie que nous paraissions en retard, et c’est sur ce sujet spécial que se portaient nos réflexions.

Ces opérations se divisent en deux branches : assurances en cas de mort qui ont pour objet le paiement d’une somme payable au décès de l’assuré, et assurances différées, payables en cas de vie de l’assuré, après un certain nombre d’années, sous formes de rentes viagères ou de capital une fois soldé ; or chez nous la faveur dont ces assurances sur la vie jouissaient ailleurs n’était pas bien grande, et nos habitudes financières semblaient même y répugner, tant à cause des dispositions du public, porté à l’épargne personnelle, qu’à cause des modes de placement de ces épargnes mêmes. Contrairement, aux habitudes anglaises, nos compatriotes aimaient mieux s’en remettre à eux du soin de préparer l’avenir en ne confiant aucun capital à des sociétés d’assurances, mais en épargnant le plus possible du bénéfice de leur travail et en le plaçant sur des titres dont la plus-value toujours certaine pouvait être plus ou moins rapprochée. D’anciennes combinaisons, comme celles particulièrement connues sous le nom de tontines, qui avaient eu de nombreux partisans, qui, après une association de plusieurs années, composée de participans de n’importe quel âge, assuraient le partage des versemens effectués entre les seuls associés survivans, avaient été successivement abandonnées et rendaient les assurances sur la vie encore moins populaires. Toutefois les compagnies adoptèrent de nouvelles combinaisons qui modifièrent peu à peu nos habitudes : la plus importante fut celle qui admit les associés au partage des bénéfices réalisés par les sociétés elles-mêmes, et, à partir de ce moment, le mouvement de propagande s’étendit. Les calculs que nous empruntons au Moniteur des Assurances, le plus utile recueil publié sur ce sujet, qu’a fondé M. Eugène Reboul, dont le nom fait autorité en cette matière, et qu’a continué M. Alfred Thomereau, nous permettront d’apprécier les résultats obtenus[3].

On peut diviser en trois périodes les mouvemens qu’il s’agit de signaler : 1° de l’origine des assurances jusqu’en 1870; 2° de 1870 à 1880; 3° enfin l’état actuel. Mais une première réserve doit être faite. Les statistiques du Moniteur des Assurances ne peuvent comprendre toutes les opérations réalisées en France : il faut en écarter d’abord celles qui sont contractées avec des sociétés étrangères qui viennent chercher des cliens parmi nous et qui en obtiennent un plus ou moins grand nombre selon les facilités qu’elles offrent et la réputation dont elles jouissent. Or le nombre en est considérable. Il faut aussi écarter les sociétés françaises qui ne publient pas le chiffre de leurs opérations, celles qui ont leur siège en province et ne jouissent d’aucune notoriété. C’est sur une vingtaine de sociétés seulement que les derniers tableaux des opérations ont été établis par le Moniteur des Assurances[4]. Mais plusieurs sont de date récente, les plus anciennes mêmes n’ont pas été créées à la même époque, la comparaison des périodes entre elles ne pourrait donc fournir des chiffres concordans ; le total seul montre les progrès généraux obtenus. De l’origine jusqu’au 1er janvier 1860, les opérations faites par les compagnies dont il s’agit s’élevaient à 38,258 contrats assurant en capitaux 334 millions de francs et à 26,700 contrats assurant 17 millions 1/2 de rentes viagères; mais d’année en année les chiffres se sont accrus et, au 1er janvier 1870, ils accusaient depuis l’origine 156,000 contrats pour 1,516 millions de capitaux et 56,000 contrats pour 36 millions 1/2 de rentes viagères. Il restait en vigueur au 31 décembre 1869 92,000 contrats assurant 919 millions de capitaux et près de 27,000 contrats assurant 18 millions de rente viagère.

La progression avait été grande d’année en année ; pour l’année 1869 seule, elle dépassait 200 millions. Elle avait supporté, tout en s’accentuant davantage chaque année, 6,800 sinistres donnant lieu au paiement de 58 millions de francs; en 1869 seulement 8 millions 1/2 avaient été payés : dans le cours de cette année, on put constater le décès de 1,300 rentiers viagers et l’extinction de près de 1 million de rentes. Dix ans plus tard, c’est-à-dire en 1880, d’après les statistiques faites dans des conditions semblables, on a compté depuis l’origine 391,000 contrats de capitaux assurés pour 3 milliards 830 millions et 88,000 contrats pour 60 millions de rentes viagères. Sur les capitaux assurés, il en restait en cours près de 2 milliards; les rentes viagères à solder montaient encore à 26 millions. Enfin, à la date du 15 juillet 1884, le Moniteur des Assurances donne le tableau récapitulatif suivant: opérations en cours en 1882, 2 milliards 760 millions, et, en 1883, 2 milliards 969 millions de capitaux assurés, soit 208 millions d’augmentation en un seul exercice : comme il y avait eu 310 millions de contrats éteints[5], la production nouvelle dépassait 518 millions, dont 500 par assurances en cas de décès, et 18 par assurances en cas de vie. Les sinistres en 1883 avaient dépassé 35 millions, ils n’étaient que de 33 millions en 1882.

Dans les tableaux du Moniteur des assurances, deux chiffres très significatifs doivent être relevés, celui des frais généraux des compagnies, qui, pour l’année 1883. montent à plus de 9 millions, et celui des commissions, qui en dépassent 10 1/2. Les primes de première année reçues par les compagnies n’étant que de 18,600,000 francs, les commissions ont donc prélevé 57 pour 100, et, avec les frais généraux, tout a été absorbé, aucun bénéfice n’est resté dans les mains des assureurs.

A cet égard, il faut bien comprendre comment opèrent les compagnies d’assurances sur la vie. Les contrats en cas de mort sont passés pour toute la durée de la vie ; ceux pour des paiemens différés ou des rentes viagères sont passés pour plusieurs années et durent vingt ans en moyenne. Les primes se paient d’avance.

Si ces contrats sont passés au moyen d’un intermédiaire, celui-ci prélève d’avance sa commission, il touche en général le montant d’une année de prime; mais quand les versemens se prolongent pendant la vie entière ou pendant un grand nombre d’années, s’il s’agit de rentes viagères, la commission peut s’étendre au-delà d’une année. A Paris, les intermédiaires traitent à forfait, et leur courtage se règle en conséquence; en province, lors du paiement des primes, il y a toujours un droit d’encaissement pour les représentans des compagnies. Tous ces frais amoindrissent de beaucoup le produit des opérations, et c’est ainsi que, pendant la dernière période, la profession d’assureur a vu tant de pertes se produire.

