Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette/Tome 1/14


ÉCLAIRCISSEMENS HISTORIQUES

RECUEILLIS ET MIS EN ORDRE

PAR MADAME CAMPAN.

[*] Page 97.

MAISON DE LA REINE.

Première charge : la surintendante.


La reine Marie Leckzinska, épouse de Louis XV, eut mademoiselle de Clermont, princesse du sang, pour surintendante de sa maison. Mademoiselle de Clermont mourut, et la reine demanda au roi de ne la point remplacer, les droits de la charge de surintendante étant si étendus, qu’ils en devenaient gênans pour la souveraine : nomination aux emplois, droit de juger les différends des possesseurs de charges, de destituer[1], d’interdire les serviteurs, etc. Il n’y avait donc pas eu de surintendante depuis mademoiselle de Clermont, et la reine Marie-Antoinette n’en eut point à l’époque de l’avènement à la couronne. Mais peu de temps après, touchée de l’existence de la jeune princesse de Lamballe, restée veuve et sans enfans, la reine voulut lui donner plus de considération personnelle en la fixant à la cour, et la fit nommer surintendante de sa maison. Elle séjourna habituellement à Versailles, dans le commencement de sa nomination, et mettait une très-grande importance à l’exécution fidèle de tous les devoirs de sa place. La reine la restreignit un peu sur ceux qui contrariaient ses volontés, et la liaison intime de la reine avec madame de Polignac s’étant ensuite établie, la princesse fut moins assidûment à la cour. Son dévouement au moment où tous les grands du royaume se livrèrent au système de l’émigration, la porta à rentrer en France, et à ne plus quitter la reine, alors privée de tous ses amis, et de cette société intime qui avait établi une sorte d’éloignement entre la reine et la surintendante ; la fin tragique de cette intéressante princesse ajoute encore à l’intérêt que son zèle et sa fidélité doivent inspirer. La princesse surintendante était, de plus, chef du conseil de la reine, mais à ce titre, ses fonctions ne devenaient importantes qu’en cas de régence.


Dame d’honneur : madame la princesse de Chimay.

La place de dame d’honneur perdant beaucoup de ses avantages par la nomination d’une surintendante, madame la maréchale de Mouchy donna sa démission ; lorsque la reine accorda ce titre à madame la princesse de Lamballe, la dame d’honneur nommait aux emplois et aux charges ; recevait les prestations de serment en l’absence de la surintendante ; faisait les présentations ; envoyait les invitations au nom de la reine pour les voyages de Marly, de Choisy, de Fontainebleau, pour les bals, les soupers, les chasses ; le renouvellement du mobilier, du linge et des dentelles de lit et de toilette, se faisait par ses ordres. Le chef du garde-meuble de la reine travaillait avec la dame d’honneur sur ces objets ; le renouvellement des draps, serviettes, chemises, dentelles, avait lieu, jusqu’à l’époque où M. de Silhouette fut nommé contrôleur-général, tous les trois ans ; ce ministre fit prononcer à Louis XV qu’il ne se ferait que tous les cinq ans. M. Necker, à son premier ministère, éloigna encore l’époque du renouvellement de deux années, et il n’eut plus lieu que tous les sept ans. La réforme entière appartenait à la dame d’honneur. Lorsqu’on allait au-devant d’une princesse étrangère, à l’époque de son mariage avec l’héritier présomptif ou un fils de France, l’étiquette était de lui porter son trousseau ; et dans le pavillon construit ordinairement sur les frontières, on déshabillait la jeune princesse, et on changeait jusqu’à sa chemise ; mais les cours étrangères n’en fournissaient pas moins de très-beaux trousseaux qui appartenaient aussi, comme droit, à la dame d’honneur et à la dame d’atours. Il est à remarquer que les émolumens et les profits de toute espèce appartenaient ordinairement aux grandes charges. À la mort de Marie Leckzinska, la totalité du mobilier de sa chambre fut remise à la comtesse de Noailles, depuis maréchale de Mouchy, à l’exception de deux grands lustres de cristal de roche que Louis XV ordonna de conserver comme meubles de la couronne. La dame d’atours était chargée du soin de commander les étoffes, les robes, les habits de cour ; de régler, de payer les mémoires ; tous lui étaient soumis et n’étaient acquittés que sur sa signature et ses ordres, depuis les souliers, jusqu’aux habits brodés à Lyon. Je crois que la somme annuelle fixe était de cent mille francs pour cette partie de dépense, mais il pouvait y avoir des sommes additionnelles, lorsque les fonds assignés pour cet objet étaient insuffisans ; la dame d’atours faisait vendre à son profit les robes et parures réformées ; les dentelles pour coiffure, manchettes, robes, étaient fournies par elle, et séparées de celles qui regardaient la dame d’honneur. Il y avait un secrétaire de la garde-robe, chargé de la tenue des livres, du paiement et des lettres qu’exigeait ce détail.

