Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette/Tome 1/12


CHAPITRE X.

Voyage du comte et de la comtesse du Nord en France. — Leur réception à Versailles. — La reine éprouve un moment de timidité. — Réponse singulière du comte du Nord à une demande de Louis XVI. — Fête et souper à Trianon. — Le cardinal de Rohan pénètre dans le jardin pendant la fête, sans l’aveu de la reine. — Elle en est fort irritée. — Froide réception faite au comte d’Haga (Gustave III, roi de Suède). — Anecdotes. — Paix avec l’Angleterre. — Départ du commissaire anglais établi à Dunkerque. — Joie nationale. — Les Anglais accourent en France. — Détails intéressans. — Nuage léger qui s’élève entre le roi et la reine, promptement dissipé. — Conduite qu’il faut tenir à la cour. — Anecdote. — Mission du chevalier de Bressac auprès de la reine. — Cour de Naples. — Marie-Antoinette ne connaît rien de comparable à celle de France. — La reine Caroline, le ministre Acton. — Débats de la cour de Naples avec celle de Madrid. — Réponse insolente de l’ambassadeur espagnol à la reine Caroline. — Intervention de la France. — Trait de bonté de Marie-Antoinette. — Homme devenu fou d’amour pour elle. — Anecdote. — Marie-Antoinette obtient la révision des jugemens portés contre le duc de Guines, et contre MM. de Bellegarde et de Moutier. — Détails relatifs à ces derniers. — Leur famille reconnaissante vient embrasser les genoux de la reine. — Facilité de la reine à s’exprimer en public. — Elle déroge à l’usage adopté en pareil cas. — MM. de Ségur et de Castries, nommés ministres par le crédit de la reine. — Engagement pris par elle avec M. de Ségur. — Tour perfide joué par M. de Maurepas à M. Necker. — M. de Calonne est nommé contre le vœu de la reine. — Elle commence à sentir les inconvéniens d’une société intime. — Judicieuses réflexions de cette princesse.

Plusieurs souverains du Nord, à la fin du dernier siècle, prirent le goût des voyages. Christian III, roi de Danemarck, était venu à la cour de France, sous le règne de Louis XV, en 1763 ; nous avions vu à Versailles le roi de Suède et Joseph II. Le grand-duc de Russie, fils de Catherine II (depuis Paul Ier), et sa femme, princesse de Wirtemberg, voulurent aussi visiter la France. Ils voyageaient sous le titre de comte et de comtesse du Nord. Leur présentation eut lieu le 20 mai 1782. La reine les reçut avec infiniment de dignité et de grâces. Le jour de leur arrivée à Versailles, ils dînèrent dans les cabinets avec le roi et la reine.

L’extérieur simple et modeste de Paul Ier avait convenu à Louis XVI. Il lui parlait avec plus de confiance et de gaieté qu’à Joseph II. La comtesse du Nord, d’une belle taille, fort grasse pour son âge, ayant la roideur du maintien allemand, instruite, et le faisant connaître peut-être avec trop de confiance, n’avait pas obtenu dans les premiers jours le même succès auprès de la reine. Au moment de la présentation du comte et de la comtesse du Nord, la reine avait été très-intimidée. Elle se retira dans son cabinet avant de se rendre dans la pièce où elle devait dîner avec les illustres voyageurs, demanda un verre d’eau, avouant « qu’elle venait d’éprouver que le rôle de reine était plus difficile à remplir en présence d’autres souverains, ou de princes faits pour le devenir, qu’avec des courtisans. »

Elle fut bientôt remise de ce premier trouble, et reparut avec grâces et confiance. Le dîner fut assez gai, la conversation fort animée.

Il y eut de très-belles fêtes à la cour pour le roi de Suède et le comte du Nord. Ils furent reçus dans l’intérieur du roi et de la reine ; mais on garda beaucoup plus de cérémonial qu’avec l’empereur, et Leurs Majestés me parurent toujours s’observer beaucoup devant ces souverains. Cependant le roi demanda un jour au grand-duc de Russie, s’il était vrai qu’il ne pût compter sur la foi d’aucun de ceux qui l’accompagnaient ; ce prince lui répondit, sans hésiter et devant un assez grand nombre de personnes, qu’il serait très-fâché d’avoir avec lui un caniche qui lui fût très-attaché, parce qu’il ne quitterait pas Paris que sa mère ne l’eût fait jeter dans la Seine avec une pierre au cou : cette réponse que j’entendis me fit peur, soit qu’elle peignît le caractère de Catherine, soit qu’elle exprimât les préventions de ce prince[1].

La reine donna au grand-duc un souper à Trianon et en fit illuminer les jardins, comme ils l’avaient été pour l’empereur. Le cardinal de Rohan se permit, très-indiscrètement, de s’y introduire à l’insu de la reine. Toujours traité avec la plus grande froideur depuis son retour de Vienne, il n’avait pas osé s’adresser à elle pour lui demander la permission de voir l’illumination ; mais il avait obtenu la promesse du concierge de Trianon de l’y faire entrer aussitôt que la reine serait partie pour Versailles, et son éminence s’était engagée à rester dans le logement de ce concierge jusqu’à ce que toutes les voitures fussent sorties du château : il ne tint pas la parole qu’il avait donnée, et tandis que le concierge était occupé des fonctions de sa place dans l’intérieur, le cardinal, qui avait conservé ses bas rouges et seulement passé une redingote, descendit dans le jardin, et se rangea, avec un air mystérieux, dans deux endroits différens, pour voir défiler la famille royale et sa suite.