Avant d’achever l’exposé de toutes les fautes commises par les sociétés d’assurances, il nous est impossible de ne pas faire un retour sur les premiers mouvemens que nous signalions tout d’abord. Nous souffrions du retard qui se manifestait en France, par rapport aux autres pays, dans des opérations utiles à tous, profitant surtout aux plus pauvres ; nous nous réjouissions de voir les écrivains spéciaux mettre en lumière les avantages sociaux et politiques qui en découleraient. L’état lui-même, par l’établissement des caisses de retraite et de la vieillesse ; les villes, par la création des sociétés de secours mutuels et des caisses d’épargne, favorisaient, à l’exemple du gouvernement anglais, si opposé à toute ingérence de l’état dans les entreprises particulières, mais qui faisait à cet égard une bien remarquable exception, favorisaient, disions-nous, une propagande qui embrassait dans le même élan les assurances en cas de vie et les assurances en cas de décès, aboutissant ainsi, sous diverses formes, à la protection de l’existence individuelle. Malheureusement, aujourd’hui, d’autres préoccupations nous assiègent, et ce n’est plus le mot: «En avant! » qui est de saison, c’est un avertissement à la prudence, à la circonspection, presque un mot d’ordre contraire, puisque, comme les faits le démontrent, les avantages recueillis non-seulement ont été plus lents, mais que de nombreux essais pour des créations nouvelles de sociétés n’ont pas réussi et ne devaient pas réussir.

Or ce n’est pas l’intérêt de ces sociétés que nous avons en vue, ce n’est pas à leur propre succès que nous visons de préférence, c’est avant tout au succès de l’assurance en principe, de celle qui, selon le mot de M. Gladstone dans la discussion de la loi de 1862 constituant l’état anglais assureur viager, avait pour but l’amélioration du sort des plus nombreux et des plus chers des concitoyens du ministre. Les assurances en cas de mort et pour l’amélioration de la vie, si l’on peut parler ainsi, ont alors obtenu en Angleterre un concours qui fait, comme le disait M. Augustin Cochin, l’état l’assureur du peuple ; c’est bien ce rôle qui lui appartient aussi chez nous, non pas d’une façon directe et absolue, comme quelques utopistes persistent encore à le demander, mais d’une façon indirecte par le concours qu’il faut prêter à toutes les combinaisons que l’esprit inventif trouvera pour venir au secours des nécessiteux et stimuler le penchant à l’économie et à la prévoyance, en un mot, par une surveillance plus directe et plus minutieuse des opérations privées. Les assurances sur la vie sont, en effet, l’objet de précautions administratives qui ne sont pas prévues pour les autres contrats d’assurances : certains articles de statuts des sociétés recommandent des placemens spéciaux pour les sommes versées et exigent des précautions pour le paiement des actions elles-mêmes. Il ne faut pas affaiblir ces règlemens, mais les fortifier au contraire et rendre le contrôle plus actif et plus rigoureux.

L’état, en garantissant la caisse de retraite pour la vieillesse, en aidant à la création des sociétés de secours mutuels, en protégeant toutes les caisses d’épargne, a conquis un droit, on peut même dire a contracté des devoirs que l’on est presque porté à exagérer, puisqu’on semble lui demander d’être le seul assureur. On l’a vu, lorsque des désordres ont éclaté dans certaines localités, où les caisses d’épargne ont été entraînées à ne pouvoir remplir leurs engagemens : l’opinion publique s’est révoltée contre cette localisation des caisses tombées en faillite et a demandé la solidarité de toutes sous l’égide de l’état. S’il en doit être ainsi, on concevra l’utilité de la surveillance officielle à l’égard des sociétés privées, de même qu’on ne conteste pas son action vis-à-vis d’autres institutions qui ont un vrai service public pour objet, comme, par exemple, les compagnies de chemins de fer : le service des transports est-il d’un ordre supérieur à la constitution des assurances sur la vie? La création des caisses d’épargne postale due à l’initiative de M. Arthur Legrand, député de la Manche, a été un grand pas fait en avant.

A côté des excès à craindre et qu’il faut surveiller toujours, il est bon de noter les combinaisons nouvelles prises pour aider au développement des assurances et dont la plus importante a été l’admission au partage des bénéfices des assurés avec leurs assureurs mêmes. Aucune réponse meilleure ne pouvait être faite aux détracteurs des sociétés anciennes si prospères, si utiles à tous, et l’augmentation très légère qui, dans le paiement de la prime, a admis l’assuré au partage des profits réalisés par les sociétés a enlevé toute méfiance à l’égard de ces profits. Plus que toute propagande, plus que tout programme laudatif, ce système est devenu le moyen le plus efficace de progrès, soit que ce partage des bénéfices s’effectue par un paiement en argent, par une augmentation de la somme assurée, ou par une diminution de la prime à payer.

Il reste une remarque importante à présenter. Les assurances sur la vie diffèrent des autres assurances en ce sens qu’il y a toujours un paiement à effectuer par les assureurs. Un incendie peut ne jamais se produire, un accident même peut ne pas arriver. La mort arrive toujours, et la somme stipulée avec délai sera soldée aux uns ou aux autres. C’est donc pour les administrateurs des compagnies un devoir rigoureux d’être continuellement sur la brèche, de tenir toujours disponibles les sommes qui sont nécessaires à ces paiemens, comme d’évaluer à leur juste prix les chances que peuvent leur faire courir leurs cliens; en un mot, il leur faut rectifier sans cesse leurs tables de mortalité.

De grandes variations existent à ce sujet, et la science des actuaires, c’est-à-dire des calculateurs chargés de ces appréciations, est toujours en éveil sur ce point. Faire des réserves annuelles, bien placer ses capitaux, bien équilibrer les primes, voilà le premier devoir des sociétés ; il en est un autre non moins impérieux, celui de savoir borner ses dépenses. Dans les chiffres cités pour 1883, nous avons montré à dessein qu’elles nous paraissaient bien considérables. Est-il nécessaire, comme on l’a fait en 1883, de dépenser 9 millions 1/2 afin d’en encaisser 114, et surtout devait-on distribuer en commissions une somme de 10 millions 1/2 pour les assurances sur la vie ? Nous avons déjà dit quelques mots de ce fléau des commissions, nous y reviendrons plus tard, car la commission s’applique à toutes les formes de l’assurance, et elle a nui aux assurances sur l’incendie aussi bien qu’aux assurances sur la vie. Le sujet vaut la peine d’être traité plus à fond, tant les conséquences ont été graves dans les années précédentes, tant il importe d’y mettre un terme. Quant aux assurances sur la vie même, il convient de dire un mot des diverses combinaisons qui, adoptées récemment, ont servi à leur extension, et qui du chiffre de 500 millions d’assurances sur la vie, noté par nous en 1869, l’ont porté à celui de 3 milliards que nous relevions en 1883 pour une vingtaine de compagnies françaises.