La dame d’atours avait aussi, sous ses ordres, une première femme des atours chargée du soin et de l’entretien de tous les habillemens de la reine ; deux femmes pour plier et repasser les objets qui en étaient susceptibles ; deux valets de garde-robe et un garçon de garde-robe : ce dernier était chargé de transporter à l’appartement, tous les matins, des corbeilles, couvertes en taffetas, qui contenaient tout ce que la reine devait porter dans le jour, et de grandes toilettes, en taffetas vert, qui enveloppaient les grands habits et les robes. Le valet de garde-robe de service présentait, tous les matins, à la première femme de chambre, un livre sur lequel étaient attachés les échantillons des robes, grands habits, robes déshabillées, etc. Une petite portion de la garniture indiquait de quel genre elle était ; la première femme présentait ce livre, au réveil de la reine, avec une pelote ; S. M. plaçait des épingles sur tout ce qu’elle désirait pour la journée : une sur le grand habit qu’elle voulait, une sur la robe déshabillée de l’après-midi, une sur la robe parée, pour l’heure du jeu ou le souper des petits appartemens. On reportait ce livre à la garde-robe, et bientôt on voyait arriver, dans de grands taffetas, tout ce qui était nécessaire pour la journée. La femme de garde-robe, pour la partie du linge, apportait de son côté une corbeille couverte contenant deux ou trois chemises, des mouchoirs, des frottoirs ; la corbeille du matin s’appelait le prêt du jour : le soir elle en apportait une contenant la camisole, le bonnet de nuit et les bas pour le lendemain matin ; cette corbeille s’appelait le prêt de nuit : ces deux objets étaient du ressort de la dame d’honneur, le linge ne concernant point la dame d’atours. Rien n’était rangé, rien n’était soigné par les femmes de la reine. Aussitôt la toilette terminée, on faisait entrer les valets et garçons de garde-robe qui emportaient le tout pêle-mêle dans ces mêmes toilettes de taffetas, à la garde-robe des atours, où tout était reployé, suspendu, revu, nettoyé avec un ordre et un soin si étonnans, que les robes même réformées avaient tout l’éclat de la fraîcheur : la garde-robe des atours consistait en trois grandes pièces environnées d’armoires, les unes à coulisses, les autres à porte-manteau ; de grandes tables, dans chacune de ces pièces, servaient à étendre les robes, les habits, et à les reployer.

La reine avait ordinairement, pour l’hiver, douze grands habits, douze petites robes dites de fantaisie, douze robes riches sur panier, servant pour son jeu ou pour les soupers des petits appartemens.

Autant pour l’été ; celles du printemps servaient en automne ; toutes ces robes étaient réformées à la fin de chaque saison, à moins qu’elle n’en fît conserver quelques-unes qu’elle avait préférées. On ne parle point des robes de mousseline, percale ou autres de ce genre ; l’usage en était récent, mais ces robes n’entraient pas dans le nombre de celles fournies à chaque saison : on les conservait plusieurs années. Les premières femmes étaient chargées de la garde, du soin et de la révision des diamans. Ce détail important avait été anciennement confié à la dame d’atours, mais depuis bien des années il était du nombre des fonctions des premières femmes de chambre.


Chambre de la reine.

Il n’y avait autrefois qu’une seule première femme de chambre. Le revenu considérable de cette place, la faveur dont elle était ordinairement accompagnée, firent juger nécessaire de la partager.

La reine en avait deux et deux survivancières :

Madame de Misery, titulaire, fille de M. le comte de Chemant, et, par sa mère qui descendait d’une Montmorency, cousine de M. le prince de Tingry qui lui donnait ce titre en présence même de la reine ;

— Madame Campan, titre survivance ;

— Madame Thibaut, titulaire, ancienne femme de chambre de la reine Marie Leckzinska ;

— Madame Regnier de Jarjaye, en survivance ; son mari officier de l’état-major de l’armée avec le grade de colonel.

Les fonctions des premières femmes étaient de veiller à l’exécution de tout le service de la chambre, de recevoir l’ordre de la reine pour les heures du lever, de la toilette, des sorties, des voyages. Elles étaient de plus chargées de la cassette de la reine, du paiement des pensions et gratifications. Les diamans leur étaient aussi confiés. Elles avaient les honneurs du service, quand les dames d’honneur ou d’atours étaient absentes, et les remplaçaient de même pour faire les présentations à la reine. Leurs appointemens n’excédaient pas douze mille francs ; mais la totalité des bougies de la chambre, des cabinets et du salon de jeu, leur appartenait chaque jour, allumées ou non, et cette rétribution faisait monter leur charge à plus de cinquante mille francs pour chacune. Les bougies du grand cabinet du salon des nobles, pièce qui précédait la chambre de la reine, celles des antichambres et corridors, appartenaient aux garçons de la chambre. Les robes négligées étaient, à chaque réforme, portées, par ordre de la dame d’atours, aux premières femmes. Les grands habits, robes de parure et tous les autres accessoires de la toilette de la reine appartenaient à la dame d’atours elle-même.

Les reines étaient très-circonspectes sur le choix de leurs premières femmes ; elles eurent toujours soin de les prendre parmi les douze femmes ordinaires, pour les mieux connaître et soustraire cette place de confiance aux intrigues de la cour ou de la capitale. La reine Marie-Antoinette, ayant connu madame Campan lorsqu’elle était lectrice des filles de Louis XV, et voulant se l’attacher comme première femme, lui donna la promesse de cette place ; mais pendant plusieurs années, elle remplit celle de femme ordinaire. Une dame de famille noble, très-aimée de la reine qui l’avait distinguée, à son arrivée en France, parmi ses femmes, et qui se flattait d’avoir la place de première, en fut privée parce qu’elle avait eu l’imprudence de profiter de la bienveillance de la jeune dauphine, pour faire payer deux fois ses dettes au moment où elle espérait être nommée à la place de première. La dauphine, devenue reine, donna pour motif de son refus qu’il était trop imprudent de donner la garde de son argent aux gens connus par leur désordre ; qu’on exposait, non-seulement le dépôt, mais l’honneur des familles. La reine adoucit ce refus en plaçant les enfans de cette dame à Saint-Cyr et à l’École militaire, et en leur accordant des pensions. Lorsqu’il fut question, à l’époque de la Constitution, de recréer la maison en abolissant les titres de dames et chevaliers d’honneur, et que le roi voulut porter une économie sévère dans toutes les parties de sa dépense et de celle de la reine, on arrêta la suppression du renouvellement journalier des bougies. La charge de première femme se trouvait, par cette réforme, privée de son plus fort revenu. Le roi, en travaillant avec M. de La Porte, le fixa à vingt-quatre mille livres, en ajoutant qu’elles auraient de plus les fonctions et les bénéfices des dames d’atours dont la charge serait supprimée ; qu’il fallait que les premières femmes fussent choisies parmi des femmes estimables et bien nées, et que leur traitement les mît toujours au-dessus des dangers de l’intrigue ou de la corruption. Le plan de la maison, formée d’après les lois constitutionnelles, fut arrêté, mais la seule partie militaire fut mise en activité.