Sa Majesté fut vivement offensée de cette hardiesse, et ordonna le lendemain le renvoi de son concierge ; on fut généralement révolté de la déloyauté du cardinal envers ce malheureux homme, et peiné de la perte qu’il faisait de sa place. Touchée de l’infortune d’un père de famille, ce fut moi qui obtins sa grâce ; je me suis reproché, depuis, le mouvement de sensibilité qui me fit agir. Le concierge de Trianon renvoyé avec éclat, l’humiliation qui en serait rejaillie sur le cardinal eût fait connaître plus publiquement encore les préventions de la reine contre lui ; eût probablement empêché la honteuse et trop célèbre intrigue du collier. Sans la manière astucieuse dont le cardinal s’était introduit dans les jardins de Trianon, sans l’air de mystère qu’il avait affecté toutes les fois que la reine l’y avait rencontré, il n’aurait pu se dire trompé par aucun intermédiaire entre la reine et lui.

La reine, fort prévenue contre le roi de Suède, le reçut avec beaucoup de froideur[2]. Tout ce que l’on disait sur les mœurs privées de ce souverain, ses relations avec le comte de Vergennes, depuis la révolution de Suède en 1772, le caractère de son favori Armsfeld, les préventions de ce monarque contre les Suédois bien vus à la cour de Versailles, formaient les bases de cet éloignement. Il vint un jour demander à dîner à la reine sans être prié, et sans avoir fait connaître son projet. La reine le reçut dans le petit cabinet, et me fit demander de suite. Alors elle m’ordonna de faire à l’instant appeler le contrôleur de sa bouche ; de s’informer si elle avait un dîner suffisant pour l’offrir à M. le comte d’Haga, et de le faire augmenter si cela était nécessaire. Le roi de Suède l’assurait qu’il y aurait toujours assez pour lui ; et moi, pensant à l’étendue du menu du dîner du roi et de la reine, dont plus de la moitié ne paraissait pas quand ils dînaient dans les cabinets, je souriais involontairement. La reine me fit, des yeux, un signe imposant, et je sortis. Le soir, la reine me demanda pourquoi j’avais paru si ébahie quand elle m’avait donné ordre de faire augmenter son dîner ; que j’aurais dû juger de suite la leçon qu’elle donnait au roi de Suède pour sa trop grande confiance. Je lui avouai que la scène m’avait paru si bourgeoise, qu’involontairement j’avais pensé aux côtelettes sur le gril, et à l’omelette qui, dans les petits ménages, viennent augmenter un trop mince ordinaire. Elle s’amusa beaucoup de ma réponse, et la conta au roi qui en rit à son tour.

La paix, faite avec l’Angleterre, avait satisfait toutes les classes de la société occupées de l’honneur national. Le départ du commissaire anglais établi à Dunkerque, depuis la honteuse paix de 1763, comme inspecteur de notre marine, causa des transports de joie. Le gouvernement avait eu la prudence de faire notifier à cet Anglais l’ordre de son départ, avant que le traité fût rendu public. Sans cette précaution, le peuple se serait porté à des excès, pour faire éprouver à l’agent de la puissance anglaise les effets d’un long ressentiment causé par son séjour dans ce port. Le commerce seul fut mécontent du traité de 1783. L’article qui permettait la libre entrée des marchandises anglaises, vint tout-à-coup anéantir le commerce de la ville de Rouen et des autres villes manufacturières du royaume. L’industrie française s’est vengée depuis de cette supériorité qui assurait à l’Angleterre le commerce exclusif du monde entier. Les Anglais abondèrent à Paris. Il y en eut un grand nombre de présentés à la cour. La reine affectait de les traiter avec des égards particuliers ; elle voulait sans doute leur faire distinguer l’estime qu’elle portait à leur noble nation, des vues politiques du gouvernement dans l’appui qu’il avait donné aux Américains. Il y eut quelques mécontentemens, fortement articulés à la cour, sur les marques d’intérêt données par la reine aux seigneurs anglais ; on traitait ces attentions d’engouement. On était injuste ; et la reine se plaignait avec raison de cette ridicule jalousie.

Le voyage de Fontainebleau, et l’hiver à Paris et à la cour furent brillans. Le printemps ramena les plaisirs que la reine commençait à préférer à l’éclat des fêtes. L’union la plus intime régnait entre le roi et la reine, et je n’ai jamais vu s’élever, entre cet auguste couple, qu’un nuage promptement dissipé, et dont la cause m’est restée parfaitement inconnue.

Mon beau-père, dont je révérais l’esprit et l’expérience, m’avait recommandé, lorsqu’il me vit placée au service d’une jeune reine, d’éviter toute espèce de confidence. « Elles n’attirent, m’avait-il dit, qu’une faveur passagère et dangereuse : servez avec zèle, avec toute votre intelligence, et ne faites jamais qu’obéir. Loin d’employer votre adresse à savoir pourquoi un ordre, une commission, qui peuvent paraître importans, vous sont donnés, mettez-la à vous garantir d’en être instruite. » J’eus à employer cette sage et utile leçon. J’entrai un matin à Trianon, dans la chambre de la reine ; elle était couchée, avait des lettres sur son lit, pleurait abondamment ; ses larmes étaient entremêlées de sanglots interrompus par ces mots : Ah ! je voudrais mourir.Ah ! les méchans, les monstres !… Que leur ai-je fait ?… Je lui offris de l’eau de fleur d’orange, de l’éther… Laissez-moi, me dit-elle, si vous m’aimez : il vaudrait mieux me donner la mort. Elle jeta en ce moment son bras sur mon épaule, et se mit à verser de nouvelles larmes. Je vis qu’une grande et secrète peine déchirait son pauvre cœur ; qu’elle avait besoin d’une confidente, que ce devait être son amie. Je le lui dis, et lui proposai d’envoyer chercher la duchesse de Polignac : elle s’y opposa fortement. Je renouvelai mes motifs et mes instances pour lui procurer la consolation d’un épanchement dont elle avait besoin ; l’opposition devint moins forte. Je me dégageai de ses bras, et courus aux antichambres où je savais qu’un piqueur, prêt à monter à cheval, attendait toujours pour se rendre à l’instant à Versailles. Je lui ordonnai d’aller, au plus grand galop, dire à madame la duchesse de Polignac que la reine se trouvait très-incommodée, et la demandait sur-le-champ. La duchesse avait une voiture toujours prête. En moins de dix minutes, elle fut près de la reine. J’y étais seule, j’avais eu la défense de faire appeler d’autres femmes. Madame de Polignac entra : la reine lui tendit les bras, elle s’élança vers elle. J’entendis encore les sanglots et je sortis.