Le vieux mode de tontines sous lequel, dans les siècles précédens, la mutualité avait servi de base à des assurances sur la vie, s’est transformé et tend à reparaître avec de sérieux avantages. La tontine consistait à réunir, pour un certain délai, des sommes dont les intérêts devaient s’accumuler, et, à l’expiration du terme, à en partager le total entre les associés survivans. Nulle distinction d’âge, de santé, de mortalité n’était faite au préalable. Cette accumulation des intérêts et les chances trop faibles de mortalité entre des individus appartenant aux mêmes classes de la société avaient donné des résultats tellement insignifians que les tontines périrent d’elles-mêmes et ne se renouvelèrent pas. Une société nouvelle, la Fourmi, vient de prendre utilement leur place; et sans la donner comme un type unique, nous la présentons comme un bon exemple à citer. Elle a convié les ouvriers, les employés modestes, les artistes, à lui donner 0 fr. 10 par jour qui seront centralisés et employés en achats de valeurs à lots, c’est-à-dire qui ajouteront aux intérêts accumulés le profit des tirages au sort. Constituée par période de dix années, cette société sera la véritable loterie de l’épargne, et, on peut le dire, de la bienfaisance, puisqu’il est permis de verser pour un tiers et de lui constituer ainsi une épargne en participation. Les résultats de cette œuvre, à laquelle participent les hommes les plus compétens et les plus éminens, parmi lesquels nous citerons M. Edouard Hervé, M. Francisque Sarcey, M. Henri Durrieu, le président du Crédit foncier, M. Christophle, dont les administrateurs, et l’on peut dire les employés, ne touchent ni rémunération ni jetons de présence, comptait, au 24 février 1884, 1,265,000 francs de fonds versés; fin décembre dernier, ce chiffre avait doublé; dans un an, on suppose bien qu’il s’élèvera à plus de 4,000, 000 de francs.

La Fourmi n’est toutefois pas une véritable société mutuelle, pas plus que les sociétés de secours qui en portent le nom et qui ont besoin, pour produire tous les avantages qui en découlent, du concours de bienfaiteurs divers, du secours des villes, des départemens et de l’état. La mutualité, nous le verrons plus tard, ne peut être une base équitable d’assurances sur la vie et ne se prête pas à des calculs positifs sur lesquels toute société qui a besoin de bien faire pour vivre doit équilibrer ses chances et établir ses opérations : mais il n’en a pas été de même pour d’autres risques qui menacent la vie de l’homme, tels que les accidens de chemins de fer, des transports de toute sorte, des catastrophes diverses qui peuvent atteindre les biens matériels de l’individu, ses marchandises, son argent, sa santé même et son existence. Quel est le nombre de ces diverses assurances? on ne saurait le dire, et tous les élémens de statistique manquent à cet égard ; mais il est probable que les mêmes résultats progressifs se manifesteraient en cette matière comme dans les assurances sur la vie.

En nous renfermant pour celles-ci dans les données fournies par le Moniteur des Assurances, nous pouvons dire qu’elles représentent les opérations les plus importantes des sociétés françaises qui publient le résumé de leurs affaires, et qu’elles donnent, par conséquent, ridée la plus exacte du mouvement général produit. Au 1er janvier 1884, les sociétés dont le tableau comparatif a été publié étaient au nombre de dix-neuf; leur actif, dans la dernière année, s’était accru de 65 millions, et le total atteignait 1 milliard 33 1/2 millions. Sur ces dix-neuf sociétés, trois seulement avaient subi une faible diminution. Si l’on remarque que l’importance de l’actif se calcule d’après la valeur des titres qui le composent; si l’on réfléchit que la conversion de la rente 5 pour 100, opérée de 1883 à 1884, avait diminué l’intérêt produit par leurs propres valeurs sans amoindrir l’importance du capital ; que, d’autre part, les obligations de nos chemins de fer composant en grande partie le portefeuille des compagnies avaient obtenu une plus-value très notable, on se convaincra qu’un fait domine tous les autres, c’est-à-dire que l’actif de nos sociétés d’assurances sur la vie, dans nos principales compagnies, donne lieu à toutes les sécurités et justifie la confiance que le public ne doit pas cesser d’avoir en elles, puisqu’il dépasse 1 milliard 33 millions pour garantir 3 milliards de risques en cours.


II.

Les assurances sur l’incendie sont depuis longtemps pratiquées en France sur une très large échelle, et les sociétés qui les garantissent ont une existence déjà longue, signalée par d’importans succès. Il n’y a pas à en faire l’histoire ni à les recommander à l’attention publique. En dehors des localités les plus petites, on ne trouve plus guère, comme nous le disions il y a plus de quinze ans, de propriétés dépourvues des plaques, signes de l’assurance contre l’incendie ; encore ne serait-ce plus une preuve de non-assurance immobilière. Mais il existe encore de grandes lacunes en matière d’assurances du mobilier et, à Paris même, on compte bien des retardataires : dans les départemens, malgré les compagnies qui commencent à s’y former, dans les campagnes surtout, nous oserions affirmer que l’assurance du mobilier est une exception. De grands progrès restent donc à faire, et nous souhaitons qu’ils se réalisent, dans l’intérêt sérieux de la fortune publique. En revanche, de nouveaux risques ont attiré l’attention; dans les grandes villes, et à Paris surtout, les locataires des maisons, quand ils sont plusieurs, peuvent être exposés à des dégâts causés par l’un d’eux et dont le propriétaire est responsable s’il se découvre un vice de construction ; le même propriétaire peut aussi être responsable des risques du voisinage si l’incendie mis par le voisin a été propagé par la faute de son concierge ou de toute autre personne à ses gages. Il fera donc bien de s’assurer contre ces risques de locataires et de voisins. A leur tour, les locataires doivent indemniser le propriétaire de tous les dégâts du feu qu’ils auraient mis chez eux-mêmes et qui pourraient atteindre de très grandes proportions. Tous ces dangers réciproques ont entraîné des contrats d’assurances : il existe même un risque très rarement assuré et qui mérite de l’être. Pendant que les réparations nécessitées par le feu s’exécutent, les locaux restent vides : il y a chômage ; s’il s’agit d’indemnité due par le propriétaire à son locataire, la non-jouissance sera comprise dans les frais à la charge du premier, mais ce propriétaire même, qui l’indemnisera de son local non occupé et non loué? Le risque du chômage est donc devenu une annexe des dégâts de l’incendie : il est bien entendu qu’il ne s’agit en rien du chômage des appartemens en général et des non-locations ; cela ne rentre pas dans les risques de l’incendie. Au total, les assurances contre l’incendie ont progressé et progressent tous les jours : les statistiques le prouvent avec évidence.

Dans le recueil de M. Alfred Thomereau, nous trouvons qu’au 1er janvier 1884, le nombre des compagnies d’assurances à primes fixes contre l’incendie s’élevait à quarante, abstraction faite des compagnies de réassurances; mais, pour diverses raisons, les tableaux synoptiques qui en résument la situation n’avaient pu être établis que sur vingt compagnies seulement. Cela n’avait guère d’importance puisque les sociétés laissées de côté représentaient bien moins de la moitié du nombre des opérations totales d’assurances, à peine un dixième de l’ensemble.