La reine avait douze femmes ordinaires ;

Madame de Malherbe, femme d’un ancien commissaire des guerres, maître-d’hôtel de la reine ; morte depuis la révolution ;

— Madame de Frégals, fille de M. Émengard de Beauval, major de la ville de Compiègne, lieutenant des chasses, et femme d’un capitaine de cavalerie ; elle vit dans ses terres en Picardie, et a de la fortune ;

— Madame Regnier de Jarjaye, en même temps première femme en survivance. Son mari est retiré du service. Ils vivent à Paris dans une honnête aisance ;

— Madame Campan, en même temps première femme en survivance et lectrice des princesses filles de Louis XV, ne remplissait depuis long-temps que les fonctions de la place de première ; madame de Misery, sa titulaire, étant retirée dans sa terre de Biache, près Péronne ;

— Madame Auguié, morte victime de la révolution pour avoir prêté vingt-cinq louis à la reine pendant les deux jours qu’elle passa aux Feuillans. M. Auguié était alors receveur-général des finances du duché de Lorraine et de Bar, et administrateur des subsistances ;

— Madame Térasse des Mareilles. Son mari est placé dans une administration. Sa fille a épousé le frère de M. Miot, conseiller d’État ;

— Mademoiselle de Marolles. Demoiselle de Saint-Cyr, restée pauvre, retirée dans sa province, aux environs de Tours.

— Madame Cardon, veuve du major d’Arras, restée avec de la fortune, vivant dans ses terres ;

— Madame Arcambal. Son mari et son beau-frère sont placés dans le département de la guerre ;

— Madame de Gougenot. Son mari, gentilhomme, propriétaire fort riche, receveur-général des régies, maître-d’hôtel du roi, est mort victime de la révolution. Elle vit retirée à Paris et dans l’aisance. Elle serait restée fort riche, si elle avait eu des enfans ;

— Madame de Beauvert, femme d’un commissaire des guerres, ancien mousquetaire, chevalier de Saint-Louis. Restée fort pauvre ;

— Madame Le Vacher, morte. Son mari est actuellement receveur des octrois de Marseille.

— Madame Henri. Son mari est actuellement dans les bureaux de la guerre. Son père était chargé en chef de la liquidation de la liste civile. Ils ont beaucoup d’enfans.

Les huit femmes de la reine les plus anciennes réunissaient trois mille six cents francs de traitement.

Les quatre dernières avaient deux mille quatre cents livres.

On avait trois cents livres de moins sur les appointemens, lorsqu’on obtenait un logement dans le château de Versailles ou dans le grand commun. Lorsque le roi allait à Compiègne en juillet, et à Fontainebleau en octobre, on ajoutait trois cents livres par voyage aux appointemens des femmes, pour les indemniser des frais de déplacement. On doit observer qu’avec économie ces voyages faisaient dépenser mille ou douze cents livres. Mais les maris de ces dames avaient tous des états honorables et lucratifs, et l’on ne considérait nullement les appointemens de ces sortes de places ; l’appui et la protection de la reine étaient les seules raisons qui les faisaient briguer. J’ai vu un moment où la moins fortunée jouissait de quinze à vingt mille francs de revenu, tandis que quelques-unes d’entre elles avaient, par l’état de leurs maris, depuis soixante jusqu’à quatre-vingt mille francs par an ; mais ces fortunes venaient des emplois de finances, des places accordées ou du bien patrimonial, et n’étaient nullement puisées sur le Trésor royal, les pensions accordées étant rares et peu considérables.

On n’accordait point de retraite aux premières femmes ; elles conservaient la totalité des émolumens de leur place trop considérable pour qu’on pût les indemniser. Les survivancières les remplaçaient à la cour, et avaient six mille livres d’appointemens.

Les femmes de chambre ordinaires obtenaient quatre mille livres de pension après trente années révolues de service, trois mille livres après vingt-cinq ans, deux mille livres après vingt années de fonctions.

Les douze femmes servaient quatre par semaine, deux par jour ; ainsi les quatre femmes qui avaient servi une semaine, avaient quinze jours de repos, à moins qu’on n’eût besoin d’une remplaçante, et, dans la semaine de service, elles avaient encore deux ou trois jours d’intervalle. Le service en femmes n’avait de table que lorsqu’on quittait Versailles. Les premières avaient leur cuisine et leur cuisinier. Les autres se faisaient apporter à dîner dans leur appartement.


Femme de garde-robe : la nommée R.........

Cette femme était chargée de tous les détails qui concernaient sa place, mais son service durant toute l’année la rendait fort utile pour beaucoup d’objets du service de domesticité intérieure, qui auraient été mal exécutés par des femmes de la classe de celles qui servaient la reine. Son utilité et les bontés de sa maîtresse l’avaient rendue malheureusement trop nécessaire. On ne put lui cacher quelques détails relatifs au départ pour Varennes, et il paraît démontré qu’elle avait trahi les secrets de la reine en les communiquant à des députés ou à des membres de la commune de Paris. Elle était sous les ordres directs de la première femme qui, assez ordinairement, en cas de vacance, procurait cette place à sa propre femme de chambre. Lorsque la reine, à son retour de Varennes, renvoya la dame R........., elle la remplaça par la gouvernante du fils de madame Campan.

Il y avait aussi deux baigneuses chargées de tout ce qui regardait les bains, et en ayant fait une étude particulière. Les fleurs, les vases, les porcelaines et tout ce qui décorait l’appartement, étaient soignés tous les matins par une femme de garde-robe, qui n’avait pas d’autres fonctions.


Maître de la garde-robe.