Un quart-d’heure après, la reine, devenue plus calme, sonna pour faire sa toilette. Je fis entrer ses femmes ; elle passa une robe et se retira dans son boudoir avec la duchesse. Bientôt après, le comte d’Artois arriva de Compiègne où il était avec le roi. Il traversa l’antichambre et la chambre, en demandant avec empressement où était la reine. Il resta une demi-heure avec elle et la duchesse, et en sortant me dit que la reine me demandait. Je la trouvai assise sur son canapé, à côté de son amie ; ses traits étaient remis, son visage riant et gracieux. Elle me tendit la main et dit à la duchesse : « Je lui ai fait tant de peine ce matin, que je dois me hâter d’en alléger son pauvre cœur. » Puis elle ajouta : « Vous avez sûrement vu, dans les plus beaux jours d’été, un nuage noir qui vient tout-à-coup menacer de fondre sur la campagne et de la dévaster ; il est chassé bientôt par le plus léger vent, et laisse reparaître le ciel bleu, et le temps serein ; voilà précisément l’image de ce qui m’est arrivé dans la matinée. » Ensuite elle me dit « que le roi reviendrait de Compiègne après y avoir chassé ; qu’il souperait chez elle : qu’il fallait que je fisse demander son contrôleur pour choisir avec lui, sur ses menus de repas, tous les mets qui convenaient le plus au roi ; qu’elle voulait qu’il n’y en eût point d’autres de servis le soir sur sa table ; que c’était une attention qu’elle désirait que le roi pût remarquer. » La duchesse de Polignac me prit aussi la main, et me dit « combien elle était heureuse d’avoir été près de la reine, dans un moment où elle avait besoin d’une amie. » J’ignorai toujours ce qui avait pu donner à la reine une si vive et si courte alarme ; mais je jugeai, par l’attention particulière qu’elle avait prise au sujet du roi, qu’on avait cherché à l’irriter contre elle ; que la noirceur de ses ennemis avait été promptement reconnue et déjouée par le bon esprit et l’attachement du roi, et que le comte d’Artois s’était empressé de lui en apporter la nouvelle.

Ce fut, à ce que je crois, dans l’été de 1787, pendant un voyage de Trianon, que la reine de Naples envoya le chevalier de Bressac près de Sa Majesté, avec une mission secrète, relative à un projet de mariage entre son fils, le prince héréditaire, et Madame, fille du roi ; il s’adressa à moi en l’absence de la dame d’honneur : quoiqu’il me parlât beaucoup de la confiance intime dont l’honorait la reine de Naples, et de ses lettres de créance, je lui trouvai tout-à-fait l’air d’un aventurier[3] : il avait à la vérité des lettres particulières pour la reine, et sa mission était réelle ; il m’en entretint fort inconsidérément avant même d’avoir été admis, et me pria de faire tout ce qui dépendait de moi pour disposer l’esprit de la reine en faveur du vœu de sa souveraine : je m’en défendis en l’assurant qu’il ne m’appartenait pas de me mêler d’affaires d’État. Il voulut inutilement me prouver que l’union désirée par la reine de Naples ne devait pas être envisagée de cette manière.

J’obtins pour M. de Bressac l’audience qu’il désirait, mais sans me permettre de paraître instruite de l’objet de sa mission. Ce fut la reine qui m’en parla ; elle blâmait le choix du personnage, et cependant pensait que la reine sa sœur avait très-bien fait de ne pas se servir d’un homme fait pour être avoué, ce qu’elle désirait ne pouvant avoir lieu. J’eus occasion, dans cette circonstance comme dans beaucoup d’autres, de juger combien la reine appréciait et aimait la France et l’éclat de notre cour. Elle me dit alors que Madame, en épousant son cousin le duc d’Angoulême, ne pouvait perdre son rang de fille du roi, et que sa position serait bien préférable à celle de reine dans un autre pays ; qu’il n’y avait rien en Europe de comparable à la cour de France, et qu’il faudrait, pour ne pas exposer une princesse française aux plus cruels regrets, si on la mariait à un prince étranger, lui faire quitter le palais de Versailles à sept ans, et l’envoyer, dès cet âge, dans la cour où elle devait vivre ; qu’à douze ans, ce serait trop tard, parce que les souvenirs et les comparaisons nuiraient au bonheur de sa vie entière. La reine envisageait la destinée de ses sœurs comme bien inférieure à la sienne, et m’avait plusieurs fois entretenue des peines que la cour d’Espagne faisait éprouver à sa sœur la reine de Naples[4] ; de la nécessité où elle s’était trouvée d’implorer la médiation du roi de France. Elle me montra plusieurs lettres de la reine de Naples, au sujet des démêlés qu’elle avait eus avec la cour de Madrid, relativement au ministre Acton : elle le croyait utile à son peuple, par ses lumières et par sa grande activité ; dans ses lettres, elle rendait un compte fidèle à Sa Majesté, de la nature des outrages qu’elle avait reçus, et lui représentait M. Acton comme un homme que la malveillance même ne pouvait faire supposer capable de l’intéresser autrement que par ses services. Elle avait eu à souffrir des offenses d’un Espagnol, nommé Las-Casas, que le roi son beau-père lui avait envoyé pour la décider à éloigner M. Acton des affaires et de sa personne : elle se plaignait amèrement, à la reine sa sœur, des procédés révoltans de ce chargé d’affaires, auquel elle avait dit, pour le convaincre de la nature des sentimens qui l’attachaient à M. Acton, qu’elle le ferait peindre et sculpter par les plus célèbres artistes de l’Italie, et qu’elle enverrait son buste et son portrait au roi d’Espagne, afin de lui prouver que le désir de fixer un homme d’une capacité supérieure pouvait seul l’avoir portée à lui conserver la faveur dont il jouissait. Ce M. Las-Casas avait osé lui répondre qu’elle prendrait une peine inutile ; que la laideur d’un homme ne l’empêchait pas toujours de plaire, et que le roi d’Espagne avait trop d’expérience pour ignorer qu’on ne pouvait s’expliquer les caprices d’une femme.