Le contrat de réassurances, dont nous venons de parler, a été pratiqué sur une certaine échelle tout récemment ; mais il n’a pas donné tout ce qu’on en avait attendu. Qu’une compagnie dont les opérations sont trop nombreuses ou comprennent des chiffres trop importans, qui désire par conséquent en amoindrir la charge, cherche à la partager avec d’autres, elle prend une mesure analogue à celle d’un assuré qui s’adresse en même temps à plusieurs compagnies en divisant entre elles le total à assurer, c’est le principe : Uno avulso non deficit alter. Mais il va de soi que, lorsqu’une compagnie réassure, c’est qu’elle redoute les périls de l’assurance première et qu’elle craint de s’être exposée à de plus gros risques qu’elle n’aurait dû le faire. Évidemment, si la mesure n’était pas un peu dépassée, si les chances étaient tout à fait en sa faveur, si les prix étaient entièrement rémunérateurs, elle ne voudrait pas recourir à des mesures qu’il faut toujours payer chèrement, les réassureurs cherchant à tirer parti eux-mêmes d’une situation qui semble un peu difficile. La réassurance a été l’objet d’une lutte entre des compagnies jalouses de former de gros portefeuilles en peu de temps, sans trop regarder à leur valeur, puis qui bientôt ont voulu s’affranchir de leurs plus gros risques, et des sociétés nouvelles, bien aises de s’immiscer dans des opérations qui leur étaient fermées et d’entrer sur un nouveau terrain. La concurrence des intermédiaires a joué ici encore son mauvais rôle, et une crise s’est produite dont le moment le plus aigu remonte à l’année 1881. Les commissions ont exercé dans les assurances contre l’incendie une influence encore plus nuisible que pour les assurances sur la vie : les contrats d’assurances y sont en effet conclus pour des périodes bien autrement courtes et ne dépassent pas dix ans en général. Or l’abandon à titre de commission d’une première année de prime, de deux années en général, quelquefois même de trois sur dix années, tant les exigences des intermédiaires se sont accrues, a bientôt déterminé des catastrophes faciles à prévoir, surtout pour les sociétés qui s’étaient formées uniquement en vue de l’émission de leurs actions réalisant dès le début une hausse importante par suite du mouvement produit sur ce genre de placement, appelé, croyait-on, à participer à la fortune exceptionnelle des anciennes compagnies. La désillusion ne tarda pas à se manifester et, en cette année même de 1881, on retint à des idées plus sages et à des combinaisons plus prudentes. Quatre des compagnies anciennes formaient entre elles, depuis plusieurs années, une sorte de réunion qui, par les soins d’un comité spécial, visait à maintenir les assureurs dans une voie de sagesse et de bonne administration. Sans être associées, elles étaient unies ; guidées par cet exemple, une douzaine d’autres prescrivirent de véritables règlemens contre l’abus de la concurrence, la baisse exagérée des tarifs, et alors de nouvelles habitudes de prudence ne tardèrent pas à se propager qui, depuis ce moment, semblent devoir préserver d’une chute définitive les compagnies subsistantes encore parmi celles qui venaient d’être le plus récemment créées.

La comparaison entre les jeunes et les anciennes compagnies donne à cet égard les renseignemens les plus instructifs, et montre bien par quelles phases l’esprit public a passé sur ce sujet. De 1819 à 1864, treize compagnies fondées avant cette dernière date se partageaient les faveurs du public, et la prospérité des plus anciennement fondées était bien grande : c’étaient la Générale, la Nationale, le Phénix, l’Union, le Soleil, la Providence, l’Urbaine, la France, l’Aigle, la Paternelle, la Confiance et le Monde. Les dernières, de date toute récente, ne figurent, dans cette première division des vingt compagnies dont la statistique a été donnée par le Moniteur des Assurances et dont nous avons parlé plus haut, que moyennant certaines réserves et comme très inférieures aux premières. Quant au second groupe formé de sept compagnies, c’est à un mouvement de spéculation pure et pour aider à des émissions d’actions qui donnaient lieu à de fortes primes non justifiées qu’il devait le jour. Pendant une assez longue période, les opérations d’assurances se développèrent avec une progression plus ou moins rapide selon que la spéculation semblait plus ou moins fiévreuse : dans un autre ordre d’entreprises, nous avons vu les mêmes péripéties et nous avons gardé le souvenir de toutes les affaires industrielles de banque, de chemins de fer, etc., qui ont été le théâtre des mêmes mouvemens; mais, pour toutes ces affaires, il a suffi d’un ralentissement dans la hausse pour produire un véritable krach, le mot est consacré, et renverser l’échafaudage à peine élevé. Quelques fusions s’opérèrent donc entre plusieurs sociétés d’assurances atteintes ; des mesures de préservation contre la concurrence et les commissions exagérées, surtout contre le trop bon marché des primes, furent prises ainsi que dans les sociétés d’assurances sur la vie, et dès 1881, un peu d’ordre commença à se rétablir.

De 1869 à 1883, les compagnies précitées ont payé à leurs sinistrés 630 millions contre des primes encaissées qui ont varié. La proportion des sinistres aux primes a été de 42 pour 100 au minimum en 1872 et au maximum de 71 pour 100 en 1881. Au 1er janvier 1884, les risques en cours des 13 sociétés formant le premier groupe des 20 compagnies dont il s’agit s’élevaient à 94 milliards, et les primes encaissées dans l’année 1883 à 74 millions contre 42 millions de sinistres ; pour les 7 compagnies du deuxième groupe, on a relevé 12 milliards de risques en cours. La proportion des sinistres par rapport aux primes a été de 56 pour 100 dans le premier groupe et de 70 dans le second. Ces chiffres n’ont pas besoin de commentaires. Quant à la situation financière des deux groupes, les résultats sont aussi des plus instructifs. Le capital social du premier groupe n’est que de 102 millions, tandis que celui du second s’élève à 105, plus cher par conséquent à rémunérer ; les réserves du premier groupe s’élèvent à 100 millions et le second n’en a guère que trois: le portefeuille du premier dépasse 448 millions contre 83 pour le deuxième ; enfin il ne reste au premier groupe, et cela pour une seule société, que 1,500,000 francs de dépenses à amortir, tandis que le second groupe en compte encore plus de 22 millions. La situation actuelle justifie donc la baisse des actions des dernières compagnies formées et la défaveur qui les frappe, mais qui depuis près de deux ans ne fait pas de progrès. Grâce aux efforts de ceux qui les administrent, aux leçons de l’expérience, il y a lieu d’espérer que les anciennes compagnies continueront leur essor prospère et que les nouvelles trouveront les moyens de vivre : nos habitudes financières reprendront donc leur cours momentanément suspendu, et, les bénéfices aidant, on recherchera à nouveau les titres des sociétés d’assurances. En 1883, les profits distribués aux actionnaires se sont élevées, impôts déduits, à 9,877,000 francs, sur lesquels les 7 compagnies du second groupe n’ont, bien entendu, rien prélevé. La Générale, la Nationale, l’Union, la France, l’Urbaine, la Providence et le Soleil ont distribué des dividendes absolument égaux à ceux de l’année précédente. Quant aux 20 compagnies que les statistiques du Moniteur laissent en dehors de leurs tableaux, elles sont demeurées presque toutes improductives, de sorte que l’on peut dire que les compagnies en situation de rémunérer leur capital social forment une minorité privilégiée.