Cette charge, importante chez les princes, n’était qu’un simple titre chez une princesse, la dame d’atours étant chargée de tout ce qui concernait cette partie, et ayant sous ses ordres un secrétaire de la garde-robe pour la correspondance et la liquidation. La charge de maître de la garde-robe était cependant de soixante mille francs. Elle était possédée par le comte de La Morlière, mort général il y a quelques années, et, en survivance, par M. Poujaud, fermier-général. Les seules prérogatives se bornaient à l’entrée de la chambre.


Premier valet de chambre.

Les fonctions de la première femme avaient de même réduit cette charge au seul avantage du titre et des entrées à la toilette. La finance en était de quarante mille francs.


Porte-manteau ordinaire.

Cette charge avait des fonctions journalières et très-assidues. Il fallait être noble, fils d’anobli, ou décoré de la croix de Saint-Louis pour la posséder ; le chevalier d’honneur, étant obligé de le recevoir dans la voiture de suite où il était, n’y eût pas consenti sans cette condition. Le titulaire de cette charge éprouvait un désagrément habituel, étant obligé, par l’étiquette, de céder la queue de la robe de la reine à son page toutes les fois que Sa Majesté entrait dans la chapelle ou dans les appartemens intérieurs du roi. Ainsi, après avoir porté la robe dans les grands appartemens et la galerie des glaces, il la cédait au page à l’entrée de la chapelle et de l’appartement du roi. Il gardait le manteau ou la pelisse de la reine, mais les présentait au chevalier d’honneur ou au premier écuyer, si la reine désirait s’en servir. Cet usage était ce qu’on appelait rendre les honneurs du service, et s’observait toujours de la charge inférieure à la supérieure.


Secrétaires des commandemens : MM. Augeard et
Beaugeard.

Ils étaient chargés de faire signer à la reine les ordonnances des paiemens des offices de sa maison, ce qu’elle faisait exactement tous les trois mois à l’heure de sa toilette.

Les secrétaires des commandemens étaient aussi chargés de répondre aux lettres d’étiquette, telles que celles des souverains sur les naissances, les morts, etc. La reine signait seulement ces sortes de lettres.

Le secrétaire particulier des secrétaires des commandemens prenait tous les dimanches, sur la commode de la chambre de la reine, la totalité des placets qui lui avaient été présentés pendant le cours de la semaine. Il en faisait un relevé, et ils étaient envoyés par le secrétaire des commandemens aux différens ministères. Il en résultait ordinairement fort peu de chose pour les solliciteurs, à moins qu’il ne se trouvât parmi ces mémoires des réclamations de toute justice ; mais au moins on était sûr que les certificats originaux, les titres de famille, que l’on a souvent l’imprudence de joindre aux mémoires ou pétitions, étaient fidèlement renvoyés. La reine emportait dans son cabinet particulier tous les mémoires qu’elle avait le projet d’apostiller ou de remettre elle-même aux ministres.


Surintendant des finances, domaines et affaires :
M. Bertier, intendant de Paris.

Cette charge était presque sans fonctions.


Intendant de la maison et des finances : M. Gabriel
de Saint-Charles.

Point de fonctions.


Lecteur : M. l’abbé de Vermond.

Ce simple titre fait peu connaître les fonctions et le pouvoir de cet homme. Ayant été l’instituteur de la reine avant son mariage, il avait conservé un pouvoir absolu sur son esprit. Il était son secrétaire intime, son confident, et malheureusement son conseiller.


Lectrice : Madame la comtesse de Neuilly ; Madame
de La Borde en survivance.

Cette dernière dame a épousé depuis peu d’années M. de Rohan-Chabot ; son premier mari a été victime de la révolution. Il avait été premier valet de chambre de Louis XV, et était frère de la comtesse d’Angiviller.

La charge de lectrice fut sans fonctions sous le règne de Marie-Antoinette, l’abbé de Vermond s’étant opposé à ce que la lectrice eût l’avantage de lire à la reine ; il trouvait bon cependant que les femmes ou premières femmes le remplaçassent. Madame Campan avait habituellement cet honneur.


Secrétaire du cabinet : M. Campan.

Il était chargé de toute la partie de correspondance qui ne regardait pas les secrétaires des commandemens ou l’abbé de Vermond. Il possédait la confiance de sa maîtresse, et remplaça l’abbé de Vermond qui émigra le 17 juillet 1789, jusqu’à sa fin arrivée en septembre 1791. La reine voulut bien donner des larmes à sa mort occasionée par la douleur que ce serviteur fidèle éprouva pendant les scènes sanglantes de la révolution. Son sang tourna entièrement dans la nuit du 5 au 6 octobre, à Versailles, et les premiers symptômes d’une hydropisie de poitrine se manifestèrent le lendemain.

M. Campan était de plus bibliothécaire de la reine depuis son arrivée en France, quoiqu’elle en eût laissé le titre à M. Moreau, historiographe de France. Elle était arrivée de Vienne avec de fortes préventions contre cet homme de lettres dont, à la vérité, le caractère et la conduite politiques avaient souffert pendant les troubles parlementaires, vers la fin du règne de Louis XV. Elle lui fit notifier de remettre les clefs de sa bibliothèque à M. Campan, en lui faisant dire que, respectant la nomination du roi, elle lui laissait son titre et les appointemens de sa place.

Il est à présumer que l’abbé de Vermond, pendant qu’il remplissait ses fonctions d’instituteur à Vienne, avait été effarouché de la nomination d’un homme de lettres à la place de bibliothécaire de la jeune dauphine, d’autant que M. Moreau, charmé de son nouveau poste, avait fait imprimer un ouvrage ayant pour titre : Bibliothèque de madame la dauphine. Il y traçait un cours d’histoire et d’étude pour la princesse. L’abbé de Vermond, voulant rester seul chargé de ce genre de fonctions, prépara de loin si parfaitement sa chute qu’il la fit à son premier pas. Ce M. Moreau vient de mourir très-âgé, à sa terre de Chambourcy près de Saint-Germain. Cette disgrâce, dont il fut si vivement affecté, a probablement préservé ses jours et sauvé sa fortune.

