Mémoires secrets d’un tailleur pour dames/16

(Auteur présumé)
Gay et Doucé (p. 104-110).
L’homme mécanique de la princesse

Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, médaillon de début de chapitre
Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, médaillon de début de chapitre


L’HOMME MÉCANIQUE
DE LA PRINCESSE

Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, séparateur de texte
Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, séparateur de texte



S i étrange qu’elle paraisse, cette historiette, comme toutes celles de ce livre révélateur, est absolument authentique.

Ce n’est donc pas la faute de l’auteur si Boccace, lui-même, n’eut jamais rien pu inventer de pareil dans ses contes fantaisistes.

Notre princesse n’est point, — hélas ! — une princesse de comédie née d’une imagination lascive et déréglée, — c’est une haute et puissante dame, — haute et puissante de physique comme de race, tellement puissante même qu’il fallait pour la vaincre, des lutteurs construits tout exprès.

Et maintenant, athlètes du ciel de lit, oyez l’histoire et pendez-vous de jalousie !

Un jour, une longue caisse de bois blanc, arriva dans une petite gare, à l’adresse de la princesse. Le mot fragile était inscrit aux quatre coins du couvercle.

Vu le nom de la destinataire, le chef de gare, fit porter le colis religieusement dans une pièce à côté de son propre bureau, en attendant qu’on en prit livraison.

Dans la journée, tandis que son mari veillait à son service, la jeune femme du chef, poussée par cet esprit de curiosité qui fit le malheur de notre mère Êve, — et des épouses de Barbe-bleue, — sans compter la nôtre, — la jeune femme, dis-je, s’en vint examiner de près la grande caisse en question.

À force de fureter autour, la curieuse s’aperçut qu’une des planches de côté, malmenée par le voyage, laissait aux yeux indiscrets, une large ouverture. Elle y colle les siens et… elle vit un homme !

Effrayée d’abord, madame s’enhardit, et se convainquit peu à peu que l’être masculin qui s’allongeait dans cette guérite d’un nouveau genre, n’était autre qu’un mannequin.

Jugez si l’imagination de la dame se mit à battre la campagne !

Qu’était-ce que cet homme de bois ? à quoi diable une princesse pouvait-elle l’utiliser ? N’avait-elle pas assez de courtisans et de valets, en chair et en os, sans en acheter en bois, ou en caoutchouc ?

Bref, elle voulut en avoir le cœur net et s’armant d’une pince, elle enleva la planche déjà disloquée, ce qui fit tomber le couvercle en entier. Oh les femmes !

Par ma foi ! c’était un bien bel homme ! un très bel homme !

Tête brune, aux fines moustaches, yeux flamboyants, crinière frisée, lèvres ardentes, dents d’émail.

Le corps gracieusement modelé revêtu d’un costume de seigneur du moyen âge, rappelait à la fois, l’Antinoüs et l’hercule Farnèse.

Notre jeune gaillarde était femme de goût et presque sans songer à mal, elle devint comme Pygmalion, amoureuse de la statue.

Avouons, pour l’excuser, que son mari était un vieux soudard à trogne enluminée, bête comme son képi et borgne de l’œil droit. Il avait autrefois bataillé contre les bédouins et pour l’en récompenser on l’avait nommé chef de gare, ce qui lui fit trouver femme malgré sa remarquable laideur.

Madame était, au contraire, une appétissante brunette de 28 à 30 ans (le bon âge), dont les sourcils épais, la lèvre rouge et estompée, les prunelles noires et mi-closes, ne laissaient aucun doute sur son genre de tempérament. À une chatte comme elle il eut fallu un matou vigoureux ; or, depuis longtemps, dit-on, son vieux mâle n’était qu’un pauvre chat Abeilardisé.

Donc, elle s’approcha du joli mannequin, et, le palpant sur toutes les coutures, reconnut qu’il était ingénieusement construit, en bois, en coton, et en caoutchouc.

Tout à coup, dans ses recherches « scientifiques », Madame s’aperçut que le pantalon collant de son idole était mal fermé… à certain endroit. Vite, elle y porte la main, pour remédier à cette inconvenance, mais au même instant, il sortit de la braguette, le plus bel oiseau viril que oncques n’eut vu ici bas : long, grosses proportions, droit, ferme comme un roc, la tête fière, splendide !

Madame tomba en extase ! Son rêve se faisait enfin réalité !

Mais elle voulut s’assurer si l’oiseau avait tous ses accessoires.

Par Vénus ! qui donc aurait pu résister ?

D’un bras vigoureux elle enleva le beau jouvenceau, l’assit sur un de ces fauteuils où dorment les veilleurs des gares, et relevant d’un geste gracieux, sa jupe noire et ses cotillons blancs, elle s’assit avec volupté à son tour sur l’objet, que, dans ses nuits sans sommeil, elle appelait depuis si longtemps… Enfin ! ! !

À peine avait-elle senti le bel oiseau se précipiter dans le nid que l’amour lui offrait, que les bras du jeune seigneur l’enlacèrent dans une ardente étreinte. Ô bonheur ! le poids de son corps s’appuyant fortement sur le ventre en caoutchouc de son bien-aimé, elle lui imprima un mouvement aussi naturel que voluptueux qui la jeta bientôt dans la plus ineffable extase.

Trois fois, en moins d’une demi heure, Madame grimpa au septième ciel, sans échelle. Puis, après un instant de repos, elle chevaucha une quatrième fois. Nouveau repos,… cinquième chevauchée.

Mais, si ardente écuyère que l’on soit à moins d’être Messaline, il arrive un instant où la fatigue, et même la satiété, imposent leur ennuyeuse loi. Pourtant la belle se dit : « Morbleu ! j’irai à la demi-douzaine, car qui sait si demain déjà on ne m’enlèvera pas mon cher amoureux.

Et elle repartit bravement pour la sixième fois !

Après que le premier spasme eut tordu son corps gracieux, elle se reposa encore quelques minutes, puis elle voulut se lever… Horreur ! l’Hercule refusa de lâcher sa maîtresse ! Ni ses bras, ni son petit frère, ne perdirent de leur dureté ! ! Au contraire, plus la malheureuse s’agitait, plus le petit frère enfonçait, c’était épouvantable !

Enfin, la captive se décida (ses souffrances devenant insupportables) à appeler au secours.

On accourut, le vieux mari en tête. Jugez de celle qu’il fit !… Mais comme le plus urgent était de sauver sa moitié, il ajourna à plus tard les explications et fit demander un mécanicien.

Inutile de vous assurer que tous les spectateurs, sauf le mari, se tenaient les côtes. Dans cent ans on en rira encore dans la gare.

Bref, le mécanicien chercha le secret, mais ne le trouva pas ! Et Madame criait et se tordait, et Monsieur sacrait et jurait, et toute la gare s’esclaffait.

De guerre lasse on allait se décider à briser le terrible mannequin, lorsque quelqu’un eut l’idée de regarder sur le registre d’envoi le nom de l’expéditeur.

On lui adresse aussitôt une dépêche demandant, par retour, le moyen d’ouvrir les bras de son bonhomme.

Le fabricant répondit :

« Rien à faire, laissez aller. Mon gentilhomme s’arrête de lui-même toutes les deux heures.

C’est le temps indiqué par madame la princesse. »


Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, vignette de fin de chapitre
Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, vignette de fin de chapitre