Encore sur les 9,800,000 francs de dividendes distribués en 1883 par les principales compagnies, si l’on déduit 5,600,000 francs, produit des fonds placés qui leur appartiennent en propre, il faut bien reconnaître que le bénéfice industriel n’est pas de 5 pour 100 par rapport aux primes perçues qui, pour ces compagnies, se sont élevées à 87 millions. Comment donc s’expliquer la faveur privilégiée dont jouit l’élite des sociétés d’assurances à primes fixes? Par les circonstances qui en ont accompagné la création, surtout à cause de la modicité de leur capital actions. Elle est telle que, pour l’une de ces compagnies principalement, les actionnaires n’ont eu à payer leurs actions qu’avec un titre de rente qui est resté même en leur possession ; il faut parler aussi du bon emploi de leurs capitaux et de leurs réserves en valeurs, qui ont prodigieusement monté, ainsi qu’en achats d’immeubles dont le prix, terrains et constructions, a gagné une plus-value notoire. Or ces bénéfices représentent des profits accessoires, plutôt que des bénéfices industriels proprement dits. Comme les nouveau-venus n’auront à jouir que de ceux-ci, ils devront user d’une grande sévérité et d’une excessive prudence dans leur administration, ce qu’ils n’avaient pas commencé par faire.

Avant de formuler ce qui nous semble devoir être la conduite à tenir en matière d’assurances en général, vie et incendie, nous voudrions nous arrêter un moment à l’examen d’une des formes d’assurances dont il a été question à bien des reprises : nous voulons parler de l’assurance mutuelle.


III.

Ce n’est pas la première fois que nous cherchons à mettre en relief les mérites de la mutualité, et nous avons, il y a bien des années, relaté les travaux d’écrivains hors ligne, de publicistes éminens, qui ont démontré par les faits les plus probans la valeur d’un système qui fait reposer sur la pluralité la base la plus solide des profits que l’individu veut recueillir. Tout a donc été dit sur la mutualité, et il ne reste plus qu’à constater les résultats de la pratique de ce mode d’assurances. En dehors de quelques applications restreintes à des cas spéciaux, comme par exemple la distribution de secours passagers, d’assistance médicale, etc., la vraie mutualité ne s’applique pas chez nous à l’assurance sur la vie. Les sociétés de secours mutuels qui se fondent dans toutes nos communes, dans tous les établissemens industriels, n’ont qu’un but limité et sont alimentées non-seulement par les intéressés eux-mêmes qui versent des parts de leurs salaires quotidiens, mais par des dons de l’état, des communes, des propriétaires d’usines, de chemins de fer, etc., par des bienfaiteurs de toute sorte qui contribuent aux versemens, mais n’en recueillent aucun profit. La mutualité n’existe donc pas, et pour les assurances sur la vie, même si elle était réduite aux seules personnes qui jouissent des fruits, rien ne serait plus difficile que de proportionner les bénéfices à recueillir aux primes à verser, puisqu’aucun calcul sérieux ne pourrait être établi sur les chances de mortalité, de longévité, rendant la situation vraiment égale entre tous les associés mutuels. Les tables de mortalité, les inégalités résultant de l’âge, de l’état sanitaire, de la situation sociale de l’assuré, veulent à chaque instant être corrigées, examinées, redressées avec un soin dont les sociétés mutuelles en France n’ont pas osé se charger, tandis que les mutualités aux États-Unis, en Angleterre et en Allemagne ont formé les plus importantes des sociétés d’assurances sur la vie. Les sociétés à primes fixes, stimulées par l’espoir des bénéfices ou les craintes de la perte, ont seules jusqu’ici rempli chez nous cette tâche avec des succès plus ou moins grands.

Il nous est impossible à cette occasion de ne pas mentionner la tentative faite depuis bien des années par l’un des hommes dont le nom est le plus honorablement connu dans le monde des assurances, M. le comte de Courcy, auteur d’ouvrages nombreux sur ce sujet, et administrateur de l’une de nos premières compagnies. C’est sur l’un des points principaux qui forment l’objet de l’assurance que les efforts de M. de Courcy se sont surtout concentrés. Pénétré de l’idée que ce qu’il faut demander par l’assurance sur la vie, c’est la constitution d’un capital en cas de mort, plutôt que la création d’une rente viagère pour la vieillesse, M. de Courcy a cherché à étendre cette mesure non-seulement aux employés de sa compagnie, pour lesquels a été créée une caisse de prévoyance qui pourrait servir de modèle à toutes les sociétés jalouses d’assurer dans l’avenir une situation meilleure à ceux qui travaillent pour elles, mais il a voulu étendre ce bienfait à tous les serviteurs de l’état. Il a dressé le plan d’une association universelle qui serait alimentée, comme le sont aujourd’hui les caisses de l’état, par des retenues sur le traitement, auxquelles s’ajouterait le total des sacrifices que l’état s’impose pour parfaire le montant des retraites obtenues ; mais cette institution ne procurerait pas seulement aux anciens serviteurs du gouvernement des rentes viagères : elle leur offrirait aussi le choix de jouir de ces rentes jusqu’à leur mort ou d’obtenir au moment de leur mise en retraite une sorte de patrimoine reconstitué profitable à leurs veuves et à leurs enfans.

Ce que cette révolution financière aurait d’avantageux au point de vue moral, à celui de la repopulation du pays, de la bonne conduite des fonctionnaires eux-mêmes, n’a pas besoin d’être démontré. Après de très longues études faites par les agens de l’administration et où l’intervention de M. de Courcy a été toujours active, sa pensée a fini par être adoptée par le gouvernement, et un projet a été déposé au sénat, en décembre 1877, pour la reconstitution générale des retraites civiles : adopté par lui, il a été renvoyé à la chambre des députés. Un rapport de M. Godefroy Cavaignac a été rédigé et distribué à la séance du 19 mai 1883, mais il concluait au rejet, et depuis lors le silence s’est fait sur la grande réforme qu’il s’agissait d’opérer; le projet de loi n’est pas venu à discussion. Pourquoi donc ? Par une raison bien simple : sans viser la question de savoir si ce nouveau mode de secours n’entraînerait pas pour l’état de plus grands sacrifices que l’ancien, celui de 1852, on a remarqué qu’en principe les retenues sur les appointemens des fonctionnaires figurent dans les recettes ordinaires du budget ; dépassent-elles, ou non, les sommes payées pour les retraites ? peu importe. L’état inscrit celles-ci dans les dépenses ordinaires, et on se dit que les pensions viagères finissent par s’éteindre, en ne créant qu’une dette provisoire qui cessera par la mort de ceux qui en jouissent; mais s’il fallait laisser aux intéressés la faculté de rentrer dans des capitaux plus ou moins importans, où en prendrait-on le montant ? Il aurait fallu faire des réserves sur les versemens des employés séparément et avec accumulation des intérêts, créer en un mot un budget spécial et priver ainsi le budget général de l’emprunt déguisé et non remboursable qu’il se procure aujourd’hui à l’aide de ces parts prises sur les appointemens. Or notre budget ne comporte pas de retranchemens semblables, et c’est ainsi que la Caisse de prévoyance, comme l’on a dit, ne semble pas devoir arriver à voir le jour.