La reine avait :

Deux valets de chambre ordinaires ;

Un huissier ordinaire ;

(Les fonctions des charges, ayant cette dénomination d’ordinaire, étaient de remplacer ceux qui ne pouvaient venir faire leur service de quartier.)

Quatre huissiers de la chambre servant par quartier ;

Deux huissiers du cabinet ;

Deux huissiers de l’antichambre ;

Huit valets de chambre par quartier ;

Six garçons de la chambre, ou, pour donner une idée plus juste de cette charge, valets de chambre de la chambre à coucher. Ces six charges, chez la reine et chez le roi, étaient très-préférées à celles de valets de chambre, parce qu’elles étaient beaucoup plus dans l’intérieur. Chez le roi, elles étaient montées successivement à quatre-vingt mille francs de finances.

Un valet de garde-robe ordinaire ;

Deux valets de garde-robe, servant six mois chacun ;

Un garçon de garde-robe, transportant les toilettes de taffetas et les corbeilles de la chambre à la garde-robe des atours.


Un garde-meuble ordinaire de la chambre :
M. Bonnefoi du Plan.

Il était de plus concierge du petit Trianon. C’est lui qui a fait dessiner et exécuter l’armoire ou espèce de secrétaire destiné à serrer les bijoux de la reine, et qui est actuellement à Saint-Cloud. Son nom et l’année où a été fait ce meuble remarquable par sa richesse et les peintures dont il est orné, sont gravés sur une plaque de cuivre qui est dans le fond du meuble. Boulard, fameux tapissier de Paris, a été long-temps garçon du garde-meuble sous les ordres de Bonnefoi.


Quatre valets de chambre tapissiers.

Ils venaient faire le lit le matin et le découvrir le soir.


La reine avait deux coiffeurs uniquement attachés à sa personne : ils étaient frère et cousin du fameux coiffeur Léonard. Ce dernier avait aussi une charge de coiffeur, mais ne quittait pas Paris, et venait seulement le dimanche à midi, pour la toilette de la reine. Il se rendait aussi à Versailles les jours de fêtes ou de bals. Il est actuellement à Saint-Pétersbourg.

Son frère a été guillotiné à Paris ; son cousin est mort en émigration. C’étaient de fort bons et fidèles serviteurs.


Faculté.

Un premier médecin : M. Vicq-d’Azyr depuis la mort de M. de Lassone ;

Un médecin ordinaire : M. de Lassone le fils ;

Un premier chirurgien : M. de Chavignac ;

Un chirurgien ordinaire servant pour la maison ;

Deux chirurgiens du commun, soignant la livrée, les cuisines et les gens d’écurie ;

Un apothicaire du corps ;

Un apothicaire du commun ;

Une apothicairerie très-bien montée où le service inférieur faisait prendre les drogues et remèdes nécessaires. Tout ce qui était au-dessus de la classe des valets de pied, ou cuisiniers, ne croyait pas devoir faire usage de ce droit, mais en avait la liberté.


Bouche.

Un premier maître-d’hôtel : M. le marquis de Talaru ;

Un maître-d’hôtel ordinaire : M. Chalut de Vérin.

M. de Guimps, en survivance.

MM. Dufour et Campan fils, en survivance ;

Cosson de Guimps ;

De Malherbe, en survivance ;

Despriez, Moreau d’Olibois, en survivance ;

Clément de Ris.

Ces charges exigeaient la noblesse. Les maîtres-d’hôtel remplaçaient les écuyers de main, si par hasard la reine en manquait pour sortir en grand cortége. — Ils faisaient par quartier, à Versailles, comme dans les voyages, les honneurs d’une table à laquelle étaient admis le lieutenant et l’exempt des gardes de service, l’écuyer de main ordinaire avec celui de quartier, et l’aumônier de la reine.

La reine avait :

Un gentilhomme servant ordinaire,

Douze gentilshommes servant par quartier.

Leurs fonctions étaient de mettre sur table, au dîner du roi et de la reine, et au grand couvert.

Malgré ce titre de gentilhomme, cette place n’exigeait pas la noblesse.


Un contrôleur-général de la maison de la reine :
M. Mercier de la Source.

Il inspectait et réglait toutes les dépenses de la bouche, étant comme intermédiaire entre la maison de la reine et le Trésor royal ; il avait le pouvoir, sur la seule demande de la reine, en cas de dépense extraordinaire, de demander une addition de fonds ; la reine ne s’est servie de cette facilité que très-rarement, et pour des choses relatives à la protection qu’elle devait accorder aux arts.

Ce fut M. de la Source qui jugea, de cette manière, la somme accordée pour l’édition in-quarto de Métastase : hommage que la reine crut devoir rendre à cet auteur célèbre, son ancien maître d’italien à la cour de Vienne.

Quatre contrôleurs de la bouche, servant par quartier.

Un contrôleur ordinaire chargé spécialement de la table de la reine.


Écuries.

Premier écuyer : M. le comte de Tessé.

M. le duc de Polignac ; en survivance.

Écuyer cavalcadour : M. de Salvert.

Gouverneur des pages : M. de Perdreauville.

Un précepteur ;

Un aumônier ;

Et tous les maîtres employés à l’éducation des pages du roi.

Douze pages.

Chevalier d’honneur : M. le comte de Saulx-Tavannes.

Un écuyer ordinaire : M. Petit de Vievigne.

Écuyers par quartier :

MM. de Wallans ;

de Billy ;

Le chevalier de Vaussay de Beauregard ;

Le comte de Saint-Angel.


Chapelle.

Un grand-aumônier : M. l’évêque duc de Laon.

Un premier aumônier : M. l’évêque de Meaux.

Aumônier ordinaire : M. l’abbé de Beaupoil de Saint-Aulaire.

Confesseur : M. l’abbé Poupart.

Quatre aumôniers par quartier.

Un aumônier ordinaire.

Quatre chapelains par quartier.

Un chapelain ordinaire.

Élèves de chapelle.