Une réponse aussi audacieuse avait saisi d’indignation la reine de Naples, et l’impression de la douleur qu’elle en avait ressentie lui avait fait faire une fausse couche dans la journée même. Louis XVI s’étant porté pour médiateur, la reine de Naples eut satisfaction entière dans cette affaire, et M. Acton fut conservé dans son poste de ministre principal[5].

Dans le nombre des traits qui caractérisaient l’extrême bonté de la reine, on doit placer son respect pour la liberté individuelle. Je l’ai vue éprouver les plus grandes importunités de gens dont l’esprit était aliéné, sans permettre qu’ils fussent arrêtés. Sa patiente bonté fut mise à une bien désagréable épreuve par un ancien conseiller au parlement de Bordeaux, nommé Castelnaux : cet homme s’était déclaré l’amoureux de la reine, et était généralement connu sous ce nom. Durant dix années consécutives, il fit tous les voyages de la cour ; pâle, hâve comme les gens dont l’esprit est égaré, son aspect sinistre inspirait un sentiment pénible : pendant les deux heures que durait le jeu public de la reine, il restait sans bouger en face de la place de Sa Majesté ; à la chapelle, il se plaçait de même sous ses yeux, et ne manquait pas de se trouver au dîner du roi ou au grand couvert ; au spectacle de la ville, il s’asseyait le plus près possible de la loge de la reine ; il partait toujours pour Fontainebleau, pour Saint-Cloud, un jour avant la cour ; et lorsque Sa Majesté arrivait dans ces différentes habitations, la première personne qu’elle rencontrait, en descendant de voiture, était ce lugubre fou qui ne parlait jamais à personne. Pendant les séjours de la reine au petit Trianon, la passion de ce malheureux homme devenait encore plus importune ; il mangeait à la hâte un morceau chez quelque suisse, et passait le jour entier, même par les temps de pluie, à faire le tour du jardin, marchant toujours aux bords des fossés. La reine le rencontrait souvent quand elle se promenait seule ou avec ses enfans ; cependant elle ne voulait permettre aucun moyen de violence pour la soustraire à cette insoutenable importunité. Ayant un jour donné à M. de Sèze une permission d’entrer à Trianon, elle lui fit dire de se rendre chez moi, et m’ordonna d’instruire ce célèbre avocat de l’égarement d’esprit de M. de Castelnaux ; puis de l’envoyer chercher, pour que M. de Sèze eût avec lui un entretien. Il lui parla près d’une heure, et fit beaucoup d’impression sur son esprit : enfin M. de Castelnaux me pria d’annoncer à la reine que, décidément, puisque sa présence lui était importune, il allait se retirer dans sa province. La reine fut fort aise et me recommanda de bien exprimer à M. de Sèze toute sa satisfaction. Une demi-heure après que M. de Sèze fut parti, on m’annonça le malheureux fou ; il venait me dire qu’il se rétractait, qu’il ne pouvait, par le seul effet de sa volonté, cesser de voir la reine aussi souvent que cela lui était possible. Cette nouvelle réponse était désagréable à porter à Sa Majesté ; mais combien je fus touchée de l’entendre dire : Eh bien, qu’il m’ennuie ! mais qu’on ne lui ravisse pas le bonheur d’être libre[6].

On n’avait connu l’influence directe de la reine, dans les affaires, pendant les premières années du règne, que par la bonté qu’elle mit à obtenir du roi la révision de deux procès célèbres[7].

Si le roi n’a point inspiré à la reine un vif sentiment d’amour, il est au moins bien sûr qu’elle lui en accordait un mêlé d’enthousiasme et d’attendrissement, pour la bonté de son caractère et l’équité dont il a donné tant de preuves multipliées pendant son règne. Nous la vîmes rentrer un soir fort tard ; elle sortait des cabinets du roi ; et nous dit à M. de Mizery et à moi, en essuyant ses yeux remplis de larmes : « Vous me voyez pleurer, mais n’en prenez pas d’inquiétude : ce sont les plus douces larmes qu’une femme puisse verser ; elles sont causées par l’impression que m’ont faite la justice et la bonté du roi ; il vient d’accorder à ma demande la révision du procès de MM. de Bellegarde et de Monthieu, victimes de la haine du duc d’Aiguillon contre le duc de Choiseul. Il a été tout aussi juste pour le duc de Guines, dans son affaire avec Tort. Il est heureux pour une reine de pouvoir admirer, estimer celui qui lui fait partager son trône ; et vous, je vous félicite d’avoir à vivre sous le règne d’un souverain aussi vertueux. » Nos larmes d’attendrissement se mêlèrent à celles de la reine ; elle voulut bien nous permettre de baiser ses charmantes mains. Cette scène si touchante ne s’est jamais effacée de mon souvenir. Et c’est sous le règne de souverains aussi clémens, aussi sensibles, que nous avons eu à souffrir des fureurs que la plus cruelle tyrannie n’eût pas même excusées ; et ce sont des êtres augustes, si bien formés par la divine Providence pour le bonheur des peuples, que nous avons eu la douleur de voir eux-mêmes victimes de ces fureurs aussi insensées qu’elles ont été barbares !

La reine fit parvenir au roi tous les mémoires de M. le duc de Guines, compromis, dans son ambassade en Angleterre, par un secrétaire qui avait joué sur les fonds publics à Londres, pour son propre compte, mais de manière à en faire soupçonner l’ambassadeur. MM. de Vergennes et Turgot, ayant peu de bienveillance pour le duc de Guines, ami du duc de Choiseul, n’étaient pas disposés à servir cet ambassadeur. La reine parvint à fixer l’attention particulière du roi sur cette affaire, et la justice de Louis XVI fit triompher l’innocence du duc de Guines.