En sera-t-il de même de tous les projets qui se poursuivent sur les caisses de secours que l’on voudrait établir pour venir en aide aux associations ouvrières contre les accidens, la vieillesse, la maladie, etc. ? Nous sommes en ce moment sous l’empire d’une préoccupation générale qu’on pourrait appeler celle de la charité civile à exercer à l’égard des classes les plus nombreuses: nous avons dit nous-même à propos des sacrifices que l’on demande aux budgets des communes et des départemens dont les charges ont été si accrues par les dépenses de l’instruction, des routes, nous avons dit qu’allait venir le moment où il y aurait lieu d’accroître encore ces charges pour augmenter les hôpitaux, les hospices, les refuges, pour créer enfin le budget de la bienfaisance et de la charité ; or ce moment n’est-il pas proche, et ne trouverait-on pas opportun de réserver à ces dépens.es à faire dans l’intérêt des classes les plus nombreuses la ressource de la surélévation des impôts sur les alcools que demandait M. Henri Germain dans la dernière discussion du budget? Réserver pour récompenser le travail les charges qu’il serait utile d’imposer à l’ivrognerie serait obtenir d’un seul coup deux bons résultats.

Revenons aux assurances mutuelles contre l’incendie. Sans doute, les chances ne sont pas les mêmes entre tous ceux qui cherchent à se préserver des ravages du feu ; telle maison assurée contre l’incendie présente plus ou moins d’aliment au feu, est exposée plus ou moins à ses attaques et offre plus ou moins de défense selon sa nature propre et sa situation. Mais il semble facile de déterminer les chances de l’objet assuré, et, en proportionnant la prime à payer dans chaque assurance à ces chances mêmes, on établit une égalité qui rend la mutualité possible ; et, comme ce système présente l’avantage du bon marché, puisque les sociétés mutuelles n’ont pas de capital d’actionnaires à rémunérer, il doit devenir populaire et grouper de nombreux adhérons; mais il offre aussi un inconvénient réel : présente-t-il à l’assuré la même sécurité et les mêmes garanties pour le paiement des sinistres?

Une société à primes fixes, pourvue d’un capital social important et de fortes réserves, appuyée sur un passé irréprochable, promet à celui qui contracte avec elle que les dommages subis seront promptement réglés et entièrement payés, à moins de ces catastrophes qui engloberaient des villes ou des pays entiers, et dans lesquelles le cas de force majeure pourrait réellement s’appliquer. Ces facilités de règlement, cette certitude de remboursement qu’offrent les grandes sociétés à primes, et surtout la propagande faite par leurs agens, ont le plus souvent déterminé le public à s’adresser à elles, et la mutualité n’a guère pu s’établir que dans de rares localités où les essais tentés n’ont pas encore donné des résultats très significatifs ; une seule exception doit être faite à cet égard, et nous ne craignons pas de rappeler ce que nous disions en 1859 et en 1867 sur la société mutuelle immobilière de la ville de Paris. Les progrès réalisés par elle prouveront en sa faveur plus que tous les argumens. La société mutuelle, fondée en 1816, a joui depuis cette date ancienne d’une notoriété toujours croissante; elle ne recrute ses adhérens que parmi les propriétaires de la ville de Paris, et jusqu’à l’extension des limites de la capitale aucune autre société mutuelle ne s’était établie en concurrence avec elle ; les sociétés à primes fixes tentaient à Paris de rares opérations, et même les sociétés d’assurances sur-la vie, en tant que possesseurs d’immeubles, entraient dans la clientèle de la société mutuelle comme sociétaires. Après l’extension des limites de Paris, une première mutualité créée en Seine-et-Oise, qui comptait de nombreux contractans dans les faubourgs, les a conservés quand ils sont devenus des propriétaires parisiens, et, depuis lors, elle en a augmenté le nombre : d’autres mutualités encore se sont créées ; toutes les sociétés à primes fixes ont aussi recherché la clientèle parisienne.

Cependant la mutualité de 1816 n’en continue pas moins ses progrès. En 1869, nous disions qu’elle assurait pour 3 milliards de propriétés dans Paris ; aujourd’hui elle en assure le double en valeurs simples seulement, sans compter la valeur du terrain. Ce n’est pas tout : au risque immobilier contre l’incendie, la Mutuelle a ajouté d’autres risques découlant tous de la qualité de propriétaire, mais qui n’en sont, pour ainsi dire, que des accessoires. Ce sont : 1° les risques contre les recours des locataires ; 2° les risques de voisinage ; 3° les risques de chômages. Les éventualités auxquelles sont exposés les propriétaires dans les trois cas dont il s’agit étaient l’objet d’assurances des compagnies à primes fixes ; la Société mutuelle a pensé avec raison qu’il entrait dans l’esprit de son institution d’en faire l’objet de contrats annexes, et elle a déjà de ce chef réalisé 2 milliards d’assurances. L’adjonction de ces nouveaux risques n’a fait qu’accroître la solidité de la Mutuelle, car les primes payées à cet effet n’ont pas atteint les pertes occasionnées ; il en a été de ce fait comme il ne cesse de l’être pour les risques d’incendie couverts par des contributions plus élevées que la contribution simple : ils sont appréciés avec tant de prudence qu’ils ont laissé toujours une marge importante entre la quotité des sinistres et les primes perçues.

Il faut bien remarquer, en effet, que toutes les maisons ne sont pas astreintes à payer une contribution semblable dans le prix de leur assurance. Une maison à destination d’habitation ordinaire, bien construite, bien entourée, ne paie que la contribution simple : quand elle est affectée à usage commercial ou industriel, qu’elle se trouve placée dans le voisinage de certaines fabriques, dans des quartiers plus populeux ou moins largement ouverts, enfin, quand elle présente des chances plus ou moins grandes d’incendie, même si la décoration intérieure expose à des réparations de luxe beaucoup trop chères, elle paie des contributions qui peuvent surpasser plusieurs fois la contribution première. Or l’administration de la société a toujours opéré avec tant de sagesse qu’elle n’a jamais été en perte sur ces évaluations et, grâce aux excédens qui en résultent, elle a pu maintenir le taux à payer par ses sociétaires, en y comprenant l’allocation pour les frais d’administration de toute nature, à une moyenne qui ne dépasse pas en général 10 francs pour 100,000 francs de valeur assurée. Il y a lieu de remarquer ici l’usage fait de l’allocation accordée aux frais d’administration : comme ils sont l’objet de la plus rigoureuse économie, un excédent en résulte presque toujours. Dans la première période de son existence, la société destinait ces excédens, une fois payées les œuvres de bienfaisance adoptées par elle, à diminuer la contribution des sociétaires aux sinistres ; depuis un certain temps, elle les a consacrés à créer un fonds de réserve qui doit servir de fonds de roulement pour le paiement des sinistres survenus dans l’année avant le règlement même des comptes de l’exercice et le paiement de la contribution des sociétaires ou des recours à exercer ; elle y trouverait même, dans le cas où un sinistre très considérable se produirait, une sorte de subvention extraordinaire qui diminuerait la contribution définitive, s’il fallait l’élever pour une année à un taux insolite et trop éloigné de la moyenne ordinaire. Cette réserve, d’abord nulle, a été plusieurs fois poussée à un chiffre de plus en plus important ; or on ne s’arrête pas dans cette voie ; et chaque exercice donne des résultats dont on ne veut pas même entrevoir le terme, et qui sont de nature à encourager les plus larges espérances.