Quatre élèves de chapelle par quartier.

Un élève de chapelle ordinaire.

Deux sommiers de la chapelle.

Il y avait encore une infinité de charges, surtout pour la bouche, telles qu’écuyer de la bouche, chef de la panneterie, du gobelet, officiers, etc. Mais ils n’avaient aucune occasion de servir directement auprès de la reine.

La reine avait douze valets de pied.

L’Almanach de Versailles et les anciens états contiennent la totalité des emplois inférieurs.


[**] Page 178.

DÉTAILS SUR L’ÉTIQUETTE.

Intérieur de la reine, et distribution de sa journée.

Lorsque le roi couchait chez la reine, il se levait toujours avant elle ; l’heure précise était donnée à la première femme de chambre qui entrait, précédée d’un garçon de la chambre portant un bougeoir ; elle traversait la chambre, allait ôter le verrou de la porte qui séparait l’appartement de la reine de celui du roi. Elle y trouvait le premier valet de chambre de quartier et un garçon de la chambre. Ils entraient, ouvraient les rideaux du lit du côté où était le roi, lui présentaient des pantoufles, ordinairement en étoffe d’or ou d’argent, comme la robe de chambre qu’il passait dans ses bras. Le premier valet de chambre reprenait une épée courte qui était toujours placée dans l’intérieur de la balustrade du roi. Quand le roi couchait chez la reine, on apportait cette épée sur le fauteuil destiné au roi, et qui était placé près du lit de la reine, dans l’intérieur de la balustrade décorée qui environnait son lit. La première femme reconduisait le roi jusqu’à la porte, refermait le verrou, et sortant de la chambre de la reine, n’y rentrait qu’à l’heure indiquée la veille par Sa Majesté. Le soir, la reine était couchée avant le roi ; la première femme restait assise au pied de son lit jusqu’à l’arrivée de Sa Majesté, pour reconduire, comme le matin, le service du roi, et mettre le verrou après leur sortie. Le réveil de la reine était habituellement à huit heures, son déjeuner à neuf, souvent dans son lit, quelquefois debout, sur une petite table en face de son canapé.

Pour détailler convenablement le service intérieur de la reine, il faut rappeler que toute espèce de service était honneur, et n’avait pas même d’autre dénomination. Rendre les honneurs du service était présenter le service à une charge d’un grade supérieur qui arrivait au moment où on allait s’en acquitter ; ainsi, en supposant que la reine eût demandé un verre d’eau, le garçon de la chambre présentait à la première femme une soucoupe de vermeil, sur laquelle étaient placés un gobelet couvert et une petite carafe ; mais la dame d’honneur survenant, elle était obligée de lui présenter la soucoupe, et si Madame ou madame la comtesse d’Artois entrait en ce moment, la soucoupe passait encore des mains de la dame d’honneur dans celles de la princesse, avant d’arriver à la reine. Il faut observer cependant que s’il était entré une princesse du sang, au lieu d’une personne de la famille même, le service passait directement de la première femme à la princesse du sang, la dame d’honneur étant dispensée de le rendre, à moins que ce ne fût aux princesses de la famille royale. On ne présentait rien directement à la reine ; son mouchoir, ses gants étaient placés sur une soucoupe longue, d’or ou de vermeil, qui se trouvait, comme meuble d’étiquette, sur la commode, et qui se nommait gantière. La première femme lui présentait, de cette manière, tout ce dont elle avait besoin, à moins que ce ne fût la dame d’atours, la dame d’honneur, ou une princesse, et toujours en observant la gradation indiquée pour le verre d’eau.

La reine déjeunant dans son lit, ou levée, les petites entrées étaient également admises ; elles étaient accordées, de droit, à son premier médecin, au premier chirurgien, au médecin ordinaire, à son lecteur, à son secrétaire du cabinet, aux quatre premiers valets de chambre du roi, à leurs survivanciers, aux premiers médecins et chirurgiens du roi ; il y avait souvent dix à douze personnes à cette première entrée : si la dame d’honneur s’y trouvait ou la surintendante, c’étaient elles qui posaient la table de déjeuner sur le lit ; la princesse de Lamballe a très-souvent rempli ces fonctions.

La reine se levait, la femme de garde-robe était admise pour enlever les oreillers, et mettre le lit en état d’être fait par des valets de chambre. Elle en tirait les rideaux, et le lit n’était ordinairement fait que lorsque la reine allait à la messe. Cette femme avait de même été introduite, au premier réveil, pour enlever les tables de nuit, et remplir toutes les fonctions de sa place ; elle préparait l’eau pour laver les jambes de la reine, lorsqu’elle ne se baignait pas ; assez ordinairement, excepté à Saint-Cloud où la reine se baignait dans un appartement au-dessous du sien, on roulait un sabot dans sa chambre ; ses baigneuses étaient introduites avec toutes les choses accessoires au bain. La reine se baignait avec une grande chemise de flanelle anglaise boutonnée jusqu’au bas, et dont les manches, à l’extrémité, ainsi que le collet, étaient doublés de linge. Lorsqu’elle sortait du bain, la première femme tenait un drap très-élevé pour la séparer entièrement de la vue de ses femmes ; elle le jetait sur ses épaules. Les baigneuses l’en enveloppaient, l’essuyaient complétement ; elle passait ensuite une très-grande et très-longue chemise ouverte et entièrement garnie de dentelle, de plus un manteau de lit de taffetas blanc. La femme de garde-robe bassinait le lit ; les pantoufles étaient de basin, garnies de dentelle. Ainsi vêtue, la reine venait se mettre au lit ; les baigneuses et les garçons de la chambre enlevaient tout ce qui avait servi au bain. La reine, replacée dans son lit, prenait un livre ou son ouvrage de tapisserie. Le déjeuner, les jours de bain, se faisait dans le bain même. On plaçait le plateau sur le couvercle de la baignoire. Ces détails minutieux ne se trouvent ici que pour rendre hommage à l’extrême modestie de la reine. Sa sobriété était aussi remarquable ; elle déjeunait avec du café ou du chocolat ; ne mangeait à son dîner que de la viande blanche, ne buvait que de l’eau, et soupait avec du bouillon, une aile de volaille, et un verre d’eau dans lequel elle trempait de petits biscuits.