Il existait sans cesse une guerre sourde entre les amis et les partisans de M. de Choiseul, que l’on nommait les Autrichiens, et tout ce qui tenait à MM. d’Aiguillon, de Maurepas, de Vergennes, qui, par la même raison, entretenaient le foyer des intrigues existantes à la cour et dans Paris, contre la reine. De son côté, Marie-Antoinette soutenait ceux qui pouvaient avoir souffert dans cette rixe politique ; ce fut ce même sentiment qui la décida à demander la révision du procès de MM. de Bellegarde et de Monthieu. Le premier, colonel et inspecteur d’artillerie, le second propriétaire de forges à Saint-Étienne, avaient été condamnés, sous le ministère du duc d’Aiguillon, à vingt ans et un jour de prison, pour avoir réformé, dans les arsenaux de la France, d’après un ordre du duc de Choiseul, un nombre infini de fusils, livrés comme n’ayant plus que la valeur du fer, tandis que la plus grande partie de ces fusils furent, à l’instant même, embarqués et vendus aux Américains. Il paraît que le duc de Choiseul avait fait connaître à la reine, comme moyens de défense pour les condamnés, les vues politiques qui l’avaient décidé à autoriser cette réforme et cette vente, de la manière dont elle avait été exécutée. Ce qui rendait la cause de ̃MM. de Bellegarde et de Monthieu plus défavorable, c’est que l’officier d’artillerie qui avait fait la réforme, en qualité d’inspecteur, se trouvait, par un mariage clandestin, beau-frère du propriétaire des forges, acquéreur des armes réformées. Cependant l’innocence des deux prisonniers fut prouvée ; ils vinrent à Versailles, avec leurs femmes et leurs enfans, se jeter aux pieds de leur bienfaitrice. Cette scène touchante se passa dans la grande galerie, à la sortie de l’appartement de la reine : elle voulut empêcher les femmes de se mettre à genoux, disant que la justice seule leur avait été rendue ; qu’elle devait en ce moment même être félicitée sur le bonheur le plus réel qui fût attaché à sa position, celui de faire parvenir jusqu’au roi de justes réclamations[8].

Dans toutes les occasions où il fallait exprimer sa pensée en public, malgré la gêne que pouvait éprouver une étrangère, la reine rencontrait toujours le mot précis, noble et touchant. Elle répondait à toutes les harangues, et avait mis de la persévérance à conserver cette habitude puisée à la cour de Marie-Thérèse. Depuis long-temps, les princesses de la maison de Bourbon ne prenaient plus, dans de semblables circonstances, la peine d’articuler la réponse. Madame Adélaïde fit reproche à la reine de n’avoir pas suivi cet usage, l’assurant qu’il suffisait de marmotter quelques mots en simulacre de réponse ; et que les harangueurs, très-occupés de ce qu’ils venaient de dire eux-mêmes, trouvaient toujours qu’on avait répondu d’une manière parfaite. La reine jugea que la paresse seule avait pu dicter un semblable protocole, et que l’usage adopté de marmotter quelques mots, constatant la nécessité de répondre, il fallait le faire simplement mais clairement, et le mieux possible. Quelquefois même, prévenue du sujet des harangues, elle écrivait le matin ses réponses, non pour les apprendre par cœur, mais pour fixer les idées ou les sentimens qu’elle voulait y développer.

Le crédit de la duchesse de Polignac augmentait chaque jour ; ses amis en profitèrent pour amener des changemens dans le ministère. La disgrâce de M. de Montbarrey, homme sans talens et sans mœurs, fut généralement approuvée ; on l’attribuait avec raison à la reine ; il avait été placé au ministère par M. de Maurepas, et soutenu par sa vieille femme : l’un et l’autre furent, plus que jamais, déchaînés contre la reine et la société Polignac.

La nomination de M. de Ségur au ministère de la guerre, et celle de M. de Castries à celui de la marine, furent entièrement l’ouvrage de cette société. La reine craignait de faire des ministres ; sa favorite pleurait souvent quand les hommes de sa société la forçaient d’agir. Les hommes reprochent aux femmes de se mêler d’affaires, et, dans les cours, ce sont eux qui se servent de leur ascendant pour des choses dont elles ne devraient jamais s’occuper.

Le jour où M. de Ségur fut présenté à la reine, à raison de son nouveau poste, elle me dit : « Vous venez de voir un ministre de ma façon ; j’en suis bien aise pour le service du roi, car je crois le choix fort bon ; mais je suis presque fâchée de la part que j’ai à cette nomination ; je m’attire une responsabilité : j’étais heureuse de n’en point avoir ; et, pour m’en alléger autant que possible, je viens de promettre à M. de Ségur, et cela sur ma parole d’honneur, de n’apostiller aucun placet, et de n’entraver aucune de ses opérations par des demandes pour mes protégés. »

La reine avait espéré le rétablissement des finances, lors du premier ministère de M. Necker que son ambition n’avait pas encore entraîné vers des plans étrangers à ses propres talens, et ses vues lui semblaient fort sages. Sachant que M. de Maurepas voulait amener M. Necker à donner sa démission, elle l’engageait alors à patienter jusqu’à la mort d’un vieillard que le roi conservait près de lui, par respect pour son premier choix et par égard pour son grand âge. Elle alla même jusqu’à lui dire que M. de Maurepas était toujours malade, et que l’époque de sa fin ne pouvait être éloignée. M. Necker ne voulut point attendre ce moment ; la prédiction de la reine se réalisa : M. de Maurepas termina ses jours à la suite d’un voyage de Fontainebleau, en 1781[9].