En face de cette prospérité toujours croissante et dont les limites restent encore vastes, on s’est demandé si la Société mutuelle ne devrait pas assurer à la fois les risques mobiliers et immobiliers; nous n’oserions, pour notre part, l’y engager, quoique les uns et les autres soient étroitement unis et que, pour les propriétaires au moins, le résultat de l’incendie demeure connexe. L’intérêt du propriétaire à contracter pour son mobilier avec la société qui assure déjà son immeuble semblerait demander cette jonction. Mais, outre que la Société mutuelle a toujours tenu à conserver son caractère intact, sa physionomie distincte, et à rester sur son propre terrain, plusieurs réflexions peuvent s’opposer à la réunion des deux risques. D’abord les modes d’appréciation des risques mobiliers diffèrent sensiblement et donnent lieu à des appréciations variables qui rendraient l’administration plus difficile qu’elle ne l’est actuellement et imposeraient des charges trop grandes : de plus, la jonction des risques mobiliers et immobiliers créerait des responsabilités en cas de sinistres qui dépasseraient toutes les bornes de la prudence, et la compagnie ne pourrait se charger d’assurer des sommes aussi fortes. Il faudrait diviser les risques entre plusieurs sociétés; en outre, l’assurance des risques mobiliers se faisant toujours à un taux plus élevé que celle des risques immobiliers, le renom du bon marché de la Société mutuelle en serait très atteint. Enfin, il faut reconnaître que, dans le fonctionnement de ses opérations, c’est grâce surtout aux recours exercés que le coût des sinistres est relativement faible pour les associés de la Mutuelle : or ces recours, qui proviennent de la responsabilité exercée contre les auteurs des sinistres eux-mêmes, les locataires, les voisins, etc., sont le plus souvent payés par les Compagnies qui leur assurent elles-mêmes, avec les risques mobiliers, certaines sommes en prévision des droits des propriétaires; ces compagnies y trouvent sans doute leur avantage, mais la Compagnie mutuelle en profite dans la plus grande mesure, et en ce cas comme dans bien d’autres, il faut préférer le connu à l’inconnu, c’est-à-dire le recours à l’assurance mobilière.

Une dernière question se présente. La Compagnie mutuelle ne peut-elle étendre le champ de ses opérations, c’est-à-dire assurer des immeubles hors Paris même, ou s’associer à des compagnies mutuelles qui exercent déjà la même industrie ailleurs? Sa propre histoire et les faits récens démontrent qu’elle aurait tort de l’entreprendre. Une société mutuelle ne se fonde pas aisément, il a fallu bien des années à la Mutuelle de Paris pour atteindre son entier développement, il lui reste encore de grands progrès à faire, et nous croyons qu’elle n’a besoin pour le moment que de continuer son œuvre et de se distinguer, comme elle le fait depuis si longtemps, par la rigueur de sa gestion, l’excellence de sa direction et l’honorabilité d’une administration qu’on peut dire désintéressée, comme l’est son association elle-même.


IV.

Quoique très incomplets, les chiffres que nous avons produits, les réflexions qu’ils ont fait naître, les observations qu’ils ont inspirées permettent de juger pourquoi le contrat d’assurance, en général, a donné lieu, en France, depuis quelques années, à des mouvemens divers; entré de plus en plus dans nos habitudes financières, il a été l’objet d’un grand empressement ; puis, par des circonstances toutes fortuites, il est devenu l’objet de suspicions exagérées ; quelques fautes à lui propres ont même paru devoir en arrêter l’essor, mais il n’a cessé de rester le point de mire des calculs des hommes prévoyans et avisés. Quelques années de sagesse dans la gestion des compagnies, de meilleures habitudes à prendre, lui rendront promptement la faveur publique, et cette forme d’opérations, sauvegarde du présent et de l’avenir pour tout individu qui ne vit pas au jour le jour, continuera de poursuivre sa marche progressive et victorieuse. En créant la caisse de la vieillesse, en protégeant les caisses de secours mutuels, l’état a rempli son rôle de protecteur pour ce qui concerne les assurances sur la vie. Quant aux assurances contre l’incendie, il n’a aucune action à exercer en leur faveur ; c’est aux forces individuelles, aux sociétés privées qu’il est réservé de s’en occuper. Pour elles, une seule précaution s’impose, et l’histoire des dernières années leur montre leur devoir pour obtenir tous les succès souhaitables : c’est qu’elles se concilient entre elles, qu’elles ne se fassent pas de concurrences ruineuses, qu’elles ne cherchent pas à doubler leur fortune en tuant les nouveau-venus, coûte que coûte; le principe à adopter, — on semble proclamer une naïveté, — c’est qu’il ne faut pas travailler à perte. Or cette règle n’était pas suivie quand on abaissait les primes d’assurances à des taux trop bas pour se créer un portefeuille important tout d’un coup, ou pour détourner la clientèle de ses voisins. On n’a réussi qu’à se ruiner soi-même et à infliger aux autres des pertes inutiles, enfin, à donner aux assurés des habitudes qu’il est difficile de rompre ensuite.

Le commerce vit en tout temps, et c’est là son but unique, de ce que l’on appelle le profit de l’intermédiaire entre le producteur et le consommateur : le commerçant prend les produits où il les trouve, près ou loin, dans chacun des continens, sous tel ou tel hémisphère; il franchit les obstacles, ne tient pas compte des distances, des mers qui séparent les mondes; et c’est ainsi que les progrès de la civilisation ont été obtenus ; c’est pour la substitution d’un lieu d’échange à un autre que les guerres se sont déclarées ou les paix conclues, que les révolutions pacifiques ou non se sont faites ; le déplacement des produits à acheter ou à vendre a bouleversé et bouleversera sans cesse notre globe et transformera ses habitans. Dans notre histoire contemporaine, les besoins du commerce et la facilité de percevoir les commissions qu’il peut gagner expliquent toutes les modifications que les peuples du nouveau et de l’ancien monde ont déjà subies et poursuivent encore pour trouver la voie la plus courte et la meilleure des échanges entre les objets de consommation.