À midi, la toilette de représentation avait lieu. On tirait la toilette au milieu de la chambre. Ce meuble était ordinairement le plus riche et le plus orné dans l’appartement des princesses. La reine s’en servait de même, et à la même place, pour son déshabiller du soir. Elle couchait lacée avec des corsets à crevés de ruban, et des manches garnies de dentelle, et portait un grand fichu. Le peignoir de la reine était présenté par sa première femme, si elle était seule au commencement de la toilette ; ou, de même que les autres objets, par les dames d’honneur, si elles étaient arrivées. À midi, les femmes qui avaient servi vingt-quatre heures étaient relevées par deux femmes en grand habit ; la première avait été de même faire sa toilette. Les grandes entrées étaient admises pendant la toilette ; des plians étaient avancés, en cercles, pour la surintendante, les dames d’honneur et d’atours, la gouvernante des enfans de France, lorsqu’elle y venait ; les fonctions des dames du palais, dégagées de toute espèce de devoirs de domesticité, ne commençaient qu’à l’heure de sortir pour la messe ; elles attendaient dans le grand cabinet, et entraient quand la toilette était terminée. Les princes du sang, les capitaines des gardes, toutes les grandes charges, ayant les entrées, faisaient leur cour à l’heure de la toilette. La reine saluait de la tête, ou par une inclination du corps, on en s’appuyant sur sa toilette, pour indiquer le mouvement de se lever : cette dernière manière de saluer était pour les princes du sang. Les frères du roi venaient aussi assez habituellement faire leur cour à Sa Majesté pendant qu’on la coiffait. L’habillement de corps se faisait, pendant les premières années du règne, dans la chambre et selon les lois de l’étiquette, c’est-à-dire que la dame d’honneur passait la chemise, versait l’eau pour le lavement des mains ; la dame d’atours passait le jupon de la robe ou du grand habit, posait le fichu, nouait le collier. Mais lorsque les modes occupèrent plus sérieusement la jeune reine, lorsque les coiffures devinrent d’une hauteur si prodigieuse, qu’il fallait passer la chemise par en bas ; lorsqu’enfin elle voulut avoir à son habillement sa marchande de modes, mademoiselle Bertin, que les dames auraient refusé d’admettre pour partager l’honneur de servir la reine, l’habillement cessa d’avoir lieu dans la chambre ; et la reine faisait un salut général en quittant sa toilette, et se retirait dans ses cabinets pour s’habiller.

La reine, une fois rentrée dans sa chambre, placée debout vers le milieu, environnée de la surintendante, des dames d’honneur et d’atours, de ses dames du palais, du chevalier d’honneur, du premier écuyer, de son clergé prêt à la suivre à la messe, des princesses de la famille royale qui arrivaient, accompagnées de tout leur service, en dames et en charges d’honneur, passait en ordre par la galerie, comme pour se rendre à la messe. Les signatures des contrats se faisaient ordinairement au moment de l’entrée de la chambre. Le secrétaire des commandemens présentait la plume. Les présentations des colonels, pour prendre congé, avaient ordinairement lieu à cette heure. Celles des dames, et les prises de tabouret se faisaient le dimanche soir, avant l’heure du jeu, à la rentrée du salut. Les ambassadeurs étaient introduits chez la reine, tous les mardis matin, accompagnés de l’introducteur des ambassadeurs de service, et de M. de Séqueville, secrétaire des ambassadeurs. L’introducteur venait ordinairement, à la toilette de la reine, la prévenir des présentations d’étrangers qui auraient lieu. L’huissier de la chambre, placé à la porte de la reine, n’ouvrait les battans que pour les princes et princesses de la famille royale, les annonçait à haute voix. Il quittait son poste pour venir nommer, à la dame d’honneur, les personnes que l’on présentait ou qui venaient prendre congé : cette dame les nommait, en second, à la reine, au moment où ils saluaient ; si elle était absente, ainsi que la dame d’atours, la première femme prenait sa place, et remplissait les mêmes fonctions. Les dames du palais, choisies uniquement pour faire la compagnie de la reine, n’étaient chargées d’aucune fonction de domesticité, quelque honorable que l’opinion établie dans un gouvernement monarchique pût les rendre. La lettre du roi, en les nommant, portait entre autres formules d’étiquette : « Vous ayant choisie pour faire la société de la reine. » Il n’y avait presque point d’appointemens attachés à cette place purement honorifique.

La reine entendait la messe avec le roi, dans la tribune en face du maître-autel et de la musique, à l’exception des jours de grandes cérémonies, où leurs fauteuils étaient placés en bas, sur des tapis de velours à franges d’or : ces jours étaient désignés par le titre de grande chapelle.

La reine avait d’avance nommé la quêteuse, et le lui avait fait dire par sa dame d’honneur qui, de plus, était chargée de lui faire parvenir la bourse. On choisissait presque toujours les quêteuses parmi les nouvelles présentées. Après être rentrée de la messe, la reine dînait, tous les dimanches, avec le roi seul, en public, dans le cabinet des nobles, pièce qui précédait sa chambre. Les dames titrées, ayant les honneurs, s’asseyaient, pendant les dîners, sur des plians placés aux deux côtés de la table. Les dames non titrées se plaçaient debout autour de la table ; le capitaine des gardes, le premier gentilhomme de la chambre, étaient derrière le fauteuil du roi ; derrière celui de la reine, son premier maître-d’hôtel, son chevalier d’honneur, le premier écuyer. Le maître-d’hôtel de la reine tenait un grand bâton de six à sept pieds de hauteur, orné de fleurs de lis en or, et surmonté de fleurs de lis en couronne. Il entrait dans la chambre, avec ce signe de sa charge, pour annoncer que la reine était servie. Le contrôleur lui remettait le menu du dîner ; il le présentait lui-même à la reine, en cas d’absence du premier maître d’hôtel ; autrement il lui rendait les honneurs du service. Le maître d’hôtel ne quittait point sa place, il ordonnait seulement de servir et desservir ; les contrôleurs et gentilshommes servans mettaient sur table, et recevaient les plats des garçons servans.