M. Necker s’était retiré ; il avait surtout été outragé par une perfidie du vieux ministre, qu’il ne pouvait lui pardonner. J’avais su quelque chose de cette intrigue, à l’époque où elle eut lieu ; elle m’a été confirmée depuis par la maréchale de Beauvau. M. Necker voyant son crédit baisser à la cour, et craignant que cela ne nuisît à ses opérations en finances, écrivit au roi pour le supplier de lui accorder une grâce qui pût manifester, aux yeux du public, qu’il n’avait pas perdu la confiance de son souverain ; il terminait sa lettre en désignant cinq choses différentes, telle charge ou telle marque d’honneur, ou telle décoration, et il la remit à M. de Maurepas. Les ou furent changés en et : le roi fut mécontent de l’ambition de M. Necker, et de la confiance avec laquelle il osait la manifester.

Madame la maréchale de Beauvau m’a assuré que le maréchal de Castries avait vu la minute de cet écrit de M. Necker, tout-à-fait conforme à ce qu’il lui avait dit, et qu’il avait vu de même la copie dénaturée[10].

L’intérêt que la reine avait pris à M. Necker, s’anéantit pendant sa retraite, et se changea même en de fortes préventions. Il écrivait trop sur les opérations qu’il avait voulu faire, et sur le bien qui en serait résulté pour l’État. Les ministres qui l’avaient successivement remplacé, crurent leurs opérations entravées par le soin que M. Necker et ses partisans prenaient d’occuper sans cesse le public de ses plans ; ses amis étaient trop chauds : la reine vit de l’esprit de parti dans ces opinions de société, et se rangea entièrement parmi ses ennemis.

Après MM. Joly de Fleury et d’Ormesson, faibles contrôleurs-généraux, on fut obligé de recourir à un homme d’un talent plus reconnu, et les amis de la reine, réunis en ce moment au comte d’Artois, et, par je ne sais quel motif, à M. de Vergennes, firent nommer M. de Calonne. La reine en eut un déplaisir extrême, et son intimité avec la duchesse de Polignac commença à en souffrir : c’est à cette époque qu’elle disait que lorsque les souverains avaient des favoris, ils élevaient auprès d’eux des puissances, qui, encensées d’abord pour leurs maîtres, finissaient par l’être pour eux-mêmes, avaient un parti dans l’État, agissaient seuls, et faisaient retomber le blâme de leurs actions sur les souverains auxquels ils devaient leur crédit.

Les inconvéniens de la vie privée, pour une souveraine, frappaient alors la reine sous tous les rapports ; elle m’en entretenait avec confiance, et m’a souvent dit que j’étais la seule personne instruite des chagrins que ses habitudes de société lui donnaient ; mais qu’il fallait supporter des peines dont on était seule l’auteur ; que l’inconstance dans une amitié telle que celle qui l’avait liée à la duchesse, et une rupture totale, avaient des inconvéniens encore plus graves, et ne pouvaient amener que de nouveaux torts. Ce n’est pas qu’elle eût à reprocher à madame de Polignac un seul défaut qui pût lui faire regretter le choix qu’elle en avait fait comme amie ; mais elle n’avait pas prévu l’inconvénient d’avoir à supporter les amis de ses amis, et la société y contraint.

Sa Majesté, continuant à me parler des inconvéniens qu’elle avait rencontrés dans la vie privée, me dit que les ambitieux sans mérite trouvaient là des moyens de tirer parti de leurs importunités, et qu’elle avait à se reprocher d’avoir fait nommer M. d’Adhemar à l’ambassade de Londres, uniquement parce qu’il l’excédait chez la duchesse. Elle ajouta cependant à cette espèce de confession, qu’on était en pleine paix avec les Anglais ; que le ministre connaissait aussi bien qu’elle la nullité de M. d’Adhemar, et qu’il ne pouvait faire ni bien ni mal[11].

Souvent, dans des entretiens d’un entier épanchement, la reine avouait qu’elle avait acquis à ses dépens une expérience qui la rendrait bien attentive à veiller à la conduite de ses belles-filles ; qu’elle serait surtout fort scrupuleuse sur les qualités et les vertus de leurs dames, et qu’aucun égard ni pour le rang, ni pour la faveur, ne la déterminerait dans un choix si important. Elle attribuait à une dame fort légère qu’elle avait trouvée dans son palais en arrivant en France, plusieurs démarches de sa première jeunesse. Elle se proposait aussi d’interdire aux princesses qui dépendraient d’elle l’usage de faire de la musique avec des professeurs, et disait avec sincérité et aussi sévèrement qu’auraient pu le faire ses détracteurs : « Je devais entendre chanter Garat, et ne jamais chanter de duo avec lui[12]. » C’est avec cette impartialité qu’elle parlait de sa jeunesse. Que ne devait-on pas espérer de son âge mûr !


  1. Ce prince qui régna depuis en Russie, sous le titre de Paul Ier, et dont la fin fut si tragique, obtient de Grimm, dans sa Correspondance, les éloges les plus flatteurs ; mais il ne faut pas oublier que parmi les souverains auxquels cette Correspondance était adressée, se trouvait l’impératrice de Russie, mère du comte du Nord. Quoi qu’il en soit, voici le passage ; Grimm dit, en parlant de ce prince : « À Versailles, il avait l’air de connaître la cour de France aussi bien que la sienne. Dans les ateliers de nos artistes* [* Il a vu surtout avec le plus grand intérêt ceux de MM. Greuze et Houdon.(Note de Grimm.)], il décelait toutes les connaissances de l’art qui pouvait leur rendre l’honneur de son suffrage plus précieux. Dans nos lycées, dans nos académies, il prouvait, par ses éloges et par ses questions, qu’il n’y avait aucun genre de talens et de travaux qui n’eût quelque droit à l’intéresser, et qu’il connaissait depuis long-temps tous les hommes dont les lumières ou les vertus ont honoré leur siècle et leur pays.

    » Sa conversation et tous les mots qu’on en a retenus annoncent non-seulement un esprit très-fin, très-cultivé, mais encore un sentiment exquis de toutes les délicatesses de notre langue. Nous ne citerons ici que les traits qui nous ont été rapportés par les personnes même qui ont eu l’honneur de le suivre et d’en être les témoins.