Or, si c’est le commissionnaire ou, pour mieux dire, l’intermédiaire qui est le maître du marché, si c’est le commerce qui gouverne l’industrie, il faut reconnaître qu’en aucune transaction financière, plus qu’en matière d’assurances, la commission n’a joué un rôle actif et prépondérant. Un fait tout récent peut servir d’exemple : la création des grands magasins à Paris a eu pour objet d’offrir, réunis dans une même enceinte, les produits les plus divers, de les livrer au consommateur à des prix ordinairement très modérés, sauf à les surhausser quand le commerce de détail, à peu près détruit, ne pouvait plus leur faire concurrence ; mais, en réalité, la création nouvelle ne faisait que substituer d’autres intermédiaires à ceux qui existaient déjà et centralisait la commission en une seule main. De même les contrats d’assurance se sont surtout multipliés par les intermédiaires des compagnies entre elles et le public, et c’est aux chercheurs de commission que leur accroissement est dû particulièrement. Sans doute il semblerait naturel que chacun dût se préoccuper lui-même de fuir les dangers auxquels le feu l’expose ; tout possesseur de mobilier, tout propriétaire d’immeuble est à même de comprendre ce que l’incendie peut lui occasionner de pertes, comme tout être mortel doit songer à faire des économies pour sa vieillesse et pour laisser quelques ressources à sa famille. Mais il reste encore tant de propagande à faire en matière d’assurance, tant de convictions à former, que le rôle des intermédiaires est plus actif dans cette branche de nos transactions financières que dans toute autre et que la profession de courtier s’y exerce le plus utilement et avec les avantages les plus marqués. Les compagnies ont toutes des représentans à Paris même et dans les départemens, qui courent ce qu’on appelle la clientèle, procèdent au renouvellement des contrats, au versement des primes et prélèvent de fortes commissions ; nous en avons déjà dit assez à ce sujet et il n’y a plus à y revenir, mais on ne saurait oublier l’action que le développement des assurances a pu et pourra avoir sur l’ensemble de la richesse mobilière, et c’est par ce côté surtout qu’elles intéressent la fortune publique. Les sociétés à primes fixes et même les sociétés mutuelles ont à faire emploi des versemens faits et des sommes qu’elles auront à payer dans des temps plus ou moins éloignés ; de là peuvent résulter pour les assureurs de grands bénéfices ou de grandes pertes, de là la nécessité d’avoir pour administrateurs des hommes compétens, des banquiers de la plus haute capacité, et c’est ce qui explique comment les maisons de banque les plus anciennes, celles qui jouissent du plus grand renom, sont représentées toutes dans les conseils des compagnies d’assurances. Les assurances sur la vie sont en outre soumises à une surveillance particulière de l’état, le placement des fonds versés ne peut se faire qu’en certaines valeurs telles que nos rentes et nos obligations de chemins de fer garanties par l’état, ou en immeubles ; comme les fonds versés forment un capital important, l’influence des sociétés d’assurances est très grande. En 1884, nous avons vu que, pour vingt-deux compagnies d’assurances sur la vie citées par le Moniteur des Assurances, l’actif s’élevait à plus d’un milliard comprenant cent cinquante millions de fonds publics français, deux cent vingt-deux millions d’immeubles, trois cent un millions d’obligations de nos chemins de fer et des sommes placées en valeurs de villes. Comme toutes les assurances sur la vie donnent lieu à un paiement, il faut donc que les versemens accumulés puissent être un jour liquidés aisément ; de là la nécessité des bons placemens et des fortes réserves d’une réalisation facile et sûre, de là des acquisitions d’immeubles qui ont été faites surtout à Paris et qui inspirent confiance par les bonnes conditions où ils se trouvent. À l’égard de ces maisons, il est juste de reconnaître que les propriétés des compagnies d’assurances se distinguent par leur solidité, leurs bons aménagemens intérieurs et leur appropriation à tous les usages que les nécessités chaque jour croissantes du public introduisent dans les habitudes. Aussi ces immeubles n’ont cessé de croître en valeur. Il en est de même des placemens en fonds publics et en obligations de chemins de fer ; le moment où ils ont été faits a été si heureusement choisi que leur valeur en capital s’est considérablement augmentée ; leur acquisition a puissamment aidé à la hausse générale de ces titres.

Ainsi tout s’enchaîne dans ce monde financier, dont la mobilité frappe tant l’esprit public, et tous les intérêts se trouvent pour ainsi dire solidaires les uns des autres. Qui atteint l’un menace l’ensemble tout entier, qui favorise l’un a droit à la reconnaissance de tous. Ne nous lassons donc pas de les étudier chacun à part et de signaler les faits nouveaux qui se produisent, les mœurs nouvelles qui surgissent et les espérances ou les craintes qui peuvent s’attacher aux changemens et aux améliorations de nos habitudes financières.


BAILLEUX DE MARISY.

  1. Voyez la Revue du 15 février 1859.
  2. Voyez la Revue du 1er février 1867.
  3. Dès 1860, les plus remarquables travaux avaient été faits en faveur des assurance! sur la vie. M. Francisque Sarcey avait ouvert la marche en publiant sa brochure : Faut-il s’assurer. MM. Michel Chevalier, Clément Duvernoy, Edmond About, Alfred de Courcy, le plus actif propagateur des assurances, Eugène Reboul, A. Cochin, poursuivirent une campagne dont le succès ne fut plus démenti.
  4. Ces sociétés sont : la Compagnie d’assurances générales, l’Union, la Nationale, la Caisse paternelle, la Caisse générale des familles, l’Urbaine, le Monde, l’Alliance, le Soleil, l’Aigle, la Confiance, le Patrimoine, l’Abeille, la France, la Foncière, la Centrale, le Nord, la Métropole, le Progrès national, la Providence et l’Ouest.
  5. Il importe de faire une distinction dans ce que l’on appelle les contrats éteints : il y en a que l’événement prévu fait cesser, il y en a d’autres qui cessent par la volonté même de l’assuré. L’ouvrage que nous citons spécialement renferme à cet égard des lignes bonnes à méditer : « ce qui manque aux assurés, c’est la persévérance. Lorsqu’on a bien compris les principes et la morale de l’assurance sur la vie, il est rare qu’on ne devienne pas assuré. Mais si l’on est quelquefois long à se décider à bien faire, les défaillances se produisent facilement, on cède volontiers aux influences de toute sorte qui vous empêchent de persévérer... » Si à ces considérations on ajoute la complicité des compagnies elles-mêmes, on s’étonnera moins des nombreuses réalisations si nuisibles à tous les intérêts; et quand nous parlons de complicité, nous ne disons rien que les compagnies ne sachent parfaitement elles-mêmes, car elles sont aussi bien que nous convaincues que c’est à l’exagération des commissions que sont dus la plupart des abandons de contrats. L’assuré auquel on accorde une remise de 50 à 60 pour 100 de sa prime de première année a un intérêt évident à ne pas continuer sa police puisque les avantages qui lui sont faits se renouvelleront chaque fois qu’il s’adressera à une autre compagnie (Moniteur des assurances, 15 juillet 1884.