Le prince le plus près de la couronne présentait à laver les mains au roi, au moment où il allait se mettre à table ; une princesse rendait les mêmes devoirs à la reine.

Le service de table était anciennement fait, chez la reine, par la dame d’honneur et quatre femmes en grand habit ; cette partie du service des femmes leur avait été attribuée à la destruction des charges de filles d’honneur. La reine supprima cette étiquette dans la première année de son règne. À la sortie du dîner, la reine rentrait seule dans son appartement avec ses femmes ; elle ôtait son panier et son bas de robe.


[***] Page 179.

CASSETTE DE LA REINE.

Manière d’ordonnancer les fonds.

Les premières femmes servaient par mois et rendaient les comptes de la cassette à la reine elle-même, à la fin de chaque mois ; la reine, après les avoir examinés, écrivait au bas de la dernière page : Vu bon Marie-Antoinette. Chacune des premières femmes emportait chez elle ce compte ainsi arrêté, après avoir laissé, dans le bureau qui était dans leur appartement du château, les quittances des pensions ou objets qu’elles avaient payés pendant leur mois de service. Dans ce même bureau était l’état des pensions. Il fut enlevé au 10 août, et probablement confondu avec un grand nombre d’effets transportés à la commune de Paris. L’Assemblée ayant décrété que les pensions de bienfaisance seraient conservées, n’en trouvant plus l’état, donna un autre décret qui autorisait les pensionnés à réclamer des certificats des chefs ou sous-chefs des chambres de la reine ; comme il n’existait plus en France ni surintendance, ni dame d’honneur, les premières femmes, depuis la déchéance, ont été autorisées à donner ces certificats. Les fonds de la cassette étaient remis tous les premiers de chaque mois à la reine. M. Randon de la Tour lui présentait cette somme, à midi, heure de sa toilette ; elle était toujours en or et contenue dans une bourse de peau blanche, doublée en taffetas et brodée en argent. Les fonds de la cassette étaient de 300,000 livres ; les mois n’étaient point égaux ; la bourse du mois de janvier était plus forte ; celles qui correspondaient aux foires de Saint-Germain et de Saint-Laurent étaient aussi plus considérables. C’était une ancienne étiquette, qui venait de l’usage que les rois avaient de donner aux reines pour faire des acquisitions aux foires. Cette somme de trois cent mille livres n’était absolument que pour le jeu de la reine, ses actes de bienfaisance ou les présens qu’elle voulait faire. Sa toilette était payée à part, jusqu’à son rouge et à ses gants y étaient compris. La reine avait conservé toutes les anciennes pensionnaires de Marie Leckzinska, femme de Louis XV. Elle payait sur ses trois cent mille livres annuellement pour quatre-vingt mille livres de pensions ou aumônes, et faisait des économies sur le reste : chaque mois la première femme serrait deux ou trois cents louis qui n’avaient pas été dépensés, dans un coffre-fort placé dans le cabinet intérieur de la reine. Sur ces économies, la reine avait payé, pendant l’espace de plusieurs années, quatre cent mille francs pour une paire de girandoles à poires égales et à un seul diamant, qu’elle avait achetée du joaillier Bœhmer, en 1774. Elles ne furent entièrement payées qu’en 1780. Bœhmer ayant vu que la jeune reine avait pris ce temps pour acquitter, sur ses économies, un objet dont elle avait été tentée, et qu’elle ne voulut point faire payer par le Trésor public, aurait dû se refuser à l’idée que, huit ou dix ans après, elle ferait acheter, à l’insu du roi, une parure de quinze cent mille livres. Mais l’envie de se défaire d’un objet aussi cher que ce fameux collier dont l’histoire est si généralement et si mal connue, et l’espoir d’être payé de manière ou d’autre, le portèrent à croire à ce qu’il ne devait pas juger vraisemblable. La reine avait encore plus de cent dix mille livres en or dans son appartement des Tuileries, peu de jours avant le 10 août ; trompée par un intrigant qui se disait l’ami de Pétion, et promettait de le rendre favorable au roi, en cas d’attaque des Tuileries, elle ne conserva que quinze cents louis en or qui furent portés à l’Assemblée lors de la prise des Tuileries. Elle avait fait changer quatre-vingt et quelques mille livres en assignats, pour composer une somme de cent mille francs, qui devait être remise au maire. Un signe de convention, que Pétion devait faire en revoyant le roi, le 9 août, et qu’il ne fit pas, plus encore sa conduite dans la désastreuse journée du 10, firent juger que l’intermédiaire était tout simplement un filou.

La cassette de la reine aussi bien administrée, et ayant toujours surpassé ses besoins, la reine ayant même fait quelques placemens d’argent, il est facile de croire à une grande vérité, c’est que jamais elle n’avait tiré de somme extraordinaire sur le Trésor public. Elle en était cependant faussement accusée dans toutes les provinces, et même dans Paris, où les gens les plus distingués par leur éducation et leur rang adoptent et répètent, avec une légèreté inconcevable, les opinions défavorables aux grands.


FIN DES ÉCLAIRCISSEMENS RASSEMBLÉS PAR MAD. CAMPAN.

  1. On était interdit par ordre du chef de la maison ou quinze jours, un mois, ou plus. La destitution était moins rare que l’interdiction ; mais on signait soi-même sa démission. Il ne faut pas oublier que tous les emplois étaient charges, et que l’on avait prêté serment entre les mains de la reine, de la surintendante, de la dame d’honneur ou du chevalier d’honneur.