    » Dans le nombre des choses obligeantes qu’il dit à plusieurs membres de l’Académie française, à la séance particulière de cette compagnie qu’il voulut bien honorer de sa présence, on ne peut oublier le mot adressé à M. de Malesherbes. M. D’Alembert lui ayant présenté cet ancien ministre du roi : C’est apparemment ici, lui dit-il, que monsieur s’est retiré. L’orateur le plus éloquent de la magistrature demeura tout étonné d’une apostrophe si flatteuse, et ne trouva rien à répondre.

    » M. Diderot, n’ayant pu le voir dans son appartement, fut l’attendre à la messe. L’ayant aperçu en sortant : Ah ! c’est vous, lui dit-il, vous, à la messe ! Oui, M. le comte, on a bien vu quelquefois Épicure au pied des autels.

    » Le roi parlait des troubles de Genève : Sire, lui dit-il, c’est pour vous une tempête dans un verre d’eau. On ne savait pas alors combien il serait aisé d’apaiser cette tempête, même sans renverser le verre.

    » Les fêtes données à M. le comte et à madame la comtesse du Nord, à Chantilly, ont été de la plus grande magnificence et du meilleur goût. Le divertissement en vaudeville qui terminait le spectacle parut fort agréable, au moins pour le moment.

    » L’auteur, M. Laujon, désirait fort l’honneur d’être présenté au prince ; on le fit apercevoir à M. le comte, qui, après l’avoir remercié avec la bonté la plus affable, lui dit : M. Laujon, vos couplets sont charmans ; vous m’y faites dire de fort jolies choses (les illustres voyageurs paraissaient eux-mêmes dans le divertissement sous des noms déguisés) ; mais il en est une essentielle que vous avez oubliée, oui, très-essentielle, et je ne m’en console point… On voyait à chaque mot l’inquiétude du poëte redoubler sensiblement : après l’avoir laissé ainsi quelques momens dans un embarras fort pénible pour la timidité : Mais sans doute, lui dit-il, vous avez oublié de parler de ma reconnaissance, et c’est dans ce moment tout ce qui m’occupe.

    » M. le comte du Nord ayant fait à M. D’Alembert l’honneur d’aller le voir chez lui, on n’a pas oublié que ce philosophe avait été appelé à Pétersbourg pour présider à son éducation ; il lui dit d’une manière très-aimable, à la fin de leur entretien : Vous devez bien comprendre, Monsieur, tout le regret que j’ai aujourd’hui de ne vous avoir pas connu plus tôt. » (Correspondance de Grimm, tome Ier, p. 454.)

    (Note de l’édit.)
  2. Gustave III, roi de Suède, voyagea en France sous le titre de comte d’Haga. À son avènement à la couronne, il conduisit avec autant d’habileté que de sang-froid et de courage la révolution qui abaissa l’autorité du Sénat. On sait qu’il périt en 1792, assassiné dans un bal masqué, par Ankastroom.
    (Note de l’édit.)
  3. J’ai su qu’il avait ensuite passé plusieurs années enfermé au château de l’Œuf.
    (Note de madame Campan.)
  4. Le morceau qu’on va lire peut aider à faire connaître le motif de ces peines. On y expose, du moins, avec beaucoup de vraisemblance, de quelle manière l’impératrice Marie-Thérèse espérait servir ses vastes projets, par l’alliance de l’archiduchesse Caroline avec le roi de Naples, et quels obstacles la branche des Bourbons d’Espagne mettait à des desseins dont la profondeur ne lui était point échappée.

    Les considérations qu’on va lire sont extraites des Mémoires historiques du règne de Louis XVI, par l’abbé Soulavie ; mais ce qui leur donne un très-grand poids ici, c’est le témoignage de M. le comte Orloff, dans l’ouvrage judicieux, éclairé, instructif, qu’il a publié sur le royaume de Naples. Nous en citons un passage assez étendu sous la lettre (U), et nous en recommandons la lecture, parce qu’il peint, avec intérêt et vérité, l’empire de la reine Caroline sur son époux, le caractère du ministre Acton, les justes sujets du ressentiment qu’éprouvait la cour de Madrid, et le rôle de la France au milieu de ces différends. Voici ce que dit l’abbé Soulavie à ce sujet :

    « Sous les beaux règnes de la maison de Bourbon, la France avait établi en Espagne une de ses branches, qui elle-même avait poussé des rejetons en Italie. Marie-Thérèse en était très-jalouse. Héritière de l’ambition de la maison d’Autriche et de ses projets sur l’Italie, elle s’était promis, pendant la paix la plus profonde, de reconquérir par des ruses ce beau pays, en donnant à la cour de Naples une archiduchesse qui, élevée à Vienne, n’oubliât jamais qu’elle était, à Naples, la gardienne des intérêts de sa famille. La reine Caroline servit habilement les desseins de sa mère : ne voyant dans la ville de Naples qu’une propriété jadis autrichienne, et encore mal assurée dans les mains de Ferdinand ; habile à créer des ministres soumis à ses volontés, à les conserver, à les défendre, à les détacher de la cour de Madrid où régnait la tige de la branche napolitaine des Bourbons, elle réussit à détacher le cœur de son mari du pacte de famille, force principale des descendans de Louis XIV, tant elle était dévouée à son frère Joseph, seule divinité qu’elle adorait.

    » Cette conduite de Caroline, reine de Naples, et les précautions que la maison d’Autriche eut, dans tous ses traités de paix avec la France, de se conserver des droits sur l’Italie, développent les vues de la maison d’Autriche sur cet ancien héritage que la valeur et la politique des Bourbons lui avaient ôté. Sans la fermeté de don Carlos, roi de Naples, à son avènement à la couronne d’Espagne, l’Autriche aurait cet ancien domaine, en vertu des clauses de réversibilité que Marie-Thérèse avait adroitement introduites dans le traité d’Aix-la-Chapelle, et qu’elle avait obtenu de nouveau d’insérer dans le traité de 1758 : preuve évidente que l’Autriche n’a pas perdu de vue le projet d’un nouvel établissement dans le fond de l’Italie. » Des événemens récens pourraient ajouter encore un grand poids à ces conjectures sur la politique ambitieuse de la maison d’Autriche.

    (Note de l’édit.)
  5. Voyez, sous la lettre (U), des détails sur ce ministre et sur sa conduite envers la France.
    (Note de l’édit.)
  6. Lors de la funeste arrestation du roi et de la reine à Varennes, ce malheureux Castelnaux voulut se laisser mourir de faim ; ses hôtes, inquiets de son absence, firent forcer la porte de sa chambre ; on le trouva sans connaissance, étendu sur le parquet. J’ignore ce qu’il est devenu depuis le 10 août.
    (Note de madame Campan.)
  7. La reine ne s’était permis de se mêler de ces deux procès que pour en solliciter seulement la révision ; car il n’était nullement dans ses principes d’intervenir en rien dans ce qui concernait la justice, et jamais elle ne se servit de son influence auprès des tribunaux. La duchesse de Praslin, par une criminelle bizarrerie, avait porté son inimitié pour son mari jusqu’à déshériter ses enfans en faveur de la famille de M. de Guéménée. Cette injustice amena naturellement un grand procès dont Paris était très-occupé. La duchesse de Choiseul, vivement intéressée dans cette affaire, suppliait un jour la reine, en ma présence, de vouloir bien au moins faire demander à M. le premier président quand on appellerait sa cause ; la reine lui répondit qu’elle ne ferait pas même cette démarche, puisqu’elle dénoterait un intérêt qu’il était de son devoir de ne pas manifester.
    (Note de madame Campan.)
  8. Il existe une gravure du temps qui représente assez bien cette scène de reconnaissance et de bonté. Ce morceau a pour nous, aujourd’hui, le mérite de reproduire fidèlement les lieux, les costumes du temps, et la ressemblance des principaux personnages. On distingue parmi ceux-ci M. le comte de Provence (Sa Majesté Louis XVIII), madame la comtesse de Provence, M. le comte et madame la comtesse d’Artois, et l’empereur Joseph II.
    (Note de l’édit.)
  9. « Louis XVI, dit la Biographie universelle, regretta hautement Maurepas. Dans le temps de sa dernière maladie, il était venu lui faire part lui-même de la naissance de M. le dauphin, l’annoncer à son ami et s’en féliciter avec lui : ce furent ses propres expressions. Le lendemain de ses obsèques, il disait d’un air profondément pénétré : « Ah ! je n’entendrai plus les matins mon ami au-dessus de ma tête. » — Éloge simple et touchant trop peu mérité par celui qui en était l’objet. »
    (Note de l’édit.)
  10. J’ai cette anecdote écrite de la main de cette dame.
    (Note de madame Campan.)
  11. Grimm rapporte, dans sa Correspondance, des couplets faits, dit-il, par M. d’Adhemar, dix-huit ans avant son ambassade. Cette chanson ne prouve rien assurément contre ses talens diplomatiques ; de nos jours, la chanson mène à tous les honneurs ; mais la muse qui inspirait M. d’Adhemar n’est pas fort sévère, ou paraît fort indiscrète : il donnerait, si l’on pouvait l’en croire, une bien mauvaise idée de la bonne compagnie du temps. Par ce double motif, nous reléguons la chanson dans les notes ; ira l’y chercher qui voudra (lettre V).
    (Note de l’édit.)
  12. On lit dans la Correspondance de Grimm, année 1784, le passage suivant, au sujet de ce chanteur célèbre :

    « Nous avons ici, depuis quelque temps, un jeune homme dont le talent est un de ces phénomènes extraordinaires qui tiennent à la réunion la plus heureuse de différens dons de la nature. Son nom est M. Garat, fils d’un célèbre avocat au parlement de Bordeaux. Il est à peine âgé de vingt ans. Il ignore jusqu’aux premiers élémens de la musique, et personne en France, peut-être même dans toute l’Italie, ne chante avec un goût aussi sûr, aussi exquis. Sa voix, espèce de tenor, participant de la haute-contre, est d’une flexibilité, d’une égalité, d’une pureté dont on ne connaît point d’exemples. Ses accens ont cette sensibilité que l’art ne donne point, et qu’il imite à peine. Son oreille est d’une exactitude, d’une précision rare, même parmi ceux qui connaissent le mieux les principes de l’art du chant, et sa mémoire, don sans lequel tous les autres seraient perdus pour lui, est telle qu’il retient par cœur non-seulement tout ce qu’il entend chanter, mais même les parties les plus compliquées des accompagnemens et les traits d’orchestre les plus difficiles. L’harmonie commande si fort cette tête naturellement musicale, que quand il chante sans accompagnement des airs qui en ont d’obligés, il remplit les suspensions ou les intervalles du chant par les traits que devrait rendre l’orchestre ; enfin l’art du chant est tellement inné chez ce jeune homme, que MM. Piccini, Sacchini et Grétry, qui l’ont tous entendu avec enthousiasme, lui ont conseillé de ne point s’appliquer à une étude des règles dont la nature semble avoir voulu le dispenser. Il joint à ce don précieux un esprit facile, la vivacité de son pays et une figure aimable. La reine a désiré plusieurs fois l’entendre, et M. le comte d’Artois vient de le nommer secrétaire de son cabinet. Nous l’avons entendu exécuter plusieurs fois tout l’opéra d’Orphée, depuis l’ouverture jusqu’aux derniers airs de danse du ballet qui le termine. Un opéra est, dans le gosier de cet être étonnant, un seul morceau de musique qu’il exécutera avec la même facilité qu’un autre chanterait une ariette. Quel dommage que l’état dans lequel il est né l’empêche d’employer un talent aussi rare à sa fortune et aux plaisirs du public ! »

    (Note de l’édit.)